Dans un contexte de sensibilité accrue à la participation des femmes à l’histoire des idées et des mentalités, au sein de la société tout entière comme au sein de la recherche universitaire, leur contribution dans le domaine spirituel reste encore peu interrogée et peu historicisée. Du centon chrétien de la poétesse romaine Proba sans cesse réimprimé de 1474 à 1601 aux Œuvres chrestiennes de Gabrielle de Coignard en 1594 et jusqu’au Levain du Calvinisme de Jeanne de Jussie en 1611, l’autorité spirituelle féminine s’affirme progressivement dans l’espace du livre manuscrit ou imprimé au XVIe siècle en Europe. Son émergence est particulièrement décelable dans les écrits de langue française, sur lesquels le présent volume se concentre. Pourtant, de lourdes injonctions pèsent sur cette autorité naissante et elle fait l’objet de nombreuses répréhensions depuis la première épître de Paul aux Corinthiens jusqu’à Montaigne. Malgré cela, qu’elles soient catholiques, évangéliques ou réformées, des autrices – plus rarement des religieuses que dans les siècles précédents et plus souvent des laïques – n’ont eu de cesse de faire entendre leur voix : les Œuvres spirituelles de Gabrielle de Bourbon (1510-1516), L’Epistre très utile de Marie Dentière en 1539, les Dévotes épistres de Catherine d’Amboise (circa 1530-1540), l’œuvre abondante et polymorphe de Marguerite de Navarre entre 1521 et 1549, de sa correspondance jusqu’aux nouvelles de L’Heptaméron en passant par son théâtre et sa poésie lyrique ; puis dans la deuxième moitié du siècle, les poèmes et les traductions d’Anne de Marquets, les Emblèmes et devises chrestiennes de Georgette de Montenay (1567), Gabrielle de Coignard, Marie de Brabant, Suzanne Habert et bien d’autres, viennent bousculer un discours toujours d’abord masculin. On sait que dans la lyrique profane, et particulièrement dans le pétrarquisme, la parole énoncée au féminin perturbe le code initial, masculin ; en est-il ainsi dans la parole religieuse encore bien plus normée ?
Des travaux ponctuels ont déjà montré que cette parole se nourrit par la connaissance des Écritures ou par la lecture et la méditation ou, plus indirectement, par la liturgie, l’homilétique et les écrits théologiques. Le mouvement réformateur, schismatique ou non-schismatique, par la prise en compte du lectorat féminin a encouragé – souvent malgré lui – la production d’écrits religieux de la main féminine. Le temps est venu de poser dans le prolongement des études déjà existantes la question de l’émergence de l’autorité de cette écriture spirituelle féminine. Les quatorze études réunies ici portent un regard nouveau sur les tentatives des femmes pour s’approprier le discours religieux. Nourries par les tables rondes préparatoires et le colloque organisé à Lyon les 12 et 13 décembre 2019, dans le cadre de l’année scientifique franco-polonaise, sous le parrainage de l’Ambassade de France et de l’Institut Français à Varsovie, par Michèle Clément de l’Université Lumière Lyon 2, Isabelle Garnier de l’Université Jean Moulin Lyon 3 et par Dariusz Krawczyk de l’Institut d’études romanes de l’Université de Varsovie, ces études évaluent les contradictions, les difficultés et les soutiens que rencontrent les initiatives féminines chrétiennes, sur l’espace d’un siècle élargi. Elles abordent, pour l’écriture spirituelle féminine, les sources de l’innutrition chrétienne, la question des modèles, la circulation et la réception de ces écrits, les foyers de l’autorité féminine et les marques textuelles de cette autorité. En mettant en évidence la montée en puissance d’une autorité reconnue aux femmes dans le domaine spirituel au début de l’époque moderne, elles ouvrent un champ de recherche inédit qu’il appartiendra à nos lectrices et à nos lecteurs de continuer à explorer.
