William S. Campbell nous rappelle, dans le message de Paul, la reconnaissance de la diversité humaine et la nécessité d’accepter les différences jusqu’à l’interne des groupes constitués ; ou selon la parole imagée de Paul (1 Co 12,20) :
فاما الان فانهن اوصال كثيره والجسد هو واحد
Mais maintenant, il y a plusieurs membres et le corps est un.
Ces propos résonnent tout particulièrement à la fin de cette étude consacrée au manuscrits arabes des lettres de Paul et au témoin Vat. Ar. 13. La transmission du Nouveau Testament se compose de traditions aussi variées qu’il y a de membres dans un corps, et il ne peut y en avoir de plus importantes que d’autres.
Notre recherche a dû se confronter au manque d’intérêt montré par les chercheurs néotestamentaires occidentaux pour la tradition arabe, qui trop longtemps a été déconsidérée. Ce défaut d’intérêt a, d’un côté, été un moteur dans notre recherche : nous souhaitions en explorer les raisons et contribuer à changer cette situation, rejoignant ainsi un mouvement récent porteur de nouvelles recherches. D’un autre côté, la situation de la recherche sur les manuscrits arabes du Nouveau Testament peut représenter plusieurs difficultés pour le chercheur. Nous avons pu thématiser les limites rencontrées dans notre cas : on relèvera par exemple l’impossibilité de croiser nos données avec d’autres, dans le cas de notre répertoire de manuscrits arabes des lettres de Paul (chapitre 5, points 1, 3.1 et 9) ; le manque d’outils, que cela soit pour l’établissement du répertoire (chapitre 4, point 1) ou pour l’approche historico-critique d’un texte en vue de son interprétation (chapitre 9, point 1.1) ; le manque de standard dans l’édition du moyen arabe (chapitre 7, point 1). Ces discussions, nécessaires pour la recherche, sont accompagnées de résultats concrets au vu des objectifs définis (chapitre 1, point 1) concernant l’évolution de l’histoire de la recherche et de ses défis contemporains, les manuscrits arabes des lettres de Paul et leur transmission, ainsi que le Vat. Ar. 13, sa partie paulinienne et plus particulièrement la première lettre aux Corinthiens.
Dans la première partie de ce travail (Les manuscrits arabes du Nouveau Testament dans la recherche contemporaine), nous montrons, sur la base d’un état de la recherche précis (chapitre 2) que le petit nombre de recherches sur les manuscrits arabes du Nouveau Testament procède d’une « condamnation » de la part de la critique textuelle ; cette posture, qui apparaît comme peu justifiée scientifiquement, a des racines dans la grande problématique de l’« orientalisme », c’est-à-dire le système de représentation, fait de fascination et de rejet, dans lequel l’Occident a enfermé l’Orient. Quoiqu’il en soit du désintérêt injustifié montré par cette discipline, l’ensemble de ces problématiques est aujourd’hui en voie de renouvellement. Nous montrons notamment que des questions identitaires peuvent se cristalliser autour de ce champ d’études, particulièrement en ce qui concerne les premières traductions du Nouveau Testament et leur potentielle existence préislamique. Certains éléments sont repris de manière polémique dans des discussions qui ont lieu sur internet entre groupes chrétiens et musulmans ; ces discussions sont un phénomène non négligeable et peuvent avoir conduit indirectement à la reprise de la recherche que l’on peut observer depuis quelques années, avec un nombre croissant de publications depuis les années 2010. De manière générale, cela montre que la distance entre les productions académiques et non académiques, surtout lorsque celles-ci sont publiées en ligne, est de plus en plus réduite. Il s’agit d’une réalité que la recherche doit prendre en compte. Dans tous les cas, que cela soit face au désintérêt injustifié d’une discipline comme la critique textuelle du Nouveau Testament ou face aux discours identitaires que l’on peut trouver sur certains sites internet, chaque nouvelle recherche approfondie est d’une grande importance (chapitre 3).
La deuxième partie de cette recherche (Les manuscrits arabes des lettres de Paul) rassemble les informations nécessaires pour offrir une image plus globale de la transmission du corpus des lettres de Paul en arabe, particulièrement peu étudiée jusqu’à aujourd’hui (chapitre 4). Nos observations (chapitre 5) permettent de relativiser l’idée partagée par les chercheurs, qui considère les traductions des évangiles comme plus anciennes et plus populaires que celles des lettres de Paul. Les lettres de Paul en arabe furent traduites puis copiées parallèlement aux évangiles et le nombre de témoins ayant survécu se rapproche de celui des évangiles. Les données récoltées mettent d’autres aspects intéressants en exergue, comme le lien entre les recensions arabes des évangiles du 13e s. et le grand nombre de manuscrits arabes des lettres de Paul à cette même période, un aspect qu’il serait intéressant d’approfondir dans de futures recherches. Nous avons aussi pu mettre en évidence plusieurs manuscrits aux caractéristiques intéressantes, comme par exemple le Venise Marciana Gr. 379, seul manuscrit du Nouveau Testament trilingue grec-arabe-latin, qui est notre objet de recherche actuel.
