Chapitre 6 Les dieux des autres : entre « démons » et « idoles »

In: L’imaginaire du démoniaque dans la Septante
Author:
Anna Angelini
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Il est maintenant temps d’explorer un troisième domaine d’usage de la catégorie du démoniaque spécifique à la Bible hébraïque et à la Septante : celui de la définition des divinités étrangères. Même s’il n’y a souvent aucune différence significative entre la désignation des dieux des autres peuples (’ēlîm/θεοί) et celle de Yhwh (’ēl/θεός), dans un nombre important de cas l’expression « démons » est utilisée de manière dérogatoire pour indiquer les dieux étrangers, notamment lorsqu’ils sont présentés en opposition ouverte au dieu d’Israël. De nombreuses raisons invitent à analyser cette thématique en détail. Tout d’abord, c’est dans ce contexte qu’apparaît une des attestations du mot šēdîm dans la Bible hébraïque, et il s’agit de sa seule occurrence dans le Pentateuque1. C’est ici une occasion précieuse d’atteindre un niveau émique dans l’analyse, puisque nous avons accès à une réflexion menée par les anciens eux-mêmes sur leurs propres catégories religieuses. En second lieu, l’importance du rôle joué par la LXX dans la construction « démonologique » des autres dieux est indéniable. Non seulement elle a prolongé une représentation qui était propre à la Bible hébraïque en plusieurs contextes, comme par exemple dans le livre des Odes et celui de Baruch, mais elle a également constitué l’arrière-plan sur lequel s’est appuyée la représentation des dieux des autres comme démons. Cette représentation est mise en avant par le Nouveau Testament, notamment dans un fameux passage de Paul qui associe l’idolâtrie avec la table préparée pour les démons (1 Co 10,20–21)2. Effectivement, et comme nous le verrons en détail par la suite, nous devons davantage aux traducteurs grecs pour ce qui est du développement d’un lien entre la notion de démon et celle d’idole. Enfin, la démonisation des dieux étrangers est un phénomène qui n’est pas complètement absent des cultures environnantes, notamment de la culture grecque qui nous intéresse tout particulièrement ici : le sujet stimule donc une démarche comparatiste ainsi qu’une interrogation sur les spécificités du phénomène biblique.

Comme je l’ai déjà dit, le texte le plus important du corpus est représenté par un passage de Deut 32. Ce chapitre, connu également comme « Chant de Moïse » (Deut 32,1–43), contient l’un des deux discours prononcés par Moïse à la veille de sa mort, après avoir mis par écrit la Loi (Deut 31) et avant que son peuple, guidé par Josué, ne traverse le Jourdain pour entrer dans la terre de Canaan (Deut 32,48–52)3. Du point de vue narratif, ce texte occupe une place cruciale à l’intérieur du Deutéronome, mais également à l’intérieur du Pentateuque dans son ensemble. Par ses paroles, Moïse résume l’histoire d’Israël en remontant à ses origines mythiques, tout en annonçant son destin futur. Le discours est centré sur le contraste entre, d’une part, la fidélité et la générosité de Yhwh et, d’autre part, l’infidélité du peuple qui se manifeste d’abord et avant tout dans l’adoration des autres dieux, et qui a pour conséquence le déchaînement de la colère du dieu patron. Ces divinités, décrites comme « nouvelles » et « récentes », sont appelées šēdîm en hébreu et δαιμόνια en grec4 :

Ces deux versets sont reproduits fidèlement en grec dans la deuxième des Odes où l’intégralité du chant est attribué au roi Salomon (Odes 2,16–17). De plus, le verset 37 du Psaume 106 (= 105,37 LXX), un autre résumé poétique de l’histoire d’Israël, dépend visiblement de ce passage et nous verrons qu’il y introduit des nouveautés significatives. Enfin, le même motif est repris presque mot à mot dans le chapitre 4 du livre de Baruch où il est recontextualisé à l’intérieur d’un éloge à la sagesse5.

Le dossier des « dieux des autres » est, en outre, complété par deux passages du chapitre 65 du livre d’Isaïe (versets 3 et 11) : même en l’absence d’une relation de dépendance littéraire directe à l’égard de Deut 32, ces deux versets contiennent des références polémiques aux dieux étrangers pour lesquels on brûle de l’encens et on prépare une table, et qui sont encore appelés « démons » dans le texte grec. Mais avant d’analyser la fonction des démons dans les textes grecs qui composent ce corpus, il faut commencer par clarifier le statut des šēdîm dans le Chant de Moïse.

1 Formes et représentations du divin en Deutéronome 32

La compréhension de la référence aux démons en Deut 32,17 ne peut pas être séparée de la contextualisation historique plus générale du chant, qui est de ce point de vue l’un des textes les plus débattus de toute la Bible hébraïque. Le problème a deux volets. Un premier volet concerne la datation du texte considéré par la grande majorité des chercheurs comme une unité littéraire au moins pour les versets 1–43. En effet, dès le XIXe siècle jusqu’à récemment, le spectre des datations proposées s’étend de la fin du deuxième millénaire avant notre ère au début de l’époque hellénistique et comprend plusieurs solutions intermédiaires6. L’incertitude est due, d’un côté, à l’absence de références historiques précises à l’intérieur du chant, qui présente néanmoins une série de parallèles avec la littérature prophétique, et, de l’autre côté, à la difficulté de catégorisation du poème à l’intérieur d’un genre littéraire défini. Les arguments pour une datation haute s’appuient davantage sur l’évaluation des références intertextuelles ainsi que sur des remarques de nature linguistique : deux critères qui sont problématiques du point de vue méthodologique7. En revanche, plusieurs chercheurs ont observé des parallèles importants avec la littérature prophétique plus tardive (notamment le deuxième et troisième Isaïe), avec les textes sapientiaux ainsi qu’avec des textes apocalyptiques. Une datation du texte à l’époque postexilique, au moins dans sa forme finale, est donc à considérer comme plus probable, notamment au vu de la fonction de ce chapitre comme charnière entre la Torah et le reste des traditions littéraires qui composent la Bible hébraïque8.

Le deuxième volet, qui demeure également très discuté, est celui de l’origine du texte, qui semble différer de celle du reste du Deutéronome. D’après plusieurs auteurs, nous aurions ici affaire à un poème, à l’origine, indépendant qui aurait, ensuite, été ajouté au rouleau du Deutéronome9. À cet égard, il faut remarquer que même les chercheurs qui défendent une datation relativement tardive de Deut 32 estiment souvent qu’il contient des traces d’une mythologie très ancienne, interprétée comme le « reste » d’un arrière-plan polythéiste10. Parmi les composants d’un tel arrière-plan est souvent indiquée la mention de Deber et Resheph aux versets 22–24a, que j’ai déjà discuté au chapitre 4. Le mythe de la répartition du monde et de ses habitants opérée par le dieu ‘Elyôn qui est évoqué aux versets 8–9 est d’habitude considéré comme faisant partie de cet héritage mythologique ancien : nous reviendrons sur ce point. L’hypothèse d’une origine séparée du Chant de Moïse a, cependant, été mise en question par d’autres études récentes qui défendent l’idée que le chapitre 32 aurait plutôt été composé expressément pour son contexte11. En outre, le fait que le texte circulait à Qumrân sur un rouleau séparé, comme l’atteste 4QDeutq12, ne doit pas nécessairement être un argument probant pour une origine indépendante. L’usage liturgique du poème, confirmé par plusieurs passages rabbiniques, peut bien correspondre à un développement secondaire des fonctions du texte ; il faut, en outre, observer que des versets du chapitre 32 étaient également recopiés sous d’autres formes à Qumrân, par exemple combinés avec des extraits d’autres chapitres du Deutéronome (4QDeutj)13 ou d’autres livres du Pentateuque (4QDeutk)14. N’étant pas en mesure de résoudre le problème, qui mériterait une discussion séparée, je me contenterai de deux remarques générales à propos des rapports entre le Chant de Moïse et le reste du Deutéronome. La première concerne le contenu : en dépit de toutes ses spécificités, le discours mené par Moïse en Deut 32 reste centré sur deux thèmes qui sont pleinement et fondamentalement « deutéronomiques », à savoir celui de l’élection d’Israël par Yhwh et celui du rapport de Yhwh avec les autres dieux. La deuxième remarque est d’ordre méthodologique et invite à exercer la plus grande prudence envers tout paradigme qui appelle en cause des « survivances ». Comme je l’ai déjà souligné dans l’introduction, ces modèles présupposent généralement une opposition rigide et historiquement non vérifiée entre polythéisme et monothéisme, menant par conséquent à un mauvais usage de ces deux catégories religieuses qui – il faut le rappeler – sont modernes et non anciennes15.

À ce propos, je me propose d’aborder la question des éléments mythologiques du poème par une approche différente qui n’est pas focalisée sur l’opposition entre monothéisme et polythéisme. En mettant l’accent sur le rôle attribué aux démons dans ce chant, je me concentrerai davantage sur deux aspects qui, jusqu’à présent et la plupart du temps, ont été traités séparément. Dans les pages qui suivent, j’essayerai de mettre en relation la vénération des šēdîm, dont le culte est condamné aux versets 16–17, avec le mythe de l’élection d’Israël, qui est thématisée aux versets 8–9 ainsi qu’à la fin du poème au verset 43. L’étude de ces passages soulève deux questions fondamentales. La première concerne la relation entre le dieu ‘Elyôn et le dieu Yhwh dans les versets 8–9. D’après plusieurs chercheurs, ces versets attesteraient un état ancien de la religion d’Israël où ‘Elyôn, littéralement « le très-haut », ne serait pas encore devenu une épithète de Yhwh, comme dans la plupart de la Bible hébraïque, mais serait à considérer comme le nom d’une divinité distincte. Une telle distinction soulève néanmoins le problème du rapport entre cette représentation et celle du verset 43 où Yhwh apparaît comme la divinité suprême qui gouverne l’univers. La deuxième question concerne le rapport entre Yhwh, sa cour céleste des « fils divins » représentée dans les versets 8–9 et 43, et les puissances mentionnées aux versets 16–21, qualifiées, comme nous venons de le voir, comme des « démons » et des nouveaux dieux. Comment peut-on interpréter ces deux représentations de manière cohérente et intégrée ? Et, lorsqu’on arrive à articuler entre eux ces deux scénarios divins, quelles sont les conclusions à en tirer pour l’interprétation plus générale de Deut 32 ?

1.1 Yhwh, ‘Elyôn et l’élection d’Israël

Pour répondre à ces questions il faut d’abord rigoureusement examiner nos textes, notamment en faisant un détour sur le mythe des origines qui est raconté par Moïse au début du poème. Moïse commence son discours en invoquant le ciel et la terre comme témoins de ses dernières paroles, qui descendent du ciel et sont destinées à servir d’enseignement universel (versets 1–3). Ensuite, il exhorte les Israélites à se souvenir de leur passé à partir du début de leurs origines (versets 6–7). La narration des origines d’Israël ne correspond pas au récit de l’Exode, comme l’on pourrait s’y attendre. En revanche, elle a lieu dans la cour céleste (versets 8–9) au moment où la divinité décide de partager le genre humain selon le nombre des êtres divins et choisit de garder Israël sous son contrôle direct. Pour la reconstruction du texte originel du verset 8, les témoignages de la LXX et des manuscrits de Qumrân sont fondamentaux16, comme le montre le tableau 4 :

Tableau 4

Alors que nous lisons, dans le TM17, que les bənê ’ādām, les « fils d’Adam », sont distribués selon le nombre des bənê yiśrā’ēl, « des fils d’Israël », les manuscrits de la LXX ont les termes ἀγγέλων θεοῦ (B et les onciaux) ou ὑιῶν θεοῦ selon le Papyrus Fouad18. Deux manuscrits qumrâniens utilisent bny ’l (suivi par un espace où nous n’arrivons plus à reconstruire le texte) et bny ’lwhym et confirment ainsi que la traduction grecque reflète la version originale de l’hébreu19. Bənê ’ēlîm ou bənê ’ĕlōhîm sont deux expressions équivalentes pour désigner les membres de la cour céleste dans plusieurs passages bibliques de la Genèse, des Psaumes et du livre de Job20. Dans tous ces passages, la LXX lit ὑιοὶ θεοῦ ou ἄγγελοι, « fils de dieu » ou « anges », ce qui correspond à l’interprétation usuelle des bənê ’ĕlōhîm de la part des traducteurs grecs21. Comme il a d’ailleurs été reconnu depuis longtemps, la version originale de l’hébreu devait donc correspondre à l’une des deux expressions attestées à Qumrân et dans le Papyrus Fouad, alors que la version du TM est le résultat d’une correction tardive, motivée par des soucis d’ordre théologique22 sur lesquels je reviendrai.