Pour aborder la question de l’autorité spirituelle féminine au XVIe siècle en France, il faut combiner les approches et les points de vue. Dans une perspective large, les deux articles introductifs donnent le cadre de la réflexion. Celui de Michèle Clément pose la question de la définition de l’autorité spirituelle quand elle n’est pas issue d’un pouvoir institué et reste de l’ordre de l’interdit. Elle interroge d’abord les formes que pouvait prendre l’autorité féminine, d’une simple prise de parole en public sur des questions religieuses jusqu’à la possibilité de fonctions sacerdotales exercées par les femmes. Elle analyse donc les conditions de possibilité d’une autorité spirituelle féminine pendant la période étudiée, en s’intéressant plus particulièrement aux manifestations d’une volonté de changement aussi bien du côté catholique que protestant. Cette démarche permet d’établir le cadre théologique et conceptuel dans lequel pouvait se développer un discours en faveur d’une certaine ouverture de la part des autorités ecclésiastiques, c’est-à-dire un discours fondé sur l’universalisme chrétien non genré.
Dans la deuxième partie de l’introduction, Isabelle Garnier aborde, sous un autre angle, l’émancipation spirituelle féminine qui échappe de plus en plus aux mains masculines. L’accès des femmes à la lecture et donc la relation personnelle qu’elles développent avec les textes saints, l’émergence de l’écriture au féminin, d’abord manuscrite puis imprimée, contribuent à l’évolution de la spiritualité, en permettant à la parole féminine d’accéder à une plus grande visibilité. L’affirmation progressive de l’autorité spirituelle féminine au début du XVIe siècle est perceptible dans l’œuvre de trois autrices représentatives de ces mutations sociales et spirituelles : Gabrielle de Bourbon, Catherine d’Amboise et Marguerite de Navarre. Si les deux premières n’ont pu bénéficier que d’une circulation manuscrite limitée aux réseaux aristocratiques, les œuvres de Marguerite de Navarre connaissent une diffusion non seulement manuscrite mais aussi imprimée et un rayonnement qui favorisera la visibilité et la reconnaissance de nouvelles autrices après elle, tout en propageant l’idée d’une autorité spirituelle au féminin.
La première partie du volume se concentre sur la question des modèles de l’autorité spirituelle féminine et, par conséquent, sur les différentes formes de légitimation et d’auctorialité choisies par les autrices.
Cette partie s’ouvre sur l’article d’Anne Debrosse qui propose une typologie des stratégies de légitimation des écrivaines spirituelles au XVIe et au XVIIe siècles. L’inégalité culturelle et sociale, jointe aux interdits émanant de la Bible et de la tradition chrétienne, demande de la part de ces autrices une adaptation et surtout le renoncement à concurrencer les hommes dans la réflexion purement théologique. Du moment qu’elles ne prétendent pas s’occuper de théologie, tout un ensemble de stratégies et de postures d’auctorialité s’offrent à elles. Anne Debrosse insiste ainsi d’abord sur la remarquable variété des autrices et des productions – grandes et petites dames, lettrées ou sans éducation, laïques et religieuses – pour montrer qu’à partir du XVe siècle et surtout aux XVIe et XVIIe siècles, les femmes sortent du silence imposé et se mettent à écrire sur les matières spirituelles, raison pour laquelle se développe une nouvelle spiritualité féminine. Les exemples de justification et de légitimation de l’écriture spirituelle féminine – ou leur absence, fréquente – permettent aussi de prendre conscience des différents modèles suivis par les autrices. Il est intéressant d’observer qu’en l’absence d’écrivaines bibliques avérées ou suggérées par les Écritures, certaines autrices se tournent, de manière paradoxale, vers le modèle de Sappho qui connaît un regain d’intérêt dans les premières décennies du XVIe siècle.
