Discussion De la constitution économique à la constitution écologique : l’avènement de la ‘méta-politique’

In: The Idea of Economic Constitution in Europe
Author:
Sébastien Adalid
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Résumé

La ‘Constitution économique’ est une illusion, qu’il convient de désacraliser pour redonner toute son importance au pouvoir politique. L’échec ordolibéral initial d’une ‘constitution économique’ n’a pas empêché l’avènement d’une ‘Constitution économique néolibérale’. Le contenu de cette dernière est principalement constitutionnel : transformer l’État pour le soumettre au marché et ainsi permettre l’avènement d’une ‘méta-politique’, d’une idéologie dominante imposée juridiquement par le droit. Pour désacraliser cette ‘Constitution économique’, il convient de rappeler son rejet initial par la doctrine juridique, lors du colloque de Liège de 1970. Si la ‘Constitution économique néolibérale’ s’est imposée, c’est par une mutation des modalités de prise de décision politique. Celle-ci a été contrainte par des sources juridiques supra-législatives, internationales comme nationales, qui s’inspirent du dogme néolibéral et/ou reprennent les techniques du marché. Ce dernier devient l’un des gardiens – aux côtés des autorités indépendantes – des règles juridiques, et donc de l’idéologie, néolibérales. Pour autant, l’idée de supériorité du marché n’a pas résisté aux différentes crises que connaît le néolibéralisme. Elle tend cependant à être remplacée par l’idée de ‘Constitution écologique’, dont les ressorts autoritaires restent les mêmes que celle de ‘Constitution économique’.

Introduction

La ‘constitution économique’ est devenue une réalité juridique. L’outil théorique originellement ordolibéral s’est transformé en une technique juridique d’encadrement du pouvoir politique, dans le domaine économique. L’idée de ‘constitution économique’ a été prise (trop) au sérieux. L’une des fonctions d’une ‘Constitution’ est d’instituer et d’encadrer l’exercice du pouvoir politique et d’en limiter, par les droits fondamentaux, les choix.

Aujourd’hui, la ‘constitution économique’ s’est vu assigner la même fonction. Mais, là où les ‘Constitutions’ instituent le pouvoir politique, la ‘Constitution économique’ le détruit ; car il ne saurait y avoir de pouvoir véritablement politique s’il se voit amputé de sa liberté de choix économiques. Les ‘Constitutions’ encadrent formellement le pouvoir politique, les ‘Constitutions économiques’ forment un cadre substantiel, elles préemptent les décisions politiques, elles dictent alors une ‘méta-politique’1.

L’échec ordolibéral initial d’une ‘constitution économique’ n’a pas empêché l’avènement d’une ‘Constitution économique néolibérale’2 (1.). Le contenu de cette dernière est principalement constitutionnel : transformer l’État pour le soumettre au marché et ainsi permettre l’avènement d’une ‘méta-politique’, d’une idéologie dominante imposée juridiquement par le droit (2.).

Pour désacraliser cette ‘Constitution économique’, il convient de rappeler son rejet initial par la doctrine juridique, lors du colloque de Liège (3.). La nature politique de la ‘constitution économique européenne’ a toujours été ouverte. Si la ‘Constitution économique néolibérale’ s’est imposée, c’est par une mutation des modalités de prise de décision politique. Celle-ci a été contrainte par des sources juridiques supra-législatives, internationales3 comme nationales4, qui s’inspirent du dogme néolibéral et/ou reprennent les techniques du marché. Ce dernier devient l’un des gardiens – aux côtés des autorités indépendantes – des règles juridiques, et donc de l’idéologie, néolibérales (4.).

Pour autant, l’idée de supériorité du marché n’a pas résisté aux différentes crises que connaît le néolibéralisme. Elle tend cependant à être remplacée par l’idée de ‘Constitution écologique’, dont les ressorts autoritaires restent les mêmes que celle de ‘Constitution économique’.

1 De la ‘constitution économique’ ordolibérale à la ‘Constitution économique’ néolibérale

La tentative ordolibérale a échoué sur l’écueil de vouloir explicitement encadrer le pouvoir politique, et donc démocratique (1.1.). La notion renaîtra, mais de manière beaucoup plus idéologique, au sens d’une ‘constitution économique néolibérale’. Sous cet aspect, la ‘constitution économique’ devient plus institutionnelle que substantielle. Elle est un discours sur l’exercice du pouvoir (1.2.). Ce discours s’intègre alors dans les réflexions contemporaines autour du ‘bon gouvernement’5, conduisant à l’avènement de la ‘méta-politique’.

1.1 L’échec de la ‘constitution économique’ ordolibérale

La ‘constitution économique’ constitue l’un des fragments de l’ordolibéralisme, théorie juridico-économique forgée dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres6. L’idée en est simple : faire garantir par l’État les conditions optimales de fonctionnement du marché, et notamment la libre concurrence. Cependant, pour limiter ab initio le pouvoir de l’État en économie, le sens et la portée de ces pouvoirs doivent être énoncés par la norme fondamentale.

En droit positif, l’idée n’a pas pris. Dès 1954, la Cour constitutionnelle allemande l’a « rejetée »7. D’après cette dernière :

La Loi fondamentale ne garantit pas la neutralité des pouvoirs exécutifs et législatifs en matière de politique économique, ni n’oblige qu’une « économie sociale de marché » ne soit mise en œuvre qu’au moyen de seuls dispositifs conformes aux règles du marché. La Loi fondamentale n’est neutre du point de vue de la politique économique que dans la mesure où le constituant ne s’est pas prononcé explicitement en faveur d’un système économique particulier. Cela autorise le législateur à conduire la politique économique qui lui semble opportune, dès lors qu’il respecte la Loi fondamentale.8

En consacrant la ‘neutralité’ économique de la Constitution, la Cour rejette l’idée même de ‘constitution économique’. En effet, comme le rappelle Francesco Martucci : « [s]’il existe une constitution économique, cela signifie que le système juridique postule un système économique plutôt qu’un autre, choix qui devrait demeurer de la sphère strictement politique »9. Ce rejet laissera l’idée de ‘constitution économique’, et notamment son exportation, en sommeil. Elle réapparaîtra dans les années soixante-dix dans le contexte de l’intégration européenne10. Cependant, il faudra attendre les années quatre-vingt-dix pour que le « terme » soit « adopté plus largement dans le discours doctrinal »11. Or, dans ces années de silence, le terme gagnera une majuscule12, signe d’un poids normatif nouveau.

1.2 La renaissance de la ‘Constitution économique’

Si la ‘constitution économique’ était ordolibérale, la ‘Constitution économique’ est néolibérale, comme les deux contributions discutées le démontrent13. Ce faisant, la ‘constitution économique’ est devenue prescriptive. En effet, le ‘néolibéralisme’ n’est pas seulement une idéologie économique, mais aussi une doctrine constitutionnelle14.

D’un point de vue théorique, le néolibéralisme est pluriel15. Mais, par-delà ces différences, une « doctrine néolibérale »16 s’est diffusée, une sorte de succédané de l’apport théorique, devenu discours dominant et consensuel : la « vulgate néolibérale »17 ou le « néolibéralisme quotidien »18. Comme l’écrit M. Mahmoud Mohamed Salah, ses « principes supérieurs, fondateurs économiques des échanges »19 sont « la souveraineté du consommateur et la concurrence libre et non faussée »20. De même, pour Damien Piron, il s’agit de « expanding the realm of competition to all spheres of human existence »21. La ‘vulgate néolibérale’ s’incarne dans le ‘dogme du marché’ : la supériorité de l’ordre créé spontanément par la confrontation des libertés et choix individuels sur le marché, la ‘catallaxie’22, sur toutes les autres techniques de gouvernement. Le marché étant, à la fois, le principal lieu d’expression de la liberté individuelle et de coordination des volontés individuelles, il appartient à l’État de l’instituer et de le sauvegarder.

Mais, en second lieu, le néolibéralisme est surtout une doctrine constitutionnelle, une réinvention des modalités d’exercice du pouvoir. Ordo comme néolibéraux s’accordent sur l’idée que l’État et/ou le droit jouent un rôle central dans l’établissement de l’économie. Pour les néolibéraux, il faut limiter juridiquement l’action des pouvoirs politiques pour garantir le respect du dogme du marché. C’est l’objectif assigné à la ‘Constitution économique’23.

2 Du ‘bon gouvernement’ à la ‘méta-politique’

Pour comprendre la part constitutionnelle de la vulgate néolibérale, il faut revenir à l’échec du laissez-faire et ses conséquences pratiques et théoriques. En pratique, l’État s’est vu contraint d’intervenir dans l’économie (2.1.), imposant alors de repenser les modalités de son action (2.2.), permettant ensuite une réorganisation des pouvoirs (2.3.).

2.1 L’extension de la sphère de l’État

Le début du xxe siècle est un tournant. Les conséquences sociales de la révolution industrielle ont imposé à l’État d’intervenir dans l’économie24. La crise de 1929 a confirmé la nécessité de cette intervention. L’État a été contrait de corriger le marché. Le ‘laisser-faire’ avait donné naissance à l’État minimal. Constitutionnellement, ce dernier était aussi l’État légal, celui du ‘règne de la loi’ et du Parlement25. L’avènement de l’État providence produit un décalage entre l’exercice du pouvoir par l’exécutif (le gouvernement) et le modèle constitutionnel classique ‘parlementaire-représentatif’26. L’exécutif, et son encadrement, étant largement resté un impensé du droit constitutionnel, c’est en dehors de la science du droit que s’est opéré la recherche du ‘bon gouvernement’, à savoir de l’encadrement du pouvoir exécutif27. Les théoriciens néolibéraux ont largement participé à ce mouvement.