La relation entre les versets 8 et 9 est, en revanche, moins claire. D’après les chercheurs qui voient dans ce passage deux divinités distinctes23, ‘Elyôn serait le nom du chef du panthéon (ou une épithète du dieu El en tant que chef du panthéon) en charge du partage de l’univers parmi les autres agents divins. Cette situation reflèterait donc un stade de la religion d’Israël où Yhwh et El/‘Elyôn n’auraient pas encore été identifiés l’un à l’autre. Parmi les puissances divines Yhwh émergerait donc comme celui qui reçoit en sort Israël : ceci correspondrait aux « restes » supposés d’une ancienne structure polythéiste dominé par le dieu El où Yhwh ne jouerait qu’un rôle subordonné. Ce serait ici une attestation assez exceptionnelle étant donné que, dans la grande majorité des cas dans la Bible hébraïque, ‘Elyôn est utilisé comme épithète de Yhwh, ou de El lorsque ce dernier est identifié à Yhwh24, ou est utilisé dans des contextes où la référence à Yhwh est évidente même en l’absence du tétragramme25. Or, cette interprétation, qui a connu un large succès, se heurte à quelques difficultés syntaxiques et, comme l’a bien montré Konrad Schmid26, elle n’est pas non plus la plus convaincante qui soit. En effet, une lecture attentive du passage suggère que Yhwh et ‘Elyôn sont à identifier comme une seule divinité et que ‘Elyôn doit être compris comme une épithète de Yhwh. Alors que le verset 8 décrit l’action divine en adoptant une perspective universaliste en qualifiant la divinité comme le dirigeant « suprême » (‘elyôn) de l’humanité (gôyīm), la mention du nom de Yhwh au verset 9 souligne son caractère de dieu « national » en mettant l’accent sur sa relation étroite avec Israël et son histoire (Jacob). La conjonction , qui relie les deux versets, a ici une fonction assévérative, à savoir qu’elle renforce l’affirmation du lien entre Yhwh et son peuple. Cela a du sens du point de vue syntaxique seulement si l’on comprend Yhwh et ‘Elyôn comme deux noms d’une seule puissance divine, qui désignent deux attributs ou champs d’actions différents de la même divinité. D’autres observations viennent renforcer la proposition de Schmid. La présence du terme ḥēleq au verset 9, qui désigne Israël comme la « portion » de Yhwh, renforce la réciprocité du lien entre le peuple et sa divinité patronne, lien qui est considéré comme remontant au début de l’histoire universelle. La même racine apparaît en Deut 4,19–20 et 29,25 (26) où Yhwh met en garde son peuple contre la servitude envers d’autres dieux qu’il n’a pas « attribués » (ḥālaq) à Israël mais à d’autres peuples, comme nous le lisons, par exemple, en Deut 4,19–20 :

19ופן תשׂא עיניך השׁמימה וראית את השׁמשׁ ואת הירח ואת הכוכבים כל צבא השׁמים ונדחת והשׁתחוית להם ועבדתם אשׁר חלק יהוה אלהיך אתם לכל העמים תחת כל השׁמים

20ואתכם לקח יהוה ויוצא אתכם מכור הברזל ממצרים להיות לו לעם נחלה כיום הזה

19 Ne lève pas tes yeux vers le ciel, (ne) regarde pas le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée des cieux, et ne te laisse pas entraîner à te prosterner devant eux et à les servir. Car ils sont la part que Yhwh ton Dieu a donnée à tous les peuples qui sont partout sous le ciel.

20 Mais vous, Yhwh vous a pris et il vous a fait sortir de cette fournaise à fondre le fer, de l’Égypte, pour que vous deveniez son peuple, son patrimoine, comme vous l’êtes aujourd’hui.

Il paraît, d’ailleurs, manifeste que le traducteur grec a perçu et gardé cette dialectique entre une perspective universelle et une perspective plus locale ou nationale : au verset 8, il utilise le verbe διαμερίζω, « séparer », « faire les portions », pour traduire le Hiphil de nḥl, « donner en sorte », normalement traduit par κληρονομέω, « donner en héritage », qui se réfère, d’habitude, à la terre d’Israël. En outre, il ajoute le nom « Israël » au verset 9b pour rendre explicite l’équivalence entre Jacob et Israël, à l’instar d’autres cas similaires dans la LXX27.

L’hypothèse qu’en Deut 32,8 ‘Elyôn soit à considérer comme une épithète de Yhwh peut également être renforcée par le contexte plus large de ce passage qui comprend les versets 6–7. Ici Yhwh est présenté comme « père » (’ābîkā), celui qui a établi (kwn) et créé (qnh) : il a donc des traits qui le rapprochent de la fonction traditionnellement attribuée au dieu El dans les panthéons ouest-sémitiques. Mark Smith a souligné les parallèles étroits de vocabulaire entre ces versets et les descriptions du dieu El dans les textes ougaritiques28. Or, si Yhwh est déjà présenté comme un dieu de type El aux versets 6–7, il serait néanmoins surprenant qu’il perde ces traits dans les versets suivant immédiatement, qui sont logiquement liés à ce qui précède.

En outre, l’idée d’une distinction entre ‘Elyôn et Yhwh aux versets 8–9 soulève un problème de cohérence par rapport à la fin du poème, au verset 43, où Yhwh est clairement reconnu comme le chef incontesté du panthéon car tous les autres dieux sont invités à se réjouir avec lui. Là encore, il faut tenir compte de la pluralité textuelle attestée par le TM, la LXX et les manuscrits de la Mer Morte, résumée dans le tableau suivant (tableau 5) :

Tableau 5

La version du TM est la plus courte, la référence aux cieux et à la cour céleste en a disparu, et l’invitation est adressée aux nations (gôyīm) afin qu’elles se réjouissent avec le peuple d’Israël (‘ammô). Les problèmes de critique textuelle concernant ce verset ont été examinés en détail, entre autres, par Maurice Bogaert et par Arje van der Kooij29. Alors qu’il y a un consensus sur le fait que la version la plus longue, à savoir celle de huit côla attestée par la LXX, ne peut pas refléter la forme originelle du texte, il apparaît moins clair de savoir si cette dernière aurait consisté en quatre côla (comme dans le TM), ou en 6 (comme en 4Q Deutq) ; il est également difficile de savoir à quel stade de la transmission du texte les changements ont été introduits. La version pré-massorétique originelle ne peut vraisemblablement plus être reconstruite en détail. Toutefois, nombre de raisons structurelles suggèrent que celle-ci était de six ou de quatre côla30 et qu’elle contenait encore dans les deux premiers côla une référence aux cieux (šāmayim) et aux êtres divins (’ĕlōhîm ou bənê ’ĕlōhîm), présents à la fois dans la LXX et à Qumrân. Par conséquent, la forme massorétique du premier côlon du verset 43 paraît être une correction allant dans la même direction que celle du verset 8 : les deux ont pour résultat la disparition de toute référence à la cour céleste et soulignent, en revanche, la relation entre Yhwh et Israël31. Lorsque l’on considère la forme pré-massorétique du verset 43, on remarque néanmoins qu’elle contenait un renvoi au début du chant car elle s’adresse aux cieux comme dans le verset 1. De plus, elle est articulée de manière cohérente avec le verset 8. La représentation des versets 8 et 43 où les populations sont distribuées sur la terre et assignées chacune à la tutelle d’une puissance divine trouve un parallèle relativement proche dans la « table des nations » décrite en Gen 10 où la diffusion des fils de Noé est à l’origine des différentes nations du monde. En dehors de Deut 32,8, l’association entre le verbe « séparer » (prd) et les « nations » (gôyīm) apparaît seulement en Gen 10,5 et 3232. En revanche, le parallèle ougaritique qui est parfois évoqué pour démontrer la nature « archaïque » du mythe de Deut 32,8–9, à savoir la mention des soixante-dix fils de El et Athirat, n’a pas de véritable correspondant dans ce passage car, nulle part, il n’est explicitement fait mention dans les mythes ougaritiques d’une répartition du territoire parmi les fils du couple divin33. En outre, l’expression bənê ’ĕlōhîm dans la Bible hébraïque ne doit pas nécessairement être comprise au sens généalogique car elle peut simplement indiquer les membres d’un groupe ou d’une classe, à savoir, ici, celle des divinités admises à la cour céleste.

Par rapport à Gen 10, il faut toutefois préciser que, bien que la table des nations implique l’idée d’un partage du territoire parmi les différents peuples du monde, cette idée ne semble pas soutenue par la même perspective universaliste qui est manifeste en Deut 32,8–9 et 43 : en ce sens, les passages du Chant de Moïse ne disposent pas de véritables parallèles bibliques et ils ne semblent pas avoir de précédent dans la mythologie du Proche Orient ancien. Par contre, les représentations de Gen 10 et de Deut 32 sont combinées dans des traditions du Second Temple, comme, par exemple, dans le livre des Jubilés34.Comme l’observe justement Mark Smith35, l’idée d’une distribution de « gouverneurs » sur chaque peuple et d’Israël comme « portion » de Yhwh est reprise par un passage de Ben Sira et intégrée dans l’histoire des origines de l’homme : ἑκάστῳ ἔθνει κατέστησεν ἡγούμενον καὶ μερὶς κυρίου Ισραηλ ἐστίν, « (Dieu) disposa pour chaque peuple un gouvernant, et Israël est la part du Seigneur »36. Ces parallèles témoignent de la popularité de ce mythe pendant l’époque hellénistique.

1.2 Au-dedans et en dehors de la cour céleste

L’hypothèse d’interprétation qui a été proposée pour les versets 8–9 et 43 nous amène directement à approfondir le statut des dieux étrangers qui sont l’objet de la polémique des versets 16–21 car ce statut soulève la question de la relation entre deux scénarios qui, à première vue, apparaissent très différents. Du verset 16 au verset 21, le reproche de Moïse s’adresse aux Israélites en raison de l’ingratitude qu’ils ont montrée à l’égard de Yhwh en se tournant vers d’autres divinités. La péricope en hébreu lit comme suit :

L’idée qu’Israël ne doit pas servir d’autres dieux car ces derniers ont été assignés à d’autres nations qu’Israël n’est pas étrangère au Deutéronome. Nous avons déjà vu la formulation de Deut 4,19–20. Il est possible de citer encore le passage de Deut 29,25, où il est question des autres dieux (’ĕlōhîm ’ăḥērîm). Ce dernier montre des similitudes considérables avec Deut 32,8–9 (l’idée du partage entre dieux et peuples) et 16 (la conviction que les Israélites rendent un culte à des dieux étrangers)37 :

וילכו ויעבדו אלהים אחרים וישתחוו להם

אלהים אשר לא ידעום ולא חלק להם

Ils sont allés servir d’autres dieux, ils se sont prosternés devant eux,

dieux qu’ils ne connaissaient pas, que (Yhwh) ne leur avait pas donnés en partage.

Par rapport à ces passages deutéronomiques de même thématique, Deut 32,16–21 se caractérise par une violence polémique considérable. Le statut divin de ces puissances est effectivement nié, ce qui n’arrive ni en Deut 4 ni en Deut 29. Non seulement ils sont définis comme des démons (šēdîm) et comme des êtres non divins (lō’ ’ĕlōah, verset 17a), mais leur vénération constitue une abomination (tô‘ēbōt, verset 16) ; ils sont également condamnés en tant que divinités nouvelles (’ĕlōhîm ḥădāšîm, verset 17b), arrivées récemment et inconnues des pères, à savoir des divinités non traditionnelles. Le sommet de la polémique se trouve au verset 21 où ils sont définis comme « non-dieux » (lō’ ’ēl), « vanités » (hăbālîm, εἴδωλα dans la LXX) et mis en parallèle avec le « non-peuple », la nation folle que Yhwh enverra contre Israël comme juste punition pour ses méfaits38.

La question centrale ici concerne la manière dont ces puissances, clairement négatives et dénuées de pouvoir, entrent en relation avec les membres de l’assemblée divine auxquels chaque nation a été attribuée et qui sont encore invités à célébrer Yhwh à la fin du chant. Une explication récente proposée par Nathan MacDonald considère que les divinités mentionnées au verset 17 seraient les mêmes membres de la cour céleste qu’aux versets 8–9 et 43, mais considérés sous un angle différent. Autrement dit, ils seraient indignes du titre divin seulement lorsqu’ils sont comparés avec la magnificence de Yhwh39. Cette vision quelque peu harmonisante n’explique pourtant pas encore la différence considérable d’emphase qui existe entre les passages du chant qui décrivent la cour céleste et ceux qui sont focalisés sur la polémique contre les démons ou les nouveaux dieux. En outre, le verset 17 insiste sur le fait qu’ils soient arrivés récemment et ne soient pas des divinités traditionnelles. Il me paraît donc difficile qu’il puisse s’agir des mêmes divinités qui étaient présentes au début de l’histoire, lors du partage du monde parmi les êtres divins. Par conséquent, une distinction supplémentaire doit être envisagée entre les bənê ’ĕlōhîm des versets 8–9 et les ’ĕlōhîm ḥădāšîm des versets 17–21. Cette interprétation nous amène donc à envisager un scénario articulé sur plusieurs niveaux, dans lequel on distingue les bənê ’ĕlōhîm, puissances compatibles avec la souveraineté de Yhwh et subordonnées à son pouvoir, d’autres divinités allogènes qui ne peuvent pas être intégrées à la cour divine et qui sont présentées comme des dieux nouveaux, voire comme des démons. Un tel scénario a des implications considérables pour la compréhension du poème dans son ensemble. Lorsqu’on l’analyse à partir de cette perspective, le message central du Chant de Moïse n’est plus focalisé sur l’expression du monothéisme, comme on l’a si souvent soutenu40. Le poème porte, en revanche, sur l’articulation des puissances divines dont un groupe traditionnel, celui des « fils divins », est placé sous l’autorité de Yhwh alors que l’autre est représenté par un ensemble de puissances nouvelles et venues de l’extérieur qui échappent au contrôle de la divinité patronne. Nous nous approchons d’une forme de division des pouvoirs qu’on retrouvera dans plusieurs traditions du Second Temple et que je serais tentée de définir comme dualiste41.

La présence d’un système de pouvoirs divins aussi complexe dans la version du texte telle qu’elle est préservée à Qumrân et dans la LXX ramène enfin notre attention sur les différences entre ces versions et celle du TM. Ce dernier présente un scénario plus simple, dans la mesure où toute référence à la cour céleste a été intentionnellement évacuée, et le contraste entre Yhwh et les autres dieux est présenté de manière plus standardisée. Là encore, il n’était probablement pas question d’« anciennes traces polythéistes » qui auraient dérangé les scribes, d’autant plus que les fils divins sont bien présents ailleurs dans la Bible hébraïque et que d’autres divinités sont nommées sans accent polémique particulier dans le Deutéronome même, aux chapitres 4 et 29. Le problème devient en revanche plus compréhensible lorsque l’on considère que la vision de la cour céleste en Deut 32 est transmise aux Israélites par Moïse. Les deux corrections massorétiques aux versets 8 et 43 visent alors à éliminer de la bouche de Moïse, et ainsi du Pentateuque en général, les références à la cour céleste qui, dans les versions prémassorétiques, encadraient l’intégralité du chant (versets 1, 8–9 et 43). On peut donc envisager que certains scribes aient voulu corriger une image trop « exotérique » de la révélation de Moïse et, par conséquent, de sa loi, notamment en raison de la référence à la cour céleste. Ils ont ainsi restauré un imaginaire de la révélation divine moins riche et moins dynamique, mais en quelque sorte plus « classique » et, de ce fait, peut-être plus acceptable à leurs yeux.

