Chapitre 3 Indications lumineuses et temporelles

In: Aurores et crépuscules dans la Thébaïde de Stace
Author:
Mélissande Tomcik
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Les descriptions d’aurores et de crépuscules fournissent des indications lumineuses et temporelles. D’une part, elles situent chronologiquement les événements du récit en indiquant le début ou la fin d’une journée ; d’autre part, elles définissent l’éclairage d’une scène en représentant le passage de la lumière à l’obscurité ou inversement. Cette double nature est particulièrement visible lorsque le déroulement des aurores et des crépuscules est perturbé, car les descriptions présentent alors des anomalies lumineuses, temporelles ou les deux à la fois. Ainsi, au chant 18 de l’Iliade, le crépuscule qui suit la mort de Patrocle est hâté par Héra (Hom. Il. 18, 239-241) :

Ἠέλιον δἀκάμαντα βοῶπις πότνια Ἥρη
πέμψεν ἐπὨκεανοῖο ῥοὰς ἀέκοντα νέεσθαι·
ἠέλιος μὲν ἔδυ, […]1

Le soleil infatigable, la souveraine Héra aux yeux de vache l’envoya malgré lui vers le cours de l’Océan ; le soleil plongea.

Afin de donner le temps à Achille de se procurer de nouvelles armes, la déesse force le Soleil à se coucher prématurément en intervenant sur son cours immuable (vv. 239-240 : ἀκάμαντα […] πέμψεν […] ἀέκοντα). Le terme normal du jour est donc avancé.

À l’inverse, au chant 23 de l’Odyssée, Athéna diffère l’aurore pour prolonger les retrouvailles entre Ulysse et Pénélope (Hom. Od. 23, 241-246) :

καί νύ κὀδυρομένοισι φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,
εἰ μὴ ἄρἄλλἐνόησε θεὰ γλαυκῶπις Ἀθήνη·
νύκτα μὲν ἐν περάτῃ δολιχὴν σχέθεν, Ἠῶ δαὖτε
ῥύσατἐπὨκεανῷ χρυσόθρονον, οὐδἔα ἵππους
ζεύγνυσθὠκύποδας, φάος ἀνθρώποισι φέροντας,
Λάμπον καὶ Φαέθονθ’, οἵ τἨῶ πῶλοι ἄγουσι.2

L’Aurore aux doigts de roses aurait paru sur leurs lamentations, si la déesse Athéna aux yeux de chouette n’en avait décidé autrement. Elle retint longuement la nuit au bout du monde, garda l’Aurore au trône d’or dans l’Océan et ne lui permit même pas d’atteler les chevaux aux pieds rapides, qui portent la lumière aux hommes, Lampros et Phaéthon, les poulains qui mènent l’Aurore.

La déesse entrave le déroulement normal de l’aurore. Elle retient la nuit (v. 243 : νύκτα […] δολιχὴν σχέθεν) et empêche l’Aurore de se lever (vv. 243-245 : Ἠῶ […] ῥύσατἐπὨκεανῷ […] οὐδἔα ἵππους | ζεύγνυσθ’). Par conséquent, le début du jour est retardé.

Les troubles lumineux font leur apparition dans les aurores et les crépuscules par le biais de la tragédie. Ainsi, l’Œdipe de Sénèque commence avec la description d’une aurore dont la lumière est altérée par l’horreur de la scène initiale (Sen. Oed. 1-5) :

Iam nocte Titan dubius expulsa redit
et nube maestus squalida exoritur iubar,
lumenque flamma triste luctifica gerens
prospiciet auida peste solatas domos,
stragemque quam nox fecit ostendet dies.3

Déjà le Titan hésitant revient après avoir chassé la nuit et se lève avec un éclat assombri par une nuée malpropre ; c’est porteur d’une lueur triste et avec une flamme endeuillée qu’il discernera les demeures désolées par une peste avide ; le jour montrera le carnage qu’a fait la nuit.

Dans cette description faite par Œdipe, la lumière du Soleil est souillée par la pollution émanant des nombreuses victimes de l’épidémie qui sévit à Thèbes (v. 2 : nube […] squalida ; 3 : flamma […] luctifica). Cette peste est causée par le comportement contre-nature d’Œdipe qui a tué son père et épousé sa mère. Ainsi, l’obscurcissement du Soleil est le reflet d’un crime impie.4

Les deux types de perturbations peuvent également être combinés, comme dans l’aurore qui précède la bataille de Pharsale dans la Guerre civile (Lvcan. 7, 1-6) :

Segnior Oceano quam lex aeterna uocabat
luctificus Titan numquam magis aethera contra
egit equos cursumque polo rapiente retorsit,
defectusque pati uoluit raptaeque labores
lucis, et attraxit nubes, non pabula flammis
sed ne Thessalico purus luceret in orbe.5

Sortant de l’Océan avec plus d’indolence que la loi éternelle ne le demandait, jamais le Titan endeuillé ne poussa davantage ses chevaux dans le sens inverse de l’éther, il retourna leur course dans le ciel rapide ; il voulut subir des défaillances et l’épreuve de voir sa lumière disparaître et attira les nuées, non comme aliment pour ses flammes, mais pour ne pas projeter une lumière pure sur la terre thessalienne.

Le Soleil tente vainement de ne pas se lever sur la journée où les troupes romaines s’entretueront. Le début du jour est à la fois retardé (v. 1 : Segnior) et obscurci (vv. 4-5 : defectus pati uoluit raptaesque labores | lucis ; 5-6 : attraxit nubes […] ne […] purus luceret). L’aurore présente donc des troubles aussi bien temporels que lumineux.

Comme le montrent ces exemples, les aurores et les crépuscules sont des indications à la fois temporelles et lumineuses qui peuvent subir des perturbations sur les deux plans. Il est spécialement intéressant d’étudier la double nature de ce motif dans la Thébaïde, car le temps et la luminosité font l’objet d’un traitement particulier dans cette épopée. En effet, le déroulement chronologique de la Thébaïde est irrégulier et la luminosité est constamment contrastée ou brouillée. Ces déséquilibres se répercutent sur les aurores et les crépuscules : alors que les descriptions temporelles perturbées sont généralement rares dans les épopées,6 on trouve cinq occurrences de ce phénomène dans la Thébaïde.

Dans ce chapitre, il s’agit d’étudier les descriptions d’aurores et de crépuscules dans la Thébaïde dont le déroulement est troublé, pour voir comment elles participent au traitement du temps et de la lumière. Le chapitre est divisé en deux parties correspondantes. Dans la première moitié, les altérations temporelles des aurores et des crépuscules sont examinées, afin de montrer comment elles reflètent la progression saccadée du récit. La seconde partie du chapitre est centrée sur les anomalies lumineuses des aurores et des crépuscules pour exposer comment elles contribuent à l’éclairage en clair-obscur de l’épopée. Dans chaque cas, il s’agit d’abord d’étudier comment les aurores et les crépuscules sont altérés par rapport à leurs modèles, avant de s’interroger sur la cause de ces troubles et l’effet produit.

3.1 Temporalité dans la Thébaïde

La guerre fratricide entre Étéocle et Polynice est l’événement central de la Thébaïde, qui est annoncé dès les premiers mots de l’épopée (Stat. Theb. 1, 1 : fraternas acies). Toutefois, de nombreux obstacles surviennent entre le moment où Œdipe lance l’imprécation à l’origine du conflit fraternel et l’accomplissement de la malédiction. En effet, les Argiens hésitent longtemps avant de se décider à faire la guerre contre Thèbes et à peine l’armée est-elle partie qu’elle est contrainte de faire une halte prolongée à Némée en raison de la sécheresse. Là, les délais s’enchaînent : pendant qu’Hypsiple fait le récit de son passé à Lemnos, Opheltès est tué par un serpent, obligeant l’armée argienne à s’attarder sur place pour lui rendre les honneurs funèbres et instaurer des jeux commémoratifs. De la même façon, une fois que les affrontements ont commencé à Thèbes, les combats s’éternisent et cinq des sept chefs trouvent la mort avant qu’Étéocle et Polynice ne s’affrontent en duel. De multiples épisodes intercalés entravent donc la progression de l’intrigue et retardent son dénouement.7 Conscients du retard qui s’accumule, les protagonistes tentent de rattraper le temps perdu en pressant le cours de l’épopée.8 Ils luttent activement pour lever les obstacles et faire avancer l’intrigue : parmi les hommes, Tydée et Capanée s’indignent du retard et font pression en faveur de la guerre ;9 chez les dieux, Jupiter et Tisiphone interviennent régulièrement pour remettre les héros sur le chemin de leur fin autodestructrice.10 Le contraste entre le retard pris au cours de l’épopée et l’impatience de certains personnages crée une tension qui fait progresser la narration de façon saccadée. De fait, la Thébaïde raconte des événements qui se déroulent sur une période de trois ans, mais la progression temporelle au sein de l’épopée n’est pas régulière. Les trois premiers livres couvrent une période de deux ans, alors que les événements des livres 4 à 12 se déroulent sur une vingtaine de jours dont plusieurs occupent plus d’un livre (voir figure 1 et tableau 2) : la halte de l’armée argienne pour se désaltérer commence au livre 4 et se poursuit jusqu’à la fin du livre 5 (Stat. Theb. 4, 646-5, 753). De la même manière, le récit de chacun des deux derniers jours de la guerre s’étend sur plus d’un livre (Stat. Theb. 8, 271-10, 1 ; 10, 449-11, 761).

