La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique

In: The Idea of Economic Constitution in Europe
Author:
M. Mahmoud Mohamed Salah
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Résumé

Conséquence de la compétition que les États se livrent pour attirer le maximum d’investisseurs, la mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux s’est traduite par une libéralisation continue du droit qui a eu un effet direct sur l’idée de Constitution économique. Celle-ci a non seulement vu son épaisseur normative se renforcer du fait de la neutralisation des dispositifs juridiques dirigistes mais elle s’est également universalisée en raison de la conversion de la quasi-totalité des pays au dogme de « l’attractivité ». Toutefois, ce mouvement généralisé vers le tout libéral commence à être remis en cause sous l’effet de facteurs divers qui se traduisent par une demande sociale et politique pour plus de régulation étatique. Il en résulte à la fois un regain de l’unilatéralisme qui affecte la force des principes qui sous-tendent l’idée de constitution économique et une prise en compte plus affirmée des valeurs et intérêts collectifs qui altère la substance de ces principes.

Introduction

De quelque manière qu’on la définisse, l’idée de Constitution implique la référence à des principes supérieurs parce que fondamentaux, principes qui établissent « les bases sociales et philosophiques » d’une communauté donnée1, traduisent un consensus qui a vocation à dépasser les clivages politiques, bref fixent les grandes lignes du Pacte social. Appliquée à l’économie, la notion de Constitution figure les principes fondamentaux autour desquels s’articule la rationalité de l’ordre économique2. Dans la mesure où il n’y a pas d’économie en soi mais seulement des systèmes économiques situés, on ne peut parler de constitution économique que par référence à un ordre économique donné. En l’espèce, il s’agit de l’ordre économique néolibéral qui a triomphé avec l’avènement et les progrès de la mondialisation, en particulier depuis le milieu des années 1980.

La Constitution qui régit cet ordre érige « la souveraineté du consommateur et la concurrence libre et non faussée » en principes supérieurs, fondateurs des échanges économiques3. Pour exister et prétendre à l’efficacité, cette Constitution a cependant besoin du droit et, d’abord, des droits fondamentaux, c’est-à-dire, de ces droits et libertés placés au sommet de la hiérarchie des normes, ce qui a pour conséquence de les soustraire à toute contestation politique et d’en faire « la finalité de toute organisation sociale ». Et au premier rang de ces droits, il y a le droit de propriété4 et le droit à la liberté, dont le Conseil Constitutionnel français déduit, par exemple, la liberté d’entreprendre5 et la liberté contractuelle6, principes essentiels de toute « Constitution économique ».

Mais les droits fondamentaux et la jurisprudence qui en a assuré la promotion, un peu partout en Europe7, ne sont pas les seuls éléments du cadre juridique qui sert de support à la Constitution économique. Celle-ci a également besoin de lois. Et plus ces lois sont libérales, plus elle peut étendre son emprise non seulement sur l’ensemble des rapports économiques stricto sensu mais également sur de pans de plus en plus étendus des rapports sociaux, en général. Or, cette extension de l’influence de la Constitution économique a été considérablement facilitée par la mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux qui a accompagné l’accélération du processus d’internationalisation des économies8. Il s’agit d’une conséquence de la compétition généralisée entre États, où chacun tente d’attirer le maximum d’investisseurs sur son territoire, le droit et ses règles étant désormais appréhendés comme des outils concurrentiels9.

En effet, tout se passe comme si l’intégration d’un État à l’économie mondialisée s’accompagnait de la nécessité d’adapter en permanence son droit aux desiderata des opérateurs économiques, en l’engageant sur la voie d’une libéralisation continue. Dans ce contexte, le principe de territorialité change de fonction. Il n’est plus principalement utilisé pour affirmer la prééminence de l’autorité souveraine de l’État, mais pour atténuer, voire supprimer, les obstacles à la libre circulation des biens, des services et des capitaux et, attirer et séduire le maximum d’opérateurs économiques. La conséquence de ce phénomène sur l’idée de Constitution économique en est incontestablement une consolidation de celle-ci (1.). Toutefois, les contradictions du processus de mondialisation qui a nourri ce phénomène marquent en même temps les limites de cette évolution (2.).

1 La consolidation de l’idée de Constitution économique

La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux consolide l’idée de Constitution économique de deux manières. Tout d’abord, en faisant des opérateurs économiques les arbitres ultimes de la compétition entre États, elle conduit à limiter voire éliminer les réglementations interventionnistes. Pour être compétitive, une législation nationale doit offrir les avantages recherchés par ces opérateurs, au premier rang desquels se situent la liberté qu’elle leur laisse et, de façon générale, la souplesse qu’elle leur offre. Il en résulte la mise en place d’un cadre juridique qui promeut et réalise les principes de la « Constitution économique », laquelle voit ainsi son épaisseur normative renforcée (1.1.). Mais l’évolution ne s’arrête pas aux seuls pays de l’Union européenne, ni même aux seuls États du Nord. Elle s’étend quasiment à l’ensemble de la planète, donnant à l’idée de Constitution économique l’onction universelle qui lui a manqué jusqu’à la fin du xxe siècle (1.2.).

1.1 Une épaisseur normative renforcée

Pour comprendre comment la mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux contribue à renforcer l’épaisseur normative de la Constitution économique, il faut prendre en compte à la fois les effets de la constitutionnalisation des principes libéraux et ceux de la course effrénée vers la déréglementation et la dérégulation qui en résulte. Sur le premier point, l’importance prise, depuis les années 1980, par la jurisprudence des droits fondamentaux – dans la quasi-totalité des pays européens, y compris dans les pays de tradition légaliste comme la France où la suprématie de la loi, expression de la volonté générale, était un dogme – a eu pour conséquence de sceller l’intégration des droits et libertés nécessaires au fonctionnement et à la pérennité de l’économie de marché dans la définition du Pacte social, d’une part, et d’éviter, grâce à une hiérarchisation implicite mais réelle des valeurs, que la prolifération des droits qui résulte de la dynamique de l’évolution démocratique ne tourne à l’anarchie, d’autre part.

On comprend dès lors que si, dans un pays comme la France, on avait coutume de dire que « la Constitution, norme suprême, ne concernait pas l’économie et qu’il n’y avait pas de droit constitutionnel économique »10, l’évolution nouvelle amène à reconsidérer cette thèse : « base du système juridique »11, la Constitution devient également la base du système économique12.

La Constitution française du 4 octobre 1958 renvoie, dans son préambule, à une série de normes qui intéressent le droit économique13. Au premier rang de ces normes, figure la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. D’inspiration individualiste, cette Déclaration affirme des principes généraux et abstraits qui, sans avoir un objet ou une finalité ouvertement économiques, présupposent cependant l’adhésion à une économie de type libéral. Il reste que de tels principes sont par eux-mêmes insuffisants pour fonder un droit économique constitutionnel. À côté de cette déclaration, le préambule de la Constitution de 1958 vise celui de la Constitution de 1946, lequel est riche en normes à objet ou finalité économique. Tout d’abord, mais ce n’est pas plus significatif, le préambule de 1946 réaffirme les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Si aucun des principes jusqu’ici rangés dans cette catégorie ne concerne directement l’exercice des activités économiques, ils ont comme soubassement commun une conception républicaine du droit économique14, qui accorde une place importante à l’intervention de l’État en matière économique.

Mais, plus fondamentalement, le préambule se réfère aux « principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps » dont il dresse un catalogue précis. Au-delà de l’énumération des droits économiques et sociaux, solennellement consacrés, la référence à cette catégorie de principes traduit une constitutionnalisation des fondements d’une organisation volontariste de l’économie. En effet, le préambule fait mention de la planification, de la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs délégués et, enfin, du principe des nationalisations. Le contenu des normes énumérées est cependant imprécis, et leur articulation avec celles énoncées par la Déclaration de 1789 fort problématique15.

Il est clair que cette référence à des principes d’inspiration opposée est porteuse d’antinomies. Le problème du conflit des normes qu’elle renferme pourrait être facilement résolu, si l’on acceptait de reconnaître l’existence d’une supra-constitutionnalité qui inclurait l’une des deux catégories de droits fondamentaux visées. Cette position, qui reviendrait à adopter une conception jusnaturaliste du droit, porteuse d’incertitude, est toutefois écartée par la doctrine et par le Conseil constitutionnel. Plus qu’à une éviction d’une catégorie de normes au profit de l’autre, c’est à leur conciliation que la haute juridiction procède en utilisant des techniques désormais rodées16. Il n’en demeure pas moins vrai que, s’il n’y a pas de hiérarchie juridique entre les principes simultanément consacrés par la Constitution, la structure particulière des droits économiques et sociaux17 et, de façon générale, l’imprécision d’une partie des principes fondant l’interventionnisme de l’État, jointe à l’influence des valeurs métajuridiques qui privilégient la propriété et l’initiative privée, ont joué en faveur d’une prédominance au niveau constitutionnel du « modèle du droit économique libéral », vecteur de la mondialisation économique.

De leur côté, l’influence du droit européen fondé sur une « Constitution économique libérale »18 et la naissance d’un droit multilatéral des échanges adossé à des accords qui ont pu être qualifiés de « Constitution économique mondiale »19 constituent un double facteur de prévalence des principes constitutionnels libéraux sur les principes dirigistes. De ce point de vue, la constitutionnalisation des droits fondamentaux remplit une double fonction, idéologique et pratique : elle permet de rétablir la hiérarchie des valeurs sociales, que l’accumulation des droits d’inspiration diverse rendait illisible. Il s’agit d’une hiérarchie en dernier ressort politique, car elle découle d’une interprétation qui n’est pas la seule possible20. Il est, à cet égard, significatif qu’en France la valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre ait été affirmée par le Conseil constitutionnel, en 1982, à l’occasion de l’examen de la loi sur les nationalisations21.

S’agissant du second point, la conséquence directe de la mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux pour attirer les investisseurs a été l’effacement des réglementations interventionnistes au profit des normes libérales qui prolongent et concrétisent l’effet de la Constitution économique. Le phénomène qui a commencé avec le droit financier22 n’a épargné aucune discipline juridique. Du droit des sociétés au droit du travail, aucune branche du droit n’a été épargnée par l’offensive de la flexibilité et son corollaire, le renouveau du principe de liberté23. Même le droit des personnes, dominé par le principe de l’indisponibilité du corps humain, a été affecté par le mouvement général de contractualisation des rapports juridiques dont l’effet est d’étendre sans cesse les frontières du Marché.