1.3 Les šēdîm, Shadday et le dieu Shed : une mise au point

Avant de nous tourner vers le texte de la LXX pour évaluer la manière dont est développée la vision des dieux étrangers comme démons, il faut revenir sur la question de l’étymologie des šēdîm brièvement présentée au chapitre 3. La majorité des dictionnaires considère ce mot comme un dérivé de l’accadien šedu, « esprit »42, qui peut indiquer à la fois un esprit protecteur et une entité malfaisante et redoutable, surtout dans ses occurrences à la forme plurielle. Le terme est attesté en hébreu et dans d’autres langues ouest-sémitiques (judéo-araméen, syriaque et mandaïque), surtout à partir de la période du Second Temple, en différentes formes graphiques (šyd, šyd’, šydh et šydt’), mais toujours avec la signification de « démon ». Cette dérivation a parfois été questionnée sur le plan étymologique car certains chercheurs ont préféré mettre en relation les šēdîm avec les dieux de type « Shed », attestés au Levant et en Égypte43, ainsi qu’avec le titre divin Shadday qui est une des épithètes de Yhwh dans la Bible hébraïque, encore aujourd’hui dépourvu d’une étymologie satisfaisante44. Quelques remarques sont donc nécessaires à ce sujet.

Une divinité nommée Shed est connue à Ougarit, bien qu’elle le soit par deux ou trois attestations seulement : son nom est probablement lié à la racine šd qui indique les champs ouverts et les steppes45. À cet égard, il faut remarquer que šdy pourrait bien être la forme longue de šd, souvent utilisée pour les dieux ougaritains à côté de la forme courte. La présence de Shed en Phénicie est, en revanche, plus douteuse46. Une origine égyptienne du Shed sémitique est également improbable47 ; par contre, le dieu Shed, bien attesté en Égypte depuis le Nouveau Règne comme divinité guérisseuse, est souvent représenté par une iconographie qui a des traits proche-orientaux48.

Une forme plurielle šdyn est, en outre, attestée au Levant par l’inscription araméenne de Deir ʿAlla, qui remonte à la fin du IXe siècle ou au début du VIIIe au plus tard. Ici un groupe de divinités dites šdyn intervient au conseil divin et révèle au voyant Balaam des présages néfastes qui vont bientôt s’abattre sur l’humanité. Les šdyn sont mis en parallèle avec les ’lhn (= hébreu ’ĕlōhîm)49 :

5 mr.lhm. šbw.’ḥwkm. mh. Šd[yn].qr[’w.]wlkw.r’w.p‘lt.’lhn.’l[h]n.’tyḥdw.

6 wnṣbw. Šdyn.mw’d.w’mrw.lš[mš].

Asseyez-vous ! Je vous dirai ce que les Šaddayîn ont juré. Et allez, regardez les gestes des dieux ! Les dieux se sont réunis,

et les Šaddayîn ont constitué une assemblée et ont dit à Š[amaš]…

Bien que le très mauvais état de conservation de l’inscription ne permette pas de clarifier la relation entre ces deux groupes de divinités, il semble assuré que les šdyn sont des membres de l’assemblée céleste qui invitent une autre divinité (possiblement le dieu solaire Šamš50) à répandre sur la terre obscurité et nuages. Ils apparaissent vraisemblablement comme des puissances liées à la sphère astrale. Certains chercheurs ont reconnu dans ce passage un parallélisme avec les šēdîm et les ’ĕlōhîm qui apparaissent en Deut 32,17. Ils ont donc émis deux hypothèses. La première considère que l’état le plus ancien du texte de Deut 32,17 avait également une forme šdyn (à prononcer šaddayîn) ou bien une forme šdym où le yod faisait partie de la racine ; forme qui aurait ensuite été corrigée et ramenée à šēdîm – « démons » – pour éviter le risque d’un rapprochement entre Yhwh et des divinités étrangères. La deuxième hypothèse envisage un lien entre les šdyn et l’épithète Shadday51. Or, la possibilité d’une relation entre le Shadday biblique et les Shaddayin de Deir ʿAlla ne peut pas être complètement écartée, notamment car, dans la Bible hébraïque, le titre Shadday est souvent accordé à Yhwh en tant que divinité des origines et d’un passé ancien52. En outre, ce titre apparaît deux fois dans le livre des Nombres dans la péricope qui a pour protagoniste Balaam53. De plus, la présence d’une double forme du théonyme šd/šdy déjà à Ougarit laisse ouverte la question du rapport entre Shadday et les dieux « Shed » au Levant. La permanence d’un nom divin si ancien dans les textes bibliques, vraisemblablement bien postérieurs au IXe siècle, n’est pas si surprenante si l’on considère que le théonyme Shed est encore attesté au Ier siècle de notre ère à Palmyre54. Le théonyme a clairement une longue histoire, bien que ses contours soient mal définis, et il est possible que l’épithète biblique Shadday ait, à un moment donné, fait partie de cette histoire.

En revanche, plusieurs éléments invitent à repousser l’inclusion des šēdîm dans ce dossier. Tout d’abord, les domaines d’action de ces puissances sont très différents : les dieux de Deir ʿAlla ainsi que le Shed ougaritique apparaissent comme des divinités astrales, liées aux étoiles et aux changements météorologiques ; le Shed égyptien est, pour sa part, une divinité guérisseuse, tandis que les šēdîm bibliques sont caractérisés comme des puissances démoniaques exclues de la cour céleste qui ne semblent pas être associées à un champ d’action particulier. En outre, le parallélisme entre ’ĕlōhîm et šēdîm n’est pas du même ordre que celui entre les ’lhn et les šdyn de l’inscription de Deir ʿAlla car en Deut 32,17 l’expression « dieux » (’ĕlōhîm) est modifiée par la forme qui précède, « non dieu » (lō’ ’ĕlōah), ainsi que par les qualificatifs à fonction dérogatoire qui suivent : « inconnus » (lō’ yədā‘ûm) et « nouveaux » (ḥădāšîm). Enfin, le rapprochement entre les šēdîm bibliques et les šdyn de Deir ʿAlla passe par des reconstructions linguistiques forcées qui ne sont, par ailleurs, attestées à aucun stade de la tradition manuscrite. La dérivation šedu> šd / šyd demeure donc la moins problématique, que ce soit d’un point de vue morphologique ou sémantique, et, dans ce cas, elle semble également être la plus vraisemblable55.

2 La LXX et les cultes hellénistiques

Le rôle des šēdîm dans le Chant de Moïse ayant été clarifié, nous pouvons maintenant regarder plus en détail la LXX, à l’aide d’un double questionnement. D’une part, nous chercherons à comprendre quelles représentations sont mobilisées par le texte grec et par le vocabulaire qui y est utilisé, notamment en rapport à la sémantique du δαίμων/δαιμόνιον grec discuté dans le deuxième chapitre. D’autre part, nous nous poserons la question des pratiques rituelles qui pourraient constituer l’arrière-plan de ces passages. À cette fin, nous commencerons en reprenant la traduction grecque de Deut 32,17 :

Nous avons déjà observé en quoi la notion de δαίμων en grec était beaucoup plus vaste et articulée que celle de « démon ». Néanmoins, nous avons également remarqué que le terme se spécialise surtout à la période hellénistique pour indiquer une classe de puissances divines intermédiaires, distinctes des dieux et proches de la catégorie des héros. Une telle notion est développée davantage par la philosophie platonicienne et post-platonicienne, mais trouve des parallèles dans d’autres traditions philosophiques et religieuses grecques, notamment pythagoriciennes. Ces traditions sont particulièrement difficiles à dater car l’histoire de leur tradition manuscrite est très complexe. Bien qu’elles aient généralement été considérées comme très anciennes, la majorité des témoignages dont nous disposons ne date pas d’avant l’époque hellénistique. À cet égard, il vaut la peine d’ajouter au dossier que nous avons vu dans le deuxième chapitre un passage des « Commentaires » ou « Mémoires » pythagoriques, connus par Alexandre Polyhistor via Diogène Laërce56 :

εἶναί τε πάντα τὸν ἀέρα ψυχῶν ἔμπλεων· καὶ ταύτας δαίμονάς τε καὶ ἥρωας ὀνομάζεσθαι· καὶ ὑπὸ τούτων πέμπεσθαι ἀνθρώποις τούς τὀνείρους καὶ τὰ σημεῖα νόσους τε, καὶ οὐ μόνον ἀνθρώποις ἀλλὰ καὶ προβάτοις καὶ τοῖς ἄλλοις κτήνεσιν· εἴς τε τούτους γίνεσθαι τούς τε καθαρμοὺς καὶ ἀποτροπιασμοὺς μαντικήν τε πᾶσαν καὶ κληδόνας καὶ τὰ ὅμοια.

Tout l’air est rempli d’âmes. On les appelle démons et héros, et ce sont eux qui envoient aux hommes les songes et les signes et les maladies, et pas seulement aux hommes, mais aussi aux moutons et au reste du petit bétail. C’est à ces démons que l’on adresse les purifications et les rites de détournement, et toute la mantique et les sorts et les choses du même genre.

Diogène explique avoir tiré ces informations du traité sur la succession des philosophes écrit par Polyhistor, historien grec de l’époque de Sylla. Ce dernier déclare, à son tour, les avoir lues dans les Mémoires pythagoriques. Il est pourtant difficile d’établir le véritable noyau ancien de ces informations de troisième main. Cependant, de telles croyances ne sont pas nées de manière soudaine : comme nous l’avons vu, certaines remontent probablement jusqu’à Hésiode. En outre, le rôle qui est ici attribué aux démons dans la pratique oraculaire est déjà attesté dès la fin de l’époque classique, du moins par les lamelles de Dodone57. La concentration de témoignages à partir de la période hellénistique demeure, néanmoins, suffisamment significative pour en conclure que c’est à partir de cette époque que les δαίμονες occupent un rôle de premier rang dans les débats religieux. Dans le passage des Mémoires pythagoriques deux éléments revêtent un intérêt particulier pour mon propos : tout d’abord, l’idée que les δαίμονες soient conçus comme des ψυχαί, à savoir des êtres privés de corps qui « remplissent l’air ». La relation entre δαίμονες et ψυχαί est, d’ailleurs, exploitée également chez les philosophes juifs, comme le montre un fameux passage du livre sur les géants de Philon d’Alexandrie où il explique la nature des anges bibliques comme étant proche de celle des δαίμονες : « Ceux que d’autres philosophes appellent ‘démons’ (δαίμονας), Moïse les appelle d’habitude ‘anges’ : il s’agit d’âmes (ψυχαί) qui volent à travers l’air »58. Un deuxième élément suscitant l’intérêt est le fait que les démons soient destinataires de rites qui se différencient de la pratique sacrificielle régulière, comme les rituels apotropaïques, la divination et les purifications rituelles59. Ces deux aspects offrent deux points de comparaison pertinents avec Deut 32 : j’y reviendrai.

Il faut cependant préciser que, dans la LXX, le terme utilisé n’est pas δαίμονες, comme chez les pythagoriciens, mais δαιμόνια. Ce terme, je l’ai dit, est moins riche du point de vue des champs sémantiques recouverts (il couvre rarement, par exemple, l’idée de destin), néanmoins, il conserve une forte ambiguïté ainsi qu’une idée d’indétermination. L’Apologie de Socrate, dans laquelle le pilier de l’accusation est une prétendue différenciation entre les « dieux traditionnels » et les δαιμόνια introduits par Socrate, demeure le meilleur exemple de la double connotation que pouvait revêtir ce mot60. Toutefois, les similitudes entre les expressions employées par Platon et celles de Deut 32,17 (notamment le fait que, dans les deux textes, les δαιμόνια soient définis comme καινά) n’impliquent pas nécessairement qu’une influence platonicienne soit effective sur le traducteur61. Elles suggèrent, par contre, que le fait de qualifier un culte ou une divinité comme « nouvelle » ait été une stratégie de délégitimation répandue dans l’Antiquité. En outre, elles attestent le fait que le mot δαιμόνια pouvait être utilisé à l’occasion en opposition non seulement à θεοί, mais également à δαίμoνες, avec une intention déprécatoire. Ce procédé est bien exploité par le traducteur du Deutéronome. Dans le texte grec de Deut 32,16–17, il n’est plus question d’insister sur la nature « non divine » ou « moins divine » des démons : l’expression hébraïque lō’ ’ĕlōah a été comprise comme indiquant un nom de Yhwh et a été traduite par un datif (οὐ θεῷ), qui ne correspond probablement pas au sens originel de l’hébreu : les δαιμόνια sont, ainsi, symétriquement opposés à Yhwh62. En outre, lorsque nous considérons l’ensemble du Chant de Moïse dans la LXX ancienne, nous repérons ci la toute première trace d’une opposition nette entre anges et démons, à savoir entre les υἱοὶ θεοῦ/ἄγγελοι (versets 8 et 43) et les δαιμόνια (versets 16–17). Cette opposition est destinée à acquérir un poids considérable dans les traditions juives et chrétiennes du début de notre ère.

2.1 Un certain goût du sang

L’idée que les démons reçoivent des cultes illégitimes trouve un développement ultérieur dans d’autres textes bibliques, qui viennent préciser en quoi consistent les sacrifices qui leurs sont dédiés. Un passage important en ce sens est Ps 105,37 LXX (= 106,37 TM) dans lequel il est question des mauvaises pratiques que les Israélites ont appris de leurs voisins cananéens, parmi lesquelles figurent la vénération d’images sculptées et les sacrifices d’enfants. À l’intérieur de ce discours les démons sont mentionnés comme destinataires de sacrifices humains qui deviennent une source de souillure à cause du sang versé. Puisque le grec traduit très littéralement l’hébreu, je me concentre sur le texte de la LXX sans discuter le TM63 :

La critique des images sculptées ainsi que la condamnation du sacrifice humain comme pratiques typiquement cananéennes sont des thèmes bien attestés dans la Bible et il n’est pas surprenant qu’ils soient associés ici. La question est plutôt de comprendre le rôle que vient jouer le thème du sacrifice aux démons dans ce contexte.