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Figure 1

Répartition jour-nuit dans la Thébaïde de Stace

Tableau 2

Jours et nuits dans la Thébaïde

Nuit 1 : 1, 336-2, 133

Jour 6 : 3, 324-406

Jour 11 : 6, 25-237

Nuit 15 : 10, 1-448

Jour 2 : 2, 134-305

Nuit 6 : 3, 407-439

Jour 12 : 6, 238-7, 397

Jour 16 : 10, 449-11, 761

Jour 3 : 2, 306-374

Jour 7 : 3, 440-573

Jour 13 : 7, 398-451

Jour 17 : 12, 1-49

Jour 4 : 2, 375-524

Jour 8 : 3, 574-677

Nuit 13 : 7, 452-469

Jour 18 : 12, 50-227

Nuit 4 : 2, 525-3, 32

Nuit 8 : 3, 678-721

Jour 14 : 7, 470-8, 161

Nuit 18 : 12, 228-463

Jour 5 : 3, 33-323

Jour 9 : 4, 1-645

Nuit 14 : 8, 162-270

Jour 19 : 12, 464-708

Jour 10 : 4, 646-5, 753

Jour 15 : 8, 271-9, 907

Jour 20 : 12, 709-796

Aurores et crépuscules sont les marqueurs de la progression chronologique dans l’épopée. Par conséquent, le déroulement saccadé du récit se reflète dans ces descriptions. Ainsi, le retard dans le déroulement de l’aurore au début du livre 3 (Stat. Theb. 3, 33-35) met en évidence la difficulté à commencer la guerre. Cette description ainsi que les autres aurores du livre 3 qui montrent le piétinement de l’action (Stat. Theb. 3, 440-441 ; 468-469 ; 720-721) font l’objet de la première section.

Dans la seconde section, il est à nouveau question du crépuscule placé au début du livre 10 (Stat. Theb. 10, 1-4) dont le cours est accéléré par l’intervention de Jupiter.11 Cette perturbation montre l’empressement du dieu à régler la guerre en abrégeant les combats inutiles pour arriver plus rapidement au duel.

3.1.1 Retard : Stat. Theb. 3, 33-35 ; 440-441 ; 468-469 ; 720-721

La première description temporelle perturbée figure au début du livre 3. Après avoir refusé de céder le trône de Thèbes à Polynice, Étéocle tend une embuscade nocturne à Tydée. Alors que le héros a triomphé de ses adversaires, le jour se lève sur Étéocle qui se demande pourquoi ses soldats tardent à revenir (Stat. Theb. 3, 33-39) :

ecce sub occiduas uersae iam Noctis habenas
astrorumque obitus, ubi primum maxima Tethys
impulit Eoo cunctantem Hyperiona ponto,
ima flagellatis, signum lugubre malorum,
ponderibus trepidauit humus, motusque Cithaeron
antiquas dedit ire niues ; tunc uisa leuari
culmina septenaeque iugo concurrere portae.12

Alors que les rênes de la Nuit désormais révolue se couchent et que les astres déclinent, dès que la très grande Téthys a chassé Hypérion qui s’attarde dans la mer aurorale, voilà que, fouettée dans les profondeurs de sa masse, la terre trembla, funeste signe de malheurs, et le Cithéron ébranlé laissa aller ses neiges ; alors ses sommets semblèrent s’élever et les sept portes parurent entrer en collision avec le massif.

À la fin de la nuit, le Soleil est réticent à se lever, mais il est finalement contraint de quitter l’Océan. L’impulsion donnée par Téthys (v. 35 : impulit) se répercute sur la terre qui tremble comme ébranlée par des coups de fouets (vv. 36-37 : flagellatis […] ponderibus trepidauit). La force superlative de Téthys (v. 34 : maxima Tethys) est égalée par la profondeur de la secousse dans la terre (vv. 36-37 : ima […] humus).

Cette description de l’aurore repose sur une inversion du crépuscule qui clôt la première journée de navigation dans les Argonautiques de Valérius Flaccus (Val. Fl. 2, 34-37) :13

Iamque Hyperionius metas maris urget Hiberi
currus et euectae prono laxantur habenae
aethere, cum palmas Tethys grandaeua sinusque
sustulit et rupto sonuit sacer aequore Titan.14

Déjà le char d’Hypérion presse les bornes de la mer d’Ibérie et les rênes qui s’étaient élevées se relâchent sur la pente descendante de l’éther, lorsque Téthys au grand âge souleva ses paumes et son sein et le Titan sacré fit résonner la mer en fendant la surface.

Au crépuscule, les Argonautes s’apprêtent à passer leur première nuit en mer. Stace transforme cette description pour en faire une aurore qui marque le début des hostilités dans la guerre thébaine. Au lieu d’accueillir Hypérion à bras ouverts, Téthys le chasse violemment (Val. Fl. 2, 34-37 : Hyperionius […] currus […] Tethys […] sustulit ; Stat. Theb. 3, 34-35 : Tethys | impulit […] Hyperiona). En outre, ce n’est plus le char du Soleil qui se couche, mais celui de la Nuit (Val. Fl. 2, 34-35 : Hyperionius […] currus ; Stat. Theb. 3, 33 : Noctis habenas). Par conséquent, le mouvement ascendant des rênes est inversé (Val. Fl. 2, 35 : euectae […] habenae ; Stat. Theb. 3, 33 : occiduas […] habenas) et le nom de la mer change pour correspondre au moment de la journée (Val. Fl. 2, 34 : maris […] Hiberi ; Stat. Theb. 3, 35 : Eoo […] ponto). Stace glose cette transformation avec l’expression uersae iam (Stat. Theb. 3, 33). Enfin, l’empressement du Soleil à arriver au terme de son parcours se mue en hésitation à débuter sa course (Val. Fl. 2, 34 : urguet ; Stat. Theb. 3, 35 : cunctantem). Cette réticence à se lever constitue une anomalie qui retarde le déroulement normal de la description temporelle.

Le retard de l’aurore est aussi reflété par sa place dans le texte. En effet la description se trouve en léger décalage par rapport au début du livre.15 L’épisode de l’embuscade étant clôt à la fin du livre 2, le lecteur s’attend à trouver une description de l’aurore au début du livre suivant. Or elle ne figure qu’une trentaine de vers plus tard. À la place, le livre 3 s’ouvre sur les tourments nocturnes d’Étéocle (Stat. Theb. 3, 1-4) :

At non Aoniae moderator perfidus aulae
nocte sub ancipiti, quamuis umentibus astris
longus ad auroram superet labor, otia somni
accipit ; […]16

En revanche, lors de cette nuit critique, le perfide régisseur de la cour aonienne ne reçoit pas le repos du sommeil, bien qu’il reste aux astres humides un long chemin à parcourir jusqu’à l’aurore.

En proie à l’inquiétude, le souverain de Thèbes ne parvient pas à dormir. Dans ces vers, le poète souligne le fait que le livre ne commence pas avec la description de l’aurore comme on l’attendrait, mais qu’elle se trouve plus loin (v. 3 : longus ad auroram superet labor).

Ce décalage de la description temporelle illustre le refus du Soleil de se lever et permet de mettre en évidence l’impatience d’Étéocle. En effet, dans les trente premiers vers, le souverain de Thèbes se plaint de l’expédition qui tarde à revenir. Il s’interroge sur l’origine du délai (Stat. Theb. 3, 7 : unde morae ?), trouve que ses soldats sont lents (Theb. 3, 17 : heu segnes) et déplore le retard de l’aurore (3, 31-32) :

[…] caeloque morantem
Luciferum et seros maerentibus increpat ortus.17

Il invective Lucifer qui s’attarde dans le ciel et le jour qui est lent à se lever pour les hommes affligés.

Aux yeux d’Étéocle, le temps passe trop lentement : Lucifer traîne dans le ciel (v. 31 : morantem) et le jour tarde à se lever (v. 32 : seros […] ortus). Ces éléments qui caractérisent Étéocle comme un souverain impatient peuvent également être interprétés comme autant de commentaires sur le décalage de l’aurore par rapport à sa place initiale.

Quant à l’hésitation d’Hypérion et le tremblement de terre qui suit son lever, ils ne sont pas tant dus à l’horreur du Soleil devant les nombreux morts qu’il éclaire qu’à son appréhension face aux conséquences de cet épisode.18 En effet, la perturbation de l’aurore est explicitement liée à l’apparition de Méon, le seul survivant de la mission envoyée contre Tydée (Stat. Theb. 3, 40-42) :19

et prope sunt causae : gelido remeabat Eoo
iratus fatis et tristis morte negata
Haemonides ; […]20

Les raisons sont proches : dans l’aube glacée revenait l’Hémonide, irrité contre les destins et triste que la mort lui ait été refusée.

Au point du jour, Méon arrive à Thèbes et rapporte la mort des autres guerriers. La comparaison avec un berger qui a peur d’annoncer à son maître que le troupeau a été dévoré par les loups (3, 45-52) illustre l’appréhension liée à l’annonce de l’échec. En retardant son lever, le Soleil tente de repousser le moment de la révélation, parce qu’il anticipe les conséquences qui en découlent. En effet, l’embuscade nocturne contre Tydée constitue le premier acte d’hostilité dans le conflit thébain et déclenche la guerre entre Étéocle et Polynice.

Déclenchement des hostilités

L’embuscade de Tydée est un épisode bien connu de la guerre contre Thèbes. Toutefois, dans les versions précédentes du mythe, l’ambassade de Tydée et son agression ont lieu alors que l’armée argienne est déjà arrivée à Thèbes, après le début de la guerre.21 En plaçant cet épisode plus tôt dans l’économie du récit de la Thébaïde, Stace en fait l’élément déclencheur du conflit entre les deux frères : l’attaque nocturne devient une provocation de la part d’Étéocle.

L’aurore perturbée au début du livre 3 met en évidence l’importance de cet épisode dans l’économie de la Thébaïde. Les troubles qui affectent la description temporelle marquent le début d’une guerre dévastatrice qui implique les membres d’une même communauté. En effet, les séismes sont des prodiges annonciateurs d’un conflit interne, comme la théomachie dans l’Iliade (Hom. Il. 20, 57-60) ou la guerre civile dans l’épopée de Lucain (Lvcan. 1, 552-554).