On comprend dans ce contexte, la fulgurante ascension du noyau central du droit du marché qu’est le droit de la concurrence qui, en même temps qu’il traduit l’extension sans limites des rapports marchands, incarne la barrière à ne pas franchir, celle qui protège la logique globale du système concurrentiel. L’expansionnisme de cette nouvelle discipline, qualifiée par certains auteurs d’« ordre juridique concurrentiel » pour souligner l’impossibilité de lui assigner des frontières précises24, apparaît d’abord sur le terrain des « sujets » auxquels elle a vocation à s’appliquer. Parce qu’il a pour objet de réguler le fonctionnement du marché, le droit de la concurrence était appelé à s’adapter à l’expansionnisme démesuré de celui-ci en utilisant des notions qui expriment sa vocation quasi universelle25. Le recours au concept polymorphe d’« entreprise » s’inscrit dans cette perspective26. L’utilisation de cette notion permet, en effet, au droit de la concurrence d’englober toute entité susceptible d’opérer sur un marché sans être entravé pour les qualifications liées au choix de la forme juridique adoptée par celle-ci (association, société, Groupement d’Intérêt Économique ou simple personne physique).

Cette approche, qui est également celle du droit européen27, supprime tout obstacle à l’expansion de cette branche du droit lié au statut juridique des entités économiques, en déplaçant le problème de la délimitation exacte des sujets potentiels de ce droit vers celui de la qualification de l’activité exercée. L’application des règles concurrentielles dépend, en effet, du fait de savoir que toute activité qui touche à la production, à la distribution et aux services peut être caractérisée comme une activité intéressant la concurrence. À la fois reflet et vecteur de l’« économisation » de la quasi-totalité des activités sociales, le droit de la concurrence professe, sur ce point, une conception extensive de l’économique avec toutefois quelques rares îlots de résistance, dans les pays de forte tradition dirigiste. Pour prendre la mesure de l’attraction que la logique concurrentielle, portée par le processus de la mondialisation, exerce désormais sur tous les secteurs de l’activité sociale, il suffit d’évoquer l’évolution des principaux domaines qui semblaient – en raison de leur nature ou de leurs caractéristiques – devoir échapper à l’emprise de la rationalité marchande. Le moins significatif est peut-être le secteur libéral, puisque la commercialisation des professions libérales est la conséquence d’une évolution amorcée depuis la seconde moitié du xxe siècle28. L’accélération du processus de mondialisation a facilité l’officialisation du phénomène29. Le dogme du caractère purement civil des professions libérales est aujourd’hui sérieusement ébranlé par leur intégration à l’ordre concurrentiel30.

L’application du droit de la concurrence aux activités artistiques et intellectuelles constitue une illustration plus sérieuse de l’extension de la logique du marché. Contrairement à l’idée quelquefois avancée par la doctrine civiliste selon laquelle l’activité de l’artiste consisterait dans une prestation personnelle, extrapatrimoniale par nature, le droit de la concurrence oppose le constat de l’exploitation économique de cette activité qui la fait basculer dans le giron du marché31. Le rejet du critère « naturaliste » au profit de celui de l’exploitation économique fait sauter toute cloison entre les activités à but lucratif et les activités a priori désintéressées. Le mouvement affecte même les biens culturels, dont on s’accordait à reconnaître qu’ils doivent bénéficier d’une sorte d’« exception » à la soumission aux lois de la concurrence.

L’effacement des frontières entre l’économique et le non-économique, conséquence de la répudiation du « caractère naturaliste », se traduit par une pénétration de la logique concurrentielle au sein de ce qu’il est convenu d’appeler l’économie sociale32. L’indifférence de la forme juridique adoptée permet d’attirer le secteur associatif et le secteur coopératif dans le champ du droit de la concurrence, dès lors que les activités exercées font l’objet d’une exploitation économique. La soumission des syndicats de salariés33 aux exigences du droit de la concurrence avait d’ailleurs fait craindre une absorption du social par l’économique34. Pour l’heure, la seule limite posée concerne les organismes de sécurité sociale que les « objectifs de solidarité nationale » conduisent, sous certaines réserves35, à exclure du champ de l’ordre concurrentiel36.

La référence à la spécificité des objectifs poursuivis n’a cependant pas été d’un grand secours, s’agissant cette fois de la question de l’applicabilité du droit de la concurrence au secteur public. Il faut dire que, dans tous les pays de l’Union européenne, le rôle du droit européen, droit économique par nature fondé sur le marché, a ici été décisif. On sait, en effet, que si le Traité de Rome a, d’emblée, affirmé sa neutralité (notamment dans son article 222) à l’égard des régimes de propriété adoptés dans les différents États membres37, il a également posé le principe de l’égale soumission des entreprises publiques à toutes les règles qu’il énonce, en particulier celles concernant la concurrence et les aides de l’État38. Or, ce principe s’est révélé lourd de conséquences. En obligeant les entreprises publiques à se soumettre aux règles conçues pour régir la compétition entre entreprises privées, le Traité de Rome jetait, en réalité, les bases d’une dislocation des régimes de propriété publique dans les États membres39. Nourri par les vagues de dérégulations venues des États-Unis et avivé par une mondialisation qui ne laisse pas d’alternative au modèle du marché40, le conflit entre les principes qui fondent la « constitution économique » de l’Europe et les exigences du service public, notamment à la française, se résout naturellement au détriment de ces derniers41. L’application du droit européen de la concurrence s’est déjà traduite par la fin du cumul des activités économiques et des fonctions de régulation, la nécessaire distinction (dans les entreprises de réseau) entre les activités de gestionnaire d’une infrastructure publique et de fournisseur de services d’intérêt économique général42.

Si le droit européen justifie des entorses au libre jeu de la concurrence, au profit d’entreprises ayant une mission économique d’intérêt général, notamment en tolérant une compensation entre les activités rentables et les activités non rentables43, il considère que la concurrence demeure la règle et que son exclusion44 est l’exception45.

1.2 Une universalité consacrée

L’universalisation de la Constitution économique a été facilitée, en premier lieu par l’expansion du modèle de l’État de droit, d’abord à l’intérieur de l’Europe puis à l’extérieur de celle-ci. Les textes internationaux de l’après-guerre (la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les deux Pactes de l’onu de 1966) puis les divers textes régionaux ont constitué un facteur favorable à l’extension planétaire des principes fondateurs de la Constitution économique, extension que l’effondrement du Mur de Berlin et le triomphe du libéralisme ont accélérée et renforcée. Mais c’est surtout par le biais de la mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux que l’idée de Constitution économique va s’universaliser.

Il faut dire que le phénomène a été facilité par l’échec des expériences dirigistes et socialistes au Sud comme à l’Est et l’explosion du problème de la dette qui n’ont laissé d’autre alternative que l’intégration à la mondialisation économique, laquelle passe par la mise en place d’un droit toujours plus attractif. On doit à cet égard souligner le rôle décisif joué par la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale (fmi). La montée de ces organismes correspond à l’affirmation du « règne des créanciers, qui ont commencé à la faveur de la déréglementation à faire la loi » ; ce qui explique la « priorité donnée un peu partout aux politiques anti-inflationnistes » et l’éclipse des « grandes politiques de relance par les salaires, l’investissement ou le déficit des budgets publics »46. Il y a eu, en effet, dans les années 1980 et 1990, une remarquable convergence entre les critères mis en œuvre par la Banque mondiale et le fmi, d’une part, et ceux adoptés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde) ou les traités de Maastricht et d’Amsterdam, d’autre part, qui érigent en dogme, « indépendamment de toute conjoncture et abstraction faite des besoins réels de chaque pays, la priorité à la rigueur, aux équilibres et à la stabilité »47.

Dans les pays du Sud, la Banque mondiale et le fmi on initié à travers le principe de conditionnalité48, qui régit leurs aides aux États dont l’économie est déséquilibrée, des politiques dites d’« ajustement structurel » dont l’effet principal est de raccorder l’économie nationale à l’économie internationale en la soumettant aux contraintes et à la logique du marché mondial. Ces politiques d’ajustement structurel comportent toujours un volet « libéralisation du commerce » qui comprend invariablement deux aspects. Le premier est relatif à l’allègement, voire la suppression, des contraintes qui enserrent l’activité entrepreneuriale. Sont d’abord visés les dispositifs administratifs relatifs au commerce extérieur, notamment les autorisations préalables, les systèmes de licence, les contingentements, les rationnements, les nombreux visas administratifs, etc. En second lieu, sont souvent visés les dispositifs relatifs au commerce intérieur, en particulier la réglementation des prix, car elle constitue le cheval de bataille des opérateurs économiques privés49. Le deuxième aspect de la libéralisation du secteur commercial concerne le désengagement de l’État de la sphère des activités marchandes. Les politiques menées sous l’égide de la Banque mondiale ont partout débouché sur le transfert au secteur privé des entreprises non rentables et non stratégiques, d’une part, et sur la suppression des monopoles et subventions, d’autre part. L’ensemble est généralement couronné par une réglementation moderne de la concurrence50.

Si le régime économique de la plupart des pays du Sud s’est sensiblement rapproché, sous l’impulsion de la Banque mondiale et du fmi, de celui des pays du Nord, le régime économique des ex-États de l’Est a connu dans la même période une évolution identique renforcée par l’action de l’Union européenne. Celle-ci soumet, en effet, les pays qui entendent y adhérer ou s’y associer à l’exigence de l’adoption d’une réglementation de la concurrence sinon d’« une politique de concurrence ». Cette « conditionnalité » mise en œuvre à propos de l’élargissement de l’espace économique européen à l’Autriche, la Finlande et la Suède a été étendue aux six pays d’Europe centrale et orientale (Républiques tchèque et slovaque, Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) avec lesquels les instances communautaires ont d’abord passé des accords d’association incluant un dispositif complet relatif une réglementation de la concurrence51.

Mais les exigences de ces organismes, en particulier des institutions financières, ne s’arrêtent généralement pas à l’adoption d’un régime économique dominé par la liberté du commerce. Elles impliquent au bout une réforme de l’ensemble du système juridique. Aucun secteur du droit – ni la procédure, ni le droit foncier, ni le droit de la fonction publique, ni a fortiori la réglementation des investissements52 – n’a échappé à la boulimie réformiste des institutions financières53. On n’a pu relever ainsi que les codes des investissements se sont faits de plus en plus racoleurs. Les « lois nationales prennent, depuis 1990, une texture qui ne ressemble en rien aux lois de la première génération. Les États les affichent comme des instruments promotionnels d’une politique d’ouverture à l’investissement »54.