Du point de vue grec, ce passage rappelle les φαῦλα δαιμόνια, les démons malveillants décrits par Plutarque dans le traité Sur la disparition des oracles et dans d’autres textes64. D’après Plutarque, l’idée selon laquelle les démons apprécient les sacrifices humains, et tout particulièrement ceux de jeunes gens, est répandue, même si elle ne devrait recevoir aucun crédit. Un passage de la vie de Pélopidas est assez explicite en ce sens. Plutarque raconte qu’un dieu apparut en rêve à Agésilas, le chef de l’armée de Sparte, et lui demanda, à l’image d’Agamemnon, de sacrifier sa fille pour assurer le succès de son expédition, ce que le chef refusa de faire. À propos de cet épisode, Plutarque nous dit que plusieurs considèrent qu’un sacrifice aussi impie ne peut, en aucune manière, relever de la volonté des dieux, ici définis comme « les êtres supérieurs », mais doit nécessairement appeler en cause des démons65 :

οἱ δὲ τοὐναντίον ἀπηγόρευον, ὡς οὐδενὶ τῶν κρειττόνων καὶ ὑπὲρ ἡμᾶς ἀρεστὴν οὖσαν οὕτω βάρβαρον καὶ παράνομον θυσίαν […] δαίμονας δὲ χαίροντας ἀνθρώπων αἵματι καὶ φόνῳ πιστεύειν μὲν ἴσως ἐστὶν ἀβέλτερον, ὄντων δὲ τοιούτων ἀμελητέον ὡς ἀδυνάτων.

Les autres étaient d’un avis contraire et soutenaient qu’un sacrifice si barbare et si criminel ne pouvait être agréable à aucun des êtres supérieurs de qui nous dépendons […] il est stupide de croire à l’existence des démons qui prennent plaisir au meurtre et au sang des hommes, ou, s’ils existent, il faut les négliger comme étant sans puissance.

Dans ce passage reviennent deux idées également présentes dans la LXX : celle selon laquelle des sacrifices humains sont offerts à des démons et celle qui prétend que les démons, dont l’existence est disputée, sont des puissances ἀδύνατοι, c’est-à-dire qui n’ont pas de pouvoir effectif sur la vie humaine. En revanche, l’insistance sur l’élément de souillure impliqué par ces sacrifices est une caractéristique typiquement biblique qui n’a pas de parallèle dans les récits plutarchéens. Elle apparaît encore dans un passage de la LXX d’Isaïe, chapitre 65, versets 3–4, qui nous décrit des rituels adressés aux démons66 :

3 Λαὸς οὗτος ὁ παροξύνων με ἐναντίον ἐμοῦ διὰ παντός αὐτοὶ θυσιάζουσιν ἐν τοῖς κήποις,

καὶ θυμιῶσιν ἐπὶ ταῖς πλίνθοις τοῖς δαιμονίοις ἃ οὐκ ἔστιν• [L : τοῖς οἰκοῦσιν / καὶ τοῖς οὐκ οὖσιν]

4 καὶ ἐν τοῖς μνήμασιν καὶ ἐν τοῖς σπηλαίοις κοιμῶνται δι᾽ἐνύπνια,

οἱ ἔσθοντες κρέα ὕεια καὶ ζωμὸν θυσιῶν μεμολυμμένα πάντα τὰ σκεύη αὐτῶν.

3 Ce peuple, qui m’exaspère en ma présence tout le temps, ce sont eux qui sacrifient dans les jardins,

et qui brûlent de l’encens sur les briques pour les démons – qui n’existent pas.

4 Dans les sépulcres et dans les grottes ils dorment pour des songes,

eux qui mangent la viande de porc et la sauce des sacrifices – tous leurs objets sont souillés.

Il faut observer que tant la mention des démons que celle des rêves sont absentes du texte hébreu qui lit :

3 Ce peuple qui me provoque (k‘s), devant ma face, continuellement,

ceux qui font des sacrifices dans les jardins et qui font monter la fumée sur les briques (ûmǝqaṭṭǝrîm ‘al halləbēnîm),

4 ceux qui se tiennent (hayyōšǝbîm) dans les tombes et passent la nuit dans des lieux cachés,

Mangent de la viande de porc et du brouet souillé dans leurs pots.

Les expressions hébraïques et grecques qui décrivent ici l’offense à Yhwh ressemblent à celles employées en Deut 32 (par exemple, l’emploi du verbe k‘s/παροξύνω, ici et en Deut 32,16) et sont typiques du langage deutéronomique67. En outre, il paraît clair qu’autant l’expression τοῖς δαιμονίοις68 que celle δι᾽ἐνύπνια sont des ajouts imputables au traducteur et qu’ils ont une fonction exégétique, à savoir qu’ils visent à clarifier les destinataires et le but des rituels décrits qui sont assez obscurs en hébreu. Il se peut que la référence aux démons ait effectivement été inspirée au traducteur par le passage de Deut 32,16. Il est, en revanche, difficile d’identifier les pratiques auxquelles il est fait allusion dans le texte hébreu d’Is 65,3–4. D’après la proposition de Susan Ackerman, les « sacrifices dans les jardins » pourraient indiquer un culte pour la déesse Asherah, vu que l’association entre jardins et arbres sacrés apparaît déjà en Is 1,29 et que l’arbre est une représentation traditionnelle de cette déesse69. Une autre hypothèse est d’y voir une référence au dieu de la végétation Adonis-Tammuz dont le culte était populaire au début de l’époque hellénistique, ce qui correspond à une datation parfois assignée au troisième Isaïe70. Pour ce qui est des rituels accomplis sur les briques, la référence est encore plus obscure. Bernhard Duhm suggérait déjà que l’hébreu ləbēnâ pouvait indiquer un autel de terre71. Le rituel est compris d’habitude comme une offrande d’encens, d’après la signification attribuée à la forme piel du verbe qṭr, littéralement « faire monter la fumée »72. L’interprétation est probable mais non assurée car, ailleurs, la même racine peut faire référence à la fumée produite par le sacrifice73. Le grec utilise ici l’équivalent usuel de qṭr Piel, θυμιάω, « brûler de manière à produire de la fumée » qui correspond bien à la signification du verbe hébreu et dont l’usage pour les encens et les parfums est bien attesté en grec.

Il paraît cependant improbable que le traducteur ait reconnu Asherah ou Tammuz comme étant les destinataires des rites mentionnés au verset 3. En tout cas, rien dans la formulation ne le laisse entendre. En revanche, la référence aux jardins, aux briques et à l’encens pourrait lui avoir suggéré l’idée d’un rituel de détournement pour les démons, probablement accompli à proximité des maisons. À cet égard, il faut aussi rappeler que la tradition lucianique est partagée en ce qui concerne la tradition manuscrite du verset 3b. Certains manuscrits ont la version τοῖς οἰκοῦσιν, qui pourrait relever d’une tentative de rendre l’hébreu hayyôšǝbîm au début du verset 4, lequel ne serait autrement pas traduit. D’autres manuscrits ont la variante καὶ τοῖς οὐκ οὖσιν, qui a une signification similaire à ἃ οὐκ ἔστιν74. J’aurais tendance à considérer cette dernière lecture comme relevant de la Septante ancienne, alors que τοῖς οἰκοῦσιν pourrait bien être une correction ultérieure visant à rétablir un texte plus proche de l’hébreu et soulignant encore le caractère domestique de ces cultes75.

La référence à des rituels spécifiques pour les démons et la mention de la divination par les songes suggèrent que le traducteur d’Isaïe se situe dans un registre de croyances et de pratiques destinées aux démons similaire à celui des textes d’Alexandre Polyhistor et de Plutarque. La référence aux « démons qui n’existent pas » pourrait, en outre, suggérer que le traducteur s’inscrit dans un débat philosophique courant à son époque. Il faut également tenir compte du fait que, parmi les lettrés de l’époque hellénistique, il n’est pas rare d’interpréter comme δαίμονες les divinités étrangères ainsi que les divinités dont le culte est attesté en Grèce mais qui sont considérées comme provenant de l’extérieur. Pour le premier cas, l’on peut penser à Osiris, Isis et Typhon cités chez Plutarque qui ne peuvent pas être considérés comme des dieux à part entière à cause de la nature « trop corruptible » de leurs vicissitudes, telles qu’elles sont connues par les mythes76. Dans le deuxième cas rentrent, entre autres, les dieux thraces et phrygiens nommés par Strabon, tels que Sabazios ou la Grande Mère, mais également les nymphes, les satyres et les Courètes. Les Athéniens ont accueilli ces puissances (δαιμόνων τούτων), dit Strabon, non seulement comme des servants des dieux (πρόπολοι θεῶν), mais également comme de véritables divinités (αὐτοὶ θεοί)77. Là encore, je ne songe pas à une influence directe de textes philosophiques ou ethnographiques grecs sur les traducteurs de la Bible hébraïque. Je tiens plutôt à souligner l’importance de la LXX en tant que premier témoin d’une notion religieuse qui sera ensuite répandue ailleurs dans le monde hellénistique. Les similitudes de langage sont ainsi l’indice d’une sensibilité religieuse nouvelle et partagée qui peut également servir des buts différents, voire divergents entre eux.

Le discours mené dans les textes bibliques, à la fois en hébreu et en grec, est d’ailleurs caractérisé par une violence polémique qui n’a pas de véritables parallèles dans le monde grec. Cette manière explicite d’exprimer la polémique contre les dieux étrangers pour véhiculer un discours identitaire reste propre aux traditions bibliques : en ce sens, ce n’est pas une innovation des traducteurs, mais cela concerne déjà le texte de départ78.

De ce point de vue, l’idée que les démons n’existent pas a, également, des résonnances à l’intérieur de la tradition biblique elle-même, notamment car, par ce biais, le traducteur associe aux démons un motif qui était typique de la polémique contre les idoles, à savoir le fait qu’ils sont dénués de pouvoir. Alors que la polémique contre les idoles insiste surtout sur leur matérialité inutile, dans le texte d’Isaïe la faiblesse des démons est suggérée par un manque de substance79. La vénération des idoles est encore associée aux cultes aux démons dans d’autres traditions du Second Temple, comme l’atteste un passage du livre d’Hénoch où les démons sont mis en parallèles avec les « fantômes » (φαντάσματα) et présentés comme sources d’impureté80 :

καὶ οἱ γλύφοντες εἰκόνα[ς ἀργυ]ρᾶς καὶ χρυσᾶς, ξυλίνας τε καὶ λιθίνας καὶ ὀστρακίνας, καὶ λατρεύ[οντες φαν]τάσμασιν καὶ δαιμονίοι[ς καὶ βδελύγ]μασιν καὶ πνεύμασιν πονη[ροῖς καὶ πάσαις ταῖς πλάναις οὐ κατ᾽ ἐπι[στήμην] καὶ πᾶν βοήθημα οὐ μὴ εὕρητε ἀπ᾽αὐτῶν.

Et ceux qui gravent des images en argent, en or, en bois, en pierre et en argile et adorent des fantômes, des démons, des êtres abominables, des esprits mauvais et toutes sortes d’erreurs, faute de connaissance, et vous ne recevrez d’eux aucune aide.

Ce rapprochement entre démons et idoles est donc un thème qui mérite d’être analysé plus en détail. Avant de s’y pencher, il faut toutefois s’arrêter brièvement sur un dernier passage de la LXX d’Isaïe où il est encore question d’un culte « démoniaque », ou pour mieux dire « daïmonique », à savoir Is 65,11.

2.2 Retour sur Bon démon et Fortune

J’ai déjà annoncé dans le troisième chapitre que Is 65,11 constituait un cas de figure en partie différent par rapport à la thématique des dieux des autres81. Dans ce passage, la polémique est adressée à ceux qui « préparent la table pour le δαίμων et remplissent une coupe pour τύχη » qui sont explicitement opposés aux « servants de Yhwh » (verset 8) et sont donc destinés à une très mauvaise fin (verset 12a)82 :

Au vu de la variété de lectures attestées par la tradition manuscrite, j’ai décidé de suivre la proposition de Rahlfs qui voit en δαίμονι la forme originelle de la Septante ancienne. Nous trouvons ici la seule occurrence de δαίμων au lieu de δαιμόνιον dans la LXX. Il est très vraisemblable, comme l’ont déjà suggéré Seeligmann et ensuite Schaper83, que le traducteur ait interprété les sacrifices offerts à Gad et Méni comme des références aux cultes de la « Bonne Fortune » et du « Bon démon » (agathetyche et agathodaimοn) : deux puissances bienfaisantes et protectrices extrêmement populaires dans tout le bassin méditerranéen aux époques hellénistique et romaine et souvent nommées ensemble. Même si l’on reste toujours dans le cadre de la polémique contre les dieux étrangers, Schaper a donc raison de souligner que la mention du δαίμων, ici, ne vise pas à « démoniser » les dieux des autres, mais qu’elle correspond à une référence cultuelle précise84.

Par contre, quelques aspects de l’interprétation de ce passage méritent d’être discutés plus en détail. Le premier concerne la dialectique entre dimension publique et privée du culte rendu au bon démon, qui semble être particulièrement complexe en Égypte85. Il est, en effet, indéniable que l’agathodaimon a joué un rôle important dans les récits de fondation d’Alexandrie et que, dans cette ville, son culte a eu une portée civique considérable. D’un autre côté, plusieurs sources identifient l’agathodaimon à différentes divinités indigènes et anciennes d’Égypte et son nom était également appliqué à un bras du fleuve Nil86. D’après Schaper, le traducteur aurait eu le double objectif de mettre en garde son public à la fois contre la participation aux rituels civiques pour δαίμων et τύχη et contre le danger représenté par la pénétration du culte dans les maisons juives d’Alexandrie. Il me semble, toutefois, que la dimension publique de ce culte n’est jamais mise en avant par le texte. La référence à la coupe et à la table souligne plutôt l’aspect domestique du rite qui est, sans doute, le plus ancien et qui est également bien attesté dans les sources grecques dès l’époque classique où les libations au « bon démon » et au « bon sort » inauguraient traditionnellement les symposiums et sont bien attestées en contexte dionysiaque87. En outre, la nature chtonienne souvent attribuée à l’agathodaimon, vénéré en Égypte sous la forme d’un serpent88, s’inscrit bien dans le contexte plus large du chapitre 65, versets 1–11, puisque dans les versets 3–4 il est fait référence à des rituels qui avaient lieu dans des jardins et dans des grottes. De ce point de vue, la mention du démon au verset 11 fait écho, voire reprend probablement de manière intentionnelle celle du verset 3 où les Israélites sont accusés de brûler de l’encens pour des démons (τοῖς δαιμονίοις).