Daniela Solfaroli Camillocci insiste sur le retrait progressif des expressions de sainteté charismatique et non institutionnalisée pendant le XVIe siècle, lors de ce qu’elle appelle la « crise de la parole prophétique ». Car aussi bien les réformateurs que les catholiques ressentent une méfiance envers ces formes de sainteté pourtant légitimées par une longue tradition, ce qui dans le contexte des dissensions religieuses se traduit par un soupçon d’hétérodoxie et donc par des limitations ou des interdits. C’est dans ce cadre que sont analysés le parcours biographique et les écrits de Marie Dentière, ainsi que les implications théologiques des modèles prophétiques vétérotestamentaires qu’elle évoque pour justifier son action à Genève, et que sont mises en relief les continuités et les discontinuités dans la construction de l’autorité spirituelle de cette ancienne religieuse très engagée dans la Réforme : celle qui prêchait dans les rues de Genève et s’est opposée à Calvin défendait le droit pour tout fidèle, femme et homme, de prendre la parole en public quand il ou elle est illuminé et soumis à l’autorité de la Parole. Cette perspective théologique égalitaire exposée dans l’Epistre tres utile (1539) a déclenché la première affaire de censure à Genève.
Les trois articles suivants interrogent l’autorité spirituelle des œuvres de Gabrielle de Coignard. Dans le premier, Barbara Marczuk, en plongeant aux sources bibliques, met en relief les inflexions que Gabrielle de Coignard fait subir au modèle du veuvage transmis par les Écritures. Elle observe que tout le recueil est marqué par le travail du deuil et que la viduité en est un motif structurant. Le choix de rester veuve était lourd de significations spirituelles : la viduité était censée rapprocher de Dieu, demandait des qualités morales supérieures et était réputée réservée aux âmes d’élite. L’article s’intéresse aussi aux vertus représentées par ces femmes bibliques et donc aux diverses formes d’autorité spirituelle proposées aux femmes à travers ces exemples, d’autant plus que les modèles bibliques sont soumis à des modifications parfois très importantes. Ainsi dans le cas de Judith, Gabrielle de Coignard considère que cette héroïne n’est ni violente, ni virile, ni séduisante, mais reste humble et chaste, ce qui ne l’empêche pas d’accomplir sa mission. Paradoxalement, chez cette poétesse, les veuves jouissent d’une autorité, sans avoir les vertus qui lui sont traditionnellement associées.
L’attention de Marie-Laurentine Caëtano se porte à la fois sur l’autorité du « je » lyrique dans les poésies de Gabrielle de Coignard et sur la construction par ses filles de l’autorité de la poétesse elle-même dans la préface à son recueil posthume. Elle observe un nouveau paradoxe : bien que, durant sa vie, l’autrice ait tout fait pour vivre selon l’idéal féminin d’humilité, modestie, soumission, obéissance et abnégation, après sa mort, elle devient malgré elle un modèle de dévotion et de spiritualité. L’article met en avant la construction du sujet lyrique, c’est-à-dire de cet alter ego littéraire qui prend la parole, identifiable à l’autrice, mais qui peut aussi représenter tout chrétien à la recherche de son salut. C’est ainsi que le recueil poétique posthume de Gabrielle de Coignard s’est prêté à une récupération par les jésuites qui en ont fait un outil de propagande de la Réforme catholique.
Daniel Fliege, pour sa part, analyse l’influence qu’a pu exercer la poésie de Victoria Colonna sur Gabrielle de Coignard, à une période où il existe des différences dans la manière de penser et de traiter l’écriture féminine entre la France et l’Italie et où celle-ci se signale, dès le milieu du XVIe siècle, par un groupe de poétesses reconnues. Le pétrarquisme spirituel, aussi bien italien que français, doit énormément à Victoria Colonna qui devient une autorité à la fois poétique et spirituelle. L’œuvre de Gabrielle de Coignard, assurément grande lectrice de la poétesse italienne, révèle – comme celle de Philippe Desportes – une imitation non servile permettant l’innovation et l’émergence d’une voix propre.