L’action des principales institutions financières est quelquefois relayée par les efforts accélérés d’uniformisation à l’échelle régionale ou sous-régionale. C’est ainsi que quatorze pays africains ont franchi un pas décisif en se liant, en 1993, par un Traité instituant une Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (ohada)55, qui s’est matérialisé depuis le 1er janvier 1998 par l’adoption d’actes uniformes56 du droit commercial, du droit des sociétés et du droit de l’arbitrage. Ce processus, dont les acteurs escomptent « une plus grande attractivité » pour les investisseurs, s’est traduit par une libéralisation, une contractualisation et une uniformisation des législations internes des pays membres dans la plupart des secteurs du droit qui intéressent le monde des affaires57.

La conséquence générale du phénomène résultant de cette course à l’attractivité juridique a été une sorte de dévalorisation de l’exercice par l’État de ses pouvoirs normatifs de contrôle et de régulation au profit des principes fondateurs de la Constitution économique néolibérale. Mais ce mouvement semble trouver ses limites dans les contradictions du processus de mondialisation.

2 Les limites de la constitutionnalisation économique néolibérale

Si l’on pouvait penser dans les années 1990 et même jusqu’au début des années 2000 que la mondialisation entraînait de manière irréversible « l’affaiblissement des principes de la souveraineté et de territorialité des États et le dépassement de systèmes de droits nationaux »58, de nombreuses évolutions en cours conduisent, aujourd’hui, à nuancer ce jugement. Ces évolutions, de nature diverse, se traduisent toutes par une résurgence des souverainetés étatiques.

La première se rapporte à la prise de conscience généralisée des excès du « tout libéral ». Il faut dire qu’entre-temps les attentats du 11 septembre 2001, la crise des subprimes, le jeu des délocalisations, les stratégies d’optimisation fiscale des firmes, la multiplication des catastrophes écologiques, les mouvements désordonnés et surmédiatisés du flux migratoire en provenance du Sud ont tous joué pour renforcer la demande sociale et politique en faveur du retour des États, comme instances politiques appelées à assurer la fonction de régulation que le marché et la société civile ne pouvaient manifestement pas remplir. C’est la pérennité de la structure classique de l’ordre international, toujours composée d’États souverains, qui veut qu’en l’absence de véritables instances supranationales, on en revienne toujours à la souveraineté, c’est-à-dire à la liberté de chaque État de réglementer comme il l’entend les relations économiques et sociales, ayant un lien avec son territoire, sous les seules réserves des limitations découlant du droit international59. Plus la pression en faveur de la régulation se renforce et plus l’État est amené à utiliser cette liberté tout en composant avec les contraintes du Marché. La crise sanitaire sans précédent qui frappe le monde depuis le début de l’année 2020 et ses retombées économiques renforce cette tendance qui favorise le regain de l’unilatéralisme (2.1.).

Le ralliement au consensus de Washington avait poussé les États, en particulier, depuis le milieu des années 1980 à

promouvoir un droit économique néolibéral fondé sur les orientations de droit public de l’omc et de plans de la Banque Mondiale et du fmi, fondé sur les orientations jurisprudentielles des arbitrages économiques privés […] mais aussi sur la diffusion à la planète de tout un ensemble de droits privés (et non publics) incluant en particulier le droit de propriété, le droit de contracter ou encore la liberté d’entreprendre.60

La redécouverte de la fonction régulatrice de la souveraineté va consister pour les États, non à remettre en cause les principes libéraux qui se sont propagés, à la faveur de cette évolution (notamment le droit de propriété, la liberté d’entreprendre ou de contracter), mais à amener le droit économique à s’ouvrir aux valeurs et aux intérêts publics qu’ils ont aussi pour mission de promouvoir et de protéger. Et cela va conduire à atténuer la force des principes qui forment la substance de la Constitution économique (2.2.).

2.1 Le regain de l’unilatéralisme

Ce regain a deux sources principales. La première réside dans la crise du multilatéralisme dans lequel certains États, en particulier les États puissants, ne semblent plus trouver leur compte. La seconde source est plus directement liée aux nouvelles responsabilités qui pèsent sur les États dans des domaines divers, comme la lutte contre la corruption ou le blanchiment de l’argent sale, la protection de l’environnement et des droits fondamentaux ou encore la lutte contre le terrorisme. En l’absence d’un droit mondial applicable dans ces domaines, chaque État tente d’une manière plus ou moins douce d’imposer le sien.

S’agissant du premier point, l’expérience de ces cinq dernières années a montré, en particulier dans le domaine du commerce international, que chaque fois que les États puissants considèrent que les contraintes qui découlent des règles multilatérales deviennent trop lourdes par rapport aux avantages qu’elles procurent ou lorsqu’ils pensent que leurs concurrents ne respectent pas suffisamment les règles instituées, ils ont tendance à revenir à l’unilatéralisme. Ces deux arguments ont notamment été invoqués par le Président des États-Unis Donald Trump, en 2018, lequel affirmait dans l’un de ses célèbres tweets que « les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner », allant ainsi ouvertement à l’encontre de l’un des objectifs essentiels du système commercial multilatéral, à savoir la prévention des guerres commerciales61.

Moins de deux ans après son accession à la présidence, les États-Unis ont commencé à user de sanctions unilatérales contre leurs principaux partenaires, la Chine en tête; mais aussi les alliés canadien et européens. Les taxes annoncées frappant certains produits chinois, notamment les machines à laver et les panneaux solaires, devaient être environ de 60 milliards de dollars, le déficit de la balance commerciale se creusant aux environs de 375 milliards pour l’année 2017. Quant aux produits européens ciblés, il s’agit pour l’essentiel de l’acier, l’aluminium et l’automobile qui se sont vus imposer de nouveaux tarifs.

Mais plus que l’imposition par la voie unilatérale de nouveaux tarifs douaniers, ce qui retient le plus l’attention, c’est le fondement juridique invoqué à l’appui de ces mesures. Bien que l’Organisation mondiale du commerce (omc) comporte, comme son prédécesseur, le gatt (General Agreement on Tariffs and Trade), « tout un arsenal de défense forgé dans le respect du principe de proportionnalité qui permet (à un Membre) de faire face à des pratiques commerciales jugées déloyales »62, les États-Unis se sont appuyés sur leur législation nationale « pré-omc », notamment l’article 301 du Trade Act de 1974, utilisé en « janvier 2018, pour la première fois depuis 16 ans pour imposer les tarifs sur les machines à laver et les panneaux solaires » et « l’article 232 du Trade Expansion Act de 1962, tiré pour l’occasion de son quasi-oubli »63 pour justifier les nouveaux tarifs sur l’acier, l’aluminium ou l’automobile.

Cette dernière disposition qui vise les « importations d’articles qui menaceraient la sécurité des États-Unis » permet à l’administration américaine de rejeter tout recours au Mécanisme de règlement des différends prévu par le droit de l’omc, au motif que « les questions de sécurité nationale sont des questions politiques qui ne sont pas susceptibles d’être examinées ni ne peuvent être réglées dans le cadre du règlement des différends à l’omc »64. Parallèlement, les États-Unis se sont employés à bloquer la nomination de nouveaux juges à l’Organe d’Appel du règlement des différends65.

Ce serait cependant une erreur que de vouloir expliquer l’ensemble des problèmes actuels du système commercial multilatéral par la seule politique commerciale de l’administration Trump. Les « tensions observées vont au-delà des lubies d’un Président imprévisible »66. D’une part, les textes sur lesquels celui-ci s’appuie font partie d’un arsenal particulièrement étoffé de règles qui remontent à plusieurs décennies67 et dont plusieurs enquêtes ont montré qu’ils constituent une pièce maîtresse de « la stratégie géoéconomique des États-Unis, pensée comme une autre façon de faire la guerre et de défendre leur leadership mondial »68. Ces textes, de portée extraterritoriale, ne visent pas seulement à sanctionner certains États spécialement ciblés, comme Cuba, l’Iran ou le Liban69 ; ils permettent également de mettre au pas les entreprises étrangères qui n’ont qu’un lien ténu avec les États-Unis70. Ces entreprises peuvent également être sanctionnées sur la base du Foreign Corrupt Practies Act de 1977, pour corruption (celle-ci étant définie de manière large) d’agents publics à l’étranger ou relever d’autres textes de portée extraterritoriale, prévoyant des sanctions très lourdes. Ainsi, de nombreuses entreprises européennes, dont bnp, Alstom et la Société Générale, ont déjà fait l’objet de sanctions financières très lourdes de la part des Autorités américaines dans le cadre de transactions où les entreprises, pour éviter un procès nuisible à leur image de marque et incertain pour elles, préfèrent accepter le deal proposé. On a pu parler à cet égard d’un véritable marché de « l’obéissance mondialisée »71 par lequel les États-Unis étendent l’empire de leur législation au point d’en faire une législation mondiale, parvenant « même à faire assumer par d’autres les dysfonctionnements du système économique américain »72. De ce point de vue, l’administration Trump serait dans la continuité même si la méthode qu’elle utilise peut paraître plus brutale. S’agissant plus particulièrement de la remise en cause directe ou indirecte de l’omc, la bonne compréhension de la position américaine ainsi que celle des autres acteurs passe par un rappel du contexte de la création de cette institution et des limites qui en obèrent la dynamique de fonctionnement.

Mais l’unilatéralisme a aussi d’autres ressorts. Ainsi, en matière de défense de l’environnement ou des atteintes aux droits fondamentaux, ou de lutte contre la corruption, toutes les législations nationales sont confrontées aux mêmes problèmes juridiques, lorsqu’il s’agit en particulier de contraindre les groupes transnationaux au respect des règles qu’elles édictent. Il s’agit chaque fois de dépasser les obstacles classiques que constituent, d’une part, la multiplicité des personnes morales, agrégats juridiques disparates de l’entité que représente la firme globale, et, d’autre part, le cloisonnement des ordres juridiques nationaux qui conduit à envisager chaque agrégat comme « partiellement soumis à une loi différente en fonction de ses propres rattachements »73.