Cette remarque m’amène au point suivant, qui est d’ordre méthodologique. On a souvent utilisé Is 65,11 comme une démonstration de la nature profondément hellénisée et « actualisante » de la LXX d’Isaïe, nature qui ne peut en aucune manière être remise en question. Cependant, la traduction d’Isaïe n’est pas seulement une traduction libre ou actualisante : comme le rappelle justement John Lee89, elle est davantage une traduction littéraire. Il faut donc envisager l’hypothèse que certaines innovations ne soient pas forcément à interpréter à la lumière d’un véritable conflit religieux (ou encore moins politique), mais qu’elles soient plutôt à expliquer par le choix d’un registre linguistique qui est hellénisant car élevé. Les deux références aux démons introduites aux versets 3 et 11, toutes deux absentes en hébreu, pourraient en partie être expliquées par des raisons d’ordre littéraire, à savoir un renvoi d’ordre stylistique voulu par le traducteur à l’intérieur du chapitre 65. En outre, ce dernier pourrait avoir choisi δαίμων et τύχη car ils étaient de facto les meilleurs équivalents pour Gad et Méni dans ce contexte, comme il me semble pouvoir le démontrer.

Un aspect moins discuté de ce passage concerne, effectivement, la relation entre le grec et l’hébreu. À cet égard, la question de la convergence entre les noms divins choisis par le traducteur et ceux mentionnés dans le texte hébreu n’a pas été suffisamment prise en compte. Méni est une puissance peu connue et ce passage représente sa seule occurrence dans la Bible hébraïque. Toutefois, la racine mnh, « diviser », « compter », et parfois « assigner » est bien attestée en hébreu et en ougaritique (mny, « assigner en sort ») et des antécédents ont été repérés dans l’onomastique d’Ebla et d’Ougarit90. Ce verbe est considéré comme étant un emprunt à l’accadien manu, « repartir », « attribuer », « donner la part ». Il est donc fort probable que Méni soit une divinité du sort, vraisemblablement à mettre encore en relation avec la déesse Manat attestée au Levant dès l’époque nabatéenne, notamment à Palmyre, et il est possible qu’elle ait été identifiée à τύχη/Fortuna dans les sources d’époque romaine91. D’ailleurs la reprise du verbe mnh au verset 12 (ûmānîtî, « je vous ai assignés », « destinés », mais à l’épée ! dit Yhwh) semble jouer précisement sur cet aspect du dieu. Gad est en revanche une divinité bien connue dans le Levant. Elle est attestée dans la Bible hébraïque comme nom propre, comme théonyme et comme toponyme92, parfois avec une référence directe au bon sort93. Le nom est d’ailleurs présent dans l’onomastique du premier millénaire avant l’ère dans tout le Levant94. La documentation épigraphique date en grande partie de l’époque romaine et comprend une cinquantaine d’inscriptions, dont la plupart ont été retrouvées à Palmyre et Hatra95. Gad est également attesté en contexte punique par trois inscriptions provenant d’Ibiza, de Nora (Sardaigne) et de Mactar (Tunisie)96. Comme Ted Kaizer et, plus récemment, Ryan Thomas l’ont relevé, Gad endosse dans l’épigraphie plusieurs fonctions différentes ; il peut être seul ou accompagné d’autres divinités (comme par exemple Ba‘al et Tanit97) ; son nom peut être isolé ou suivi par un locatif (« Gad de … »98) et il est souvent utilisé comme épithète plutôt que comme théonyme. Il pose, donc, le même ordre de problèmes que ceux soulevés par ἀγαθοδαίμων et par τύχη, à savoir celui de l’articulation entre un qualificatif susceptible d’être assigné à plusieurs divinités et la désignation d’une entité divine indépendante. À ce propos, Ryan Thomas souligne justement que le concept de « personnification » ou « d’abstraction » est de loin trop simpliste pour expliquer l’articulation entre les deux niveaux99. La documentation épigraphique démontre, d’ailleurs, que ces deux usages ne doivent pas être considérés comme alternatifs, ni mutuellement exclusifs. Dans l’Antiquité, une telle ambiguïté peut caractériser n’importe quelle divinité, même si le phénomène semble être particulièrement prononcé pour les puissances divines liées au sort, autant au Levant qu’en Grèce. En outre, tout comme agathodaimon et Tyché, Gad a une double nature divine : d’un côté civique, patronne de la cité, de l’autre familiale ou personnelle, qui le rapproche d’un « bon génie ». Il n’est donc pas complètement identique à Tyché, bien que les deux notions, néanmoins proches, aient été, à un moment donné, confondues et superposées100. L’équivalence entre Gad et Tyché est explicitement attestée pour la première fois dans une inscription bilingue de Palmyre du premier siècle de notre ère, mentionnant Gad dans le texte araméen et τύχη en grec101. Dans ce cadre, la LXX d’Is 65,11 mérite d’être ajoutée au dossier en tant que premier témoignage de la perception des anciens d’une proximité parmi ces deux notions du divin. En outre, ce passage constitue la seule attestation dans la LXX d’une acception du δαίμων comme puissance liée au destin, correspondant probablement à la signification première et plus profonde du mot dans la culture grecque.

3 Démons, images, idoles

Revenons à présent sur la relation entre démons et idoles que nous avons vus associés dans le Ps 106 ainsi que dans des traditions du Second Temple, telles que le livre d’Hénoch. Le discours sur les prétendues idoles est en réalité déjà lié à la polémique contre les dieux étrangers dans le Pentateuque, notamment en Deut 32, au verset 21 :

Ils m’ont rendu jaloux par un non-dieu (lō’ ’ēl),
Ils m’ont provoqué par leurs pratiques vaines (bəhablêhem),
Et moi je les rendrai jaloux par un non-peuple.

Ce verset constitue le sommet de la polémique entamée au verset 16 et dans le texte grec les εἴδωλα semblent occuper la même fonction que les δαιμόνια aux versets 16–17. Le grec εἴδωλα traduit ici l’hébreu hăbālîm. L’équivalence entre hebel et εἴδωλον n’est pas un choix littéral, l’équivalent le plus littéral et le plus fréquent pour hebel dans la LXX étant μάταιος. Il s’agit, en revanche, d’un choix orienté vers la langue cible car le traducteur recourt à une notion grecque polysémique et extrêmement opérationnelle. Un aspect spécifique du champ sémantique de l’εἴδωλον en grec a probablement orienté ce choix, à savoir sa nature trompeuse. Depuis Homère, le mot peut être appliqué à toute image qui restitue l’apparence d’un individu ou d’un objet qui est ailleurs ou qui n’est pas réel : l’image d’une personne qui apparaît en rêve (ὄναρ)102, de fantômes ou spectres du monde des morts (ψυχή)103, ou une image créée exprès par les dieux (φάσμα)104 ; mais également l’ombre d’un corps (σκιά)105, l’image reflétée par un miroir106, etc. Cet emploi du mot souligne le fait que la représentation visuelle produite par l’εἴδωλον ne correspond pas à une réalité. Dans certaines sources, le manque de réalité correspond à un manque de corps : Lucien, par exemple, définit l’ombre d’Héraclès comme un ἀσώματον εἴδωλον107.

Si l’on compare ces usages à la signification originaire de hebel, « vapeur », d’où dérive l’idée de « vanité », « inutilité », sa traduction par εἴδωλα en Deut 32 semble refléter la conscience de la part du traducteur que le mot peut, parfois, renvoyer à quelque chose qui manque de substance108. Par ailleurs, la racine hbl et les images provenant des rêves sont déjà associés dans quelques textes bibliques, comme par exemple Zach 10,2 qui condamne les songes comme moyen divinatoire car ils offrent seulement une consolation inutile (hebel). Un passage difficile du livre du Qohéleth compare les rêves (ḥălōmôt) aux vanités (hăbālîm)109. Cet arrière-plan pourrait également avoir justifié l’équivalence entre εἴδωλον et hebel en Deut 32,21110. Dans la péricope constituée par les versets 16–21 δαιμόνια et εἴδωλα sont ainsi deux concepts contigus, les deux renvoyant à des entités privées de substance. On a vu qu’un tel rapprochement a ses parallèles dans les philosophies hellénistiques, et, dans sa biographie de Dion, Plutarque critique tous ceux qui croient aux apparitions de démons et de spectres (φάντασμα δαίμονος μηδεἴδωλον)111. Dans la LXX ces deux concepts deviennent proches au point d’être interchangeables, comme cela est démontré par un passage du Ps 95 (= 96 TM) et par sa réécriture dans le chapitre 16 du premier livre des Chroniques (1 Paral 16 LXX). Le psaume célèbre la royauté de Yhwh et insiste sur la faiblesse des autres dieux lorsqu’ils sont comparés à Yhwh. L’hébreu lit112 :

כי כל אלהי העמים אלילים ויהוה שמים עשה

Tous les dieux des peuples sont des dieux de rien (’ĕlîlîm), alors que Yhwh a fait les cieux.

1 Chroniques 16 est un chant attribué à David, composé par la réécriture de plusieurs psaumes combinés. Le verset 26 de ce chant cite le Ps 96,5 : en hébreu, les deux versets sont identiques et ils ont l’expression ’ĕlîl. Cette forme, qui apparaît quasi exclusivement au pluriel, a toujours une valeur péjorative dans la Bible hébraïque et pourrait avoir été créée ad hoc pour ce propos. Le nom rappelle l’adjectif ’ĕlîl, « faible », et pourrait évoquer de manière polémique le substantif ’el, « dieu »113. Or, d’après une logique que nous avons déjà vue à l’œuvre en Deut 32, dans le texte grec du Ps 95,5 (= 96,5 TM) ’ĕlîl est traduit par δαιμόνια :

ὅτι μέγας κύριος καὶ αἰνετὸς σφόδρα φοβερός ἐστιν ἐπὶ πάντας τοὺς θεούς
ὅτι πάντες οἱ θεοὶ τῶν ἐθνῶν δαιμόνια ὁ δὲ κύριος τοὺς οὐρανοὺς ἐποίησεν

Par contre, en 1 Paral 16,26 le traducteur des livres des Chroniques choisit εἴδωλα pour le même référent hébreu :

ὅτι πάντες οἱ θεοὶ τῶν ἐθνῶν εἴδωλα καὶ ὁ θεὸς ἡμῶν οὐρανὸν ἐποίησεν

Une telle différence n’est pas nécessairement surprenante car ’ĕlîlîm n’est jamais traduit de manière systématique dans la LXX. Au contraire, nous trouvons une solution différente presque à chaque occurrence. Néanmoins, tous les choix proposés reflètent le langage de la polémique contre les idoles : c’est le cas de βδελύγματα (« choses dégoutantes ») ou χειροποίητα (« objets créés par l’homme »)114. En outre, l’équivalence entre εἴδωλα et ’ĕlîlîm a un précédent en Lev 19,4 (οὐκ ἐπακολουθήσετε εἰδώλοις καὶ θεοὺς χωνευτοὺς οὐ ποιήσετε ὑμῖν, ἐγὼ κύριος ὁ θεὸς ὑμῶν : « ne suivez pas des idoles et ne vous fabriquez pas des dieux sculptés, je suis le Seigneur votre dieu ») et il est possible qu’elle ait été influencée par les traditions sur le Décalogue. La comparaison entre le texte grec des Psaumes et celui des Chroniques démontre, en tout cas, la proximité entre la notion d’εἴδωλον et celle de δαιμόνιον.

Pour sa part, la mention des εἴδωλα nous ramène au contexte de la polémique contre lesdites « idoles » ainsi que vers l’interdiction des images divines, voire des images « tout court », telle qu’énoncée par le Décalogue, tout en soulevant la question de sa réception ancienne. Lorsque les traducteurs (et, par la suite, les auteurs) de la LXX construisent la polémique contre les dieux étrangers en les définissant comme εἴδωλα, ils ont recours à une idée qui, comme nous l’avons vu, peut parfois être associée à ce terme grec : celle d’une forme privée de réalité, d’un fantôme, qui met l’accent sur l’aspect de vacuité et de vanité et qui correspond bien aux notions exprimées en hébreu par ’ĕlîlîm, hăbālîm, etc.

En y regardant d’un peu plus près, cet usage implique, néanmoins, un glissement important dans la sémantique grecque d’εἴδωλον. Comme l’ont bien montré les études de Jean-Pierre Vernant115, l’aspect saillant de l’εἴδωλον grec n’est pas son inconsistance ni son caractère trompeur, qui est en revanche souligné dans certains textes bibliques. L’εἴδωλον est plutôt caractérisé par sa capacité à « présentifier » quelqu’un ou quelque chose. Il peut également, par sa fonction performative, servir d’équivalent fonctionnel de la personne ou de l’objet qui est représenté (et, en ce sens, il ne correspond que partiellement à notre concept moderne de « fantôme », qui reste une traduction peu précise). L’εἴδωλον est ainsi un double, un substitut de l’identité individuelle. De ce point de vue, il renvoie au champ sémantique de l’image, conçue en tant que représentation visuelle, et il peut se référer autant aux images privées de réalité, que l’on qualifierait d’« apparences », qu’à des objets bien concrets comme, par exemple, des statues. Un des cas révélateurs de cette nature de l’εἴδωλον grec est constitué par la statue du guerrier troyen Protésilas, érigée par son épouse Laodamia, qu’elle vénérait en secret dans son lit, car l’image représentait l’équivalent fonctionnel du mari parti à la guerre, à savoir qu’elle le remplaçait lors de son absence116. Pourtant, puisque la propriété principale de l’εἴδωλον n’est ni l’absence de réalité ni la ressemblance avec l’objet représenté, mais sa capacité à rendre visible une présence qui est ailleurs, la similarité n’est pas non plus une caractéristique essentielle. Ainsi, les kolossoi, ces pierres brutes levées comme cippes pour les morts, rentrent à plein titre dans la catégorie des εἴδωλα. Par conséquent, la fonction de présentification qui est propre à l’εἴδωλον rend ce terme parfait pour décrire les statues divines, images tangibles d’une réalité qui appartient à un monde invisible ou autre. Comme nous allons le voir, ce dernier aspect n’avait pourtant pas échappé aux traducteurs de la LXX.