Simone de Reyff retrace, quant à elle, l’histoire de la réception anglaise du Miroir de l’âme pécheresse de Marguerite de Navarre. Elle inscrit la fortune du Miroir outre-Manche à la fois dans l’histoire des relations politiques à la cour d’Angleterre, dans l’histoire de la rupture confessionnelle avec Rome et au sein des tensions religieuses liées à une popularité croissante du calvinisme. L’histoire commence par une traduction en prose du Miroir faite par la jeune princesse et future reine Élisabeth, qui témoigne de son goût pour les lettres, son talent pour les langues et ses sympathies religieuses, sans doute nourries par un des précepteurs français à la cour anglaise, Jean Bellemain, acquis à la Réforme. L’analyse de la traduction montre qu’il s’agit plutôt d’une adaptation fidèle qui libère le Miroir de toute charge polémique et en fait un livre de dévotion moderne. Il entre toutefois dans la logique partisane des polémiques religieuses à partir de sa publication en 1548 et cela est sensible dès le texte écrit par Catherine Parr, la dernière épouse d’Henri VIII. Inspiré par le Miroir, The Lamentacion of a Sinner (1546) constitue à la fois une profession de foi évangélique, la critique de l’Église et la dénonciation de l’apathie religieuse de la société anglaise tout entière. Ce texte à son tour a été traduit par Jean Bellemain en français, sans doute en vue de nourrir la polémique religieuse en France. Même si Marguerite de Navarre elle-même est restée fidèle à l’Église catholique, son poème le plus célèbre pouvait plaire aux Réformés non seulement en France, mais aussi à l’étranger.
La deuxième partie du volume interroge les formes de l’autorité spirituelle féminine sous les plumes des autrices du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle. Isabelle Fabre souligne le rôle crucial joué par Marguerite de Navarre dans l’économie du Triumphe des Vertuz (1508-1518) de Jean Thenaud, et surtout dans le Triumphe de Prudence. La visée didactique de cette somme allégorique conduit à montrer Marguerite moins comme elle est que comme elle devrait être. Thenaud assigne une place toute particulière au personnage de la jeune duchesse, qui par son discours réussit à vaincre la Folie, et qui incarne la Prudence ; son intervention se révèle décisive pour les protagonistes et les met sur la bonne voie pour gagner le Paradis. C’est grâce à son aide que les pèlerins qui s’éloignent de Dieu reçoivent une leçon de sagesse et de prudence qui les incite à mépriser les biens terrestres et désirer l’union mystique. Marguerite de Navarre possédant un exemplaire des Triumphes dans sa bibliothèque, elle a pu s’en inspirer au moment de la rédaction de ses Prisons, surtout pour le livre III.
Dariusz Krawczyk passe en revue les figures les plus marquantes de l’autorité spirituelle féminine de l’œuvre de Marguerite de Navarre pour interroger leurs caractéristiques et tenter d’identifier la plus proche de la reine. Ses œuvres sont en effet très riches en figures de femmes qui transmettent un enseignement religieux ; des témoignages historiques concordants montrent qu’elle l’a fait aussi à sa manière auprès de son entourage. Trois personnages de son œuvre se distinguent et possèdent de nombreuses caractéristiques communes : la Sage de la Comédie de Mont-de-Marsan, Oisille dans L’Heptaméron et Marie dans les comédies bibliques. Toutes les trois représentent une foi profonde, évangélique, mais seule Marie incarne à la fois la posture de Marthe et de Marie, c’est-à-dire une spiritualité mystique tournée vers Dieu et une spiritualité qui met en relief l’importance de l’action dans le monde au service de la Parole.
Simone de Reyff dans l’article suivant souligne le paradoxe propre à l’écriture de Marguerite de Navarre : sa revendication d’une autorité qui est en fait une « non-autorité ». L’analyse des Prisons met en évidence ce désir de s’anéantir, de devenir Rien (thème récurrent dans la poésie spirituelle de la reine) pour, dans ce néant, être en vérité. C’est ce qui expliquerait la tendance à la dissolution de la voix auctoriale, qui conduit la parole à devenir instrument de la Parole. Il faut chercher la parole d’autorité ailleurs, dans la mise en texte, dans l’espace de l’écriture qui devient celui de la créativité. L’autorité auctoriale équivaut à la conscience auctoriale visible non dans un discours métapoétique, mais dans les écarts par rapport aux normes littéraires et aux attentes des lecteurs. Analysées de ce point de vue-là, Les Prisons révèlent des écarts significatifs par rapport au modèle du pèlerinage allégorique et de la progression mystique.