L’hésitation du Soleil à se lever est donc une tentative pour différer le début du conflit fraternel et témoigne de la difficulté à commencer l’action épique. En effet, bien que les hostilités aient été ouvertes par les Thébains, la décision de faire la guerre est plusieurs fois repoussée du côté argien. Les descriptions temporelles dans la suite du livre 3 illustrent cette volonté de différer le début de la campagne contre Thèbes.

Hésitations argiennes

À son retour à Argos, Tydée fait irruption dans le palais d’Adraste et raconte son agression. Il réclame une vengeance immédiate (Stat. Theb. 3, 360 : nunc o, nunc tempus in hostes) et demande à partir en guerre sur-le-champ (Theb. 3, 365 : protinus ire peto). Face à cet emportement, Adraste temporise : il refuse de prendre une décision hâtive (Stat. Theb. 3, 390 : neque nos auidi promittere bellum) et tente d’appaiser les esprits (Theb. 3, 392-393 : animosaque pectora laxet | sera quies). L’hésitation du roi est telle qu’il repousse sa décision pendant sept jours (Stat. Theb. 3, 440-446) :

septima iam nitidum terris Aurora deisque
purpureo uehit ore diem, Perseius heros
cum primum arcana senior sese extulit aula,
multa super bello generisque tumentibus amens
incertusque animi, daret armis iura nouosque
gentibus incuteret stimulos, an frena teneret
irarum et motos capulis adstringeret enses.22

Déjà la septième Aurore au visage pourpre apporta le jour brillant à la terre et aux dieux, lorsque que le héros perséen leur aîné sortit le premier de ses appartements, l’esprit égaré, en sus de beaucoup d’autres soucis, par la guerre et ses gendres ambitieux et sans savoir s’il donnerait raison aux armes et piquerait les peuples de nouveaux aiguillons ou s’il tiendrait la bride à leurs colères et entraverait à la garde le mouvement des épées.

Malgré une aurore homérique, l’apparition d’Adraste ne débouche pas sur une décision immédiate de commencer la guerre.23 Après une semaine de délai (v. 440 : septima iam), Adraste est toujours aussi indécis (v. 443-444 : amens | incertusque animi). Son avis balance entre deux options formulées de façons équivalentes (vv. 444-446). Le roi repousse alors la décision en déléguant la responsabilité aux devins (3, 449-450 : dubio sententia tandem | sera placet). Le piétinement de l’action se manifeste par un redoublement de l’indication temporelle. En effet, vingt vers seulement après l’aurore qui se lève sur Adraste, une seconde description temporelle accompagne la consultation des augures par les devins (3, 466-469) :

hoc gemini uates sanctam canentis oliuae
fronde comam et niueis ornati tempora uittis
euadunt pariter, madidos ubi lucidus agros
ortus et algentes laxauit sole pruinas.24

C’est là que les deux devins se rendent ensemble, après avoir orné leur sainte chevelure avec le feuillage d’un olivier blanc et ceint leurs tempes de bandelettes neigeuses, quand le lever du soleil lumineux a libéré les champs humides et le givre froid.

Malgré l’image de la délivrance du froid (v. 469 : algentes laxauit […] pruinas) qui est semblable à celle qui marque le départ de la campagne au début du livre 4 (4, 1-2 : horrentem […] laxauerat annum | Phoebus),25 cette description ne débouche pas plus sur une décision que l’aurore précédente.26 Après avoir pris connaissance des présages néfastes livrés par l’observation des oiseaux, Amphiaraos refuse de révéler ce qu’il a appris et se cloître chez lui pendant douze jours (3, 574-575) :

bissenos premit ora dies populumque ducesque
extrahit incertis. […]27

Pendant douze jours il garde la bouche fermée et il fait languir tant le peuple que les chefs dans l’incertitude.

En refusant de révéler les présages des dieux, le devin prolonge la période de doute (v. 575 : extrahit incertis). Cette attente est dénoncée par Capanée qui se plaint du manque d’action (3, 607 : Quae tanta ignauia ?) et s’impatiente (3, 611-614 : Non […] expectare queam). Il reproche au devin de retarder le départ de la campagne (3, 651 : quid […] moraris ?) et lui interdit de différer le début des combats (3, 664-666 : ne […] bellorum proferre diem). Amphiaraos révèle finalement l’issue funeste de la campagne et la décision revient alors à Adraste. Après un ajournement supplémentaire en raison de la tombée de la nuit (3, 677 : haec alterna ducum nox interfusa diremit), le roi cède finalement aux prières de sa fille, non sans souligner l’importance de prendre son temps (3, 718-721) :

[…] neu sint dispendia iustae
dura morae : magnos cunctamur, nata, paratus.
proficitur bello. dicentem talia nascens
lux monet ingentesque iubent adsurgere curae.28

« Des retards justifiés ne sont pas d’âpres dépenses : face à de grandes entreprises, nous temporisons, ma fille. Cela profite à la guerre. » À ces mots, la lumière naissante l’avertit et d’immenses soucis lui ordonnent de se lever.

Adraste justifie son retard (vv. 718-179 : iustae […] morae) en présentant son attitude comme une stratégie militaire (v. 720 : proficitur bello). Le roi argien est finalement poussé à l’action par l’arrivée du jour et par les soucis qui l’accompagnent (v. 721 : monet […] iubent). La réaction d’Adraste dans cette dernière scène est semblable à celle du Soleil au début du livre 3. En effet, tous deux cherchent à gagner du temps (3, 35 : cunctantem Hyperiona ; 719 : cunctamur) et n’entament l’action qui leur répugne qu’après l’intervention de personnages féminins : Téthys chasse Hypérion hors de l’Océan et Argie persuade son père de partir en campagne contre Thèbes. Dans les deux cas, la venue du jour est synonyme de déclaration de guerre. Ainsi, le livre 3 de la Thébaïde est encadré par deux scènes qui représentent le moment de basculement vers la guerre dans chacune des deux villes et mettent en évidence la difficulté de commencer les hostilités tant à Thèbes qu’à Argos.

La guerre fratricide entre Thèbes et Argos est une décision lourde de conséquences dont le début est sans cesse reporté, malgré la pression des personnages qui œuvrent pour le départ de la campagne. Cette volonté de temporiser est particulièrement visible au livre 3, et ce, dès l’aurore figurant au début du livre (Stat. Theb. 3, 33-35). Le retard qui affecte cette description temporelle met en évidence l’importance de l’embuscade de Tydée dans l’économie de la Thébaïde. En effet, Stace avance cet épisode et en fait l’élément déclencheur des hostilités entre les deux frères. Le Soleil qui anticipe les conséquences désastreuses du conflit est donc réticent à faire débuter le jour de la déclaration de guerre à Thèbes. Les trois autres aurores du livre 3 (Stat. Theb. 3, 440-441 ; 468-469 ; 720-721) expriment également la difficulté à commencer la guerre du côté argien.

3.1.2 Accélération : Stat. Theb. 10, 1-4

La description du crépuscule qui figure au début du livre 10 se distingue non seulement par sa place, mais aussi par la perturbation qui affecte son déroulement.29 En effet, après une deuxième journée de combats à Thèbes, Jupiter hâte la tombée de la nuit (Stat. Theb. 10, 1-4) :

Obruit Hesperia Phoebum nox umida porta,
imperiis properata Iouis ; nec castra Pelasgum
aut Tyrias miseratus opes, sed triste tot extra
agmina et inmeritas ferro decrescere gentes.30

La nuit humide s’abattit sur Phébus à la porte hespérienne, dépêchée sur les ordres de Jupiter ; ce n’est pas du camp des Pélasges ou des forces tyriennes qu’il avait pitié, mais du triste fait que tant de contingents externes et de peuples qui ne le méritaient pas décrussent par le fer.

La nuit qui tombe sur le champ de bataille à la demande de Jupiter met un terme aux affrontements. Pour composer cette description, Stace détourne le crépuscule qui interrompt les combats entre Grecs et Troyens, au chant 8 de l’Iliade (Hom. Il. 8, 485-488) :31

ἐν δἔπεσὨκεανῷ λαμπρὸν φάος ἠελίοιο,
ἕλκον νύκτα μέλαιναν ἐπὶ ζείδωρον ἄρουραν·
Τρωσὶν μέν ῥἀέκουσιν ἔδυ φάος, αὐτὰρ Ἀχαιοῖς
ἀσπασίη τρίλλιστος ἐπήλυθε νὺξ ἐρεβεννή.32

Alors la brillante lumière du soleil tomba dans l’Océan, tirant la nuit noire sur la terre qui donne l’épeautre. La lumière plongea donc contre le gré des Troyens, mais pour les Achéens la sombre nuit triplement souhaitée fut bienvenue.

La tombée de la nuit arrête l’assaut des Troyens. La situation défavorable dans laquelle les Grecs se trouvent est l’œuvre de Zeus qui a promis de donner l’avantage aux Troyens jusqu’à ce qu’Achille revienne au combat (8, 473-476). Cette décision divine est à l’origine du délai qui retarde la progression de la guerre contre Troie jusqu’au chant 18.

Stace insère une perturbation temporelle dans cette description en précisant que la venue de la nuit a été accélérée à la demande de Jupiter (Stat. Theb. 10, 2 : imperiis properata Iouis). Par conséquent, le crépuscule est précipité : au lieu de tomber de lui-même, le Soleil est écrasé par la nuit (Hom. Il. 8, 485 : ἔπεσ’ […] λαμπρὸν φάος ἠελίοιο ; Stat. Theb. 10, 1 : Obruit […] Phoebum nox).