3.1 Les εἴδωλα, entre images et idoles

Dans la LXX, εἴδωλα traduit plusieurs termes hébreux, au point que le substantif semble dénoter une catégorie générale, celle d’« idole », qui réunit un vocabulaire assez divers, toujours appliqué à des dieux illégitimes ou à des objets des cultes interdits. Il faut, toutefois, préciser que le concept d’idole ne naît pas avec les εἴδωλα de la LXX, mais qu’il est déjà opérationnel, dans une certaine mesure, dans la Bible hébraïque, même s’il n’est pas défini par une expression univoque. Par « polémique contre les idoles », on entend généralement une manière précise de critiquer les dieux étrangers, en les réduisant à de pures et simples images117. Cette polémique s’enracine dans les prohibitions du Décalogue qui interdisent aux Israélites de fabriquer des images (divines ?) et de les vénérer comme si elles étaient des dieux. Cette interdiction est formulée dans les deux versions du Décalogue, en Ex 20,4 et en Deut 5,8. Ici, le terme εἴδωλον apparaît pour la première fois comme équivalent de l’hébreu pesel. Il faut, toutefois, tenir compte du fait qu’en Deut 5,8 le codex Alexandrinus et le papyrus Chester Beatty (963) préservent la traduction plus littérale de pesel par γλύπτον, « objet sculpté », qui correspond vraisemblablement à la LXX ancienne118.

De manière générale, εἴδωλον compte environ soixante-dix occurrences dans la LXX dont douze se trouvent dans le Pentateuque. Il traduit quinze termes hébreux, se référant presque exclusivement à des dieux ou à des objets de culte étrangers119. Si l’on considère seulement le Deutéronome, l’on observe qu’εἴδωλον traduit au moins deux substantifs différents : hăbālîm en 32,21 ; gillûlîm en 29,16 (et encore pesel en Deut 5,8 dans le Vaticanus).

Une hypothèse proposée par F. Büschel dans les années soixante, puis reprise par F. Barnes Tatum et encore acceptée aujourd’hui120, voit dans l’introduction d’εἴδωλον en ce contexte une tentative, de la part des traducteurs, de réinterpréter le deuxième commandement comme anti-idolâtre, et non comme simplement anti-iconique comme il l’était à l’origine121. D’après cette hypothèse, la prohibition imposée par Yhwh aux Israélites telle qu’elle était comprise à l’époque des traducteurs ne concernerait pas toute image divine, et encore moins les représentations visuelles tout court, mais seulement les images des divinités étrangères, désormais dévalorisées et réduites à de simples « idoles »122. L’hypothèse s’appuie sur deux éléments : le fait que l’équivalence entre pesel et εἴδωλον n’apparaît que dans ces deux passages du Décalogue et l’idée selon laquelle εἴδωλον ne serait jamais utilisé pour désigner des images divines en dehors des traditions juives et chrétiennes. En outre, l’idée que la signification première d’εἴδωλον soit celle d’image « illusoire », et donc « fausse », serait renforcée par la connotation péjorative assignée à ce mot dans les écrits platoniciens. Dans la théorie de l’image et de la vision développée par Platon, d’abord dans Le Sophiste et ensuite dans La République, le philosophe oppose effectivement la fidélité del’εἴκων à la nature trompeuse de l’εἴδωλον123.

Les interprétations de Büschel et de Barnes Tatum ont donc tendance à réduire les usages d’εἴδωλον dans la LXX à une logique univoque. Mais leur hypothèse n’est pas entièrement vérifiée. Dans un article de 2002, Terry Griffith a réuni une série de textes littéraires dans lesquels εἴδωλον désigne clairement des statues divines ou des objets de culte124. Outre un passage de Polybe assez bien connu125, parmi les auteurs repérés par Griffith figurent Hérodote et Ésope, et nombres d’auteurs d’époque hellénistique, tels que Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse et Plutarque.

En outre, les données papyrologiques confirment les résultats mis en évidence par Griffith pour les textes littéraires et ouvrent de nouvelles pistes. Deux pétitions sont particulièrement intéressantes à ce sujet. Un papyrus grec démotique provenant de Tebt et datant de 87 av. n. è. contient une pétition rédigée par un certain Armisios et ses collègues qui travaillent comme embaumeurs d’ibis et de faucons dans le temple d’Hermès126. Armisios dénonce des malfaiteurs qui, s’étant introduits dans le temple alors qu’il était en train de laver les vêtements des dieux, l’ont frappé à plusieurs reprises et ont volé les habits divins. Pour décrire les images divines Armisios utilise les expressions τῶν ἐν τῶι ἱερεῶι ἰδώλων127 ἰβίων καὶ ἱεράκων (« des images des ibis et des faucons qui sont dans le temple »), et τὰ βύσσινα ὀθόνια τῶν θεῶν (« les vêtements de lin précieux des dieux »). Εἴδωλα indique ici les statues, ou plus probablement des momies d’ibis et de faucons qui étaient censées représenter les dieux et qui étaient recouvertes de lin.

Dans la même ligne, un ostracon trouvé près du cimetière des poissons sacrés à Latopolis, datant du Ier ou IIe siècle de notre ère, contient une pétition oraculaire adressée à Athéna par des embaumeurs de béliers, Ammonios et ses collègues, injustement accusés par leurs ennemis le jour de la fête dédiée à la déesse128. La prière est adressée aux εἰδώλοις Ἀθηνᾶς θεοῖς μεγίστοις (« aux images sacrées d’Athéna, les grands dieux »), et une expression similaire apparaît encore quelques lignes plus loin, lorsque les embaumeurs demandent l’aide des dieux : ἀξιοῦμεν ἡμᾶς κρίνεσθαι μετ᾽ αὐτῶν καὶ βοηθεῖσθαι ὑφ᾽ ὑμῶν τῶν κυρίων εἰδώλων καὶ τῶν σὺν ὑμῖν ἁπάντων θεῶν (« nous demandons à être jugés par vous et à recevoir de l’aide de votre part, images maîtres, et de la part de tous les dieux qui sont avec vous »). La question est donc de savoir à quoi ressemblaient ces images d’Athéna qui étaient sans doute des objets présents dans le temple et présumés aptes à représenter la déesse pour que la pétition soit efficace. Or, à Latopolis la déesse égyptienne Neith était identifiée à Athéna depuis longtemps ; en outre, le poisson latos (lates niloticus) était considéré comme consacré à la déesse et faisait l’objet d’un culte. Il est donc probable que les εἴδωλα aient été des momies de poissons conservées dans le temple, qui fonctionnaient comme substituts d’Athéna-Neith. La formulation du papyrus met d’ailleurs en parallèle les εἴδωλα κύρια, les « images maîtres » – au sens où elles représentent la divinité principale du temple, et les autres dieux qui étaient vénérés dans le même temple (καὶ τῶν σὺν ὑμῖν ἁπάντων θεῶν).

Cette interprétation est encore appuyée par un troisième papyrus de Tebt, du Ier siècle de notre ère. Il transcrit le serment d’une corporation de pêcheurs des villages de la région qui jurent de s’abstenir de la capture de l’oxyrhynque et du lépidote, deux poissons sacrés pour Osiris. Encore une fois, le texte utilise l’expression εἴδωλ̣α θεῶν ὀξυρύνχων κ(αὶ) λεπιδωτῶν, « les images des dieux oxyrhynques et lépidotes », qui indique la proximité fonctionnelle entre les divinités et « leurs » poissons129.

Ces témoignages permettent, donc, de conclure que, dans la formulation du deuxième commandement dans la LXX d’Ex 20,4, εἴδωλον ne doit pas être compris de manière abstraite ou polémique comme « idole ». Au contraire, le terme suggère l’idée d’une image, probablement une statue, qui agit comme substitut du dieu et dont la fonction est de présentifier la divinité aux yeux du fidèle130. Dans cette perspective, le choix opéré par le traducteur de l’Exode relève d’une réception spécifique du deuxième commandement : un résultat qui n’est pas étonnant lorsque l’on tient compte du fait que l’interdiction sur les images était susceptible d’interprétations différentes encore aux époques hellénistique et romaine. À cet égard, il suffit de comparer les interprétations proposées par Josèphe, d’après qui la reproduction de tout être vivant (μηδενὸς εἰκόνα ζῴου) est interdite pour les Juifs, et par Philon qui, en paraphrasant le deuxième commandement, utilise le langage propre des statues divines (περὶ ξοάνων καὶ ἀγαλμάτων καὶ συνόλως ἀφιδρυμάτων χειροκμήτων)131. L’équivalence entre pesel et εἴδωλον apparaît, dès lors, comme parfaitement respectueuse à la fois de la langue source (l’hébreu) et de la langue cible (le grec).

En conclusion de ce long parcours, nous pouvons, donc, tirer quelques réflexions générales sur la manière dont la catégorie de démon est mobilisée pour penser les dieux des autres. Nous avons vu que le Chant de Moïse met pour la première fois en place l’idée des démons comme puissances étrangères à la cour céleste, inférieures à Yhwh et inconciliables avec sa souveraineté et, par conséquent, avec son culte. Une telle notion n’est pas introduite par les traducteurs, mais est déjà opérationnelle dans la forme pré-massorétique du texte hébreu. De ce point de vue, la LXX démontre une continuité considérable avec son texte source, tout en s’alignant également avec d’autres traditions du Second Temple. Le choix de δαιμόνια dans le texte grec reflète fidèlement les šēdîm de sa Vorlage. Tout en insistant sur l’opposition entre les démons et la divinité, le texte encourage la représentation des δαιμόνια comme puissances potentiellement négatives qui n’appartiennent pas au panthéon traditionnel et qui sont clairement distinguées non seulement de Yhwh, mais également des autres membres de la cour céleste, notamment des anges. D’autres textes de la LXX qui insistent sur la même thématique, comme les Ps 95 et 105, les Odes, le livre de Baruch et, probablement, Is 65,3 prolongent cette opposition. Le rapprochement entre ces textes et d’autres matériels grecs contemporains confirme, non seulement, qu’une telle représentation s’inscrit parfaitement dans le contexte culturel et religieux de l’époque qui tend à concevoir les démons comme des puissances inconsistantes, inférieures et subordonnées aux dieux, mais atteste, également, le fait que la LXX représente la plus ancienne évidence de l’usage de δαιμόνιον en ce sens.

En outre, la comparaison des parallèles grecs repérés chez Platon et Plutarque avec les textes bibliques montre les éléments de nouveauté qui sont propres à ces derniers. La spécificité biblique réside, surtout, dans le lien étroit qui se développe entre la critique des démons et la polémique contre les idoles, au point que les deux peuvent être considérés comme des fautes cultuelles fonctionnellement équivalentes.

Enfin, du point de vue sémantique, le répertoire d’occurrences ainsi analysées permet de dégager deux tendances. D’un côté, à la fois avec δαιμόνιον et avec εἴδωλον, les traducteurs ont tendance à sélectionner un signifié spécifique à l’intérieur de deux spectres polysémiques très larges. Le succès des équivalences choisies par les traducteurs grecs contribue à figer une signification univoque pour δαιμόνια et εἴδωλα dans la LXX, et ce choix aura un impact considérable sur les traditions successives. De l’autre côté, nombre d’indices suggèrent que la polysémie de ces notions est encore bien présente à l’esprit des traducteurs grecs (au moins à certains d’entre eux)132. Pour ce qui concerne spécifiquement les δαιμόνια, les deux occurrences de la LXX d’Is 65, qui font vraisemblablement référence à des rituels domestiques de détournement pour les démons et au culte du « Bon démon » et de la « Bonne Fortune », sont particulièrement significatives à cet égard. Lorsque l’on combine ces résultats avec ceux mis en évidence dans le chapitre précédent pour la LXX d’Is 13 et 34, mettant en scène un contexte différent où les δαιμόνια étaient insérés à l’intérieur du paysage naturalisé des régions exotiques, on acquiert la mesure de la versatilité religieuse et culturelle de cette notion auprès du traducteur du livre d’Isaïe.

1

Voir supra, p. 80.

2

Mais voir également Act 17,18 ; 1 Tim 4,1 ; Ap 9,20.

3

Le deuxième discours est constitué par les bénédictions du chapitre 33.

4

Deut 32,16–17.

5

Bar 4,7 : παρωξύνατε γὰρ τὸν ποιήσαντα ὑμᾶς θύσαντες δαιμονίοις καὶ οὐ θεῷ (« vous avez provoqué celui qui vous a créés en sacrifiant à des démons et non à Dieu »).

6

Une datation au XIe siècle av. n. è. a été proposée, entre autres, par Cassuto 1973 (première publication 1938) ; Eissfeldt 1958 ; Albright 1959 ; Mendenhall 1975 ; Moor 1990 ; Tigay 1996, p. 511–512. E. Wright 1962 défend l’idée d’une datation plus tardive, mais néanmoins préexilique ; Tournay 1960 et Carrillo Alday 1970 situent la composition pendant l’exil. Pour une datation à l’époque postexilique, voir par exemple Meyer 1961 ; M. Smith 2010 ; E. Otto 2017. Pour un état de la question détaillé et accompagné d’une bibliographie complète, voir récemment E. Otto 2017, p. 2157–2162 (et p. 2131–2143 pour les références bibliographiques).

7

Entre autres, Albright 1959 ; Kim 2004 ; Bergey 2003 ; Gile 2011 ; voir également Thiessen 2004 ; Leuchter 2007. Pour l’impossibilité d’une évaluation chronologique basée sur des éléments linguistiques, voir l’analyse de Sanders 1996.

8

Voir, à cet égard, l’analyse convaincante de E. Otto 2009 ; id. 2017, p. 2164–2173. Pour une datation à l’époque perse, voir également Meyer 1961.

9

Par exemple Eissfeldt 1958 ; Tigay 1996 ; Sanders 1996.

10

Voir, notamment, M. Weippert 1990 ; M. Smith 2010, p. 195–212.

11

Gosse 1995 ; E. Otto 2009, 2017.

12

= 4Q44 (Skehan et Ulrich dans Ulrich et al. 1995, DJD 14, p. 137–142), voir p. 138.

13

= 4Q37 (Duncan dans Ulrich et al. 1995, DJD 14, p. 75–92), contenait probablement Deut 32,1–9.

14

= 4Q38 (Duncan dans Ulrich et al. 1995, DJD 14, p. 93–98), contient Deut 32,17–18.

15

Voir, à ce sujet, en outre, les remarques importantes de Schmid 2006.

16

Pour le texte grec l’édition de référence est celle de Wevers 1977 ; les fragments de Qumrân sont cités d’après l’édition de Julie Duncan (dans Ulrich et al. 1995, DJD 14, col. XII, l. 14, p. 90).