Les réponses conçues pour dépasser ces obstacles illustrent, toutes, quoique selon des degrés divers, le regain de la méthode unilatéraliste. En droit français, on citera, d’abord, la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance qui impose aux sociétés mères et donneuses d’ordre l’adoption d’un Pan qui « comporte des mesures de vigilance propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits de l’homme et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement résultant des activités de la société et de celles qu’elle contrôle »74. Cette loi prend en compte « l’Entreprise avec l’ensemble de sa chaine de valeur », puisque l’obligation prévue inclut les activités des filiales que la société contrôle directement ou indirectement, ainsi que celle des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation75. On peut toutefois regretter que la loi ait défini son champ d’application par référence au critère du siège social et non à celui du lieu d’exercice de l’activité économique76. Quoi qu’il en soit, ce texte s’inscrit dans la tendance récente à saisir l’entité groupe par le biais de la société-mère qui se voit ainsi chargée, à travers des obligations précises de comportement, d’organiser, d’imposer et de contrôler « le respect des normes (de compliance) qui doivent prévaloir de manière globale »77.

Cette responsabilité pesant sur le centre de décision, à savoir la société-mère, inaugurée avec l’extension de l’obligation de reporting environnemental78 aux filiales et aux sociétés contrôlées, poursuivie avec l’instauration par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national de l’environnement (dite « Grenelle ii ») d’une responsabilité des sociétés-mères (ou même de « la grand-mère et l’arrière-grand-mère ») ou contrôlaires du fait de leurs filiales ou sous-filiales79, a connu une nouvelle étape avec la loi du 19 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin ii ». Il s’agit, là aussi, d’une loi de régulation à vocation extra-territoriale mais de nature pénale, qui prescrit des mesures de compliance pour lutter en interne contre la corruption, non seulement pour la société-mère ayant son siège social en France, mais aussi pour ses filiales qui peuvent être situées à l’étranger80.

D’autres pays prévoient des rattachements plus larges qui traduisent tous un recul de la méthode savignienne au profit du procédé des lois de police. Les États-Unis définissent ainsi le champ d’application de segments importants de leur législation économique par référence à l’utilisation du dollar, quel que soit le lieu de localisation de la transaction ou la nationalité des parties, ou par référence à la cotation sur un marché boursier américain81.L’extraterritorialité et l’implication des entreprises dans le processus de mise en œuvre des normes de compliance sont les procédés conçus par les autorités américaines pour faire face à la dissymétrie entre le caractère intégré du marché global et la territorialité du pouvoir régulateur de l’État, inhérente à la mondialisation. Comme tous les grands États redécouvrent l’unilatéralisme, les groupes transnationaux sont « de plus en plus exposés à la démultiplication des poursuites nées de l’application concurrente des législations nationales »82, avec une prime pour la législation de l’État le plus puissant, c’est-à-dire, celui qui, de par sa place dans le jeu de la mondialisation et par la force de ses organes régulateurs, a les moyens d’imposer l’effectivité de ses normes et de déstabiliser ses concurrents83.

Cette évolution est renforcée par la judiciarisation croissante des mises en cause des activités et des comportements des entreprises transnationales et les décisions juridictionnelles, de plus en plus nombreuses, qui appréhendent le groupe comme une entité économique unique84. Elle nous semble appelée à s’affermir encore davantage, pour au moins deux raisons. La première est que la multiplication dans les législations nationales et régionales de règles imposant aux entreprises de « concourir à des buts d’intérêt général » ou plus précisément des « buts d’intérêts mondiaux, la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, le trafic de drogues et d’êtres humains, le changement climatique85, l’inégalité entre les êtres humains »86 va de pair avec une inévitable processualisation des obligations instituées à la charge des entreprises. La seconde est que le besoin de transparence qui accompagne l’émergence d’un droit de la compliance, lequel passe par un renforcement de l’information sur les actes de toutes les personnes impliquées, conduit à une percée du voile de la personnalité morale87 qui ne peut que favoriser la mise en jeu de la responsabilité des entreprises transnationales.

La conséquence de toutes ces évolutions en est que la course vers la libéralisation et l’assouplissement sans fin des règles juridiques est désormais contrebalancée par la prise en compte de la nécessité de mieux réguler l’activité des opérateurs économiques, en particulier les plus puissants.

2.2 La substance de la Constitution économique relativisée

La montée en force des valeurs sociales (environnement, santé, éducation, culture) que la seule référence au jeu du marché conduisait à sacrifier se traduit par une limitation de la portée juridique des principes qui sont au cœur de l’idée de Constitution économique88. En effet, après une période de suprématie incontestée favorisée par la course au tout libéral, ces principes doivent désormais composer avec des normes qui leur imposent des limitations diverses au nom d’intérêts collectifs tout aussi importants.

L’évolution est amorcée dans l’ensemble des disciplines juridiques qui sont allées le plus loin dans la voie de la libéralisation. Le droit des investissements en fournit une parfaite illustration. Après avoir affirmé, à partir du début des années 1990, sur la base d’Accords d’investissements dissymétriques89, la prééminence des intérêts économiques, notamment ceux des investisseurs au détriment des intérêts collectifs protégés par les États, ce droit s’emploie désormais à concilier les deux catégories d’intérêts. À l’origine de ce tournant, il y a la prise de conscience par les États des risques de dépossession de leurs prérogatives consécutives à la trop grande liberté laissée aux arbitres qui tranchent les litiges d’investissement.

La contestation de l’arbitrage d’investissement nourrie par la médiatisation de certaines affaires où était en jeu l’exercice par l’État de son pouvoir normatif pour protéger la santé de ses citoyens (comme dans les affaires initiées par Philippe Moris contre certains pays ayant pris une législation antitabac) ou le choix souverain de sortir de la filière nucléaire (mise en cause de la politique allemande) s’est par la suite étendue dans certains pays aux traités bilatéraux d’investissement90. C’est ainsi que la dénonciation par la Bolivie en 200791, par l’Équateur en 201092 par le Venezuela en 2012 de la Convention cirdi (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements) s’est fort logiquement accompagnée de celle des traités de protection de l’investissement « de façon à s’affranchir des obligations de fond et de recours à l’arbitrage qu’ils contiennent »93.

Mais la « défiance » à l’égard de l’arbitrage d’investissement va au-delà de la vague de dénonciation des traités de protection de l’investissement que l’on a pu relever ces dernières années,94 car elle traduit et cristallise les contestations d’origine diverse qui ciblent le procédé qui consiste à confier le règlement de litiges mettant en jeu des politiques publiques à des arbitres privés95. L’originalité de cette défiance tient peut-être à ce qu’elle réunit pêle-mêle les altermondialistes, certaines organisations internationales et certains États du Sud mais aussi du Nord96. S’agissant de ces derniers, l’explication tient en partie à ce que les pays du Nord ne sont plus les seuls pourvoyeurs de capitaux. Les flux d’investissement se diversifient. Certains pays en transition investissent à travers leurs fonds souverains97 dans les pays du Nord. Devenus à leur tour des États d’accueil de l’investissement étranger, ces derniers sont désormais plus sensibles à la question de la protection du pouvoir normatif de l’État à côté de celle des droits des investisseurs98.

De plus, il existe dans ces pays des segments de l’opinion publique aisément mobilisables pour la protection de certaines valeurs : l’environnement, la santé, l’éducation, la culture, que le seul jeu du marché aboutit à sacrifier. Aussi, la nécessité de corriger la trajectoire d’un droit des investissements, devenu un droit autosuffisant, composé de normes autonomes et poursuivant une finalité exclusivement économique, échappant à l’emprise des États, est-elle aujourd’hui largement partagée.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le mouvement de remise en cause de l’arbitrage d’investissement, perceptible dans la pratique de certains États du Nord, comme l’Australie99 ou de certains pays en transition comme le Brésil100 ou la volonté exprimée par certains États d’exercer un contrôle sur la portée du consentement donné à l’arbitrage d’investissement en limitant ainsi les dérives de la jurisprudence aapl c. Sri Lanka101.

Au-delà, on note une évolution plus générale vers une réaffirmation du rôle de l’État à travers la conclusion de nouveaux accords relatifs à l’investissement ou l’adoption de nouveaux instruments dans lesquels les États réaffirment leurs pouvoirs tant à l’égard des investisseurs que des juridictions arbitrales102. Dans certains instruments, la réaffirmation de l’État se manifeste à travers l’intégration dans la définition de l’investissement protégé de « la contribution au développement de l’État d’accueil » ou de l’exclusion de l’investissement de portefeuille103, ce qui est une manière de rappeler la finalité poursuivie par l’État à travers la protection de l’investissement. Beaucoup de traités comportent également un rappel sous des formulations différentes de la règle quelquefois négligée selon laquelle la protection conférée par le droit international des investissements ne profite qu’à l’investissement réalisé en conformité avec le droit local. Il est vrai que ce rappel peut paraître quelque peu redondant dans la mesure où comme l’indiquent plusieurs sentences arbitrales, cette règle s’applique même si elle ne figure pas dans le texte de la Convention qui lie l’État d’accueil104.

Plus fondamentalement, la réaffirmation du rôle de l’État se manifeste à la fois à travers l’introduction dans les traités des références aux valeurs extra-économiques qui justifient une intervention protectrice de l’État et dans la réinterprétation des standards de protection afin d’en limiter la portée. Dans plusieurs accords dits de « Nouvelle génération », une place est désormais faite au développement durable et à la protection de l’environnement, de la santé, de la sécurité, quelquefois aux droits des travailleurs et, de façon générale, à la préservation du pouvoir normatif de l’État. Certains de ces traités interdisent expressément « l’assouplissement des normes de santé, de sécurité et/ou d’environnement afin d’attirer les investisseurs », tantôt dans le préambule, tantôt dans le corps du traité105.

Le mouvement semble avoir été lancé par les États-Unis et le Canada, avec l’adoption par chacun de ces deux pays, en 2004, d’un nouveau modèle de traité bilatéral sur l’investissement106, ouvert aux considérations extra-économiques107. La Norvège leur a emboîté le pas, en 2007108. Plusieurs autres pays, y compris du Sud, ont rejoint le mouvement109.