La perturbation que Stace introduit rapproche ce passage du crépuscule figurant au chant 18 de l’Iliade, où Héra hâte le crépuscule pour donner le temps à Achille de se procurer des armes en vue de son duel contre Hector (Hom. Il. 18, 239-241).33 Cette description qui suit le retour d’Achille marque la fin de l’avantage octroyé aux Troyens. En rapprochant la description temporelle du chant 8 de l’Iliade de celle au chant 18, Stace escamote dix chants pour passer directement de l’origine du délai à sa résolution. Cet effet d’avance rapide vers le dénouement de l’action correspond aux intentions de Jupiter au livre 10 de la Thébaïde. En effet, alors que dans l’Iliade le crépuscule n’est pas apprécié de la même façon par les Grecs et les Troyens (Hom. Il. 8, 487-488 : Τρωσὶν μέν ῥἀέκουσιν […], αὐτὰρ Ἀχαιοῖς | ἀσπασίη), Stace apporte une correction à son modèle en précisant que le crépuscule ne favorise aucun des deux camps (Stat. Theb. 10, 2-3 : nec […] Pelasgum | aut Tyrias miseratus).34 Au contraire, l’intervention de Jupiter est motivée par le fait que les victimes sont extérieures au conflit thébain (Stat. Theb. 10, 3-4 : tot extra | agmina et immeritas […] gentes). En effet, les affrontements ont commencé dans le courant du livre 8 (Stat. Theb. 8, 342) et occupent l’intégralité du livre 9.35 De nombreux guerriers perdent la vie au cours de cette journée marquée par des scènes particulièrement affreuses, mais ni Étéocle ni Polynice ne sont impliqués. En hâtant la tombée de la nuit, Jupiter abrège donc des combats inutiles qui retardent le moment du duel entre les deux frères.

Jupiter garant du dénouement de l’épopée

La perturbation temporelle dans ce crépuscule met en évidence le rôle de Jupiter comme garant du dénouement de l’épopée. En effet, bien qu’il ne soit pas à l’origine du conflit thébain,36 il manifeste dès le début sa volonté de punir les familles régnantes à Thèbes et Argos pour leurs crimes impies (Stat. Theb. 1, 240-243) :

[…] meruere tuae, meruere tenebrae
ultorem sperare Iouem. noua sontibus arma
iniciam regnis, totumque a stirpe reuellam
exitiale genus. […]37

Elles l’ont mérité, tes ténèbres ont mérité d’espérer que Jupiter les venge. Je jetterai de nouvelles armes dans ces royaumes coupables et j’arracherai à la racine cette race funeste toute entière.

Jupiter s’engage à accomplir la vengeance d’Œdipe (v. 243 : ultorem […] Iouem) et par conséquent à assurer le déroulement de l’intrigue épique. À cette fin, il intervient ponctuellement dans l’action en réaffirmant chaque fois son rôle. Ainsi, après avoir envoyé Mercure aux Enfers pour chercher Laïos (1, 292-302), il garantit qu’il mènera à bien sa mission (1, 302 : certo reliqua ordine ducam). De la même manière, au livre 7, Jupiter ne voit pas d’un bon œil que les Argiens aient fait une longue halte à Némée (7, 1-2) :

Atque ita cunctantes Tyrii primordia belli
Iuppiter haud aequo respexit corde Pelasgos,38

Ainsi, ce n’est pas avec indifférence que Jupiter les vit retarder les débuts de la guerre tyrienne.

La rencontre de l’armée avec Hypsipyle, les funérailles d’Opheltès et les jeux en son honneur, qui occupent les livres 5 et 6, constituent une digression qui retarde le début de la guerre (v. 1 : cunctantes Tyrii primordia belli). Jupiter sollicite alors Mars pour relancer le cours de l’épopée. C’est ce même rôle de moteur de l’intrigue qu’on retrouve au début du livre 10, lorsque Jupiter accélère le crépuscule pour couper court aux combats qui s’éternisent dans les livres 8 et 9.

Le récit de la Thébaïde est entrecoupé de longues digressions qui retardent le dénouement de l’épopée. En tant que garant de l’accomplissement de la malédiction d’Œdipe, Jupiter doit régulièrement intervenir pour couper court à ces développements secondaires. Ainsi, il hâte le crépuscule qui figure au début du livre 10 pour abréger les affrontements entre Argiens et Thébains et laisser la place au duel fratricide. Cette perturbation temporelle met donc en évidence la vanité de ces combats qui retardent le dénouement de l’épopée.

3.1.3 Synthèse : troubles chronologiques

La répartition inégale des aurores et des crépuscules dans la Thébaïde témoigne de l’irrégularité de la progression temporelle dans l’épopée.39 La démultiplication des descriptions temporelles dans le livre 3 montre le piétinement de l’action et l’impatience des personnages à commencer une guerre dont le début est plusieurs fois repoussé. Semblablement, l’absence de descriptions temporelles dans le livre 9 témoigne de la stagnation de l’intrigue. Les affrontements qui occupent ce livre prennent une place disproportionnée et ne font pas progresser le récit vers son dénouement.

Le déroulement des aurores et des crépuscules à proximité de ces paliers est retardé ou accéléré. Ainsi, le Soleil tarde à se lever après l’embuscade de Tydée qui marque le début des hostilités (Stat. Theb. 3, 33-39). À l’inverse, Jupiter accélère l’arrivée de la Nuit au début du livre 10 pour abréger les combats qui s’éternisent et parvenir plus rapidement au duel entre Étéocle et Polynice (Stat. Theb. 10, 1-4). Les perturbations temporelles qui affectent les aurores et les crépuscules mettent donc en évidence l’atrocité de la guerre fratricide qu’on peine à commencer et à laquelle on a hâte de mettre un terme.

3.2 Luminosité dans la Thébaïde

La Thébaïde est souvent décrite comme une épopée en clair-obscur.40 En effet, Stace joue avec les contrastes entre lumière et obscurité. Ainsi, il dépeint à plusieurs reprises des lieux résolument imperméables au soleil en plein jour ou des sources de lumière dans la nuit.41 En outre, Stace représente fréquemment des situations où lumière et obscurité se mêlent, brouillant ainsi la limite entre ces deux états. Ces troubles de la luminosité sont souvent le résultat d’une confrontation entre la lumière diurne et les forces infernales.42 Par exemple, dans le premier livre, à peine la furie Tisiphone sort-elle des Enfers que le jour est troublé par sa présence (Stat. Theb. 1, 97-98) :

sensit adesse Dies, piceo Nox obuia nimbo
lucentes turbauit equos ; […]43

Le Jour remarqua sa présence, la Nuit se portant au devant de lui dans un nuage de poix troubla les chevaux lumineux.

Le jour et sa lumière (vv. 97-98 : Dies […] lucentes) s’opposent à l’obscurité de la nuit (v. 97 : piceo Nox).44 La longueur des membres de phrase dévolus à chacune des personnifications témoigne du déséquilibre. Le Jour n’occupe qu’un demi vers, alors que la Nuit se répand sur un vers et demi. La situation est inversée, lorsque le fantôme de Laïos, sorti des Enfers pour hanter le sommeil d’Étéocle, est chassé par le jour (2, 120-121) :

dixit et abscedens (etenim iam pallida turbant
sidera lucis equi) […]45

Sur ces mots, il s’éloigne (en effet, les chevaux de la lumière troublent les constellations déjà pâles).

Dans ce cas, les chevaux du jour (v. 121 : lucis equi) l’emportent sur la présence nocturne : le fantôme de Laïos se retire (v. 120 : abscedens) et les astres perdent leur couleur (vv. 120-121 : iam pallida […] sidera). Comme dans le passage précédent, l’emploi du verbe turbare atteste du caractère anormal de ce mélange (1, 98 : turbauit ; 2, 120 : turbant).

De la même façon, le monde souterrain des Enfers, qui est normalement privé de soleil par nature, est exposé au jour quand la terre s’entrouvre pour engloutir le devin Amphiaraos. Aussi bien les astres que les ombres sont perturbés par ce prodige (Stat. Theb. 7, 817 : inque uicem timuerunt sidera et umbrae). Pluton, agressé par la lumière, se plaint de l’intrusion du jour dans son univers (Stat. Theb. 8, 33-36) et menace de se venger en voilant le ciel d’une nuée infernale (Theb. 8, 47 : et Stygio praetextam Hyperiona caelo). Semblablement, tant l’obscurité des Enfers que la lumière du jour perd en intensité, lorsque la furie Mégère apparaît pour prêter main-forte à Tisiphone (Stat. Theb. 11, 73-74) : leur présence infernale souille la brillance du Soleil (Theb. 11, 119-124) et pousse Jupiter à voiler le ciel avant le duel (11, 134-135).46

En tant que phases de transition lumineuse entre le jour et la nuit, les aurores et les crépuscules présentent également des traces de l’opposition entre la lumière et l’obscurité. Les descriptions temporelles qui encadrent le massacre des Lemniens font l’objet d’une première section (Stat. Theb. 5, 177-185 ; 296-298). En effet, le contraste lumineux entre Lemnos et les autres îles à la tombée de la nuit désigne cet endroit comme un lieu impie où règne le crime familial. En outre, la déviation de la lumière du Soleil dans l’aurore suivante témoigne de l’atrocité du crime commis.

Dans une deuxième section, il est question de la dernière description temporelle de la Thébaïde (Stat. Theb. 12, 563-565), dans laquelle la déviation de la lumière céleste accentue l’impiété de l’édit de Créon qui interdit la sépulture des Argiens.

3.2.1 Contraste : Stat. Theb. 5, 177-185 ; 296-298

Le livre 5 contient deux descriptions temporelles perturbées qui encadrent le massacre des Lemniens dans le récit d’Hypsipyle. La première est le crépuscule précèdant la nuit du crime (Stat. Theb. 5, 177-185) :

tardius umenti noctem deiecit Olympo
Iuppiter et uersum miti, reor, aethera cura
sustinuit, dum fata uetant, nec longius umquam
cessauere nouae perfecto sole tenebrae.
sera tamen mundo uenerunt astra, sed illis
et Paros et nemorosa Thasos crebraeque relucent
Cyclades ; una graui penitus latet obruta caelo
Lemnos, in hanc tristes nebulae, et plaga caeca superne
texitur, una uagis Lemnos non agnita nautis.