17

Le Pentateuque samaritain, les Targums et la Vulgate suivent la version du TM.

18

No. 848 dans l’édition de Wevers 1977. Cette version se trouve également dans une minuscule (106c) ainsi que dans le mss 85 du texte d’Aquila (Field 1964, p. 320, note 12) : elle est préférée par Wevers (contra Rahlfs qui choisit ἄγγελοι).

19

Skehan 1954 ; Ulrich (dans Ulrich et al. 1995, DJD 14, fr. 34, p. 80–90).

20

Par exemple en Gen 6,2 et 4 ; Ps 82, Job 1–2 et Job 38.

21

Voir Dogniez dans Dogniez et Scopello 2006, p. 180–183, et infra, § 8.1.1.

22

Voir Barthélemy 1978, p. 101–110 ; Himbaza 2002.

23

Voir, entre autres, Zobel 2001 ; Weippert 1990 ; Sanders 1996 ; Wyatt 2007 ; White 2014.

24

Pour l’identification entre Yhwh et El à un stade ancien de la religion d’Israël, voir M. Smith 2001, p. 135–145. Sur la possibilité d’un culte rendu à Yhwh comme El ‘Elyôn à Shilo à l’époque monarchique, voir Seow 1989, p. 41–54.

25

Voir, par exemple, Ps 9,3 et 107,11. Voir, sur ce sujet, Niehr 1990. Dans quelques passages l’identification entre El ‘Elyôn et Yhwh est douteuse, notamment en Gen 14,18–22 et Num 24,16. En Gen 14, Melchisédech est décrit comme prêtre de El ‘Elyôn et comme roi de Salem et bénit Abraham par le nom de El ‘Elyôn : dans ce cas l’insertion du nom Yhwh au verset 22 est d’habitude considérée comme une glose explicative. En Num 24,16, il est question du devin Balaam qui est présenté comme « celui qui écoute les paroles de El, qui possède la connaissance d’‘Elyôn et qui voit les visions de Shadday ». Ce passage a été longtemps considéré comme l’une des références les plus anciennes au dieu ‘Elyôn. Toutefois, la recherche récente a remis en question ces deux consensus, en démontrant que dans les deux cas nous avons affaire à des compositions tardives. La référence à Melchisédech pourrait être une insertion secondaire en Gen 14 (Pour une origine tardive de la narration concernant Melchisédech, voir, par exemple, Granerød 2010, en part. p. 153–171). L’oracle de Balaam (Num 24,15–24) est, pour un nombre croissant de chercheurs, un texte remanié à plusieurs reprises et probablement ajouté au chapitre 24 à un stade où l’association entre El et Yhwh était désormais bien établie.

26

Schmid 2006. Une interprétation similaire avait déjà été proposée par Carrillo Alday 1970, p. 53–57, et Schenker 1997. Voir également M. Smith 2010, p. 203 sqq.

27

Μερίς, « part » apparaît également au verset 9 pour traduire ḥēleq ; voir, sur ces aspects, Dogniez dans Dogniez et Harl 1992, p. 325–326.

28

Smith 2002, p. 32–40, qui cite KTU 1.3 V 35–36 ; 1.4 I 4–5 ; + KAI 129, l. 1. Pour l’association étroite de la racine qnh avec El en sémitique, voir également Seow 1989, p. 19–22.

29

Bogaert 1985 ; Van der Kooij 1994 ; voir également Barthélemy 1978, p. 101–110 ; Himbaza 2002.

30

L’idée d’une version pré-massorétique à six côla est la position dominante dans la recherche actuelle : pour une mise au point, voir MacDonald 2012, p. 92–93.

31

Comme cela a déjà été observé, la correction massorétique aux versets 8 et 43 vise à créer un lien avec les soixante-dix fils de Jacob nommés en Gen 46,27 et Ex 1,5, dont le nombre a été corrigé de soixante-quinze au chiffre symbolique de soixante-dix (voir Himbaza 2002, p. 540).

32

Gen 10,5 : « à partir d’eux les régions des peuples furent réparties » ; 10,32 : « c’est à partir d’eux que les peuples furent répartis sur la terre ».

33

Pace Wyatt 2007.

34

Jub 15,30–32.

35

M. Smith 2010, p. 208–209.

36

Sir 17,17. Dans le contexte de l’Alexandrie hellénistique où se situe la traduction, nous ne pouvons pas exclure, en revanche, que le terme ἡγούμενον indique ici un gouvernant humain et non divin.

37

Pour un passage similaire, voir également Deut 17,3. Le thème des « autres dieux » qui ne sont pas les divinités ancestrales est courant dans le Deutéronome : voir, par exemple, Deut 4,27–28 et 28,36 et 64. Dans ces derniers cas, la référence est vraisemblablement aux images divines babyloniennes (« du bois et de la pierre ») qui auraient été vénérées pendant l’Exil, et il n’est pas fait mention du motif du « partage » entre nations et puissances divines.

38

Malgré les différentes interprétations proposées, il est impossible d’identifier ce « (non)- peuple », et il faut sérieusement considérer l’hypothèse que le manque d’identification soit ici intentionnel, tout comme pour l’expression précédente « non-dieu ». Pour quelques hypothèses d’identification du non-peuple, notamment avec les Babyloniens, voir néanmoins Alday 1970, p. 89–92.

39

MacDonald 2012, p. 91–92 : « The significance of terms is relative, not absolute. That is, the existence of other nations and other gods is not denied, but rather these ‘gods’ and ‘people’ are not worthy of the titles in comparison with Yhwh and Israel ».

40

Je suis d’accord sur ce point avec les conclusions formulées par MacDonald 2012 à propos de Deut 32,39.

41

Ces remarques ont également une implication pour la datation de Deut 32, dans la mesure où elles appuient une datation tardive du poème, surtout si nous les combinons avec la présence du jugement final où la vanité des autres divinités sera manifestée de manière complète (versets 37–38). On est proche d’une conception apocalyptique de l’histoire et de la révélation, ce qui est par ailleurs en tension avec d’autres passages du Deutéronome.

42

Zimmern 1917, p. 69 ; Gesenius 1916, s.v., HALOT, s.v. ; plus récemment Mankowski 2000, p. 138. Pour le šedu mésopotamien, voir Von Soden (AHw), p. 1208 ; CAD 17/2, s.v.

43

Notamment par Caquot 1952, qui reprend une ancienne hypothèse de Baudissin 1876, p. 130–136 ; ensuite Hackett 1984 ; Delcor 1989. Voir également Xella 1983.

44

La bibliographie sur Shadday est vaste. Pour une synthèse, on peut voir, entre autres, Niehr et Steins 1983 ; Weippert 1997 ; Knauf 1999, p. 749–753 ; plus récemment Witte 2011. Pour une étude des usages de Shadday dans le livre de Job, voir l’étude classique de Koch 1976. Une dernière proposition étymologique a été avancée par Wilson-Wright 2019. De manière générale, le débat sur l’étymologie de Shadday et les différents résultats auxquels la recherche a abouti ne se sont pas avérés très utiles à la compréhension du fonctionnement du dieu qui est, pour ainsi dire, « derrière » l’épithète. Il faudrait à cet égard garder à l’esprit l’avertissement de James Barr quant au fait que l’étymologie d’un mot nous renseigne beaucoup plus sur son histoire que sur sa véritable signification (Barr 1961, p. 109).

45

KTU 1.108. 12 (= RS 24.252) : ’l šd, « dieu Shed » ; KTU 1.179. 8–12 (= RS 92.2016, 11 édité par Caquot et Dalix 2001) : ydd wšd, « le bien aimé et Shed » ; KTU 1.166. 13 (= HANI 77/78 A) : šd qdš, « Shed saint ». Contra l’identification de Shed dans ces passages, voir Lipiński 1995, p. 251–253.

46

L’expression gršd (« client de Shed ») sur un sceau provenant de Tyr (Paris, Bibliothèque Nationale, Collection De Clerq, no. 2756, Bordreuil 1986, p. 36) ainsi qu’une inscription dans le temple d’Eshmun à Sidon qui aurait la forme šdqdš (« Shed saint ») sont de lecture douteuse : voir la critique de Lipiński 1995, p. 254 sqq. La lecture gršd est, toutefois, acceptée par Gubel 1993, p. 118, fig. 41, et par Avigad et Sass 1997, p. 274, no. 736. La formule gr suivie d’un théonyme est attestée dans d’autres noms composés, tels que Gerashtart et Ger’eshmun : voir Avigad et Sass, 1994, p. 274, no. 733–735 ; Gubel 1993, p. 118, fig. 42 ; DNWSI 1, p. 232, s.v. gr1. Mais même si on accepte cette lecture, il s’agit en tout cas d’un témoignage isolé.

47

Cette hypothèse a été soutenue récemment par Valérie Matoïan (2015, surtout p. 265–268). Un examen complet du dossier sémitique et égyptien a été proposé par Giuseppina Lenzo et Christophe Nihan lors de leur communication « Shed in Egypt and West-Semitic Deities : A Reexamination », pendant le SBL Annual Meeting, Denver, 18 November 2018. L’analyse détaillée de Lenzo et Nihan ne soutient pas la thèse de Matoïan. En revanche, une influence égyptienne est reconnaissable sur le théonyme phénicien Shadrapha, « Shed est guérisseur », attesté depuis le Ve siècle et pendant la période hellénistique sur des inscriptions phéniciennes, puniques et araméennes.

48

Bonnet 1971, p. 676–677 ; Meeks 1971, p. 56–57 ; Quaegebeur 1984, p. 138–139 ; pour une dernière mise au point, voir Lenzo, à paraître.

49

Editio princeps Hoftijzer et Van der Kooij 1976, p. 173–174, et p. 275–276. Pour le commentaire, voir également Caquot et Lemaire 1977 ; Hackett 1984 ; Weippert et Weippert 1982, p. 88–92 ; Weippert 1991, p. 151–184 ; Lipiński 1994, p. 103–141 (en part. p. 122–125) ; Levine 2000, p. 140–145 ; Fales et Grassi 2016, p. 151–158. Je suis la reconstruction du texte proposée par Fales et Grassi, dont je reprends et adapte la traduction.

50

Cette lecture est acceptée par tous les éditeurs à l’exception de Hoftijzer et Van der Kooij (1976) et de Levine (2000) qui y voient la déesse Šagar.

51

Voir Delcor 1989, et également Hackett 1984, p. 85–89 ; Sanders 1996, p. 182–183, suivis par Stavrakopoulou 2004, p. 272–274. Contra Weippert 1991, 179, note 69. Sur la deuxième hypothèse, voir également Witte 2011, p. 224–225.

52

Notamment la forme El Shadday en Gen 17,1 ; 28,3 ; 35,11 ; 43,14 ; 48,3 ; 49,25 ; Ex 6,3.

53

Num 24,4 et 16.

54

Son nom apparaît dans une inscription du temple de Bel : DNWSI 2, 1111 ; Cantineau 1931, p. 130–131.

55

Brian Schmidt a discuté la question du rapport entre les šēdîm bibliques et les šedu mésopotamiens, en soutenant, comme je le fais ici, la dérivation linguistique des šēdîm et des šedu et en refusant le parallèle avec les šdyn de Deir ʿAlla (B. Schmidt 2016, p. 172–186 et 2017). En revanche, je ne partage pas sa compréhension des šēdîm comme des « dieux-Shedu », à savoir des gardiens protecteurs ou des êtres intermédiaires bienveillants d’origine proche-orientale qui auraient été déifiés par une partie de la société israélite pour recevoir des sacrifices. En Mésopotamie, les šedu ne sont pas exclusivement des esprits protecteurs, mais ils peuvent souvent avoir un caractère malveillant prononcé (et, en ce sens, ils ne sont pas des intermédiaires, voir supra, p. 37). En outre, rien ne confirme la réalité d’un culte rendu aux šēdîm / « dieux-Shedu » dans l’Israël ancien. Comme dans le cas du culte aux « boucs » que j’ai discuté dans le chapitre précédent, l’attitude polémique du discours sur le culte rendu aux démons mené par Deut 32 et par d’autres textes ne doit pas nécessairement être motivée par une réalité cultuelle. Elle relève plutôt de raisons d’ordre idéologique.

56

Commentaires pythagoriques ap. Alexandre Polyhisthor, in D.L. 8, 32 [ed. Delatte, trad. Détienne 1963]. Pour une distinction hiérarchique entre dieux et daimones, héros et ancêtres attribuée à Pythagore, voir ibid. 8, 23. Pour un commentaire à ce passage, voir Detienne 1963, p. 32–37, qui est, toutefois, très optimiste sur la possibilité que ces textes contiennent des théories pythagoriciennes remontant effectivement au VIe siècle avant notre ère. Pour une approche plus prudente, voir Sfameni Gasparro 1997.

57

Voir supra, p. 61.