Parallèlement à ce mouvement, on assiste depuis plusieurs années à un infléchissement de la jurisprudence arbitrale dans un sens favorable à la prise en compte des intérêts dont l’État a la charge. Plusieurs sentences arbitrales – qui ont d’ailleurs des précédents, la jurisprudence n’ayant jamais été homogène – traduisent incontestablement un tel infléchissement même si chaque espèce étant dépendante du contenu du traité et de façon générale du droit applicable, il est difficile de parler d’un changement net de la trajectoire de la jurisprudence arbitrale en la matière. On relèvera, d’abord, que certaines sentences considèrent que le standard du traitement juste et équitable ne comporte pas de valeur ajoutée par rapport au standard minimum du droit international coutumier110. Ensuite, en matière d’expropriation indirecte, plusieurs sentences arbitrales se sont démarquées de la doctrine du « seul effet » pour faire place au but légitime de la mesure étatique en cause. Ainsi, dans la sentence partielle rendue, le 17 mars 2006, dans l’affaire Saluka Investments bv c. République tchèque, le Tribunal arbitral a énoncé qu’un État qui, dans l’exercice normal de son pouvoir légitime, adopte d’une manière non discriminatoire une réglementation légitime, n’est pas tenu, en droit international, d’indemniser l’investisseur111. Enfin, il faut souligner que certaines sentences arbitrales font écho à l’idée d’un ordre public transnational, réceptacle de principes supérieurs qui s’imposent à tous et notamment aux investisseurs112.

La conjonction de l’ensemble de ces éléments amène à considérer que le nécessaire rééquilibrage entre le souci de protection des investisseurs qui a conduit à l’internationalisation poussée de la relation État-investisseur et la nécessité de préserver le droit des États d’utiliser les pouvoirs de réglementation pour réaliser les politiques publiques qu’ils jugent légitimes est bien amorcé et cela implique que les principes qui sont au cœur de la Constitution économique deviennent de plus en plus relatifs.

D’autres facteurs juridiques et politiques jouent également en faveur d’une reprise en main du processus de mondialisation par les États dans le sens de son humanisation. En premier lieu, il faut rappeler la diffusion, depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, tant dans le droit international conventionnel113 que dans les droits internes du concept de développement durable. Souvent défini, depuis le rapport Brundtland, comme « le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »114, on considère qu’il correspond à un nouveau paradigme qui entend concilier développement économique, protection des ressources environnementales et satisfaction des besoins sociaux fondamentaux115.

S’il est incontestable que ce concept de par sa nature de norme à « texture ouverte » peut, dans les mains du juge, servir de fondement « à une interprétation évolutive des traités, résoudre un conflit de normes ou d’intérêts, ou encore aller jusqu’à réviser certaines dispositions conventionnelles »116, sa portée juridique va bien au-delà de son « incidence herméneutique ». Le développement durable est aussi conçu en droit comme un « objectif à atteindre » qui implique à la charge des États des obligations en vue de sa réalisation. Sans doute, ne s’agit-il et ne peut-il s’agir que d’obligations de moyens et non de résultats117. Mais elles n’en constituent pas moins des obligations fermes, « obligation de poursuivre le développement durable, obligation de s’efforcer d’y parvenir »118 en mettant en œuvre les principes qui le sous-tendent et en permettent la réalisation, notamment le principe d’intégration qui permet d’articuler développement économique, développement social et protection de l’environnement. Lorsque le concept est constitutionnalisé dans un État où le contrôle de constitutionnalité fonctionne de manière effective, il n’est pas exclu qu’à un certain stade de maturation, il commence à prendre des effets contraignants pour les gouvernants en matière de politique économique119.

En second lieu, il faut mentionner l’importance croissante des droits de l’Homme dans la jurisprudence des cours constitutionnelles de plusieurs pays, lesquelles n’hésitent pas à censurer au nom du respect des droits économiques et sociaux les politiques d’austérité de leurs gouvernements120, contraignant ces derniers à intégrer ces droits dans les politiques publiques qu’ils conduisent et ce d’autant plus que les pressions en ce sens viennent de nombreuses directions et notamment des comités onusiens des droits de l’Homme. C’est ainsi que le Comité pour les droits économiques et sociaux a mis en garde contre les risques de réduction de « la capacité de l’État de protéger et de réaliser certains droits consacrés par le Pacte (pour les droits économiques et sociaux) »121 du fait du recours à l’arbitrage d’investissement prévu dans les Traités Bilatéraux d’Investissement et qu’il a souvent exhorté les États à veiller à ce que les accords commerciaux ou d’investissement qu’ils concluent soient compatibles avec leur obligation de réaliser les droits économiques et sociaux, notamment le droit à l’eau ou le droit à la sécurité sociale et qu’ils prennent en considération les droits de recours des travailleurs. Au total, à côté des pressions, sans doute plus fortes venant des organisations économiques généralement acquises au libéralisme, il y a celles venant d’autres institutions et d’autres groupements, et quelquefois des citoyens eux-mêmes qui poussent les États à reprendre la main, en essayant de soumettre le droit économique mondialisé au respect des intérêts collectifs dont ils sont en charge. Ce second mouvement qui semble devoir être durable se traduit déjà par un frein à la course vers le « tout libéral » qui a accompagné la mise en concurrence des droits nationaux et par une limitation de la majesté des principes fondateurs de la Constitution économique.

Conclusion

L’intensification de la concurrence entre les droits nationaux a conduit à une autonomie plus affirmée de l’idée de constitution économique. Toutefois, l’évolution en cours remet en cause la vision d’une constitution économique sous-tendue par des règles auto-suffisantes.

Des facteurs multiples poussent à raccorder l’économie et son droit à des intérêts collectifs dont le seul jeu du marché ne permettait pas la prise en compte. Désormais rattrapée par la constitution sociale, la constitution économique va devoir s’adapter au défi des questions transversales.

1

D. Rousseau, « Une résurrection, la notion de Constitution », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1990, n°1, p. 5–22.

2

N.d.E. : voy. supra dans ce volume, G. Grégoire & X. Miny, « Introduction – La Constitution économique : Approche contextuelle et perspectives interdisciplinaires ».

3

P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde – Essai sur la société néo-libérale, Paris, La Découverte, 2010, p. 197.

4

Dont l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en fait « un droit inviolable et sacré ».

5

Cons. Const., 16 janvier 1982, Nationalisations, n°81–132 dc ; voy. P. Gaïa et al., Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel (Ouvrage créé par L. Favoreu et L. Philip), 19e éd., Dalloz, 2018, n°32. N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume, F. Colly, « La Constitution économique de la France et la jurisprudence économique du Conseil constitutionnel ».

6

Consacrée par la Décision du 19 décembre 2000, n°2000–437 dc ; voy. F. Moderne, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement une liberté constitutionnelle ? », Revue française de droit administratif, 2006, vol. 22, p.2.

7

Et qui s’est traduite par une constitutionnalisation des différentes branches du droit, voy. par exemple, L. Favoreu, « Le droit constitutionnel, Droit de la Constitution et Constitution du droit », Revue française de droit constitutionnel, 1990, n°1, pp. 71–89.

8

Y. Dezalay, « Des justices du marché au marché international de la Justice », Justices, 1995, n°1, pp. 121–134. N.d.E. : voy. aussi infra dans ce volume, T. Biscahie & S. Gill, « Three Dialectics of Global Governance and the Future of New Constitutionalism ».

9

M. M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux – Réflexions sur l’ambivalence des rapports du droit et de la mondialisation », Revue Internationale de Droit Économique, 2001, vol. xv, n°3, pp. 251–302.

10

G. Farjat, Droit économique, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1982, pp. 36–37, qui conteste le bien-fondé de cette assertion ; sur l’ensemble de la question, voy. M. M. Mohamed Salah, « Constitution et droit économique », in Constitution et droit interne, Tunis, Académie internationale de droit constitutionnel, Recueil des cours, vol. 9, 2001, pp. 131–205.

11

G. Vedel et P. Delvolvé, « La Constitution, base du système juridique », Revue internationale de droit comparé, n° spécial (Journées de la société de législation comparée 1979), 1979, pp. 111–134.

12

P. Devolvé, Droit public de l’économie, Précis Dalloz, spéc. n°51 ; L. Favoreu, « Le droit constitutionnel jurisprudentiel en 1981–1982 », Revue de droit public, 1983, pp. 333–400, spéc p. 367 : « On ne peut étudier le droit économique sans traiter de sa dimension constitutionnelle ».

13

Sur la valeur juridique du préambule, voy. Cons. Const., 16 juillet 1971, Liberté d’association, n°71–44 dc, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, n°19 ; Actualité Juridique. Droit Administratif, 1971, p. 537, note Rivero.

14

H. Charles, « Peut-on parler d’une conception républicaine du droit économique français ? », in Philosophie du droit et droit économique : quel dialogue ? Mélanges G. Farjat, Paris, Frison-Roche, 1999, pp. 111–120.

15

Voy. S. Rials, « Les incertitudes de la notion de constitution sous la Ve République », Revue du Droit Public, 1984, pp. 573–606, spéc. p. 600.

16

D. Turpin, « Le traitement des antinomies des droits de l’homme par le Conseil constitutionnel », Droits, 1985, n°2, p. 85–97. N.d .E. : voy. aussi supra dans ce volume, F. Colly, « La Constitution économique de la France et la jurisprudence économique du Conseil constitutionnel ».

17

Voy. F. Rigaux, « Les droits économiques et sociaux », in G. Farjat et B. Remiche (dir.), Liberté et droit économique, Bruxelles, De Boeck, 1992, pp. 151–162.

18

Voy. par ex. l’article 102 A du Traité de Rome : « Les Etats membres agissent dans le cadre d’une économie de marché ouverte et où la concurrence est libre ». N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume les diverses contributions de la Part II - The European Economic Constitution. From Micro to Macro.

19

E.U. Petersmann, « Theories of Justice, Human Rights and the Constitution of International Markets », Loyola of Los Angeles Law Review, 2003, vol. 37, pp. 407–459. Cette Constitution mondiale serait fondée sur des droits économiques, au premier rang desquels se situe « le droit d’importer et d’exporter ».

20

Pour J. P. Chazal, il s’agirait même d’une interprétation « imposée par le Conseil Constitutionnel au législateur et donc à la Nation » (voy. J. P. Chazal, « Propriété et entreprise : Le Conseil Constitutionnel, le droit et la démocratie », Recueil Dalloz, 2014, n°19, pp. 1101–1606).

21

R. Savy, « La constitution des juges », Recueil Dalloz, 1983, n°17, pp. 105–110 ; J-L. Mestre, « Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété », op. cit.

22

La globalisation s’affirme dans ce domaine à travers l’interdépendance entre les marchés financiers nationaux qui fait que « tout écart de réglementation entre deux places internationales engendre immédiatement des mouvements de capitaux à la recherche de la meilleure rémunération combinée au risque minimum. Un État qui arrêterait isolément des règles contraignantes se trouverait rapidement privé du flux nourricier » (F. Rachline, « La France et le Marché », Le Monde, 11 septembre 1997). Il en résulte un alignement des normes nationales sur les normes d’origine anglo-saxonne considérées comme des valeurs internationales (A. Couret, « La dimension internationale de la production du droit », in G. J. Martin et J. Clam (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, lgdj, 1998, p. 197 ; A. Vandenbulke, « La Legal Origins Theory : droit, économie, idéologie », Revue Internationale de Droit Économique, 2017, vol. xxxi, n°1, pp. 79‑130).