Jupiter fut plus lent que d’habitude à jeter la nuit du haut de l’Olympe humide et par indulgence, je crois, il retint la rotation de l’éther, jusqu’à ce que les destins le lui interdisent ; jamais ténèbres nouvelles ne mirent aussi longtemps à arriver après que le soleil eut terminé sa course. Quoique retardés, les astres arrivèrent pourtant dans le ciel ; aussi bien Paros que la boisée Thasos et les Cyclades nombreuses réfléchissent leur éclat ; seule Lemnos, profondément enfouie sous un ciel pesant, reste cachée ; vers elle s’avancent de sinistres nuages et au-dessus d’elle se tisse une trame opaque ; seule Lemnos reste inconnue des marins errants.

Jupiter tente d’empêcher l’arrivée de la nuit, mais il ne peut que la retarder. Les ténèbres se répandent et toutes les îles sont éclairées par les astres, à l’exception de Lemnos.

Dans la première partie de cette description, Stace détourne le crépuscule qui précède la prise de Troie dans l’Énéide.47 En effet, après avoir introduit le cheval dans leur ville, les Troyens festoient jusqu’au soir (Verg. Aen. 2,250-253) :

Vertitur interea caelum et ruit Oceano nox
inuoluens umbra magna terramque polumque
Myrmidonumque dolos ; fusi per moenia Teucri
conticuere, sopor fessos complectitur artus.48

Pendant ce temps, le ciel tourne et la nuit se rue hors de l’Océan enveloppant dans sa grande ombre la terre, la voûte céleste et les ruses des Myrmidons ; dispersés sur les murailles, les Troyens se turent ; le sommeil enlace leurs membres fatigués.

À la tombée de la nuit, les Troyens s’endorment. La flotte grecque cachée à Ténédos revient alors à Troie et attaque la ville.

Chacun des éléments du crépuscule virgilien est altéré dans la Thébaïde. Dans un premier temps, l’arrivée de la nuit est ralentie (Verg. Aen. 2, 250 : ruit Oceano nox ; Stat. Theb. 5, 177 : tardius […] noctem deiecit Olympo).49 Ensuite, Jupiter tente de contrer la révolution du ciel (Verg. Aen. 2, 250 : uertitur interea caelum ; Stat. Theb. 5, 178-179 : uersum […] aethera […] sustinuit).50 Enfin, alors que dans l’Énéide, l’obscurité s’étend partout sans délai (Verg. Aen. 2, 251 : inuoluens umbra magna terramque polumque), elle tarde à venir dans la Thébaïde (Stat. Theb. 179-180 : nec longius umquam | cessauere […] tenebrae). La similitude entre les deux passages se prolonge dans la suite du texte, puisque le retour de la flotte grecque vers Troie à la lumière de la lune (Verg. Aen. 2, 254-255 : ibat […] tacitae per amica silentia lunae) correspond à la venue tardive des étoiles qui éclairent toutes les îles à l’exception de Lemnos (Stat. Theb. 5, 181 : sera tamen uenerunt astra). L’île devient invisible depuis la mer (Stat. Theb. 5, 181 : non agnita nautis), contrairement à Troie dont la direction est indiquée grâce à la flamme portée sur le navire amiral (Verg. Aen. 2, 256-257 : litora nota petens flammas cum regia puppis | extulerat). La venue du Sommeil figure également plus loin dans la description de la nuit lemnienne, mais imprégnée d’une connotation funeste. En effet, au lieu de soulager la fatigue (Verg. Aen. 2, 253 : sopor fessos complecitur artus), le Sommeil s’empare de la ville sur le point de périr (Stat. Theb. 5, 198-199 : morituram amplectitur urbem | Somnus).

L’introduction d’une perturbation dans le crépuscule de l’Énéide signale que les événements qui vont suivre sont plus terribles que la prise de Troie. En effet, dans la Thébaïde, il n’est pas question d’une guerre entre deux peuples ennemis, mais d’une vengeance sanglante perpétrée à l’encontre des membres d’une même communauté. La nature interne du conflit est soulignée par la similitude entre les altérations qui affectent ce crépuscule et celles qui troublent l’aurore avant la bataille de Pharsale dans l’épopée de Lucain (Lvcan. 7, 1-6). Dans la Thébaïde comme dans la Guerre civile, la description commence avec un comparatif qui exprime la lenteur inhabituelle de l’action (Lvcan. 7, 1 : segnior ; Stat. Theb. 5, 177 : tardius) et la résistance de Jupiter face à la révolution du ciel est similaire à celle du Soleil (Lvcan. 7, 2 : aethera contra ; Stat. Theb. 5, 178-179 : uersum […] aethera […] sustinuit). Dans les deux cas, la perturbation est contraire à l’ordre naturel (Lvcan. 7, 1 : quam lex aeterna uocabat ; Stat. Theb. 5, 179 : dum fata uetant) et le phénomène est inédit (Lvcan. 7, 2 : numquam magis ; Stat. Theb. 5, 179 : nec longius umquam).

Ce crépuscule est donc affecté par une perturbation temporelle qui retarde son déroulement normal.51 La progression ralentie de l’obscurité prépare le contraste lumineux entre Lemnos et les autres îles. En effet, alors que Thasos et les Cyclades se distinguent par leur luminosité nocturne (Stat. Theb. 5, 182 : crebraeque relucent), Lemnos se fond dans l’obscurité de la nuit (Theb. 5, 183-184 : una […] latet […] Lemnos ; 185 ; una […] Lemnos non agnita).52 Cette antithèse isole Lemnos et le manque de visibilité nocturne la désigne comme un lieu où règne le crime et l’impiété, à l’inverse d’Argos et à l’instar de Thèbes.53

Argos la Brillante

La description que Stace fait d’Argos dans le premier livre de la Thébaïde est inhabituelle, car la ville est d’abord décrite de nuit. En effet, le crépuscule qui tombe sur Polynice lors de son exil plonge le récit dans l’obscurité (Stat. Theb. 1, 336-346).54 Les vers 342 à 346 soulignent l’absence de luminosité (Stat. Theb. 1, 345-346 : densior a terris et nulli peruia flamma […] nox atra). Par conséquent, Polynice erre dans le noir (Stat. Theb. 1, 368 : per nigra silentia ; 376 : opaca), sans astres pour éclairer sa route (Theb. 1, 371-372 : neque Temo piger neque amico sidere monstrat | Luna uias).55 Dans l’obscurité, la ville d’Argos apparaît alors comme un lieu rayonnant (Stat. Theb. 1, 380-382) :

donec ab Inachiis uicta caligine tectis
emicuit lucem deuexa in moenia fundens
Larisaeus apex. […]56

[…] jusqu’à ce qu’ayant vaincu le brouillard, le sommet de Larisa brille depuis les toits inachiens, déversant sa lumière sur les murailles en contrebas.

L’éclairage qui émane des maisons perce les nuages et les contours de la ville sont illuminés par la citadelle. La disposition des mots en chiasme reflète la supériorité de la lumière sur l’obscurité, puisque l’éclairage des maisons encadre le brouillard vaincu (v. 380 : ab Inachiis uicta caligine tectis). Semblablement, l’expression lucem […] fundens (v. 381) entoure les murailles qu’elle illumine (v. 381 : deuexa in moenia) et le verbe emicuit (v. 381) est mis en évidence par sa place en début de vers. Argos ne brille pas seulement par son architecture, mais aussi par ses habitants. Le roi Adraste est caractérisé par sa lumière, lorsqu’il apparaît resplendissant et s’avance entouré de nombreuses torches (1, 435 : numerosa luce ; 526 : fulgebat). Son palais est à son image, bien éclairé et chaleureux : les feux brûlent encore sur les autels (1, 512 : canis etiamnum altaribus ignes ; 556 : lucent altaribus ignes) et les serviteurs s’empressent d’illuminer le palais (1, 520-521) :

ast alii tenebras et opacam uincere noctem
adgressi tendunt auratis uincula lynchis.57

D’autres [serviteurs] s’attaquent à vaincre les ténèbres de la nuit obscure en enchaînant des lampes dorées.

La nuit particulièrement sombre (v. 520 : tenebras et opacam […] noctem) est dissipée par des lampes brillantes (v. 521 : auratis […] lynchis). L’emploi du verbe uincere (v. 520), déjà employé au vers 380 (1, 380 : uicta caligine) associé à d’autres termes empruntés au vocabulaire militaire (v. 521 : adgressi […] uincula), représente l’éclairage comme un combat contre l’obscurité et souligne le conflit entre ces deux états.58

Au-delà du jeu étymologique sur le nom de la ville,59 le contraste lumineux qui distingue Argos dans l’obscurité environnante illustre les hautes valeurs morales du lieu. En effet, dans sa courte présentation du roi Adraste, Stace insiste sur la tranquillité et la modération qui caractérisent son règne (Stat. Theb. 1, 390 : tranquille, medio de limite). Les seuls soucis qui l’occupent sont sa descendance et l’oracle d’Apollon qui s’y rapporte (Stat. Theb. 1, 393-400 : Tantum in corde sedens aegrescit cura parenti). La lumière d’Argos caractérise donc la ville comme un lieu où règne la piété et l’entente familiale.60

Cependant, cette lueur de tranquillité ne dure pas longtemps face à la tourmente thébaine. En effet, comme le souligne Adraste, l’arrivée de Polynice vient perturber l’ordre du lieu (Stat. Theb. 1, 441-443). En s’alliant au fils d’Œdipe, le roi et sa ville sont progressivement entraînés vers l’obscurité. Une fois contaminés par la sombre malédiction d’Œdipe, les protagonistes quittent la ville-lumière pour mener une guerre fratricide à l’ombre des murs de Thèbes.61

Obscurité thébaine

De même qu’Adraste était le digne représentant d’Argos, la nuit perpétuelle dans laquelle Œdipe bascule après s’être crevé les yeux (Stat. Theb. 1, 47 : merserat aeterna […] nocte) s’étend à la ville de Thèbes. Dès le début de l’épopée, Thèbes est recouverte d’une nuée infernale à l’arrivée de Tisiphone (Stat. Theb. 1, 124 : assuetaque infecit nube penates). L’obscurité de la ville se traduit par un manque de visibilité nocturne. En effet, lorsqu’Argie se rend à Thèbes pour retrouver le corps de Polynice, elle fait l’expérience d’une situation similaire à celle de son mari. La nuit tombe pendant son trajet (Stat. Theb. 12, 228-236) et Argie évolue alors dans un environnement très sombre (Theb. 12, 231 : caligantibus aruis ; 233-234 : nemorum arcana, sereno | nigra die ; 234 : caecis […] fossis).62 En outre, sa torche ne cesse de s’éteindre (Stat. Theb. 12, 240-242) :

[…] quotiens amissus eunti
limes, et errantem comitis solacia flammae
destituunt gelidaeque facem uicere tenebrae !63

Combien de fois le sentier fut-il perdu en chemin, la consolation d’une flamme pour l’accompagner lui fit-elle défaut dans son errance et les ténèbres gelées vainquirent-elles sa torche !