Après avoir approché les manuscrits arabes des lettres de Paul dans leur ensemble, ce travail se concentre sur le manuscrit Vat. Ar. 13 et sur la première lettre aux Corinthiens (La première lettre aux Corinthiens dans Vat. Ar. 13). Une description du manuscrit sur la base de ses aspects codicologiques, paléographiques et liturgiques met plusieurs éléments en lumière (chapitre 6). Elle soutient que la partie paulinienne date du 9e s. ; cela confirme la datation avancée par la recherche pour les parties d’origine du manuscrit, qui jusqu’à présent s’était surtout concentrée sur quelques folios évangéliques. Nous relevons également les différents éléments byzantins bien présents dans le manuscrit, en rapportant notamment le colophon sur le dernier folio (179v) au genre de l’épigramme byzantin et en décrivant les marques de lecture présents dans tous les cahiers, à l’exception des plus récents. Enfin, nous contestons l’idée, prévalente dans la recherche même récente, que le manuscrit a été composé au monastère de Mar Saba ; la mention de la ville de Ḥoms dans l’épigramme grec ainsi que le rôle joué par Joseph Assemani dans l’acquisition du manuscrit placerait plus vraisemblablement son origine dans le patriarcat d’Antioche.
Après cette introduction au Vat. Ar. 13, nous éditons la première lettre aux Corinthiens en privilégiant une approche fidèle au document et à ses particularités (chapitre 7). Nous discutons aussi les potentialités d’une édition sous forme digitale : une telle édition est disponible en libre accès, avec les images du manuscrit, depuis l’été 2016 (<http://tarsian.vital-it.ch/>).
L’étude du texte de 1 Corinthiens (chapitre 8) montre que les lettres de Paul ne sont pas traduites uniquement du grec, contrairement à l’avis général de la recherche (à l’exception de Monferrer-Sala). Il s’agit d’un travail de traduction fait à la fois sur un texte grec et sur un texte syriaque. Le texte syriaque est celui de la Peshitta et son utilisation dans le travail de traduction montre une très grande familiarité avec cette version. Quant au texte grec, nous mettons en évidence la présence dans le texte arabe de plusieurs variantes pré-byzantines ; elles attestent d’une Vorlage grecque d’une qualité textuelle inattendue, dans la perspective de la critique textuelle du Nouveau Testament privilégiant un type de texte alexandrin. Cette étude philologique montre que la traduction a été faite par un traducteur qui maîtrisait le grec, le syriaque et l’arabe ; il était familiarisé avec les Écritures en grec et en syriaque. La double Vorlage grecque et syriaque correspond au contexte melkite de l’époque du manuscrit. En conséquence, nous pouvons dire que la traduction comme le manuscrit sont le résultat d’un travail fait dans un milieu melkite ; il pourrait s’agir d’une communauté dans la région de Ḥoms.
Dans le dernier chapitre, nous faisons l’essai d’une approche interprétative de passages importants de 1 Corinthiens (chapitre 9). Le choix de nous concentrer sur un manuscrit du Nouveau Testament et son texte vient de notre positionnement en faveur d’une histoire des lectures : éditer ce manuscrit tel qu’il est, c’est donner accès à une lecture particulière du texte du Nouveau Testament, qui n’est plus une simple étape dans la recherche du texte original. C’est aussi soutenir que chacune de ces lectures offre un possible renouvellement des interprétations du texte. Ainsi, l’étude du terme polysémique ḥanīf et de son utilisation dans le Vat. Ar. 13 montre que le texte peut contribuer à une approche renouvelée de la question de l’identité du chrétien.
Les différentes étapes de ce travail, des réflexions générales sur la recherche contemporaine à l’étude d’une lettre de Paul dans un manuscrit unique, en passant par un aperçu de la transmission d’un corpus, constituent une ouverture sur le reste de la tradition. Cette tradition est riche et de nombreux aspects attendent d’être largement explorés. Nous espérons que ce travail aura ouvert une porte sur ce territoire presque inconnu et contribué à le cartographier.