23

Pour une illustration de l’ampleur de ce phénomène, voy. notre étude précitée : M. M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux – Réflexions sur l’ambivalence des rapports du droit et de la mondialisation », op. cit.

24

A. Pirovano, « Justice étatique support de l’activité économique, Un exemple : la régulation de l’ordre concurrentiel », Justices, 1995, n°1, pp. 15–33.

25

Voy. par exemple l’article 53 de l’ordonnance française du 1er décembre 1986 (désormais intégrée au Code de commerce) assez représentative des réglementations en vigueur dans la plupart des États développés, qui dispose : « La présente ordonnance s’applique à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ».

26

Voy. par exemple, S. Garroy, « Évolution des rapports entre association sans but lucratif et marché en droit belge : chemin de la liberté ou marche funèbre ? », Journal des Tribunaux, 2021, pp. 466–471.

27

Le Traité cee (aujourd’hui intégré dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tfue) et le droit dérivé ont fait de l’entreprise la seule destinataire des règles relatives à la libre circulation des personnes et à l’exercice des recours judiciaires. Selon la Commission des Communautés européennes (voy. par ex. décis. Com. cie, n°94/601, 13 juillet 1994, Carton : J, n° L 243, 19 septembre 1994, p. 1), « l’objet des règles de concurrence communautaire est l’ “entreprise”, notion qui n’équivaut pas à celle de société dotée d’une personnalité juridique distincte. Le terme entreprise n’est pas défini dans le Traité. Il peut toutefois désigner toute entité exerçant une activité commerciale. Dans le cadre des grands groupes de sociétés, chacune des entités suivantes peut, selon le cas, être considérée comme une entreprise : la société mère ou holding du groupe, le groupe entier, c’est-à-dire la société mère et ses filiales indirectes, les holdings intermédiaires. Les sous-groupes ou divisions considérées individuellement ». N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume F. Marty, « Évolution des politiques de concurrence en droit de l’UE : de la Wettbewerbsordnung ordolibérale à la More Economic Approach néolibérale ? », et C. Mongouachon, « Les difficultés d’une interprétation ordolibérale de la constitution micro-économique de l’Union européenne ».

28

Voy. O. Azziman, La commercialisation des professions libérales au Maroc, thèse pour le doctorat d’État, Nice, 1983 ; R. Le Moal, Contribution à l’étude d’un droit de concurrence, Paris, Economica, 1979, p. 267.

29

La pénétration de la logique du marché au sein des professions libérales ne se fait pas toujours sans résistance. Ainsi, à propos de la profession d’avocats, on a souligné que si la tendance est à la constitution d’« unités assez grosses pour soutenir la concurrence des firmes anglo-saxonnes installées jusqu’à Paris », il subsiste encore des facteurs de résistance à la généralisation de la logique concurrentielle – qui ne s’explique pas seulement par les survivances du passé. Voy. R. Martin, « Un exemple de résistance au marché : les avocats en France », Revue Internationale de Droit Économique, 1998, vol. XII, n°1, pp. 91–98.

30

Voy. par exemple, pour une application du droit des ententes au problème de la fixation des honoraires des médecins, Paris, 15 avril 1992, D, 1993, Som. Observation Penneau et pour une appréciation du comportement de l’établissement de cure thermale dans ses rapports avec ses malades et notamment les conditions qu’il leur oppose. Voy. Cass. Com., 14 mai 1990 ; Gaz. Pal., 15 septembre 1990, note Doucet ou, pour la soumission des pharmaciens au droit de la concurrence, Paris, 20 septembre 1990, bocc, 26 septembre 1990.

31

Voy. déjà : J. Azema, Droit de la concurrence, Paris, Presses Universitaires de France, 1986.

32

M. Jeantin, « L’entreprise non capitaliste en économie de marché », Revue Procès, 1981, n°7, p.30.

33

C. Concurr., Décis., 20 juillet 1990, n°90, D 21, bocgrf ; Paris, 6 mars 1991, Gaz. Pal., 1991, 2, p. 402.

34

B. Edelman, « A bas le droit du travail, vive la concurrence ! (à propos de l’arrêt de la Cour de Paris du 6 mars 1991) », Recueil Dalloz, 1992, n° 1, pp. 1–9.

35

D’une part, la mise à l’écart du droit de la concurrence ne joue pas au profit des organismes (sociétés mutuelles ou sociétés d’assurances) assurant les dépenses de santé non couvertes par l’assurance maladie (voy. par ex. Cass. Com., 12 décembre 1990, Gaz. Pal., 1990, 2, p. 400). D’autre part, l’application du droit de la concurrence peut toucher de façon résiduelle les organismes de sécurité sociale (voy., pour l’application des règles de la concurrence déloyale, Cass. Soc., 13 janvier 1994, p. 298, note Kessous).

36

Cass. Com., 12 juillet 1993, Pelec/Organic n°134 1, D ; cjce, 17 février 1993, Affaires jointes C-159/91 et C-160/91 (ecli:eu:c:1993:63), Rec., 1, p. 637.

37

Voy. A. Winckler, « Public et privé : l’absence de préjugés », Archives de Philosophie du Droit, 1997, vol. 41, pp. 301–316, pour qui cette position reflète le refus des rédacteurs du Traité de Rome de prendre parti « dans le débat opposant à la fin des années 1950 les disciples de l’économie de marché à ceux de l’économie planifiée, laissant à chaque État la liberté d’étoffer s’il le désire son secteur public, en instituant des entreprises publiques et en nationalisant les entreprises privées ». N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume, C. Mongouachon, « Les difficultés d’une interprétation ordolibérale de la constitution micro-économique de l’Union européenne ».

38

L’article 5 du Traité prescrit aux États de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du Traité, parmi lesquels la réalisation d’un régime de libre concurrence visée aux articles 85, 86 et 90, aujourd’hui, respectivement, articles 101, 102 et 106 du tfue. Les dérogations prévues par l’article 90 (article 106 du tfue) au profit des entreprises publiques sont limitées à ce qu’exigent les nécessités du service public.

39

Puisqu’il refusait l’existence d’une rationalité économique construite à partir d’une logique publique : voy. M. M. Mohamed Salah, Rationalité juridique et rationalité économique dans le droit de la concurrence, thèse, Nice, 1985, pp. 450 et s.

40

J. Chapez, Y. Laide et G. Simon, « Mondialisation et services publics », in E. Loquinet C. Kessedjian (dir.), La mondialisation du droit, Paris, Litec, 2000, pp. 503–549.

41

L’influence du droit européen se traduit d’abord par le cantonnement des monopoles publics « aux seules missions d’intérêt général et l’exclusion des activités économiques non nécessaires à leur équilibre financier et par la prohibition des monopoles inefficaces » (voy. A. Winckler, « Public et privé : l’absence de préjugés », op. cit.).

42

R. Kovar, « Droit communautaire et Service public : Esprits d’orthodoxie ou pensée laïcisée », Revue trimestrielle de droit européen, 1996, vol. 32, nos2–3, pp. 215–242 (première partie) et pp. 493–533 (seconde partie).

43

J. Chapez, Y. Laide et G. Simon, « Mondialisation et services publics », op. cit.

44

Voy.par exemple les arrêts Paul Corbeau (cjce, 19 mai 1993, C-320/91 (ecli:eu:c:1993: 198) ; Actualité Juridique. Droit Administratif, 1993, p. 865, note F. Hamon) et Commune d’Almelo (cjce, 27 avril 1994, C-393/92 (ecli:eu:c:1994:171) Rec., p. 1, 1477).

45

Exception qui doit être économiquement justifiée, voy. R. Kovar, « Droit Communautaire et Service public : Esprits d’orthodoxie ou pensée laïcisée », op. cit., qui souligne que dans le droit communautaire le marché est la référence essentielle. Ce qui conduit à une application stricte de l’article 90, §2, du Traité de Rome relatif aux entreprises d’intérêt général économique et qu’en définitive, chaque fois qu’il apparaît que le marché est apte à réaliser le service public ou le service universel, la nécessité d’un régime dérogatoire disparaît.

46

R. Passet, L’illusion néo-libérale, Paris, Fayard, 2000, pp. 144 et s., qui observe en effet que « le capital ne redoute rien tant que l’inflation qui érode les taux d’intérêt réel obtenus après que l’on a déduit la hausse des prix des taux d’intérêt nominaux du marché ».

47

Ibid.

48

Voy. par ex. J.-M. Sorel, « Sur quelques aspects juridiques de la conditionnalité du FMI et leur conséquence », European Journal of International Law, 1996, vol. 7, n°1, pp. 42–66.

49

Voy. J. Chevallier, « Les enjeux de la déréglementation », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1987, vol. 103, n°2, pp. 281–319.

50

Voy. les exemples cités, in M. M. Mohamed Salah, « La problématique du droit économique dans les pays du Sud » (première partie), Revue Internationale de Droit Économique, 1998, vol. 12, n°1, pp. 19–34.

51

L. Idot, « La concurrence, condition d’adhésion à l’Union européenne : l’exemple des pays d’Europe centrale et orientale », in Le droit de l’entreprise dans ses relations externes à la fin du XXe siècle : mélanges en l’honneur de Claude Champaud, Paris, Dalloz,1998, pp. 361–381.

52

On a par exemple observé en matière de contrats de transfert de technologie que, « si de la fin des années 1960 au milieu des années 1980 les pouvoirs publics sont intervenus dans la plupart des pays en développement pour contrôler les contrats de transfert de technologie », on assiste depuis une dizaine d’années à un retour à la liberté des conventions (voy. B. Remiche, « Le rôle régulateur des contrats internationaux du transfert de technologie : du contrat contrôle au contrat libéré », in G. J. Martin et J. Clam (dir.), Les transformations de la régulation juridique, op. cit., pp. 313–320, spéc. p. 314).