2.2 L’encadrement néolibéral de l’État

À la différence des libéraux classiques28, les néolibéraux – comme les ordolibéraux – reconnaissent le rôle de l’État, et donc du droit, dans l’économie. Il ne s’agit plus de nier son intervention, mais d’en déterminer les modalités. Ils s’emploient alors à reconstruire le pouvoir en l’adaptant au contexte nouveau, né de la révolution industrielle. Une formule, empruntée à Hayek, résume parfaitement l’objectif constitutionnel des néolibéraux : « [l]e bornage efficace du pouvoir politique est le plus important des problèmes de l’ordre social »29. Le ‘bon gouvernement’ est donc un gouvernement borné par les libertés individuelles et leur expression collective sur le marché. Ce dernier devient l’objectif et la limite du pouvoir, qui doit alors se dépolitiser.

À en suivre la pensée de Walter Lippmann30, « père spirituel »31 du néolibéralisme, la finalité de l’action gouvernementale n’est plus librement choisie mais pré-déterminée théoriquement : l’institution du marché, voire du marché globalisé. Cette finalité devenant objective, elle ne requiert plus la participation des citoyens, mais celle d’experts. Il appartient alors à ce gouvernement de transformer la société, par le droit, pour l’adapter aux exigences du marché. Le ‘bon gouvernement’ est donc le gouvernement objectif et scientifique, celui qui obéit aux lois de la ‘catallaxie’32.

2.3 La transformation néolibérale de l’État

Évidemment, aucun État n’a jamais suivi à la lettre un quelconque plan de réforme néolibéral. D’ailleurs, ledit plan n’existe pas, faute d’une totale cohérence au sein de ce courant. Il n’en reste pas moins que l’esprit du néolibéralisme a contaminé la pensée politique et conduit alors à une véritable redéfinition du rôle de l’État33. Dans un curieux mouvement, l’État a abdiqué sa propre spécificité et supériorité, reconnu celle de la ‘catallaxie’ et accepté alors de se soumettre aux lois de celle-ci. C’est alors que réapparaît la ‘constitution économique’, au sens matériel et abstrait du terme. Elle désigne simplement la soumission de l’État aux lois du marché et toutes les formes juridiques que celle-ci peut prendre. De prime abord, il n’y aurait aucun rapport entre cette ‘constitution économique’, le néolibéralisme et l’idée d’une ‘méta-politique’. En effet, la soumission de la politique à des lois naturelles est dans la logique même du constitutionnalisme34.

C’est ici que s’opère la mystification néolibérale : faire croire que les lois économiques sont des lois naturelles, qui mériteraient d’être protégées comme telles (y compris par la Constitution). En effet, la sociologie économique, notamment, a démontré que l’économie est un système construit, et que ses lois sont les lois que les hommes ont décidé collectivement de se donner35. Si le droit est bien l’outil principal de telles constructions36, cela ne signifie en rien que de telles lois méritent, formellement ou matériellement, la qualification de ‘Constitution’. Parler de ‘Constitution économique’, dans le sens actuel, est alors un choix politique, celui de soutenir un système où la liberté politique peut être soumise à des normes économiques37. Il s’agit, en réalité d’une ‘méta-politique’, à savoir l’ambition de soumettre les choix politiques à des ‘méta-normes’ économiques, au contenu déterminé et correspondant à la vulgate néolibérale.

Il ne faut cependant pas écarter le vocabulaire constitutionnel de l’analyse. En effet, la ‘méta-politique’ est bien le fruit d’une reconstruction néolibérale de l’exercice du pouvoir. Or, les deux contributions discutées38 soulignent les ressorts juridiques sur lesquels se fonde ce nouveau constitutionnalisme. L’enjeu est alors de systématiser les techniques juridiques, voire constitutionnelles, sur lesquelles se fonde la ‘méta-politique’. Parmi ces techniques, et lesdites contributions le remarquent, l’Union européenne a joué un rôle majeur, qu’il faudra alors mettre en lumière.

Dans cette analyse des ressorts de la ‘méta-politique’, il convient de disséquer le concept abstrait de ‘constitution économique’ et de démontrer que derrière toute ‘constitution économique’ se cache un choix politique, y compris au niveau de l’Union européenne. La ‘méta-politique’ est simplement le fruit d’arrangements juridiques et institutionnels destinés à assurer la suprématie de la ‘catallaxie’. Mais les faits – et notamment les crises – ne cessent de contredire ce présupposé fondateur du néolibéralisme. Le marché n’a pas réussi à s’auto-gouverner, et l’emploi de ses techniques n’a pas rendu le gouvernement ‘bon’. Face à ces échecs, la ‘méta-politique’ s’enrichit d’une nouvelle dimension : l’écologie. La planète remplace le marché comme objectif supérieur du pouvoir.

3 Démythifier la constitution économique : un choix politique

Toute réflexion sur la notion de « constitution économique » bute sur le problème de la définition. Rien de plus normal, pour une notion utilitaire qui s’adapte au gré des époques mais aussi des auteurs. C’est ainsi que la notion a pu, aujourd’hui, être instrumentalisée au profit de l’approche néolibérale.

Comme le souligne Loïc Azoulai, « [p]lutôt qu’à un concept du droit de l’Union, la notion de “Constitution économique européenne” renvoie à un discours sur le droit de l’Union. Discours qui doit sa réussite à la capacité des acteurs de l’intégration à proposer sans cesse de nouveaux objets propres à sublimer, à fusionner les rapports économiques, juridiques et sociaux qui s’établissent à travers l’Europe »39. Plus généralement, la ‘constitution économique’ est un discours sur le droit et son articulation avec les sphères économiques et politiques. Or, pendant longtemps, ce discours a été ouvert. Aucun contenu n’a été assigné à la ‘constitution économique’, comme le montre parfaitement la relecture des actes du colloque tenu à Liège en 1970 (3.1.). Y compris au sein de l’Union européenne, la ‘constitution économique’ n’a jamais été purement ordolibérale, ou même néolibérale. Plusieurs modèles possibles cohabitent au sein des traités et, plus généralement, du droit de l’Union (3.2.).

3.1 Retour à Liège

À l’aune de l’évolution fonctionnelle de la notion de ‘constitution économique’, la relecture des rapports et discussions permet de revenir à une appréhension minimale de la notion. La conception des rapports entre droit, économie et politique s’avère assez simple, et saine. Le droit n’est que l’outil de mise en œuvre des choix de politique économique (3.1.1.). Beaucoup de participants rejettent alors l’idée d’une ‘Constitution économique’, qui fixerait dans un document constitutionnel les choix politiques (3.1.2.). En revanche, la menace d’une ‘méta-politique’ de la c.e.e. plane déjà sur les débats (3.1.3.)

3.1.1 La ‘constitution économique’ comme choix politique

Il est des évidences, parfois oubliées, qu’il est salutaire de rappeler. Les participants au colloque de Liège ne se posaient pas autant de questions que nos contemporains sur les rapports entre droit, économie et politique. Ils partaient de l’observation de la pluralité des systèmes économiques. Ainsi, le premier rapport, celui de Lucien Morissens, est particulièrement éclairant. Il est consacré aux « Grands systèmes d’organisation économique »40. Le titre même souligne la diversité de systèmes possibles. Comme le démontre l’auteur, un système d’organisation économique se construit à partir d’‘instruments’ mis au service d’‘objectifs’41. Ces systèmes « se distinguent par le degré d’intervention et par la localisation des responsabilités »42. Il existe trois grands systèmes : le libéralisme, la planification et le dirigisme, dont il détaille les principales caractéristiques.

L’existence d’une pluralité de système pose une question simple : à qui appartient le choix ? Si les participants ne se prononcent pas clairement au profit du pouvoir politique, ils refusent l’idée d’une ‘Constitution économique’ qui ferait ce choix, justement au nom de la liberté du pouvoir politique.

3.1.2 Contre la ‘Constitution économique’

À quelques exceptions près43, les participants du colloque de Liège rejettent l’idée d’une ‘Constitution économique’, à savoir le fait d’inscrire dans la ‘Constitution’ les choix de politique économique. Pierre-Henri Teitgen dit s’en ‘méfier’44. Pour Maurice Lagrange, « [c]es deux mots accouplés sans aller jusqu’à me choquer, ne me sont guère habituels »45.

À la lecture des différentes opinions, trois causes à ce rejet peuvent être identifiées. La première est précisée par Maurice Lagrange : l’imprévisibilité de l’économie. Selon lui, « les meilleures prévisions se trouvent souvent complètement démenties par les faits » donc « [q]ui dit politique dit action permanente au jour le jour »46. La deuxième cause est soulignée par Jacqueline Poelmans, pour qui il faut ajouter à la variation des circonstances celle des idées et des croyances47. La troisième cause est identifiée par Léon Dabin. Selon lui, « il n’est pas seulement question, à mon sens, dans la constitution dite économique, d’un unique problème d’efficacité économique. Il faut aussi tenir compte [...] de valeurs non économiques »48. Pour résumer, face au changement des circonstances, des prévisions et théories économiques et de l’impératif de conciliation des valeurs économiques et non-économiques : « il vaut mieux laisser au pouvoir politique la responsabilité des choix politiques »49. Maurice Lagrange en déduit qu’il y a là : « un problème véritablement constitutionnel »50.

Ces débats sont fondamentaux. Ils rappellent que les choix économiques sont des choix politiques et que leur préemption normative pose un problème constitutionnel. Derrière leurs craintes, c’est le refus d’une ‘méta-politique’ qui semble se dessiner. Ils enseignent aussi que si une telle ‘méta-politique’ doit s’installer ce ne sera pas au moyen de choix substantiels, mais par l’altération de la distribution constitutionnelle des pouvoirs51. D’ailleurs, ils exprimaient déjà la crainte que la cee soit à l’origine d’une telle altération.

3.1.3 Les menaces de la c.e.e.

Plusieurs rapports soulignent les risques que fait peser la c.e.e. sur la liberté des choix des pouvoirs politiques nationaux. Selon Lucien Morissens, « la création de la c.e.e. a affaibli les politiques nationales et les affaiblira encore davantage à l’avenir, en limitant l’usage des instruments et en rendant ces politiques moins efficaces »52. En effet, les transferts opérés par le Traité ne concernent que la détermination des ‘objectifs’ de la politique économique, laissant aux États la responsabilité de leur poursuite au moyen d’‘instruments’. La Communauté ne dispose pas, elle-même, des instruments pour poursuivre les objectifs assignés par le Traité. Au surplus, ce dernier érode la portée des instruments nationaux53. Enfin, les objectifs poursuivis par la c.e.e. peuvent, en eux-mêmes, déstabiliser les politiques nationales : « la libéralisation des échanges a accru les risques de concurrence dommageable entre les politiques nationales tandis que la création de compétences communautaires a ajouté un risque de conflit supplémentaire »54.