Argie ne dispose d’aucune source de lumière pour éclairer son chemin. Comme pour la ville d’Argos, la scène cache un jeu sur l’étymologie du nom d’Argie. Cependant, à l’inverse du livre 1, où la lumière de la ville vient à bout de l’obscurité (1, 380 : uicta caligine ; 520 : opacam uincere noctem), la flamme de sa torche est vaincue par les ténèbres (v. 242 : facem uicere tenebrae).

À l’approche de Thèbes, la ville est d’abord reconnue par le serviteur qui accompagne Argie (Stat. Theb. 12, 251-254) :

cernis ut ingentes murorum porrigat umbras
campus et e speculis moriens intermicet ignis ?
moenia sunt iuxta. modo nox magis ipsa tacebat,
solaque nigrantes laxabant astra tenebras.64

« Vois-tu comme la plaine étire les immenses ombres des murs et comme le feu mourant brille par intermittence depuis les tours de guet ? Les remparts sont à côté. » À cet instant, la nuit elle-même se faisait plus silencieuse et seuls les astres détendaient les noires ténèbres.

Contrairement à Argos dont la citadelle éclaire les murailles (1, 381-382 : lucem deuexa in moenia fundens | Larisaeus apex), les murs de Thèbes projettent des ombres (v. 251 : ingentes murorum […] umbras). En outre, la ville ne brille que faiblement et par intermittence (1, 381 : emicuit ; 12, 252 : moriens intermicet ignis). Par conséquent, Thèbes est difficilement repérable dans la nuit et la seule lumière des astres (v. 254 : solaque […] astra) est insuffisante pour éclairer les alentours. En effet, le manque de visibilité dû à l’obscurité est souligné par les protagonistes : Argie se plaint de la faible clarté des étoiles (12, 290 : queritur parum lucentibus astris) et Junon demande à la Lune de briller davantage afin de l’aider à trouver son mari (12, 305-306).

Thèbes est donc présentée comme l’antithèse d’Argos, une ville où les liens de parenté sont confus et où règne l’impiété. En effet, la souillure introduite par Œdipe en tuant son père et en épousant sa mère brouille les relations familiales. Ses fils, qui sont également ses frères, se disputent la succession au cours d’une guerre plusieurs fois qualifiée d’impie (Stat. Theb. 11, 123 ; 348-349 ; 12, 84). Après qu’ils se sont entretués, Créon accède au trône mais n’a pas davantage de respect pour la famille et la piété que ses prédécesseurs : il exile Œdipe, son beau-frère et neveu, et interdit qu’on rende des honneurs funèbres aux Argiens. L’obscurité qui accable Thèbes la caractérise donc comme un lieu de crime familial et d’impiété.

Lemnos

L’opposition lumineuse entre Argos et Thèbes se retrouve dans le contraste entre Lemnos et les autres îles. Alors que Paros, Thasos et les Cyclades brillent par leur piété, l’absence de luminosité nocturne isole Lemnos et met en évidence le caractère extraordinairement horrible du crime qui est sur le point d’être commis. Au cours du massacre, toutes les formes de relations au sein d’une famille sont successivement évoquées, puis détruites par les femmes : les épouses assassinent leurs maris (Stat. Theb. 5, 207-217) ; les mères tuent leurs fils (Theb. 5, 220-225) ; les sœurs abattent leurs frères (5, 226-229) ; les filles décapitent leurs pères (5, 236-237). Ces parricides constituent des crimes particulièrement impies et entraînent une souillure telle qu’elle affecte même l’aurore du lendemain (Stat. Theb. 5, 296-301) :

exoritur pudibunda dies, caelumque retexens
auersum Lemno iubar et declinia Titan
opposita iuga nube refert. patuere furores
nocturni, lucisque nouae formidine cunctis
(quamquam inter similes) subitus pudor ; impia terrae
infodiunt scelera aut festinis ignibus urunt.65

Le jour se lève empli de honte ; découvrant le ciel, le Titan revient en détournant son éclat de Lemnos et en déviant son attelage derrière un nuage. Les fureurs nocturnes parurent au grand jour et, face à l’effroi de la lumière nouvelle, toutes (quoique parmi leurs semblables) furent prises d’une honte subite ; elles enfouissent leurs crimes impies dans la terre ou les brûlent dans des feux hâtifs.

Le jour se lève avec confusion sur les monceaux de cadavres. Une fois le résultat du carnage révélé au grand jour, les femmes s’empressent de faire disparaître les corps pour cacher leur crime (v. 298 : patuere furore ; 301 : infodiunt scelera aut festinis ignibus urunt).

Cette aurore est une combinaison de deux descriptions temporelles.66 En effet, après avoir imité l’aurore avant la bataille entre César et Pompée dans le crépuscule qui précède le massacre des Lemniens, dans le premier vers de cette aurore Stace détourne la description temporelle qui suit le combat à Pharsale (Lvcan. 7, 787-789) :

postquam clara dies Pharsalica damna retexit,
nulla loci facies reuocat feralibus aruis
haerentes oculos. […]67

Après que le jour brillant a découvert les dégâts de Pharsale, aucun aspect du lieu n’ordonne le repli aux yeux qui restent fixés sur les champs funestes.

Cette description qui clôt l’épisode de la bataille de Pharsale en révélant les dégâts causés par l’affrontement de la veille ne présente aucune perturbation. Dans la Thébaïde en revanche, le jour qui se lève n’est plus brillant, mais honteux (Lvcan. 7, 787 : clara dies […] retexit ; Stat. Theb. 5, 296 : pudibunda dies […] retexens), reflétant le point de vue des Lemniennes qui prennent conscience de leur crime (Theb. 5, 300 : subitus pudor).

Ce premier vers est suivi par une description qui présente des similitudes avec l’aurore placée au début de l’Œdipe de Sénèque (Sen. Oed. 1-5) : le Soleil se lève en des termes semblables (Sen. Oed. 1-2 : Titan […] redit […] exoritur iubar ; Stat. Theb. 5, 296-298 : exoritur […] iubar […] Titan […] refert) et la lumière diurne est voilée par un nuage (Oed. 2 : nube […] squalida ; Theb. 5, 298 : opposita […] nube). Dans les deux cas, le lever du jour a le rôle de révélateur des décès nocturnes (Sen. Oed. 5 : stragemque quam nox fecit ostendet dies ; Stat. Theb. 5, 298-299 : patuere furores | nocturni) et l’état émotionnel de la personne qui décrit la scène se reflète dans la réaction du jour : l’incertitude d’Œdipe face à la situation désastreuse rejaillit sur le Soleil (Sen. Oed. 1 : Titan dubius) et la honte des Lemniennes contamine le jour (Stat. Theb. 5, 296 : pudibunda dies). Toutefois, alors que dans la tragédie de Sénèque les éléments de la description sont affectés émotionnellement (Sen. Oed. 2 : maestum […] iubar ; 3 : lumenque […] triste), dans la Thébaïde leur trouble se manifeste par une déviation de la lumière (Stat. Theb. 5, 297 : auersum […] iubar ; 297-298 : declinia […] juga) qui renforce la souillure émanant des parricides.68 Les perturbations qui affectent l’aurore suivant le massacre des Lemniens présentent donc cet épisode comme un événement plus effroyable que la guerre civile entre César et Pompée et génèrant une souillure similaire à celle qui découle des actions d’Œdipe.

Le massacre lemnien est doublement mis en évidence par les descriptions temporelles qui l’encadrent. Les perturbations lumineuses qui accablent le crépuscule et l’aurore soulignent l’impiété du crime commis à Lemnos. L’intervention de Jupiter dans le crépuscule pour retarder l’assombrissement nocturne anticipe le massacre et le contraste lumineux qui s’installe à la nuit tombée met en évidence Lemnos : l’obscurité singulière qui accable l’île la caractérise comme un lieu criminel et impie. En outre, la déviation de la lumière à l’aurore dédouble l’horreur du crime et témoigne de la souillure qui enveloppe Lemnos suite aux parricides.

Ces descriptions anormales sont décrites du point de vue des Lemniennes et plus précisément focalisées par Hypsipyle qui est la narratrice de cet épisode. Une telle insistance sur l’horreur du massacre lemnien lui permet de se présenter aux Argiens sous un jour favorable. En effet, en dressant un tableau très sombre de Lemnos pour accentuer l’impiété des autres femmes, elle fait ressortir son innocence et sa piété par contraste, puisqu’elle seule n’a pas pris part aux meurtres.69

3.2.2 Déviation : Stat. Theb. 12, 563-565

La dernière description temporelle perturbée de la Thébaïde figure au livre 12, dans le discours d’Évadné, l’épouse de Capanée. En effet, suite à l’édit de Créon qui interdit de rendre les honneurs funèbres aux soldats ennemis, les épouses et les mères des guerriers argiens se rendent à Athènes pour réclamer l’aide de Thésée. Évadné explique alors au souverain athénien que les corps des Argiens pourrissent sur le champ de bataille depuis sept jours (Stat. Theb. 12, 563-567) :

septima iam surgens trepidis Aurora iacentes
auersatur equis ; radios declinat et horret
stelligeri iubar omne poli ; iam comminus ipsae
pabula dira ferae campumque odere uolucres
spirantem tabo et caelum uentosque grauantem.70

Déjà la septième Aurore en se levant se détourne des gisants avec des chevaux tremblants ; tout l’éclat du ciel étoilé dévie ses rayons et frissonne d’effroi ; déjà, de près, les fauves et les volatiles eux-mêmes haïssent ces pâtures sinistres ainsi que la plaine qui respire le pus et qui alourdit le ciel et les vents.