53

Les pays sous ajustement structurel s’engagent dans des projets de réforme juridique et judiciaire qui affectent autant le droit substantiel que le droit processuel. Voy. par exemple pour le cas de la Mauritanie, la réforme amorcée sous l’égide de la Banque mondiale qui s’est traduite par une réforme en profondeur du Code de commerce (loi n°05-2000 du 30 janvier 2000, publiée au Journal officiel du 15 mars 2000), l’introduction de l’arbitrage (loi n°99-039 du 24 juillet 1999, publiée au Journal officiel du 30 septembre 1999), une réforme de la procédure (loi n°99-035 du 24 juillet 1999, publiée au Journal officiel du 30 septembre 1999), une réforme du statut des auxiliaires de justice, etc. L’exemple est d’autant plus intéressant que le pays s’est engagé au début des années 1980 dans une série de réformes placées sous la bannière du renouement avec la Charia islamique. Voy. M. M. Mohamed Salah, « Quelques aspects de la réception du droit français en Mauritanie », Revue mauritanienne de droit et d’économie, 1989, n°1, p. 4.

54

A. Bencheneb, « Sur l’évolution de la notion d’investissement », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Paris, Litec, 2000, pp. 177–203, spéc. p. 187.

55

Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis. Voy. le numéro spécial « ohada » de Penant, Revue trimestrielle de droit africain, mai-août 1998.

56

Conformément à l’article 5 du Traité de l’ohada.

57

G. K. Douajni, « Les conditions de la création dans l’espace OHADA d’un environnement juridique favorable au développement », Revue juridique et politique, indépendance et coopération, vol 52, n°1, 1998, pp. 39-47.

58

M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif de l’universel, Paris, Seuil, 2004, p. 39.

59

Comme l’observe J.P. Cot : « Le système juridique international repose toujours sur le triangle intangible composé de l’État, de la souveraineté et du droit international. On l’a souligné, il y a oscillation sans doute, mais à la manière d’un gyroscope : on en revient nécessairement à l’équilibre » (J.P. Cot, « Préface », in Société Française pour le Droit International (dir.), L’Etat dans la mondialisation : Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013 pp. 5–9, spéc. p. 9).

60

E. Tourme Jouannet, « Droit du développement et droit de reconnaissance, les piliers juridiques d’une société mondiale plus juste ? » in Société Française pour le Droit International (dir.), Droit international et développement : Colloque de Lyon, Paris, Pedone, 2015, pp. 30–63, spéc. pp. 36–37.

61

N.d.E. : on pourrait ainsi considérer qu’il renoue, de la sorte, avec une approche plus mercantiliste du commerce international, contre laquelle s’était élevée la physiocratie au xviiie siècle (bientôt suivie par l’économie politique classique) ; voy. supra dans ce volume, P. Steiner, « Les Physiocrates, l’économie politique, l’Europe ».

62

B. Okiemy, L’OMC, une ingénierie juridique et commerciale à reconfigurer, Paris, L’Harmattan, 2019, spéc. p. 119, qui cite en illustration de cet arsenal de défense à la disposition des États membres, les dispositions de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article vi du gatt 1994 (Réglementation antidumping) l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, l’Accord sur les sauvegardes, le Mémorandum d’accord relatif à la balance des paiements et le Mémorandum d’accord sur l’interprétation de l’article xxviii du gatt 1994 permettant aux membres de l’omc de prendre les mesures de défense contre les atteintes aux règles du commerce international.

63

J-M. Siroën, « Les guerres commerciales de Trump : haro sur le multilatéralisme », Politique étrangère, 2018, n°4, pp. 87–101, spéc. pp. 98–99.

64

Communication américaine à l’omc, 6 Juillet 2018, wt/ds548/13, citée par J.-M. Siroën, « Les guerres commerciales de Trump : haro sur le multilatéralisme », op. cit., p. 99, note 14.

65

Cet organe est normalement composé de sept juges. Ils ne sont plus que trois depuis septembre 2018, nombre minimal pour chaque délibération. Néanmoins, le blocage de tout renouvellement continue, il ne restera qu’un seul juge en décembre 2019.

66

S. Jean, « Désaccords commerciaux internationaux : au-delà de Trump », Politique étrangère, 2019, n°1, pp. 57–69, spéc. p. 58.

67

Comme le rappelle Jean-Marc Siroën, déjà en 1987 le Président Reagan avait imposé « un droit de douane de 100% sur les importations japonaises de certains produits électroniques. L’article 301 est encore renforcé par la loi de 1988. Celle-ci introduit un Super 301 qui, sans épargner les Européens, cible principalement le Japon. Les raisons alors évoquées sont aujourd’hui reprises à l’encontre de la Chine : déloyauté, pillage des technologies, déficit excessif avec les États-Unis » (par J.-M. Siroën, « Les guerres commerciales de Trump : haro sur le multilatéralisme », op. cit., p. 93).

68

A. Laïdi, Le Droit, nouvelle arme de guerre économique. Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Arles, Actes du Sud, 2019, pp. 22–23, qui renvoient à R. D. Blackwill et J. M. Harris, pour qui la géo-économie est définie comme « l’utilisation des instruments économiques pour promouvoir et défendre les intérêts nationaux et produire un résultat géopolitique bénéfique ».

69

Respectivement par les lois Hels-Burton et d’Amato-Kennedy, voy. M. Cosnard, « Les lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy, interdiction de commerce avec et d’investir dans certains pays », Annuaire Français de Droit International, 1996, vol. 42, pp. 33–61.

70

Notamment via la conclusion de transactions avec un de ces pays libellées en dollars.

71

Voy. A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice. Le marché américain de l’obéissance mondialisée, Paris, Presses Universitaires de France, 2013.

72

A. Laïdi, Le Droit, nouvelle arme de guerre économique, op. cit., spéc. p. 23 qui écrit : « Les banques étrangères se sont acquittées d’une partie de l’ardoise de la plus grande crise financière de l’histoire après celle de 1929, la crise des subprimes de 2007 ».

73

E. Pataut, « Les rattachements de l’entreprise multinationale : le point de vue du droit international privé », in Société Française pour le Droit International (dir.), L’entreprise multinationale et le droit international : Colloque Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Paris, Pedone, 2017, pp. 73–97, spéc. pp. 73–74.

74

Voy. l’art. L. 225-102-4 du Code de commerce.

75

S. Schiller, « Synthèse introductive », in S. Schiller (dir.), Le devoir de vigilance, Paris, LexisNexis, pp. 1–10.

76

Ce qui a pour conséquence de laisser hors de son champ les entreprises étrangères exerçant des activités en France mais ayant leur siège social à l’étranger et de pénaliser ainsi les entreprises françaises.

77

X. Boucobza et Y-M. Sirinet, « La régulation des groupes internationaux de sociétés : universalité de la compliance versus contrôles nationaux », Journal du Droit International, 2019, n°1, pp. 3–25, spéc. n°2.

78

Il s’agit de l’obligation légale pour les organes d’administration d’intégrer à leur rapport annuel « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activités », introduite en France, en 2001, par la loi relative aux Nouvelles Régulations Économiques (nre) et étendue par la loi « Grenelle ii ». Cette obligation existait dans plusieurs pays européens. Elle n’est toutefois généralement assortie que de « sanctions douces ».

79

Même si les conditions de la mise en œuvre de cette responsabilité limitent singulièrement la portée de la réforme. Voy. G-J. Martin, « Commentaire des articles 225, 226 et 227 de la loi n°201–788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite Grenelle ii) », Revue des Sociétés, 2011, vol. 129, n°2, pp. 75–86, spéc. p. 84.

80

De même, les dispositions de la loi concernant la lutte contre l’évasion fiscale s’appliquent à toutes les sociétés et groupements ayant leur siège social en France et aux sociétés étrangères dont l’une au moins de leurs établissements est situé en France. Voy. A. Lecourt, « La loi n°2016–1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi “Sapin II” », Revue Trimestrielle de Droit Commercial et de droit économique, 2017, pp. 101–120, spéc.pp. 108–111.

81

A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, op. cit., pp. 13 et s.

82

X. Boucobza et Y-M. Serinet, « La régulation des groupes internationaux de sociétés » op. cit., p.22.

83

A. Laïdi, Le Droit, nouvelle arme de guerre économique, op. cit., pp. 22 et s.

84

Voy. M. M. Mohamed Salah, « Le droit à l’épreuve des nouvelles régulations de l’économie globale », Journal de droit international, 2019, n°4, pp. 1058–1131, spéc. pp. 1102–1110.

85

Voy. C. Cournil et L. Varison, (dir.), Les procès climatiques : entre le national et l’international, Paris, Pedone, 2018, préface M. Delmas-Marty ; Voy. également la décision rendue le 26 mai 2021 par la justice néerlandaise (le juge de première instance du Tribunal néerlandais de La Haye) qui condamne la société Royal Dutch Shell à réduire les émissions de gaz à effet de serre (ges) de 45% d’ici 2030 (Rechtbank Den Haag, 26 mai 2021, C/09/571932 / ha za 19-379 (ecli:nl:rbdha:2021:5339)). La décision fondée sur l’atteinte aux droits humains qu’implique les émissions de gaz à effet de serre est révolutionnaire en ce qu’elle rend l’entreprise transnationale responsable en matière d’obligations climatiques au même titre que les États.

86

M.-A. Frison-Roche, « Compliance et personnalité », Recueil Dalloz, 2019, n°11, pp. 604–606.

87

Ibid.: « L’abstraction inhérente à personnalité morale doit reculer pour que le droit de la compliance existe. La compliance exige des entreprises non seulement qu’elles connaissent les véritables clients mais qu’elles les connaissent bien ».

88

N.d.E. : voy. infra dans ce volume, S. Adalid, « De la constitution économique à la constitution écologique : l’avènement de la méta-politique ».

89

Aussi bien au plan procédural (puisque l’investisseur peut, sur la base d’un accord d’investissement conclu entre son État d’origine et l’État d’accueil d’investissement, attraire ce dernier devant un tribunal arbitral, et ce même de tout contrat entre lui et l’État défendeur, alors que l’inverse n’est pas possible : un État ne peut pas attraire l’investisseur devant un tribunal arbitral) que sur le plan du fond (érection des standards de protection consacrés par les modèles de traités Bilatéraux d’Investissement des grands États en règles mondialisées protectrices des investisseurs). Voy. M. M.Mohamed Salah,« Les paradoxes de l’internationalisation de la relation investisseur-États d’accueil », in Droit sans frontières, Mélanges en l’honneur d’Eric Loquin, Paris, LexisNexis, 2018, p. 579.

90

Voy. J. Cazala, « La défiance étatique à l’égard de l’arbitrage investisseur-État exprimée dans quelques projets et instruments conventionnels récents », Journal du Droit international, 2017, n°1, pp. 81–97, spéc. p. 82–83.