Pour Jacqueline Poelmans, il y a une contradiction entre la nature juridique du Traité, de nature constitutionnelle55, et leur contenu. Suivant sa mise en garde précitée, elle estime que les Traités ne devraient contenir que des objectifs formulés : « en termes assez vagues »56. Ceci éviterait d’imprimer aux Traités une « philosophie déterminée en matière de politique économique » qui « risquerait en effet soit d’être dépassée dans un laps de temps relativement court soit de ne plus correspondre à l’attitude que les Six voudraient adopter dans l’avenir »57. De manière plus précise, Kurt Markert et Léon Dabin soulignent que la concurrence ne doit pas être l’unique objectif des politiques économiques de la Communauté58.

Il ressort de ce retour à Liège que le concept de « constitution économique » laisse sceptique. Si l’idée peut permettre de décrire le système économique choisi par un État, il ne faut pas aller plus loin, au risque de figer les choix politiques, ce que la Communauté devrait se garder de faire. C’est donc une mise en garde contre l’apparition d’une « méta-politique » et le risque que les Communautés en soit l’incarnation. Or, au sein de l’Union, la nature du système économique est, a priori, ouverte.

3.2 L’indétermination du système économique des Communautés

L’intégration européenne est souvent désignée comme le vecteur de la diffusion d’une ‘constitution économique néolibérale’. Elle l’est devenue, mais elle n’était pas destinée à l’être. Si les traités ont certes été inspirés partiellement par l’ordolibéralisme, c’est surtout leur interprétation, leur mise en œuvre et leur révision qui leur ont donné cette coloration. Les traités s’inspirent de plusieurs modèles économiques (3.2.1.) et leur interprétation a donné lieu à l’émergence de plusieurs modèles de ‘constitution économique’ (3.2.1.).

3.2.1 Différents modèles économiques

Rédigés à l’époque de la planification et des entreprises publiques, les Traités fondateurs restent ouverts aux différents modèles économiques qui avaient cours à l’époque. Si l’influence ordolibérale se fait sentir sur les dispositions relatives au respect de la concurrence59, les traités prévoient aussi une forme d’interventionnisme60.

Il faut évidemment rappeler que, depuis 1957, « [l]es traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres »61. Cette clause laissait ouverte la possibilité d’une collectivisation des moyens de production, et préservait la capacité des États d’intervenir directement dans l’économie par le biais d’entreprises publiques. Au-delà de rester indifférents à certaines formes d’interventionnisme, le Traité cee prévoyait, et le tfue le prévoit toujours62, explicitement l’intervention économique de la Communauté, principalement avec la politique agricole commune (pac)63. Telle que le Traité la dessine, la pac correspond bien au modèle de l’interventionnisme où des objectifs économiques64 sont assignés à des instruments publics65. Or, la Communauté disposait d’instruments très invasifs dans l’économie comme : « la réglementation des prix », « des subventions » ou des « mécanismes communs de stabilisation à l’importation ou à l’exportation »66.

Sans entrer dans les détails complexes du fonctionnement de la pac, il convient juste de rappeler son existence pour démontrer que les Traités n’étaient pas purement ordolibéraux et que leur avenir néolibéral n’était pas tout tracé. Ils n’imposaient pas alors un seul modèle de ‘constitution économique’.

3.2.2 Différents modèles de ‘constitution économique’

Les libertés de circulation sont souvent perçues comme le creuset du tournant néolibéral des politiques économiques nationales67. L’objectif de construction du marché commun, allié à l’effet direct du droit de l’Union permettant aux individus de faire valoir leurs libertés de circulation contre l’interventionnisme économique national, aurait été le cheval de Troie de la domination du marché sur l’État68. Si l’analyse est en partie pertinente, elle ne saurait expliquer à elle seule le tournant néolibéral.

En effet, comme l’a montré Miguel Poiares Maduro69, les libertés de circulation70 sont porteuses de trois modèles différents de ‘constitution économique’71. Le premier modèle, qualifié de ‘centralisé’, rend possible « la suprématie de l’intégration politique sur l’intégration économique »72. En quelques mots, ce modèle prend acte de la disparition des capacités interventionnistes des États, en raison de la construction du marché intérieur, et propose la construction d’instruments d’intervention au niveau de l’Union. À l’opposé, le modèle compétitif permet : « la suprématie de l’intégration économique sur l’intégration politique »73. Il le qualifie alors de « constitution néolibérale »74. Dans ce modèle, la libre circulation et la reconnaissance mutuelle mettent en concurrence les droits nationaux et c’est alors au marché que revient de facto le pouvoir de choisir les normes qui le régule, dans l’esprit de la ‘catallaxie’. Enfin, l’auteur entrevoit un troisième modèle, dit ‘décentralisé’, à mi-chemin entre les deux autres modèles75.

Ce bref rappel permet de comprendre que l’Union n’est pas un modèle économique, elle ne fait qu’incarner le choix du modèle économique fait par ses institutions. D’autres choix étaient (sont ?), théoriquement et juridiquement, possibles. D’où vient alors ce sentiment qu’il existe un seul modèle économique, qu’il est inévitable ? Il n’apparaît pas que ce modèle soit dicté par une quelconque ‘constitution économique’, qui se révèle aussi artificielle que ce modèle. Il s’est imposé par la transformation des États, voire du ‘constitutionnalisme’, qui ont volontairement intégré le modèle – juridique, politique et institutionnel – leur imposant une ‘méta-politique’ néolibérale76.

4 La ‘méta-politique’ : fruit d’un néo-constitutionnalisme

Comprendre les ressorts constitutionnels de la ‘méta-politique’ s’avère assez simple. Il faut se rappeler les mots de Léon Dabin selon lesquels : « l’organisation économique n’est rien d’autre qu’un problème de distribution des pouvoirs de décision »77. L’instauration d’une ‘méta-politique’ implique alors de retirer au pouvoir politique son rôle en matière économique. Pour ce faire, la primauté du modèle économique néolibéral a été juridiquement garantie et intégrée au sein de sources du droit (4.1.) et des gardiens ont été institués afin d’en assurer le respect (4.2.). Cependant, et c’est là toute la subtilité, cela s’est souvent fait en dehors des cadres et des institutions constitutionnels classiques.

4.1 Le renforcement des sources

Le choix du modèle économique néolibéral est un choix politique. Les pouvoirs politiques ont décidé de se soumettre à des normes intégrant le modèle, se dessaisissant délibérément de leur liberté. Ce choix peut être implicite. Ainsi, comme le rappellent les deux contributions ici discutées78, la mise en concurrence des droits nationaux impose la conformité des politiques nationales aux attentes du marché et donc la primauté de celui-ci. Mais le choix peut aussi être explicite et se traduire dans des normes que l’État adopte (4.1.1.) ou auxquelles il adhère (4.1.2.). Ainsi, le choix économique est sacralisé dans des normes dont les pouvoirs publics ne peuvent plus se départir.

4.1.1 Le renforcement externe

Ce renforcement est contraint par les normes internationales, où l’agenda néolibéral est particulièrement prégnant en raison, comme le rappelle M. Mahmoud Mohamed Salah, du « ralliement au consensus de Washington »79. Deux configurations sont à distinguer : un renforcement choisi (4.1.1.1.) ou un renforcement induit (4.1.1.2.). Dans le premier cas, l’État fait ouvertement le choix de se soumettre à des normes inspirées du modèle néolibéral. Dans le second cas, l’adoption de l’agenda néolibéral est induite : elle est la conséquence (pas toujours prévisible) d’engagements internationaux préalables.

4.1.1.1 Le renforcement choisi

Les exemples sont multiples d’engagements internationaux des États par lesquels ils se soumettent à des normes d’inspiration néolibérales. Comme le rappelle M. Mahmoud Mohamed Salah, certaines institutions internationales ont contribué à diffuser et imposer l’agenda néolibéral, et notamment le fmi et la Banque mondiale au moyen des « politiques dites d’ajustement structurel ». Au sein de l’Union européenne, la signature du Traité sur la coordination, la stabilité et la gouvernance impose aux États l’inscription de la ‘règle d’or’ dans des règles de valeur constitutionnelles80.

Dans ces exemples, l’analyse juridique est trompeuse. Supposé souverain, l’État est réputé libre de s’engager. Mais, cette liberté s’opère sous la contrainte économique. L’aide financière fournie par les institutions internationales incite les États à accepter leurs conditions. Les turbulences sur les marchés financiers, lors des négociations du tscg, ont poussé les États à s’engager vers plus de rigueur budgétaire.

Ici apparaît le renversement, non plus doctrinal mais concret, du rapport entre droit et économie. La suprématie du système économique, et donc du marché et de ses intérêts, se concrétise en une pression économique sur les États, les poussant à agir juridiquement. C’est pour cela qu’il devient crucial d’intégrer à la pensée constitutionnelle le marché et son pouvoir, pour comprendre comment s’impose une ‘méta-politique’. Avant cela, il faut continuer à explorer ses sources.

4.1.1.2 Le renforcement induit

Les engagements internationaux sont vagues et leurs conséquences sont parfois imprévisibles. Comme le rappelle Damien Piron, « [t]he 1990s were marked by enduring fiscal consolidation, stemming from the determination of Belgian authorities to qualify for the Eurozone »81. Ainsi, l’engagement juridique, inscrit dans le traité de Maastricht, se traduit politiquement par l’avènement d’une contrainte ‘méta-politique’ : l’assainissement budgétaire. Il y a là un condensé de l’effet de l’Union européenne sur ses États membres. Celle-ci a connu une double mutation, juridique et idéologique, faisant d’elle l’épicentre du tournant néolibéral.