58

Philo, Gig. 6. Comparer, en outre, avec Somn. 1, 134–141. Comme ceci a été remarqué par Valentin Nikiprowetzky (1980) et Francesca Calabi (2004), Philon donne une relecture platonicienne du récit de la naissance des géants en Genèse 6, sans accueillir les explications qui mettaient en relation la naissance des géants avec les anges déchus et représentaient une exégèse en vogue à l’époque, voire même le mythe fondateur de la démonologie du Second Temple (voir infra, § 8.1.1.). Il tient, au contraire, à souligner que les figures de la médiation dans les traditions grecques et juives sont largement convergentes, dans la mesure où ἄγγελοι et δαίμονες ne sont pas ontologiquement distincts, mais de facto équivalents (voir Gig. 16 : ψυχὰς οὖν καὶ δαίμονας καὶ ἀγγέλους ὀνόματα μὲν διαφέροντα, ἓν δὲ καὶ ταὐτὸν ὑποκείμενον διανοηθεὶς ἄχθος βαρύτατον ἀποθήσῃ δεισιδαιμονίαν. « Donc en réalisant que démons et anges sont des noms différents mais qu’ils renvoient à une seule et même réalité, tu déposeras le fardeau très lourd de la superstition », et comparer avec Calabi 2004, p. 93–94). Une telle position est considérablement proche de la position de Plutarque dans le traité De la superstition. Il est, en tout cas, possible que Philon eût connaissance des traditions hénochiques sur les anges veilleurs, mais qu’il les ait intentionnellement rejetées dans son refus plus général de la démonologie comme croyance du « vulgus » (οἱ πολλοὶ). On peut comprendre dans ce contexte la suite du passage de Gig. 16 : ὥσπερ γὰρ ἀγαθοὺς δαίμονας καὶ κακοὺς λέγουσιν οἱ πολλοὶ καὶ ψυχὰς ὁμοίως, οὕτως καὶ ἀγγέλους τοὺς μὲν τῆς προσρήσεως ἀξίους πρεσβευτάς τινας ἀνθρώπων πρὸς θεὸν καὶ θεοῦ πρὸς ἀνθρώπους ἱεροὺς καὶ ἀσύλους διὰ τὴν ἀνυπαίτιον καὶ παγκάλην ταύτην ὑπηρεσίαν, τοὺς δἔμπαλιν ἀνιέρους καὶ ἀναξίους τῆς προσρήσεως καὶ αὐτὸς ὑπολαμβάνων οὐχ ἁμαρτήσει. « Car, tout comme la plupart des gens croit dans des bons et des mauvais démons, et ainsi pour les âmes, de la même manière toi-même tu ne te tromperas pas lorsque tu estimes que, parmi les anges, certains, dignes de leur nom, sont ambassadeurs des hommes chez Dieu et de Dieu chez les hommes, sacrés et inviolables en raison de ce service sans défaut et magnifique, alors que d’autres, au contraire, sont impies et indignes de leur appellation »). Voir, à ce sujet, A.T. Wright 2005 a.

59

Le rapprochement entre δαίμονες et ψυχαί est également attesté dans le Papyrus de Derveni, col. VI, 3–4 (δαίμονες ἐμπο[δίζουσι/ ὡς ψ[υχαὶ τιμω]ροὶ, ed. Piano 2016). Pour l’immatérialité des ψυχαί, voir Hp., Vict. 29 (Littré 6, p. 504–505) ; Pl., Phd. 114b–c.

60

Voir supra, § 2.3.

61

La possibilité d’une influence platonicienne sur le travail des traducteurs, notamment dans le Pentateuque, est un sujet débattu. Alors que Martin Rösel (1994) et Evangelia Dafni (2006) estiment que les traducteurs du Pentateuque font intentionnellement recours à des notions platoniciennes, d’autres chercheurs suggèrent la prudence (Van der Louw 2007, p. 83–84 ; Van der Meer 2016). Nous avons quelques témoignages papyrologiques sur la présence de Platon aux niveaux les plus hauts de l’éducation aux époques hellénistiques et romaines (Dupertuis 2007, p. 8–11). Certes, les auteurs de livres plus tardifs comme la Sagesse ou les Maccabées entrent en dialogue avec plusieurs idées de la tradition platonicienne et post-platonicienne. Cependant, une référence directe à l’Apologie de Socrate par les traducteurs qui étaient actifs au troisième siècle avant notre ère est, à mon sens, douteuse et loin d’être démontrée. Malgré la popularité du personnage de Socrate, l’Apologie n’était pas un texte d’école. Sur le canon de base de l’éducation dans l’Égypte gréco-romaine (qui comprenait Homère, Hésiode, Euripide, Ménandre et quelques orateurs), voir Morgan 1998, p. 67–73 ; Cribiore 2001, p. 178–205.

62

’Ĕlōah est une formation tardive qui peut renvoyer à Yhwh (par exemple en Job 3,4 ; Neh 9,17), ou indiquer génériquement une divinité (par exemple en Ps 18,31 ; Dan 11,37–38) : voir à ce sujet, entre autres, Heiser 2008, p. 138. L’ambiguïté était peut-être intentionnelle en hébreu. La technique du traducteur reflète un souci d’harmonisation qui s’étend à l’intégralité du verset et dans lequel le difficile śə‘ārûm hébreu (dérivé la racine ś‘r, « craindre » ?) a été rendu par ᾔδεισαν « ils connaissaient » qui crée un parallélisme avec la moitié précédente du verset (voir Dogniez 1992, p. 330).

63

Ps 105,36–38 (= 106,36–38 TM).

64

Voir Plut., Def. orac. 417b et supra, § 2.3–2.4.

65

Plut., Pel. 21, 5–6 (trad. Flacelière et Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1966). Comparer, également, avec Def. orac. (417c–d) et voir, pour ce passage, Georgiadou 1997, p. 166–171. Pour un commentaire sur la position de Plutarque vis-à-vis de ces croyances, voir Brenk, 1977, p. 55, 1998, p. 177.

66

J’adopte ici la traduction d’Alain le Boulluec et Philippe Le Moigne, Paris, Cerf, 2014.

67

Voir, par exemple, Deut 4,25 ; 9,18 ; 31,29 ; comparer également avec Ps 78,58 (= 77,58 LXX).

68

Pour la critique textuelle de ce passage, voir supra, p. 82.

69

Ackerman 1992, p. 165–212. Voir également Is 66,17. En Is 1,29 il est question de ’êlîm (térébinthes) et jardins : ici le traducteur comprend ’êlîm comme « idoles ».

70

Ainsi Eissfeldt 1970, p. 19–20. Tammuz est également mentionné en Ez 8,14 : voir Ribichini 1999 a, p. 9. Pour d’autres références au culte d’Adonis-Tammuz dans le livre d’Isaïe, voir Delcor 1978 (Is 17) ; Bonnet 1987 (Is 15).

71

B. Duhm 1892, p. 475 ; suivi par Westermann 1966, p. 318.

72

Ainsi Westermann 1966, p. 318 ; Watts 1985–1987, p. 339 ; Ackermann 1992, p. 169–174 ; Blenkinsopp 2003, p. 266–267.

73

Pour une discussion de cette racine, voir Angelini 2019, p. 249, note 30.

74

Voir Ziegler 1939, p. 360, apparatus I.

75

Pace Seeligmann 1948. L’expression ἃ οὐκ ἔστιν est marquée d’un obèle par Jérôme, ce qui indique sa présence dans la Septante ancienne. Le caractère mouvant de ce verset dans l’Antiquité est encore confirmé par une lecture assez obscure conservée par un manuscrit qumrânien : וינקו ידים על האבנים, « et ils vident leurs mains sur les pierres » (1QIsaa, Ulrich et Flint 2010, DJD 32, vol. 2, p. 190). Le sens de l’expression n’est pas clair (voir encore Parry 2019, p. 430), mais Frank Moore Cross suggérait qu’elle pouvait faire référence à un rituel d’encens où yad (littéralement, « main ») aurait ici eu le sens de kaf, « le plat » de la main, mais également celui de la mesure pour une cuillère d’encens (Cross, cité par Hanson 2000, p. 141).

76

Plut., Is. Os. 355e–360f, notamment 360a. Chez Plutarque, Typhon est le nom grec du dieu Seth. Les croyances des Égyptiens sont définies par Plutarque comme impies et barbares (παρανόμους καὶ βαρβάρους, 358f).

77

Str. 10, 3, 18–19 (C 471–472).

78

Sur le sujet et sur sa diffusion chez les auteurs chrétiens, voir Anderson 2016 ; Barbu 2016, p. 40–88.

79

Voir également Van der Vorm-Croughs 2014, p. 468–469. Sur le discours sapientiel contre les idoles dans la Bible hébraïque, voir récemment Ammann 2015. Des formulations proches d’Is 65,3 se trouvent dans la LXX de Jer 10,15 (μάταιά ἐστιν ἔργα ἐμπεπαιγμένα) ; et d’Hab 2,18 (χώνευμα, φαντασίαν ψευδῆ).

80

1 Hen 99,7 d’après la version du papyrus Chester Beatty.

81

Pour une discussion des variantes textuelles, voir supra, p. 82–83.

82

Is 65,11–12a. Pour le grec, je reprends la traduction d’Alain Boulluec et Philippe Le Moigne, Paris, Cerf, 2014.

83

Seeligmann 1948, p. 264–265 [99–100] ; Schaper 2010.

84

Schaper 2010, p. 146, pace Riley 1999, p. 238.

85

Pour un répertoire des sources littéraires et épigraphiques, la référence est encore Ganschinietz 1918, p. 37–59 ; pour les sources iconographiques, Dunand (LIMC I–II, s.v.) ; sur le culte à Alexandrie, voir Visser 1938, p. 6–8 ; Fraser 1972, I, p. 209–211 ; Ogden 2014. Pour un traitement des sources hellénistiques, voir Sfameni Gasparro 1997. Les cultes du bon démon et Fortune sont mentionnés également par Philon (Prob. 39).

86

Voir Bernand 1969, no. 175, II, 9 ; Philon de Byblos chez Eusèbe (Praep. 1, 10, 48).

87

Les loci classici sont chez Aristophane (Eq. 85 et 105 ; Pax 300 ; V. 525). Pour d’autres sources voir Ganschinietz 1918, p. 40. Sur l’agathodaimon en contexte dionysiaque voir Pirenne-Delforge 2020, d’après laquelle la référence à l’agathodaimon exprime la manifestation de la puissance de Dionysos dans le cadre du sympose.

88

Voir les sources citées par Dunand 1918, ainsi que Daszewski 1991, p. 96.

89

Lee 2014.

90

Baldacci 1978. Le texte administratif d’Ebla est un décompte de portions d’orge qui contient le nom d’un fonctionnaire appelé « Mani a donné » (TM.75.G.336, verso I, 4, publié par Pettinato et Matthiae 1976, p. 5).

91

Elle est attestée épigraphiquement à partir du IVe s. av. J.-C. par une inscription cultuelle en Arabie du Nord et par deux théophores, et apparaît en outre dans une inscription funéraire nabatéenne (CIS II, 198) : voir les sources collectées par Roche 2014, p. 3–4. La déesse est, en outre, représentée comme Némésis avec le sceptre à Palmyre, et un buste de Tyché a été repéré au centre d’un zodiaque dans le temple nabatéen de Khirbet el Tannur. Sur le culte de Manat on peut voir également Fahd 2012, p. 373–374 ; Sperling 1999, p. 566–568 ; Gorea 2010, p. 156–157.

92

Voir notamment Ba‘al-Gad en Jos 11,17.

93

Notamment en Gen 30,11 à propos du fils de Leah : « et Leah dit : ‘quelle chance’ ! et appela son fils ‘Gad’ ».

94

Voir Thomas 2019.

95

Le dossier a été publié et analysé par Kaizer 1997, 1998.

96

Respectivement RES 1222 ; KAI 72 et 147. Une inscription provenant de Lachish et datant de l’âge du Bronze est douteuse : voir Ribichini 1999 b, p. 339–341.

97

KAI 72 b, traduite et commentée par Kaizer 1998.

98

Par exemple PAT 0179, 0273, 1079, 1097, traduites et commentés par Kaizer 1997.

99

Thomas (2019, p. 311), d’après lequel Gad ne serait à l’origine qu’une épithète du dieu El.

100

Voir Kaizer 1998, p. 51–53 ; 58–59, et Roche 2014, p. 3.

101

CIS II, 3927. Transcription, traduction et commentaire en Kaizer 1997, p. 152–153. L’anthroponyme Eytychés est également attesté, transcrit en sémitique (‘tks), sur un autel nabatéen (Milik 1976 b, p. 148). Sur les cultes de Tyché dans la Palestine d’époque romaine voir Belayche 2003.

102

Synesius cyr., De Somniis 15.

103

Hom., Od. 11, 471–476 ; 24, 14 ; Hdt. 5, 92.

104

Hom., Il. 5, 449–453 ; Od. 5, 796.

105

Aesch., A. 839.

106

Plut., Pyth. orac. 404c 10.

107

Luc., DMort. 11, 5.

108

Comme le suggère déjà Hayward 2007, p. 44–45.

109

Qoh 5,6.

110

Hayward 2007, p. 44–46.

111

Plut., Dion 2, 2–4, et supra, p. 76.

112

Ps 96,5 (= 95,5 LXX).

113

Voir Preuss 1977.

114

Voir par exemple Is 2,8, 18, 20 ; 10,11 ; 19,1 ; 31,7.

115

Vernant 1975, 1983, 1990 (en réponse à Saïd 1987).

116

Pour l’analyse de cet épisode, voir Bettini 1992, p. 12–16.

117

Voir Levtow 2008, 16–18 ; Ammann 2015, p. 12–13.

118

Cette lecture est donc préférée par Wevers 1977.

119

Avec l’exception des tĕrāpîm en Gen 31,19, 34, 35.

120

Büschel 1964 ; Barnes Tatum 1986.

121

Barnes Tatum 1986, p. 178–179.

122

L’hypothèse est en partie rejetée par Hayward, 2007, même s’il attribue à εἴδωλον en Ex 20,4 la signification d’« idole ». Voir également la discussion en Barbu 2011 ; id. 2016, p. 40–51.

123

Pl., Sph. 240a–b ; R. 7, 516 sqq.

124

Griffith 2002.

125

Pol., Hist. 30, 25, 13–15, qui décrit les processions au village de Daphné, près d’Antioche, pour les jeux en l’honneur d’Antiochus IV.

126

PStrasb. 2 91, ed. Preisigke 1920. Pour le texte complet avec traduction anglaise des papyri ici discutés, voir Angelini 2019, p. 257–260.

127

Restauré par les éditeurs en ἱερῶι εἰδώλων.

128

P.Worp 7 (= O. Garstand 1), ed. Boyaval 1980 ; Gallazzi 1985 ; Gascou 2008 avec traduction française. Le contenu de l’accusation n’a pas été préservé. Sur les pétitions oraculaires comme genre littéraire, voir Versnel 1991.

129

Hunt et Edgar, Sel. Pap. 2, no. 329, Loeb 1934.

130

Les similarités entre l’εἴδωλον d’Ex 20,4 et les données papyrologiques n’ont pas échappé à l’observation minutieuse de James Aitken qui, dans un article de 2014, suggérait que la compréhension d’εἴδωλον comme « image » était la lecture la plus simple du passage (p. 193). Voir également Le Boulluec et Sandevoir 1989, p. 205–206.

131

Jos., AJ 3, 91 ; Philo, Dec. 51.

132

Quant à la naissance du concept d’idole, mon analyse confirme et précise certaines des conclusions déjà mises en évidence par les travaux de Daniel Barbu (Barbu 2011 ; id. 2016, p. 51).

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