Les sources de lumière célestes se détournent des morts privés de sépulture. Leur réaction est imitée sur terre par les bêtes sauvages qui ne s’approchent pas des cadavres en putréfaction.

Cette description repose sur un passage du dernier livre de l’Iliade.71 En effet, alors que Priam est en chemin vers le camp grec pour réclamer la dépouille d’Hector, il croise Hermès qui le renseigne sur l’état du corps de son fils (Hom. Il. 24, 413-415) :

[…] δυωδεκάτη δέ οἱ ἠὼς
κειμένῳ, οὐδέ τί οἱ χρὼς σήπεται, οὐδέ μιν εὐλαὶ
ἔσθουσ’, αἵ ῥά τε φῶτας ἀρηιφάτους κατέδουσιν.72

C’est la douzième aurore qu’il gît, mais sa chair ne se corrompt pas et les vers ne le mangent pas, eux qui dévorent les hommes victimes d’Arès.

Hermès rassure Priam en lui affirmant que malgré les douze jours qui se sont écoulés depuis sa mort, le corps d’Hector est intact.

Dans la Thébaïde, ce passage subit plusieurs transformations. Premièrement, l’intervalle de temps depuis la mort est réduit de douze à sept jours (Hom. Il. 24, 413 : δυωδεκάτη […] ἠὼς ; Stat. Theb. 12, 563 : septima […] Aurora). Ce chiffre est toutefois exagéré par rapport au temps qui s’est écoulé depuis la fin de la guerre. En effet, si l’on s’en tient aux indications temporelles dans le reste du livre, il s’agit en réalité du quatrième jour.73 Ce laps de temps est donc symbolique. En effet, outre la correspondance avec le nombre de chefs argiens, le délai d’une semaine rappelle la période de temps pendant laquelle Adraste reporte sa décision de partir en guerre (Stat. Theb. 3, 440-446).74 L’insistance sur le chiffre sept (Stat. Theb. 12, 563 : septima iam) souligne donc l’urgence de la situation en sous-entendant qu’il n’est plus temps d’hésiter, mais d’agir au plus vite.

Deuxièmement, la mention de l’aurore homérique est étoffée par la description de la réaction horrifiée des éléments célestes. Au lieu d’éclairer les morts, l’Aurore détourne sa lumière des gisants (Hom. Il. 24, 413-414 : οἱ ἠὼς | κειμένῳ ; Stat. Theb. 12, 563-564 : Aurora iacentes | auersatur) et sa réaction d’horreur est dédoublée par l’épouvante des astres nocturnes (Theb. 12, 564-565 : et horret | stelligeri iubar omne poli). La perturbation qui affecte cette partie de la description est semblable à celle qui figure dans l’aurore après le massacre des Lemniens : les chevaux et la lumière sont détournés (Stat : Theb. 5, 297-298 : auersum […] iubar et declinia […] iuga ; 12, 564-565 : auersatur equis, radios declinat).75 Comme dans le cas des Lemniens, cette déviation de la lumière diurne signale l’impiété de la scène.76 En effet, la privation de sépulture est une action injuste qui provoque une grave souillure.

Troisièmement, l’état de conservation des morts n’est pas le même. Contrairement au corps d’Hector qui ne s’est pas dégradé, ceux des Argiens sont représentés dans un état de décomposition avancée (Hom. Il. 24, 414 : οὐδέ τί οἱ χρὼς σήπεται ; Stat. Theb. 12, 567 : spirantem tabo et caelum uentosque grauantem). Cette modification est d’autant plus remarquable qu’elle est erronée. En effet, de même que dans l’Iliade le cadavre d’Hector est protégé par Apollon (Hom. Il. 24, 18-21), dans la Thébaïde, Iris veille à la préservation des victimes argiennes (Stat. Theb. 12, 137-140). Cette partie de la description repose sur un détournement de la scène après la bataille de Pharsale où, au contraire, les animaux attirés par l’odeur se rassemblent pour dévorer les corps : dans les deux cas, l’air est vicié par les cadavres en décomposition (Lvcan. 7, 830 : aera non sanum motumque cadauere sentit ; Stat. Theb. 12, 567 : spirantem tabo et caelum uentosque grauantem) ; mais fauves et oiseaux accourent dans le texte de Lucain (Lvcan. 7, 825-827 : funesta ad pabula […] uenere lupi tabemque cruentae | caedis odorati […] leones ; 831 : Iamque diu uolucres), alors que dans la Thébaïde ils dédaignent les corps (Stat. Theb. 12, 565-567 : iam […] pabula dira ferae campumque odere uolucres | spirantem tabo). Ainsi, les cadavres argiens paraissent encore plus impurs que ceux des Romains engagés dans une guerre civile. La description de la détérioration des cadavres confère donc à la scène un caractère horrifique renforcé par la métrique holospondaïque du vers 567.

Comme dans l’épisode du massacre des Lemniens, cette description temporelle est l’objet d’une focalisation interne au récit : elle représente le point de vue des femmes argiennes et d’Évadné en particulier. Toutefois, contrairement à Hypsipyle, cette dernière n’a pas assisté à la scène qu’elle décrit. Elle avoue elle-même que ce ne sont que des supputations (Stat. Theb. 12, 568 : rear). Le contenu de son rapport est donc fictif, comme le soulignent les nombreuses inexactitudes dans sa description qui concourent à accentuer l’horreur de la scène, afin d’émouvoir Thésée et de le pousser à agir au plus vite.

Dans cette description temporelle, les éléments sont déformés pour mettre en évidence l’impiété de Créon et souligner l’urgence de la situation. La perturbation lumineuse accentue la souillure qui découle de la privation de sépulture. Cette exagération de la gravité de la situation sert l’objectif d’Évadné.77 En effet, contrairement à Hermès qui tente de rassurer Priam, l’épouse de Capanée veut alarmer Thésée pour le convaincre d’intervenir rapidement. En dressant un tableau effroyable de la situation à Thèbes, Évadné espère susciter l’indignation et la pitié du souverain athénien pour obtenir son aide. Sa stratégie s’avère efficace, puisque Thésée répond favorablement à sa requête et se prépare à partir immédiatement (Stat. Theb. 12, 596 : nulla mora est !).

3.2.3 Synthèse : troubles lumineux

La cause des perturbations lumineuses dans les aurores et les crépuscules de la Thébaïde est toujours un événement négatif : le contraste entre lumière et obscurité isole Lemnos en prévision du crime qui s’y déroulera (Stat. Theb. 5, 177-185) ; la déviation de la lumière signale une souillure particulièrement grave, telle que celle causée par le massacre des Lemniens (Theb. 5, 296-301) ou la privation de sépulture imposée aux Argiens (12, 563-567). Dans les trois cas, l’obscurité anormale qui affecte les descriptions signale une présence infernale. En effet, les Euménides assistent les Lemniennes dans leur crime (Stat. Theb. 5, 66 ; 302) et les victimes sans sépultures souillent la lumière céleste dans le dernier livre (Theb. 12, 567). L’éclairage d’une scène est donc un moyen de caractériser un lieu, une personne ou un comportement. Une même situation peut-être décrite sous une lumière différente, selon le point de vue depuis lequel elle est perçue. Ainsi, après avoir refusé l’ultimatum de Thésée, Créon voit le ciel s’obscurcir avant l’affrontement (Stat. Theb. 12, 692-694) :

[…] sed puluere crasso
caligare diem et Tyrios iuga perdere montes
aspicit ; […]78

Il voit que le jour se voile d’une poussière épaisse et que les montagnes tyriennes perdent leurs cimes.

Face à la noirceur du ciel, Créon pâlit de crainte (12, 695 : ipse […] pallens). Il ordonne néanmoins à ses soldats de se préparer à un combat qui lui sera funeste (12, 694-695 : armari populos tamen armaque ferri […] iubet). L’obscurcissement de son horizon (vv. 692-693 : puluere crasso | caligare diem) contraste avec les troupes athéniennes qui ne sont pas affectées par la poussière (12, 658-660 : nec puluere crasso | armorum lux uicta perit, sed in aethera longum | frangitur et mediis ardent in nubibus hastae). En effet, le soleil brille pour Thésée (12, 709-710) :

Atticus at contra, iubar ut clarescere ruptis
nubibus et solem primis aspexit in armis,79

En revanche, lorque le souverain attique vit que l’éclat du jour s’éclaircissait après avoir rompu les nuées et que le soleil commençait à briller sur les armes, […]

Le souverain athénien se prépare lui aussi immédiatement au combat (12, 711 : desilit in campum), mais la justice de sa cause lui procure une lumière intérieure (12, 714 : iustas belli flammatur in iras). Cette différence d’éclairage montre la supériorité morale de Thésée sur Créon.80 La luminosité varie donc en fonction des yeux par lesquels elle est perçue (12, 694 : aspicit ; 710 : aspexit).

Cette précision est importante pour l’interprétation des aurores et des crépuscules qui présentent des perturbations lumineuses, car ces descriptions figurent dans des discours prononcés par des protagonistes. En effet, le massacre lemnien est raconté par Hypsipyle et l’état des corps argiens est décrit par Évadné. Ces deux femmes poursuivent chacune un objectif précis que ces perturbations lumineuses contribuent à atteindre. En insistant sur l’atrocité du crime commis par ses compatriotes, Hypsipyle, qui renvendique son innocence, fait valoir sa piété par contraste. De la même façon, Évadné accentue l’horreur de la situation à Thèbes pour inciter Thésée à lui venir en aide au plus vite. La perturbation lumineuse des aurores et des crépuscules est donc utilisée comme un argument rhétorique.