D’un point de vue juridique, la ‘constitutionnalisation’, juridique des Traités conduit à leur ‘sur-constitutionnalisation’82 matérielle. Les Traités européens, et leurs clauses économiques parfois extrêmement précises, ont acquis un statut constitutionnel dans l’Union, et – au minimum – supra-législatif dans les États. Cette précision trop grande d’un texte d’une valeur juridique trop élevée a alors un effet de ‘dé-politisation’83 ; le pouvoir politique se trouvant limité par les Traités.

D’un point de vue idéologique, l’Union européenne a été particulièrement sensible à l’agenda néolibéral. La Cour de justice a ouvert la brèche, jamais refermée par les États et exploitée par la Commission. En effet, la Cour de justice a vu, dans la promotion du marché commun, un moyen de légitimer son action84. Mais surtout, son action destructrice des encadrements juridiques nationaux n’a jamais été compensée par un activisme politique des États ou de la Commission85. Les premiers ont agi par défaut. Les divergences de vues entre eux se résolvent, bien souvent, par l’inaction ou une action limitée, favorisant « une intégration apolitique »86. Cette absence de choix politique par les États a permis à la Commission de faire, librement et explicitement, celui du marché.

Comme le démontre Miguel Poiares Maduro, pour la Cour de justice, « [l]e problème n’est pas le fardeau imposé aux agents par la réglementation en elle-même, le fardeau provient de l’existence de multiples réglementations »87. La Cour n’a alors pas une lecture idéologique mais téléologique. Inversement, pour la Commission, dès 1997 « [l]a surréglementation nuit à la création d’emploi, priorité absolue de l’Union »88. Plus largement, la Commission estime que « [l]es entreprises ont souvent le sentiment de suffoquer sous une réglementation désuète et excessivement pesante, et de ne pas pouvoir trouver les informations dont elles ont besoin »89. La Commission européenne fait alors le choix d’intégrer le point de vue néolibéral et de ne lire les politiques publiques qu’à l’aune du marché, de ses acteurs et donc de leur efficacité économique90.

Ainsi, l’Union a fait sa mue néolibérale plus par lâcheté des États et opportunisme idéologique de la Commission, que par excès de zèle de la Cour de justice. Il n’en reste pas moins qu’à l’issue de ce mouvement, les règles européennes sont devenues une source ‘constitutionnelle’ de la ‘méta-politique’, qui se retrouve aussi en droit interne.

4.1.2 Le renforcement interne

Là encore, il convient largement de distinguer renforcement choisi (4.1.2.1.) et renforcement induit (4.1.2.2.).

4.1.2.1 Le renforcement choisi

Un domaine illustre parfaitement le renforcement d’une contrainte idéologique néolibérale sur la libre conduite des affaires publiques : les finances et la gestion «publiques »91. L’encadrement des recettes de l’État et des modalités de ses dépenses a inévitablement un effet sur le type de politique publique mené. Ce renforcement s’opère de deux manières radicalement différentes : soit par l’adoption de normes contraignantes pour le pouvoir budgétaire, soit par l’influence idéologique. Cependant, l’effet est souvent le même : l’intégration d’une logique de marché au cœur de l’État.

Les États ont librement décidé de limiter leur marge de manœuvre budgétaire aux moyens de normes supra-législatives, dans la logique initiale de la ‘constitution économique’. La généralisation, sous la pression du droit de l’Union européenne, de la « règle d’or » ou « règle d’équilibre budgétaire » le démontre92. De même, Damien Piron souligne parfaitement comment la loi spéciale relative aux finances est instrumentalisée en Belgique pour mettre en concurrence les Régions et ainsi peser – en faveur du marché – sur leurs choix de politique économique. Enfin, en France, l’adoption en 2001 de la « Loi organique relative aux lois de finances » (lolf)93 illustre la volonté du Parlement d’encadrer ses futurs choix budgétaires94. Or, ces choix sont encadrés par des techniques d’origine privée, faisant pénétrer les outils de la catallaxie au cœur de la politique publique95.

La lolf n’est cependant que l’aboutissement d’une conversion idéologique des élites politiques françaises aux dogmes du nouveau management public96. Cette conversion s’est opérée par un changement de l’organisation et des pratiques administratives. S’il était à l’origine seulement question de réforme des services publics97, la démarche s’est rapidement muée en réforme de l’État. Ces réformes98 ont surtout changé la manière dont l’État conçoit son action et donc les instruments qu’il emploie99.

Or, ces réformes apparemment techniques ont un effet paradigmatique100. Dans la logique empruntée à Lucien Morissens, les instruments à disposition de l’État visent à remplir des objectifs. Les réformes successives limitent le type d’instrument à disposition de l’État et, en retour, l’empêchent alors de poursuivre certains objectifs. Le choix d’un instrument a alors une portée politique101. Ainsi, en intégrant les règles de la comptabilité privée, l’État soumet son action aux règles du marché102. Par exemple, ces règles et la représentation chiffrée qu’elles induisent ont imposé l’idée de solidarité intergénérationnelle, aux dépens de la solidarité entre classes103 – changeant de facto la politique de redistribution.

Repenser la redistribution est un choix politique. Or, ce dernier s’est opéré à bas bruit par l’adoption de normes comptables (la lolf) ou de techniques managériales. Là encore, la transformation de l’État a lieu loin de la Constitution et du constitutionnalisme, démontrant l’impérieuse nécessité de penser au-delà de ces catégories classiques pour comprendre les biais de la ‘méta-politique’. Certains estiment cependant que le changement s’est aussi fait au cœur de la Constitution, de manière induite.

4.1.2.2 Le renforcement induit

Les droits fondamentaux et leur justiciabilité peuvent être perçus comme les vecteurs de l’avènement du paradigme néolibéral dans les ordres juridiques contemporains. C’est le point de vue défendu par M. Mahmoud Mohamed Salah104. Il s’ensuit que le juge constitutionnel devient le gardien des droits individuels au fondement de l’ordre économique libéral, devenu néolibéral avec la prégnance de l’impératif de libre concurrence. Cependant, d’autres estiment que, comme la Constitution, les droits fondamentaux sont neutres économiquement. Ainsi, pour Marie-Laure Dussart, les droits fondamentaux « ne constituent pas en eux-mêmes les fondements juridiques du libéralisme économique » et donc, « dans la Constitution, il n’existe pas de droits fondamentaux économiques »105. En effet, les droits fondamentaux ne permettent que la « reconnaissance d’une liberté personnelle dans l’économie »106. Ils ne viennent pas prédéterminer les choix politiques mais ne sont que des « contraintes juridiques aux choix économiques du Parlement »107. Il n’y aurait alors aucune source de ‘méta-politique’ à voir dans les droits fondamentaux.

Ce débat est aussi ancien que les droits de l’homme, accusés de détruire les ordres anciens au profit d’ordres nouveaux108. Ce n’est pas dans la substance des droits qu’il faut chercher une influence ‘méta-politique’, mais dans la procédure. L’avènement du contrôle de constitutionnalité provoque un renversement du rapport de l’individu à l’État – de l’intérêt individuel et de l’intérêt général – en permettant au citoyen ordinaire de contester une décision de la représentation nationale109. Cela participe inévitablement de cette désacralisation du rôle de l’État110, propice à l’installation du paradigme néolibéral, et la revalorisation conséquente des individus et de leurs intérêts personnels.

La procédure joue alors un rôle central dans l’apparition d’une ‘méta-politique’. Si de nouvelles sources – internationale et nationale, juridique, idéologique ou instrumentales – apparaissent, elles ne doivent leur densité qu’aux mécanismes capables d’en garantir le respect.

4.2 Les nouveaux gardiens

Les sources précitées ont retiré aux pouvoirs politiques leur liberté en matière économique. Le choix est préempté. Mais, cette préemption est, en elle-même, un choix. Ce choix pourrait alors être réversible. Cette illusion juridique du choix, perpétrée par l’idée douteuse de ‘souveraineté’ doit être combattue. En effet, juridiquement, certains choix ont été retirés aux acteurs politiques au profit d’acteurs non-majoritaires (4.2.2.). Pragmatiquement, face aux choix politiques se dressent des acteurs privés économiques (4.2.1.). Ces acteurs sont alors en position de peser sur les choix politiques, voire de les sanctionner, et ainsi de garantir le respect du dogme néolibéral.

4.2.1 Les agents privés économiques

Le « marché » est devenu, pour l’État, une contrainte. Plus précisément, les États ont choisi d’organiser les marchés comme une contrainte. Une construction institutionnelle spécifique a permis aux ‘pouvoirs privés économiques’111 de s’ingérer dans la décision et la gestion publiques. Cette ingérence est aussi bien individuelle (4.2.1.1.) que collective (4.2.1.2.). L’influence sera dite individuelle lorsqu’elle est imputable à un acteur, ou un groupe d’acteurs. Elle sera dite collective lorsqu’elle est imputée à une entité supposée : « le marché ».

4.2.1.1 L’ingérence individuelle

L’ingérence individuelle112 peut prendre trois formes. La première, et la moins exploitée ici, est celle du lobbying à travers lequel les pouvoirs privés peuvent influencer la prise de décision publique113. Le deuxième associe les destinataires de la norme à la prise de décision. Cette technique bien connue de la ‘nouvelle gouvernance’114 ne saurait poser de problème tant que les pouvoirs publics ne s’estiment pas tenus par les opinions exprimées par les destinataires, tant que la consultation ne vient pas délibérément limiter leur marge de manœuvre politique. Or, il est évident que dans le contexte où l’intérêt du marché est considéré comme prévalent, les consultations deviennent implicitement contraignantes.

La dernière est, symboliquement, beaucoup plus révélatrice des enjeux au cœur de la transition néolibérale : le choix par les pouvoirs publics de s’en remettre à l’expertise des acteurs privés. L’exemple français de la rgpp souligne comment l’État a confié, en partie, à des cabinets de conseil privés l’évaluation et la réforme de sa gestion des politiques publiques115. Ainsi, le dogme de la ‘catallaxie’ prend forme : l’État choisit de se faire évaluer par des acteurs privés, reconnaissant explicitement leur supériorité sur ses propres techniques.