Anne de Marquets, analysée par Marie-Laurentine Caëtano, constitue un cas à part parmi les autrices étudiées dans le recueil, parce qu’elle était religieuse. Le paratexte des recueils d’Anne de Marquets témoigne de la forme particulière de l’autorité qu’elle adopte, à la fois pour répondre aux objections des critiques de son époque, s’inscrire dans le paysage littéraire du temps et rester fidèle aux vertus d’humilité, de soumission et d’obéissance, qui devaient être les siennes en tant que femme et religieuse. Dans les liminaires, elle donne toujours l’impression qu’elle publie à contrecœur et que c’est la décision qu’on lui impose. Mais ce refus de s’affirmer comme autrice ne l’empêche pas de répondre aux attaques des polémistes calvinistes, de combattre l’erreur des protestants, de défendre son travail et de jouir du soutien des plus grands poètes de son époque, à qui elle demande par ailleurs d’abandonner la fable païenne pour se consacrer à la poésie spirituelle. Elle exerce donc pleinement le métier de poète, prend la parole volontiers et s’affirme comme autrice avec toujours plus d’assurance au fil des publications successives, tout en préservant sa modestie.
Caroline Trotot montre que les mémoires de Charlotte Arbaleste, épouse de Philippe Duplessis Mornay, en apparence dépourvus d’autorité spirituelle (il s’agit de l’histoire d’une famille), n’en permettent pas moins à l’autrice d’inscrire en filigrane son autorité de mère, son autorité spirituelle et son autorité auctoriale, tout en les déployant dans les limites de la modestie féminine et chrétienne. Non seulement la mémorialiste huguenote donne à son fils un texte à lire et relire pour le guider dans sa vie, mais encore elle exploite le genre biographique à des fins spirituelles. La rédaction des Mémoires devient pour Charlotte Arbaleste une révélation de l’action singulière de la grâce divine dans le monde et dans le destin d’une famille. Et cette action de la grâce commence déjà dans le ventre maternel, d’où l’importance du thème récurrent de la maternité comme pilier de l’autorité féminine. Non seulement elle met au monde son fils, mais elle enfante aussi pour lui un discours de foi. Les Mémoires affirment ainsi l’autorité de l’autrice : elle y trouve sa voix, s’y présente en femme réformée, épouse, mère, aussi bien du point de vue social, qu’intellectuel et spirituel.
Les « vies parallèles » de Suzanne Habert et de Jaqua Françoise Pautrard, étudiées par Audrey Duru, constituent encore une autre face de l’autorité spirituelle féminine de cette période. Dans leur cas, elle est imposée de l’extérieur, par des hommes, sans lien avec le travail littéraire de ces deux femmes. Tandis que Suzanne Habert n’a presque rien écrit, les œuvres littéraires de Jaqua Françoise Pautrard sont restées manuscrites. Leurs cas permettent d’observer le rôle des lettres dans la légitimation de l’autorité féminine. Ils permettent de mettre en évidence le rôle des sociabilités lettrées, familiales ou municipales qui, dans le cas des deux femmes, ont permis une sorte de patrimonialisation paradoxale. Suzanne Habert accède au rang d’autorité théologique et spirituelle au sein de l’Église catholique, tout en restant une autorité consultative. Quant à Jaqua Françoise Pautrard, elle devient au niveau local (à Arbois) une autorité discrète incarnant les valeurs intellectuelles auxquelles prétend la municipalité : valorisation de la pédagogie et du savoir, instruction des filles.
Encore un paradoxe parmi tant d’autres relevés dans ce volume : dans le cas des deux femmes, en fait, la construction de leur autorité n’a pas rendu possible l’accès du public à leur enseignement et l’effacement de leur œuvre est concomitant de l’enregistrement de leur nom. En mettant en évidence la montée en puissance d’une autorité reconnue aux femmes dans le domaine spirituel au début de l’époque moderne, l’ensemble de ces travaux ouvrent un champ de recherche inédit qu’il appartiendra à nos lectrices et à nos lecteurs de continuer à explorer.
Michèle Clément, Isabelle Garnier et Dariusz Krawczyk