91

L’interdiction de recourir à l’arbitrage a même été constitutionnalisée dans ce pays au moins pour le règlement des litiges d’investissement dans le domaine des hydrocarbures (article 366 de la Constitution bolivienne du 25 janvier 2009).

92

La Constitution (article 422 de la Constitution du 26 septembre 2008) faisait déjà défense à l’État de conclure des traités incluant des clauses de recours à l’arbitrage pour le règlement des litiges opposant l’État à des personnes privées étrangères.

93

E. Gaillard, « L’avenir des traités de protection des investissements », in C. Leben (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, pp. 1027–1047, spéc. p. 1028.

94

Laquelle s’étend au-delà des pays d’Amérique latine précités puisqu’elle touche l’Afrique du Sud, mais aussi certains pays d’Asie, et non des moindres, comme l’Indonésie et l’Inde et même certains pays européens comme la Norvège et la République tchèque. Quoique le phénomène reste marginal, eu égard au nombre de traités bilatéraux de protection de l’investissement dans le monde, il n’en traduit pas moins le malaise suscité par les critiques grandissantes à l’égard de l’arbitrage d’investissement.

95

J. Gazala, « La défiance étatique à l’égard de l’arbitrage investisseur-État exprimée dans quelques projets et instruments conventionnels récents », op. cit., pp. 82–83. Voy. également, pour un résumé des griefs généralement formulés à l’encontre de l’arbitrage d’investissement, A. De Nanteuil, « Les mécanismes permanents de règlement des différends, une alternative crédible à l’arbitrage d’investissement ? », Journal du Droit international, 2017 vol. 55, pp. 55–80.

96

Ibid.

97

J. M. Thouvenin, « Les fonds souverains et le (mal)développement », in Société Française pour le Droit International (dir.), Droit international et développement : colloque de Lyon, op. cit., pp. 99–109, spéc. p. 107 : « Le profit reste le moteur de l’action des fonds souverains ».

98

S. Cuendet, « Accords d’investissement et développement durable. Comment concilier la protection des investissements étrangers avec la promotion du développement durable ? », La Note de ConventionS, n°14/2014, disponible à l’adresse : https://convention-s.fr/notes/accords-dinvestissement-et-developpement-durable-comment-concilier-la-protection-des-investissements-etrangers-avec-la-promotion-du-developpement-durable/ (dernière consultation le 12 février 2022).

99

Voy. J. Gazala, « La défiance étatique à l’égard de l’arbitrage investisseur-État exprimée dans quelques projets et instruments conventionnels récents », op. cit., p. 84 qui souligne que l’Accord de libre-échange conclu entre ce pays et les États-Unis en 2004 ou le protocole d’investissement 2011 conclu avec la Nouvelle-Zélande « ne contiennent pas une clause de règlement des différends investisseur-État ». Il faut également relever que le nouvel Accord de libre-échange nord-américain (alena) [N.d.E. : l’accord Canada–États-Unis–Mexique] limite les motifs de recours à l’arbitrage, pour les investisseurs des États-Unis et du Mexique, « aux atteintes au traitement national ou à la clause de la nation la plus favorisée et à l’expropriation directe » alors que le texte de 1994 admettait les atteintes à tous les droits garantis aux investisseurs sans exception » (G. Bastid-Burdeau, « L’arbitrage d’investissement au hasard des accords de libre-échange ? », in Droit sans frontières, Mélanges en l’honneur d’Eric Loquin, op. cit., p. 48).

100

Quoique ce pays était déjà connu pour « son peu d’enthousiasme » pour les traités Bilatéraux d’Investissement. En 2015, il a cependant conclu des « accords bilatéraux relatifs à l’investissement respectivement avec le Mozambique, l’Angola, le Mexique, le Chili ou la Malaisie et la Colombie », dont aucun n’inclut une clause de règlement arbitral des différends relatifs à l’investissement… Voy. J. Gazala, « La défiance étatique à l’égard de l’arbitrage investisseur-État exprimée dans quelques projets et instruments conventionnels récents », op. cit., p. 85.

101

Ibid., pp. 92–93 : il s’agit en somme de ne plus formuler d’offre générale d’arbitrage, « laissant ainsi à l’État la possibilité de consentir au cas par cas à l’arbitrage ».

102

Voy., pour une vue synthétique de cette tendance, T. El Ghabdan, C-M. Mazuy et A. Senegacnik (dir.), La protection des investissements étrangers : Vers une réaffirmation de l’Etat ? Actes du Colloque du 2 Juin 2017, Paris, éd. A. Pedone, 2018.

103

J. Cazala, « La réaffirmation de l’État en matière de définition des investissements et investisseurs protégés », in T. El Ghabdan, C-M. Mazuy et A. Senegacnik (dir.), La protection des investissements étrangers : Vers une réaffirmation de l’Etat, op. cit., pp. 37–55, spéc. Pp. 46–49. Par ailleurs, l’auteur souligne que l’on « voit se développer dans la pratique conventionnelle de certains États l’exigence d’activité économique réelle dans l’État d’incorporation ou du siège qui permet de faire échec au recours à des sociétés étrangères écran ou aux enregistrements fictifs ».

104

Voy. G. Cahin, « Droit International coutumier et Traités d’investissement. Aspects méthodologiques », in Droit international et culture juridique, Mélanges offerts à Charles Leben, Paris, Pedone, 2015, pp. 17–44. La question essentielle concerne la portée d’une telle règle : s’agit-il du seul respect de la législation relative aux investisseurs ou de l’ensemble de la législation de l’État d’accueil ? Il semble que la tendance des arbitres soit à la limitation du champ de la règle au seul droit local relatif aux investisseurs. Cela n’implique pas cependant que l’investisseur soit soustrait à l’application de toute autre règle interne. Comme le souligne Arnaud De Nanteuil, l’implication sur le territoire de l’État d’accueil suppose toujours l’obtention « d’une autorisation ou d’une licence mais peut impliquer aussi toute sorte de demandes inscrites purement et simplement dans le droit interne » (A. De Nanteuil, « Réflexions sur les droits de l’Etat d’accueil dans le droit international des investissements », in Droit international et culture juridique, op. cit., pp. 321–343, spéc. p. 333).

105

A.G. De Borja Mercereau, « Prise en compte des droits de l’homme dans les traités bilatéraux d’investissement », in T. El Ghabdan, C-M. Mazuy et A. Senegacnik (dir.), La protection des investissements étrangers : Vers une réaffirmation de l’État ?, op. cit., pp. 69–81, spéc. p. 77–80.

106

Le modèle américain révisé, en 2012, va encore plus loin dans cette ouverture puisqu’il inclut des dispositions (voy. article 13 § 2) très précises sur les droits de travailleurs.

107

Voy. P. Julliard, « Le nouveau modèle américain de traité bilatéral sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements », Annuaire Français de Droit International, 2004, n°5, pp. 669–682.

108

W. Ben Hamida, F. Horchani et E. Cabrol, « Droit et pratique des investissements internationaux : Chronique de la période du 1er septembre 2007 au 30 mai 2008 (première partie) », Revue de droit des affaires internationales, 2008, n°5, pp. 696–717, spéc. p. 698.

109

Voy. les exemples rapportés par W. Ben Hamida, « La prise en compte de l’intérêt général et des impératifs de développement dans le droit des investissements », Journal du droit international, 2008, vol. 135, n°4, pp. 999–1033, spéc. pp. 1011–1013.

110

Voy. les exemples relevés dans : ibid., pp. 1020–1022.

111

Arbitrage cundci, Sentence partielle du 17 mars 2006, Saluka Investments BV (The Netherlands) c. The Czech Republic, §255. Voy. S. Robert-Cuendet, « Crise ou renouveau du droit des investissements internationaux ? », Revue Général de Droit International Public, 2016, vol. 120, n°3, pp. 545–578, spéc. pp. 562–572, qui cite la jurisprudence arbitrale qui s’appuie sur le concept des « police powers » pour décider que « les mesures législatives ou réglementaires et les décisions adoptées dans le cadre des police powers ne peuvent donner lieu à compensation ni engager la responsabilité internationale de l’État ».

112

Voy. S. Manciaux, « L’ordre public international et l’arbitrage d’investissement », in E. Loquin et S. Manciaux (dir.), L’ordre public et l’arbitrage, Paris, LexisNexis, 2014, pp. 37–55, spéc.pp. 54–55, conclut que « l’une des clés de la problématique (de l’ordre public international) semble alors résider dans la forte convergence relevée entre l’ordre public international et la protection des droits fondamentaux, celle-ci étant souvent citée comme une composante importante de celui-là ».

113

On a relevé que ce concept est aujourd’hui dans plus de trois cents traités internationaux dont certains débordent largement les questions environnementales. V. Barral, « Retour sur la fonction du développement durable en droit international : de l’outil herméneutique à l’obligation de s’efforcer d’atteindre le développement durable », in Société Française pour le Droit International (dir.), Droit international et développement : colloque de Lyon, op. cit., pp. 411–426, s. p. 415.

114

Voy. K. Bartenstein, « Les origines du concept du développement durable », Revue Juridique de l’Environnement, 2005, n°3, pp. 289–297.

115

Les trois composantes (économique, environnementale et sociale) sont présentées comme des « éléments interdépendants et qui se renforcent mutuellement dans le processus du développement durable » (Déclaration du Sommet mondial pour le développement social. Copenhague, 6–12 mars 1995, doc. A/CONF. 166/9 du 19 octobre 1995 § 6).

116

V. Barral, « Retour sur la fonction du développement durable en droit international : de l’outil herméneutique à l’obligation de s’efforcer d’atteindre le développement durable », op.cit., p. 425.

117

Ibid.

118

Ibid.

119

N.d.E. : voy. infra dans ce volume, S. Adalid, « De la constitution économique à la constitution écologique : l’avènement de la méta-politique ».

120

D. Roman, « La jurisprudence sociale des Cours constitutionnelles en Europe : vers une jurisprudence de crise ? », Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2014, vol. 45, n°4, pp. 63–75.

121

Voy., par exemple, les Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de la France, adoptées en Juin 2016, E/C.12/fra/c0/4, point 9.

Bibliographie sélective

  • Azema, J., Droit de la concurrence, Paris, Presses Universitaires de France, 1986.

  • Cazala, J., « La défiance étatique à l’égard de l’arbitrage investisseur-État exprimée dans quelques projets et instruments conventionnels récents », Journal du Droit international ,2017, n°1, pp. 8197.

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