Intégrés dans l’ensemble des processus de décision, les acteurs privés en sont alors des acteurs à part entière, auxquels une voix prépondérante est accordée, en raison de leur vision jugée supérieure à celle de l’administration116.

4.2.1.2 L’ingérence collective

Le marché est postulé comme une entité abstraite, avec une volonté propre et un pouvoir d’influence. Les marchés financiers sont l’illustration parfaite d’un ‘marché’ érigé en gardien des engagements juridico-économiques des États. En effet, plus que tout autre marché, ils peuvent être projetés comme disposant d’une volonté propre, à laquelle le droit assigne un rôle de contrôle.

D’un point de vue strictement juridique, il n’existe pas de ‘marché’. Il existe des opérateurs et des relations contractuelles entre eux. Il faut appréhender ces relations d’un point de vue ‘dynamique’117. L’innovation, l’ouverture des frontières, la dérégulation ont permis aux différents marchés nationaux et aux différents segments du marché118 de se confondre119, donnant naissance à l’entité « marché financier ». Or, cette entité est dotée d’une ‘transcendance’120 voire même d’une volonté. Comme le démontre André Orléan, les marchés financiers fonctionnent selon une logique ‘auto-référentielle’ de ‘polarisation mimétique’121. Par le jeu des anticipations, les acteurs du marché en viennent à s’imiter et donc à agir de concert, mais sans aucune concertation.

Or, ce mimétisme des marchés financiers a été exploité juridiquement pour devenir contrainte. Comme l’explique la Cour de justice :

il ressort des travaux d’élaboration de ce dernier traité que l’article 125 tfue vise à assurer que les États membres respectent une politique budgétaire saine [...]. En effet, l’interdiction énoncée à l’article 125 tfue garantit que les États membres restent soumis à la logique du marché lorsqu’ils contractent des dettes, celle-ci devant les inciter à maintenir une discipline budgétaire. Le respect d’une telle discipline contribue à l’échelle de l’Union à la réalisation d’un objectif supérieur, à savoir le maintien de la stabilité financière de l’Union monétaire.122

En effet, la clause de no-bail out de l’article 125 tfue, associée à l’interdiction du financement monétaire de l’article 123 et celle de tout traitement privilégié des États sur les marchés financiers, impose aux États de se financer aux mêmes conditions que tout autre émetteur123. Ils sont alors soumis à une « discipline par le marché »124.

En postulant la capacité du marché à les discipliner, les États ont renforcé sa logique mimétique. Ils ont librement décidé de construire les conditions juridiques d’une telle discipline125. Mais, les conséquences d’un tel choix ont certainement été sous-évaluées. La primauté donnée aux marchés financiers a, non seulement, donné naissance à un ‘individualisme patrimonial’ redéfinissant le lien social126, mais surtout conduit à un « déplacement du pouvoir vers le marché »127. Si bien que l’État endetté s’est transformé en État débiteur, dépendant des marchés financiers, et soumis alors à son pouvoir128.

Débiteur de marché dont il a construit les instruments d’un pouvoir, l’État s’est alors soumis à sa discipline. Là se trouve le principal ressort contraignant de la ‘méta-politique’ : la survie financière de l’État se joue dans son respect des attentes du marché, limitant inévitablement sa marge de manœuvre politique. Il devient alors logique qu’il intègre dans la définition même de son action ses acteurs et leurs méthodes. Cette intégration a priori garantit la compatibilité a posteriori des politiques avec les anticipations des marchés. Surtout que l’État a progressivement soumis son action au contrôle d’acteurs non-majoritaires, fréquemment dépositaires des intérêts supposés du marché.

4.2.2 Les organes non-majoritaires

Dans la construction du ‘bon gouvernement’, les acteurs non-majoritaires ont joué un rôle central. Afin d’éviter que la croissance du gouvernement ne rende son pouvoir exorbitant, il a été décidé : soit d’en confier une partie à des autorités indépendantes129, soit de faire contrôler son action par des pouvoirs indépendants (les premiers étant évidemment les Cours constitutionnelles). L’indépendance était justifiée au nom de la neutralité et de l’objectivité, voire la scientificité, de leur rôle130. Elles ne remettraient pas en cause le principe démocratique car elles prennent des décisions sur des critères objectifs (le droit, par exemple) suivant des raisonnements scientifiques (le syllogisme juridique, par exemple). Il ne saurait alors être question ici d’une ‘méta-politique’, ces autorités étant les agents de la volonté démocratique131.

Elles deviennent le relai de la méta-politique à partir du moment où elles sont dotées d’un rôle économique et que leur indépendance se justifie en raison des besoins du marché et de la méfiance vis-à-vis du politique. Au début des années 1980, l’indépendance des banques centrales a précisément été justifiée par l’impérieuse nécessité de retirer aux pouvoirs politiques la maîtrise de la politique monétaire, dans l’intérêt des marchés monétaires, assimilé à l’intérêt général132. Or, plus le dogme de la ‘catallaxie’ s’imposait, plus l’idée d’une régulation indépendante des politiques économiques se diffusait. Comme le souligne Damien Piron, les Cours constitutionnelles sont, à présent, garantes de la discipline budgétaire et de nouvelles autorités indépendantes ont été créées à cet effet133.

Mais cette tutelle ne s’est réellement matérialisée qu’avec le renforcement des procédures européennes de coordination des politiques économiques134. Dans ce cadre, le caractère juridique de l’influence mérite d’être relativisé, le respect par les États de leurs engagements étant limité135. C’est surtout une influence idéologique qu’exerce la Commission européenne. Le carcan procédural dans lequel sont enfermées les procédures budgétaires nationales et l’injonction substantielle de ‘réformes structurelles’, dans le cadre contraint par la discipline de marché, sont l’un des principaux vecteurs de la diffusion d’une ‘méta-politique néolibérale’136. L’Union apparaît alors comme une ‘institution non-majoritaire supranationale’137. À défaut de s’être vraiment politisée138, l’Union a étendu ses méthodes régulatrices139 au cœur des politiques nationales : les choix économiques140. C’est alors un pilotage technocratique des politiques qui apparaît, dans le contexte idéologique d’une préférence marquée pour le marché de la Commission européenne.

Ultime avatar de la transition néolibérale, la coordination des politiques économiques illustre parfaitement les nouvelles formes de pouvoir requises par la ‘méta-politique’. Le droit, sous une forme renouvelée de ‘constitution économique matérielle’, y joue un rôle central, avec des instruments contraignants et des organes de contrôle ‘indépendants’, jusqu’à ce que les portes-tournantes du pantouflage renforcent la fusion de l’intérêt public et de l’intérêt privé141. Mais le pouvoir s’exprime aussi par d’autres acteurs, le marché et certains de ses intervenants, dont les ressorts de l’autorité vont de la contrainte économique matérielle à l’influence idéologique, en passant par la participation directe à la prise de décision. Tout cela impose alors une contrainte, à la teneur partiellement renouvelée, sur les choix de politiques économiques des États et participe, comme l’a montré l’exemple des marchés financiers, à la redéfinition néolibérale du lien social. Car, il ne faut évidemment pas oublier que la transition néolibérale touche la société dans son ensemble, imposant ou suggérant toujours plus des politiques néolibérales, en adéquation avec la nouvelle structure sociale. Cependant, sous l’effet des crises successives, et notamment économiques, l’aura du néolibéralisme – en tant que doctrine économique – décroit, au profit d’un retour de l’interventionnisme. Mais le versant institutionnel et politique du néolibéralisme n’est pas remis en cause. Ainsi, la ‘méta-politique néolibérale’ tend à être remplacée par une ‘méta-politique écologique’.

Conclusion et perspectives – Vers une « constitution écologique » ?

Si le néolibéralisme a, partiellement, échoué dans sa version économique, il reste profondément ancré dans sa version constitutionnelle. Il est porteur d’une forme d’autoritarisme finaliste142. Sa « conception transcendante et normative de la destination finale de la vie et des vivants »143 assignait aux pouvoirs publics l’objectif de réformer la société afin de garantir son adaptation à l’objectif prédéterminé de supériorité du marché. L’action de l’État s’est alors enfermée dans le cadre institutionnel renouvelé de la ‘méta-politique’.

Or, les crises ont remis en cause la transcendance du marché et imposé la transcendance écologique. L’autoritarisme change de fins, mais conserve ses techniques. Comme le souligne M. Mahmoud Mohamed Salah, « le développement durable est aussi conçu comme un “objectif à atteindre” qui implique à la charge des États des obligations en vue de sa réalisation »144. La question écologique peut alors remplacer la question ‘économique’ dans la matérialisation des ‘Constitutions’. Plus populaire, basé sur des faits scientifiques (et non sur des pseudo-lois économiques), l’enjeu écologique semble parfois en passe de devenir la nouvelle norme de la ‘méta-politique’. Or, les dangers d’une telle approche restent les mêmes : la neutralisation du pouvoir politique.

Ainsi, la réorientation par la Commission européenne de son agenda politique au profit de la transition écologique145 n’a induit aucun changement de méthode. Décrétant en décembre 2019 que «[l]a croissance économique n’est pas une fin en soi », la Commission a alors proposé un nouveau modèle économique pour l’Union : « la durabilité compétitive »146. Après avoir intégré les objectifs de développement durable au Semestre européen147, la Commission a saisi l’occasion de la crise sanitaire pour proposer de faire du plan de relance l’instrument de la transition écologique148, dont elle sera le pilote149 et le gardien. En effet, elle approuvera les plans des États, en surveillera la mise en œuvre et pourra suspendre l’aide aux États qui ne respectent pas leurs engagements150.

Changer l’ethos de le ‘méta-politique’ n’en change pas les effets. Aussi nécessaire que soit la transition écologique, elle ne doit pas amputer la liberté du pouvoir politique, ni être décidée par la Commission européenne. La transition écologique est un enjeu politique, qui doit être traité comme tel. En effet, il ne faut pas sous-estimer la « pluralité idéologique des actions qui se réclament de l’environnement »151. Mais surtout, « [a]ccéder à la prospérité sans croissance [...] ne procède pas d’une solution technologique mais d’une mutation politique dont les équivalents historiques sont à rechercher du côté des grandes révolutions techniques qui ont fondé la modernité »152. L’ampleur de la tâche à accomplir impose de sortir de la ‘méta-politique’ et donc refuser tout constitutionnalisme écologique.

1

Nous avons déjà abordé cette notion dans deux contributions, voy. S. Adalid, « L’Union économique et monétaire : une méta-politique », Revue de l’Euro, 2017, vol. 51, disponible à l’adresse : https://resume.uni.lu/story/lunion-economique-et-monetaire-une-meta-politique (dernière consultation le 12 février 2022) ; « T-Dem Versus Economic Meta-policy: The Means and the Ends », European Papers, 2018, vol. 3, n°1, pp. 19–31.

2

N.d.E. : pour une analyse et une comparaison des différentes positions ordo- et néolibérales vis-à-vis du concept de « constitution économique », voy. supra dans volume, T. Biebricher, « An Economic Constitution – Neoliberal Lineages ».

3

N.d.E. : voy. supra dans ce volume, M. M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence internationale des ordres juridiques nationaux » et T. Biscahie & S. Gill, « Three Dialectics of Global Governance and the Future of New Constitutionalism ».

4

N.d.E. : voy. supra dans ce volume, D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ».

5

Expression empruntée à Pierre Rosanvallon (Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015).

6

Sur l’ordolibéralisme comme doctrine économique, voy. S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012, pp. 401–474 (sur le constitutionnalisme économique, pp. 417–424). Pour une approche globale de l’ordolibéralisme, voy. M. Foucault, Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard, 2004, notamment les leçons des 7 et 14 février. Pour une approche juridique de l’ordolibéralisme, voy. M-L. Dussart, Constitution et économie, Paris, Dalloz, 2015, pp. 53–84 ; F. Martucci, « Constitution économique, quelques fragments de doctrine française », in F. Martucci et C. Mongouachon (dir.), La constitution économique (En hommage au Professeur Guy Carcassonne), Paris, La Mémoire du droit, 2015, pp. 27–53. N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume les contributions de la 1ère Section – The Emergence of the Concept: From the Physiocrats to the Weimar Republic, et en particulier : G. Grégoire, « The Economic Constitution under Weimar. Doctrinal Controversies and Ideological Struggles »; H. Rabault, « Le Concept de Constitution économique: émergence et fonctions »; P.C. Caldwell, « The Concept and Politics of the Economic Constitution ».

7

Ainsi, M.-L. Dussart parle du « rejet d’une ‘constitution économique’ » (M.-L. Dussart, Constitution et économie, op. cit., p. 135). N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume, P.-C. Müller-Graff, « The Idea of an Economic constitution (Wirtschaftsverfassung) in German law ».

8

BverfG, 20 juillet 1964, Aide à l’investissement, BVerfGE 4, 7, pp. 17–18 (cité et traduit par Dussart, Constitution et économie, op. cit., p. 135).

9

F. Martucci, « Constitution économique, quelques fragments de doctrine française », op. cit., p. 45.

10

Voy. Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne : actes du cinquième colloque sur la fusion des communautés européennes organisé à Liège les 16,17 et 18 décembre 1970, Liège/La Haye, Martinus Nijhoff, 1971 ; L.-J. Constantinesco, « La constitution économique de la C.E.E. », Revue Trimestrielle de Droit européen, 1977, vol. 13, n°2, pp. 244–281.

11

K. Tuori, « La Constitution économique parmi les Constitutions européennes », Revue Internationale de Droit économique 2011, vol. xxv, n°4, pp. 559–599, spéc. pp. 572–573.

12

Les écrits des années soixante-dix évoquent la ‘constitution économique’, ceux des années quatre-vingt-dix et suivantes évoquent la ‘Constitution économique’.

13

Pour M. Mahmoud Mohamed Salah, « on ne peut parler de constitution économique que pour un ordre économique donné. En l’espèce, il s’agit de l’ordre économique néolibéral » (supra dans ce volume, M. M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique »). Pour Damien Piron, « the financing system of Belgian federated entities can be seen as yet another example of economisation of the State, which typically characterizes neoliberalism » (supra dans ce volume, D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution »).

14

N.d.E. : voy. supra dans volume, T. Biebricher, « An Economic Constitution – Neoliberal Lineages ».

15

Sur cette diversité, voy. S. Audier, Néo-libéralisme(s), op. cit. N.d.E. : l’auteur illustre du reste cette différence supra dans ce volume, avec l’exemple des divergences entre Wilhelm Röpke, Louis Rougier et Jacques Rueff vis-à-vis du projet de marché commun ; voy. S. Audier « Le néolibéralisme : Un “libéralisme autoritaire” néo-schmittien ? ».

16

Ce que Philip Mirowski appelle : « Neoliberal Thought Collective » (voy. P. Mirowski, Never Let a Serious Crisis Go to Waste. How Neoliberalisme survived the Financial meltdown, Londres, Verso, 2013, pp. 51–66).

17

Terme emprunté à Serge Audier, pour qui : « [o]n assiste alors à l’avènement d’un modèle impérialiste, aux prétentions scientifiques, d’homo oeconomicus qui marquerait le triomphe d’un économicisme et d’une vulgate utilitariste généralisée » (S. Audier, Néo-libéralisme(s), op. cit., p. 589).

18

« a kind of “folk” or “everyday” neoliberalism has sunk so deeply into the cultural unconscious » (P. Mirowski, Never Let a Serious Crisis Go to Waste, op. cit., p. 87).

19

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique ».

20

Idem, citant : P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 197.

21

Voy. supra dans ce volume, D. Piron, « The Special Financing Law : Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ». L’auteur renvoie aussi à l’ouvrage de P. Dardot et C. Laval.

22

Sur la supériorité de l’ordre spontané et la ‘catallaxie’, voy. respectivement : F. H. Hayek, Droit législation et liberté 1. Règles et ordre, Paris, Presses Universitaires de France, 1980, pp. 41–64 ; F. H. Hayek, Droit législation et liberté 2. Le mirage de la justice sociale, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, pp. 129–159.

23

Voy. par exemple l’approche de Théodore Georgopoulos, selon laquelle : « la constitution économique se distingue par sa force normative supérieure. En fait, préciser et ordonner le processus économique sur la base de certains choix généraux suppose une stabilité dans le temps et une rigidité face aux pressions politiques et aux tendances conjoncturelles. À cette fin, il est nécessaire que les normes juridiques y afférentes soient hors de portée face à des revendications partisanes et des tentatives d’entorses de la part des acteurs institutionnels. La primauté normative de la constitution économique munit les traits fondamentaux de celle-ci de l’intangibilité et de la pérennité nécessaires pour la stabilité de la perspective du projet économique européen » (T. Georgopoulos, « Sur le concept de “constitution économique de l’Union européenne” », in O. Debarge, T. Georgopoulos et O. Rabaey (dir.), La constitution économique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 3–32, spéc. p. 19).

24

Voy. M.-L. Dussart, Constitution et économie, op. cit., pp. 253–297.

25

Voy. P. Rosanvallon, Le bon gouvernement, op. cit., pp. 37–68.

26

L’expression est à empruntée à P. Rosanvallon (ibid., p. 16).

27

L’une des thèses principales de l’ouvrage de P. Rosanvallon (ibid.).

28

N.d.E. : quoique cette différence soit relativisée par Vincent Valentin supra dans ce volume : V. Valentin, « L’idée de constitution économique et l’hypothèse du libéralisme autoritaire ».

29

F. H. Hayek, Droit législation et liberté 3. L’ordre politique d’un peuple libre, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p. 153.

30

Sur ce thème, voy. l’analyse de l’œuvre de Lippmann faite par B. Stiegler, “Il faut s’adapter”. Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, 2019. Cette dernière résume ainsi l’approche de Lippmann : « […] dans le modèle de Lippmann, comme dans le courant néolibéral qu’il a inspiré, cette réduction et ce réajustement ne font jamais l’objet d’une quelconque discussion démocratique. Décrétées d’en haut, à partir d’une conception transcendante et normative de la destination finale de la vie et des vivants, les modalités concrètes du réajustement doivent être mises en œuvre par une ‘autorité publique’ qui, après avoir disqualifié l’intelligence collective et après avoir replié celle des individus sur leurs intérêts atomiques et à courte vue, reste seule en place pour avoir une vue suffisamment élargie et pour reconstruire les conditions transcendantales de l’ordre social. C’est le retour annoncé du gouvernement centralisé, avec un leadership désormais accordé aux économistes » (ibid., p. 238).

31

Selon la formule de Serge Audier (Néo-libéralisme(s), op. cit., p. 70).

32

Voy. D. S. Grewal et J. Purdy, « Introduction: Law and Neoliberalism », Contemporary Problems, 2014, vol. 77, n°4, pp. 1–23 et C. Blalock, « Neoliberalism and the Crisis of Legal Theory », Contemporary Problems, 2014, vol. 77, n°4, pp. 71–103.

33

Pour un aperçu de cette évolution, voy. L. Rouban, « Les paradoxes de l’État post-moderne », Cités, 2004, vol. 18, n°2, pp. 11–22 ; H. Brunkhorst, « A curtain of gloom is descending on the continent: Capitalism, democracy and Europe », European Law Journal, 2017, vol. 23, pp. 335–349.

34

Voy. M. Barberis, « Idéologies de la Constitution – Histoire du constitutionnalisme », in D. Chagnollaud et M. Tropper (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Tome 2, Paris, Dalloz, 2012, pp. 114–141.

35

Voy. notamment R. Le Velly, Sociologie du marché, Paris, La Découverte, 2012 ; P. Bourdieu, Anthropologie économique : Cours au Collège de France (1992–1993), Paris, Le Seuil-Raisons d’agir, 2017 ; M. Callon, L’emprise des marchés, comprendre leur fonctionnement pour pouvoir les changer, Paris, La Découverte, 2017.

36

Voy. Sur ce point K. Pistor, The Code of Capital. How the Law Creates Wealth and Inequality, Princeton, Princeton University Press, 2019; A.T.F. Lang, « The Legal Construction of Economic Rationalities ? », Journal of Law and Society, 2013, vol. 40, n° 1, pp. 155–171 ; L.B. Edelman, « Rivers of Law and Contested Terrain: A Law and Society Approach to Economic Rationality », Law and Society Review, 2004, vol. 38, n°2, pp. 181–197.

37

Sur ce point, voy. la démonstration de M.-L. Dussart (Constitution et économie, op. cit., pp. 53–104). N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume, G. Grégoire & X. Miny, « Introduction – La Constitution économique : Approche contextuelle et perspectives interdisciplinaires ».

38

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique » et D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ».

39

L. Azoulai, « Constitution économique et citoyenneté de l’Union européenne », Revue Internationale de Droit Économique, 2011, vol. xxv, n°4, pp. 543–557, spéc. p. 544.

40

L. Morissens, « Les grands systèmes d’organisation économique et les Traités européens », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 15–78.

41

L’auteur cite, par exemple, comme objectifs : ‘la croissance’, le ‘plein emploi’ ou la ‘stabilité des prix’ (ibid., pp. 23–29) et comme instruments : ‘les finances publiques’, les ‘instruments de crédit’ ou ‘les contrôles directs’ (ibid., pp. 29–33).

42

Ibid., p. 15.

43

Voy. notamment la défense de l’inclusion dans la Constitution de dispositions relatives à l’économie par Charles-André Junod dans sa réplique : « [e]n revanche, je ne parviens pas à apercevoir comment on peut s’élever contre l’idée qu’il appartient à la constitution de choisir non seulement le régime politique, mais aussi le système économique du pays » (C.-A. Junod, « Réplique », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 200–202, spéc. p. 201).

44

P.-H. Teitgen, « Discussion », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 192–194.

45

M. Lagrange, « Discussion » (ibid., p. 195).

46

Ibid.

47

Elle insiste en effet sur « la difficulté de préciser dans des textes destinés à rester valables durant de longues périodes, des orientations qui fluctuent non seulement en raison des circonstances extérieures et intérieures mais aussi en raison des idées (ou des croyances) en cours à un moment déterminé » (J. Poelmans, « Élaboration des clauses économiques d’un nouveau traité d’intégration européenne », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 86–178, p. 164).

48

L. Dabin, « Dicussions », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 179–182, spéc. p. 180.

49

« plutôt que de demander au juge de les faire à sa place » (P.-H. Teitgen, « Discussion », op. cit., p. 194). Il y voit le risque d’un transfert d’un pouvoir de décision au juge, devenu gardien de la ‘Constitution économique’ comme il l’est de la Constitution.

50

M. Lagrange, « Discussion », op. cit., p. 195.

51

Mise en garde qui nous servira dans la suite de nos développements.

52

L. Morissens, « Les grands systèmes d’organisation économique et les Traités européens », op. cit., p. 50.

53

Voy., par exemple, ses développements concernant les contrôles directs ou la politique de crédit (ibid., pp. 35–36).

54

Ibid., p. 50.

55

« A certains égards, un traité d’intégration économique peut être comparé aux Constitutions que se donnent les États » (J. Poelmans, « Élaboration des clauses économiques d’un nouveau traité d’intégration européenne », op. cit., p. 164). N.d.E. : pour une critique de cette rhétorique ‘constitutionnelle’ en droit de l’UE, voy. supra dans ce volume, P. Lindseth & C. Fasone, « The Eurozone Crisis, the Coronavirus Response, and the Limits of European Economic Governance ».

56

J. Poelmans, « Communication », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 80–84, spéc. p. 84.

57

Ibid., p. 84.

58

K. Markert, « Concurrence et Politique Economique dans la C.E.E. », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 237–261, spéc. p. 238 (« la concurrence ne peut être l’unique élément de la constitution économique du Marché commun ») ; L. Dabin, « Discussions », in Institut d’Études Juridiques Européennes (dir.), La constitution économique européenne, op. cit., pp. 322–331, spéc. p. 324 (« la concurrence n’est pas le centre obligé de toute la politique économique communautaire »).

59

Voy. D. J. Gerber, « Constitutionalizing the Economy: Germand Neo-Liberalism, Competition Law and the ‘New’ Europe », American Journal of Comparative Law, 1994, vol. 42, n°1, pp. 25–84 ; J. Drexl, « La Constitution économique européenne – l’actualité du modèle ordolibéral », Revue Internationale de Droit Économique, 2011, vol. xxv, n°4, pp. 419–454. N.d.E. : voy. aussi supra dans ce volume F. Marty, « Évolution des politiques de concurrence en droit de l’UE: de la Wettbewerbsordnung ordolibérale à la More Economic Approach néolibérale? ».

60

N.d.E. : voy. supra dans ce volume, C. Mongouachon, « Les difficultés d’une interprétation ordolibérale de la constitution micro-économique de l’Union européenne ».

61

Article 222 du Traité cee (devenu article 345 du tfue).

62

Les dispositions relatives aux objectifs et instruments de la P.A.C. n’ont quasiment pas été révisées depuis 1957.

63

Il faut aussi rappeler que le Traité cee prévoyait aussi la création du Fonds social européen (articles 123 à 128 tcee).

64

Cinq objectifs sont assignés à la P.A.C. : « accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique », « assurer un niveau de vie équitable à la population agricole », « stabiliser les marchés », « garantir la sécurité des approvisionnements » et « assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs » (article 39 Traité cee, devenu article 39 du tfue).

65

Sur l’interventionnisme, voy. M.L. Morissens, « Les grands systèmes d’organisation économique et les Traités européens », op. cit., pp. 18–23.

66

Article 40 Traité cee, devenu article 40 du tfue.

67

Voy. A. J. Menéndez, « The Existential Crisis of the European Union », German Law Journal, 2013, vol. 14, n°5, pp. 453–526, notamment pp. 471–485.

68

Voy. notamment E. Christodoulidis, « The European Court of Justice and “Total Market” Thinking », German Law Journal, 2013, vol. 14, n° 10, pp. 2005–2020. N.d.E.: voy. aussi, quoique dans une perspective beaucoup plus nuancée, supra dans ce volume, P. Van Cleynenbreugel & X. Miny, « The Fundamental Economic Freedoms: Constitutionalizing the Internal Market ».

69

M. Poiares Maduro, We the Court. The European Court of Justice and the European Economic Constitution (A Critical Reading of Article 30 of the EC Treaty), Oxford, Hart Publishing, 1998.

70

En l’espèce, la libre circulation des marchandises.

71

Pour une présentation synthétique de ces trois modèles, voy. K. Tuori, « La Constitution économique parmi les Constitutions européennes », op. cit., pp. 572–573.

72

M. Poiares Maduro, We the Court, op. cit., p. 110 (nous traduisons) (sur ce modèle, voy. ibid. pp. 110–126).

73

Ibid., p. 126 (nous traduisons) (sur ce modèle, voy. ibid., pp. 126–143).

74

Ibid., p. 126.

75

Ibid., p. 143–149.

76

N.d.E.: voy. supra dans ce volume, T. Biscahie & S. Gill, « Three Dialectics of Global Governance and the Future of New Constitutionalism ».

77

L. Dabin, « Dicussions », op. cit., p. 180.

78

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique » et D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ».

79

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique ».

80

Signé le 2 mars 2012 entre 25 États membres de l’Union européenne, notamment article 3, §2 (ci-apres tscg).

81

Voy. supra dans ce volume, D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ».

82

Voy. D. Grimm, « The Democratic Costs of Constitutionalisation: The European Case », European Law Journal, 2015, vol. 21, n°4, pp. 460–473, spéc. pp. 469–471.

83

Ibid., pp. 467–469.

84

M. Poiares Maduro, We the Court, op. cit., pp. 7–32.

85

Voy. D. Grimm, « L’Europe par le droit : jusqu’où ? Les limites de la dépolitisation », Le Débat, 2015, vol. 187, n°5, pp. 99–113.

86

Ibid., p. 104.

87

M. Poiares Maduro, We the Court, op. cit., p. 68.

88

Commission européenne, « Projet de Plan d’Action pour le Marché Unique », com(97)184 final, 6 mai 1997, p. 8.

89

Commission européenne, « Améliorer le marché unique : de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises », COM(2015)550 final, 28 octobre 2015, p. 1.

90

Voy. A. Crespy et P. Ravinet, « Les avatars du néo-libéralisme dans la fabrique des politiques européennes », Gouvernement et action publique, 2015, vol. 3, n°2, pp. 9–29.

91

Sur la constitutionnalisation néolibérale en matière budgétaire, voy. P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Seuil, 2008, pp. 238–242. Pour une illustration juridique du mouvement de constitutionnalisation budgétaire, voy. M. Bouvier, « Crise des finances publiques, crise d’un modèle politique et naissance de l’“État intelligent” », Revue Française de Finances Publiques, 2009, vol. 108, pp. 69–83.

92

Sur ce thème, voy. M. Adams, F. Fabbrini et P. Larouche (dir.), The Constitutionalization of European Budgetary Constraints, Oxford, Hart Publishing, 2014.

93

Loi organique n° 2001–692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, jorf n°177 du 2 août 2001, texte n°1, ci-après lolf.

94

D’après l’article 47 alinéa 1 de la Constitution de la République Française du 4 octobre 1958 : « [l]e Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ».

95

Comme en témoigne l’article 30, alinéa 2 de la lolf selon lequel : « Les règles applicables à la comptabilité générale de l’État ne se distinguent de celles applicables aux entreprises qu’en raison des spécificités de son action ». Sur l’influence de la lolf, voy. M. Bouvier, « Mutation des finances publiques et crise du pouvoir politique ? », Revue Française de Finances Publiques, 2002, vol. 79, pp. 241–258.

96

Pour une généalogie de cette conversion, voy. P. Bezes, « État, experts et savoirs managériaux. Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les années 1970 », Actes de la Recherche en Science Sociale, 2012, vol. 193, pp. 16–37.

97

Voy. Circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public, jorf n°47 du 24 février 1989, pp. 2526–2529 et Circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en œuvre de la réforme de l’État et des services publics, jorf n°174 du 28 juillet 1995. Sur ces réformes, voy. G. Barouch, « La mise en œuvre de démarches qualité dans les services publics : une difficile transition », Politiques et management public, 2010, vol. 27, n°2, disponible à l’adresse : https://journals.openedition.org/pmp/2297 (dernière consultation le 12 février 2022).

98

Chaque majorité a eu sa réforme. La révision générale des politiques publiques de 2007 à 2012 (ci-après rgpp), la modernisation de l’action publique de 2012 à 2017, le programme ‘Action publique 2022’ de 2017 à 2022.

99

Sur les instruments, voy. P. Lascoumes et P. Le Galès, « L’action publique saisie par ses instruments », in P. Lascoumes et P. Le Galès (dir.) Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Science Po, 2005, pp. 11–44.

100

Voy., pour la rgpp, F. Dreyfus, « La révision générale des politiques publiques, une conception néolibérale du rôle de l’État », Revue Française d’Administration Publique, 2010, vol. 136, pp. 857–864.

101

En effet, « chaque instrument d’action publique constitue une forme condensée et finalisée de savoir sur le pouvoir social et les façons de l’exercer » (P. Lascoumes et P. Le Galès, « L’action publique saisie par ses instruments », op. cit., p. 27).

102

Sur ce thème, voy. N. Praquin, S. Lefrancq et I. Chambost, « Quand l’État s’empare de la comptabilité privée. Quels rôles pour les sciences de gestion ? », Revue Française de Gestion, 2014, vol. 245, pp. 21–34.

103

Voy. Y. Le Lann et B. Lemoine, « Les comptes des générations. Les valeurs du futur et la transformation de l’État social », Actes de la Recherche en Science Sociale, 2012, vol. 194, pp. 62–77. Selon eux : « La comptabilité des dettes transmises entre générations impose le schème libéral, individualiste et patrimonial aux droits sociaux, compris comme autant de futurs droits de tirage des assurés et des contribuables sur l’État. Elle réduit la question de la justice à des modalités de redistribution formulées en termes d’équilibre budgétaire qui visent à ne pas reporter les charges sociales d’une génération à l’autre » (ibid., p. 64).

104

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique ».

105

M.-L. Dussart, Constitution et économie, op. cit., p. 189.

106

Ibid., p. 193.

107

Ibid., p. 251.

108

Sur ce thème, Voy. J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, 2016.

109

Même si le contrôle de constitutionnalité participe de la démocratie, (voy. M. Barberis, « Idéologie de la constitution – Histoire du constitutionnalisme », op.cit.).

110

Voy. J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le procès des droits de l’homme, op. cit., pp. 65–72.

111

Sur ces pouvoirs, voy. G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Paris, Litec, 2000, pp. 613–661.

112

Sur l’importance prise, notamment, par les ‘grandes entreprises’, Voy. C. Crouch, L’étrange survie du néolibéralisme, Bienne-Berlin, Diaphanes, 2016.

113

Marie-Anne Cohendet va jusqu’à se poser la question de : « [l]a démission de l’État face aux pouvoirs privés » (M.-A. Cohendet, « Une crise de la représentation politique », Cités, 2004, vol. 18, pp. 41–61, spéc. pp. 48–50).

114

Prônée notamment par la Commission européenne, « Gouvernance européenne. Un livre blanc », com 2001(428)final, 25 juillet 2001.

115

Sur le rôle des consultants, voy. F. Lafarge, « La révision générales des politiques publiques : objet, méthode et recevabilité » et P. Bezes, « Morphologie de la RGPP : Une mise en perspective historique et comparative », Revue Française d’Administration Publique, 2010, vol. 136, resp. pp. 755–774 et pp. 775–802.

116

N.d.E. : Le recours aux entreprises de consultance a donné lieu à de vives controverses en France lors de la campagne électorale de 2022, en particulier à la suite de la parution du rapport d’enquête sénatorial consacré à l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques (voy. Éliane Assassi, Rapport n° 578 fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques sur « Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », Sénat, déposé le 16 mars 2022, disponible à l’adresse : http://www.senat.fr/rap/r21-578-1/r21-578-1.html (dernière consultation le 6 avril 2022).

117

Selon l’expression de J.-M. Sorel, « Les États face aux marchés financiers », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, op. cit., pp. 507–543, spéc. p. 509.

118

Monétaire, obligataire, etc.

119

Sur ce phénomène, voy. J.-M. Sorel, « Les États face aux marchés financiers », op. cit., pp. 508–517.

120

Ibid., p. 517.

121

A. Orléan, Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999, notamment pp. 57–122.

122

cjue, 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12 (ecli:eu:c:2012:756) §. 135.

123

Sur la logique de ces articles, voy. F. Martucci, L’ordre économique et monétaire de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 710–720.

124

Formule empruntée à F. Martucci (ibid., p. 710).

125

Sur le volontarisme des États dans ces transformations, voy. J.-M. Sorel, « Les États face aux marchés financiers », op. cit., pp. 517–525.

126

« On assiste en conséquence à un dépérissement des formes traditionnelles de solidarité citoyenne au profit d’une dépendance aux autres, toujours plus abstraire et anonyme, sous l’égide des marchés. L’individu s’y définit comme un propriétaire de droits-titres dont il lui faut défendre la valeur. Pour cette raison, on parlera à son propos d’un ‘individualisme patrimonial’ » (A. Orléan, Le pouvoir de la finance, op. cit., p. 244).

127

Ibid., p. 246.

128

Sur cette transformation, voy. W. Streeck, Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, Paris, Gallimard, 2014. L’auteur résume ainsi les effets de cette transformation : « [l]’État débiteur de notre temps peut être présenté comme le destinataire et le mandateur de deux collectifs différemment constitués, système intermédiaire entre deux environnements en situation de conflit car fonctionnant selon des logiques tendanciellement inconciliables : la population, le peuple national {Staatsvolk} d’un côté, et les ‘marchés’, les gens de marché {Marktvolk} de l’autre » (ibid., p. 119).

129

Sur l’histoire de ce mouvement, voy. P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, op. cit., pp. 121–138.

130

Voy. A. Sajo, « Les autorités indépendantes », in D. Chagnollaud et M. Tropper (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Tome 2, Paris, Dalloz, 2012, pp. 321–365.

131

Soit directement du peuple s’exprimant au travers de la Constitution pour les Cours constitutionnelles ; soit de ses représentants pour les autorités indépendantes.

132

Sur ce mouvement, voy. nos développements : S. Adalid, La Banque centrale européenne et l’Eurosystème. Recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 504–510.

133

Voy. supra dans ce volume, D. Piron, « The Special Financing Law: Tax competition and fiscal consolidation at the heart of Belgium’s material economic Constitution ».

134

Voy. J.-B. Auby et P. Idoux (dir.), Le gouvernement économique européen, Bruxelles, Bruylant, 2017.

135

Voy. Cour des comptes européenne, « Semestre européen : les recommandations par pays abordent des problématiques importantes, mais leur mise en œuvre laisse à désirer », Rapport spécial 16/2020.

136

Voy. nos développements dans S. Adalid, « T-Dem Versus Economic Meta-policy: The Means and the Ends », op. cit. De même, pour Jukka Snell, la participation à l’UEM interdit toute ‘mass-politics’ (J. Snell, « The Trilemma of European Economic and Monetary Integration, and Its Consequences », European Law Journal, 2016, vol. 22, n°2, pp. 157–179).

137

Voy. Y. Mounk, Le peuple contre la démocratie, Paris, Éditions de L’Observatoire, 2018 (notamment le deuxième chapitre de la première partie, pp. 79–144).

138

Voy. J.H.H. Weiler, « Europe in crisis – On political ‘messianism’, ‘legitimacy’ and the ‘rule of law’ », Singapore Journal of Legal Studies, 2012, n°2, pp. 248–268.

139

Sur ces méthodes, voy. G. Majone, La Communauté européenne – Un État régulateur, Paris, Montchrestien, 1996.

140

Voy. P. Leino et T. Saarenheimo, « Sovereignty and Subordination : on the Limits of EU Economic Policy Co-ordination », European Law Review, 2017, vol. 42, pp. 166–189. Ils évoquent l’idée d’une ‘technocratic delegation’ (p. 176).

141

Sur ce phénomène, voy. P. France et A. Vauchez, Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage, Paris, Presses de Science Po, 2017.

142

N.d.E. : voy. supra dans ce volume, W. Bonefeld, « Economic Constitution and Authoritarian Liberalism – Carl Schmitt and the idea of a “Sound Economy” », et les discussions par S. Audier (« Le néolibéralisme : Un “libéralisme autoritaire” néo-schmittien ? ») et V. Valentin (« L’idée de constitution économique et l’hypothèse du libéralisme autoritaire »).

143

B. Stiegler, “Il faut s’adapter”, op. cit., p. 238.

144

Voy. supra dans ce volume, M. Mohamed Salah, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux et l’idée de Constitution économique ».

145

Commission européenne, Un pacte vert pour l’Europe, com(2019)640final, 11 décembre 2019.

146

Commission européenne, Examen annuel de la croissance 2020, com(2019)650 final, 11 décembre 2019, p. 1 et p. 4.

147

Idem.

148

D’après elle, « [l]a réaction économique à la crise du Covid-19 offre une occasion unique d’accélérer le transition écologique » (Commission européenne, Stratégie annuelle 2021 pour une croissance durable, com(2020)575 final, 17 septembre 2020, p. 3).

149

Voy. notamment les recommandations très précises adressées aux États dans le choix des mesures devant figurer dans leur plan de relance : European Commission, « Guidance du Member States Recovery and Resilience Plans », swd(2021)12 final, 22 january 2021.

150

Règlement (UE)2021/241 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience, j.o.u.e. l. 57, 18 février 2021, pp. 17–75, articles 19, 20 et 24.

151

P. Charbonnier, Abondance et liberté – Une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, 2020, p. 19.

152

Ibid., p. 20.

Bibliographie sélective

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