En outre, on constate une augmentation de l’obscurité dans la deuxième partie de l’épopée.81 En effet, l’influence accrue des Furies contamine le récit : leur présence infernale sur terre souille la lumière du soleil (Stat. Theb. 11, 119-121), Jupiter voile le ciel avant la mort de Capanée (Theb. 10, 922-923), tout comme il le fait avant le duel (11, 130-135), et les morts sortent des Enfers pour assister au fratricide (11, 422-423). En outre, les comparaisons avec des images nocturnes sont plus fréquentes, même pour illustrer des scènes qui se déroulent en plein jour.82 Ainsi, l’élision des démarcations temporelles dans les livres 10 et 11 s’accompagne d’une diminution de la lumière naturelle.83

3.3 Synthèse : déséquilibre lumineux et temporel

Le rôle focalisant des aurores et des crépuscules a été abordé dans le chapitre 2. Cet effet de mise en évidence est renforcé lorsque la description présente des perturbations, car ce phénomène dénote un dérèglement de l’ordre naturel. Ainsi, les nombreux troubles qui affectent les aurores et les crépuscules dans la Thébaïde témoignent du déséquilibre des éléments dans l’épopée. Conformément à la double nature du motif, les perturbations peuvent être lumineuses ou temporelles : en leur qualité de marqueurs temporels, le déroulement des aurores et des crépuscules peut être ralenti (Stat. Theb. 3, 33-35 ; 5, 177-181) ou accéléré (Theb. 10, 1-4) ; en tant que phases de transition lumineuse, elles peuvent instaurer un éclairage contrasté (5, 177-185) ou défaillant (5, 296-298 ; 12, 563-565).

Quelle que soit la nature des perturbations, elles sont toujours causées par des événements négatifs dont elles accentuent l’horreur. Ainsi, l’hésitation du Soleil à se lever après l’embuscade nocturne attire l’attention sur l’épisode déclencheur des hostilités (Stat. Theb. 3, 33-39). Le massacre des Lemniens est quant à lui doublement mis en évidence par les descriptions temporelles qui l’encadrent : le contraste lumineux instauré par le crépuscule isole l’île et la désigne comme un lieu impie et criminel (Stat. Theb. 5, 177-185) ; la déviation de la lumière à l’aurore est une manifestation de la souillure causée par les parricides (Theb. 5, 296-301). L’accélération du crépuscule par Jupiter au début du livre 10 souligne la vanité de la guerre et témoigne de sa hâte à résoudre le conflit par le duel fratricide (Stat. Theb. 10, 1-4). Enfin, la déviation de la lumière céleste accroît l’impression d’horreur qui se dégage des morts laissés sans sépulture (Stat. Theb. 12, 563-567). Le fait que la Thébaïde contienne autant de descriptions d’aurores et de crépuscules perturbées est donc le signe que les événements racontés dans l’épopée sont particulièrement impies et criminels.

En outre, plusieurs des perturbations qui affectent les aurores et les crépuscules sont dues à des interventions externes. D’une part, Jupiter intervient à deux reprises pour hâter ou ralentir la venue de la nuit (Stat. Theb. 5, 177-179 ; 10, 1-4). D’autre part, les protagonistes détournent les descriptions d’aurores et de crépuscules dans leurs discours pour servir leurs propos : Hypsipyle tente de se montrer aux Argiens sous un jour favorable en accentuant l’atrocité du crime qu’elle n’a pas commis ; Évadné essaye de persuader Thésée d’intervenir rapidement en exagérant la gravité de la scène qu’elle décrit. Les aurores et les crépuscules sont donc perçus par les protagonistes-mêmes de la Thébaïde comme des éléments épiques qui peuvent être manipulés pour servir leurs objectifs.

Enfin, l’introduction de perturbations dans les aurores et les crépuscules est une façon pour Stace de positionner son épopée par rapport aux textes de ses prédécesseurs. En effet, les descriptions troublées de la Thébaïde reposent sur le détournement d’indications temporelles qui se trouvent dans d’autres épopées. L’aurore révélant le début des hostilités entre Argiens et Thébains (Stat. Theb. 3, 33-35) est une inversion du crépuscule qui marque la première nuit en mer dans les Argonautiques de Valérius Flaccus (Val. Fl. 2, 34-37). Le crépuscule avant le massacre des Lemniens (Stat. Theb. 5, 177-185) est une version détournée de la dernière nuit de Troie dans l’Énéide (Verg. Aen. 2, 250-253). En outre, en encadrant le massacre des Lemniens avec une deuxième description temporelle dont le déroulement est perturbé (Stat. Theb. 5, 296-298), Stace renchérit sur la Guerre civile de Lucain, dont il détourne l’aurore après la bataille de Pharsale (Lvcan. 7, 787-789). De la même façon, il corrige son modèle homérique (Hom. Il. 8, 485-488) en faisant intervenir Jupiter dans le crépuscule au début du livre 10 (Stat. Theb. 10, 1-4). Enfin, la description de l’Aurore et des astres qui dévient leur lumière des corps argiens en décomposition (Stat. Theb. 12, 563-567) est la transformation d’une brève indication temporelle dans le discours d’Hermès au chant 24 de l’Iliade (Hom. 24, 413-415). Par conséquent, en détournant les descriptions de ses prédécesseurs pour composer celles de la Thébaïde, Stace revendique une épopée qui surpasse les modèles traditionnels par l’horreur de son sujet.

1

Pour le commentaire de ces vers, voir Edwards 1991, 174-175 s.vv., Coray 2016, 98-100 s.vv. et Rutherford 2019, 144-145 s.vv.

2

Pour le commentaire de ces vers, voir Russo/Fernández/Heubeck 1992, 339-340 s.vv. et de Jong 2001, 560 s.vv.

3

Pour le commentaire de ces vers, voir Töchterle 1994, 139-145 s.vv., Boyle 2011, 104-107 s.vv. et Allendorf 2013, 107-110.

4

Pour d’autres perturbations cosmiques en raison d’actions abominables dans la tragédie, voir Sen. Ag. 53-56 ; Thy. 120-121 ; 776-874 ; Med. 874-878.

5

Pour le commentaire de ces vers, voir Hübner 1976, Narducci 2002, 51-54, Lanzarone 2016, 69-78 s.vv., Kersten 2018, 239-241 et Roche 2019, 57-60 s.vv.

6

Les épopées ne contiennent tout au plus qu’une seule description temporelle troublée : l’Iliade et l’Odyssée présentent chacune une description d’aurore ou de crépuscule perturbée (Hom. Il. 18, 239-241 ; Od. 23, 241-246) ; il n’y a pas d’aurore ou de crépuscule dont le déroulement est troublé dans les épopées d’Apollonios de Rhodes, de Virgile, de Valérius Flaccus et de Silius Italicus.

7

Sur ces épisodes et le thème de la mora dans la Thébaïde, voir Vessey 1973, 165-167, Vessey 1986, 2988-2993, Feeney 1991, 339-340, Ganiban 2007, 156-170, McNelis 2007, 86-96 et Parkes 2012, xvii-xx. Ce même principe est présent dans la plupart des épopées. Dans l’Iliade, la rencontre entre Achille et Hector n’a lieu qu’au chant 19 ; dans l’Odyssée, le retour d’Ulysse à Ithaque est plusieurs fois retardé ; dans l’Énéide, le duel entre Énée et Turnus n’intervient qu’à la toute fin de l’épopée ; dans la Guerre civile de Lucain, la confrontation entre César et Pompée est sans cesse repoussée ; voir McNelis 2007, 76-77 et Gervais 2017a, 307-310.

8

Les personnages soulignent régulièrement le retard pris par l’intrigue dans leurs discours, e.g. Stat. Theb. 1, 217 ; 315-316 ; 2, 467 ; 3, 7 ; 31-32 ; 233 ; 559 ; 651 ; 718-719 ; 4, 503 ; 774 ; 778-779 ; 7, 198 ; 208 ; 8, 179 ; 9, 790-791 ; 10, 235-236 ; 11, 80 ; 155 ; 169 ; 201 ; 268 ; 347 ; 390 ; 12, 354 ; voir Feeney 1991, 339-340.

9

E.g. Tydée réclame une vengeance immédiate (Stat. Theb. 3, 336-365) et Capanée s’emporte contre Amphiaraos qui retarde le départ de la campagne (Theb. 3, 598-618).

10

Jupiter envoie Mercure chercher Laïos aux Enfers (Stat. Theb. 1, 292-302) ; il rappelle à Mars sa fonction de dieu de la guerre (Theb. 3, 220 ; 229-239 ; 7, 1-33) et intervient en personne pour accélérer les événements (10, 1-4). Tisiphone est caractérisée par sa rapidité : elle réagit immédiatement à l’invocation d’Œdipe (Stat. Theb. 1, 92 : ilicet […] citatior ; 100 : extemplo ; 101 : uelocior) et intervient rapidement pour contrer Piété (Theb. 11, 483 : ocior). Elle cherche à clore la guerre au plus vite (Stat. Theb. 11, 57-59) et, pendant que sa sœur Mégère exhorte Polynice au duel (Theb. 11, 201 : abrumbe moras, celeremus !), elle pousse Étéocle au combat (11, 387-388).

11

Voir aussi section 2.2.

12

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 60-64 s.vv.

13

Sur l’inversion des images, voir section 1.3.

14

Pour le commentaire de ces vers, voir Poortvliet 1991, 43-46 s.vv., Gärtner 1998, 205-206 et Spaltenstein 2002, 317-318 s.vv.

15

Sur le déplacement des descriptions temporelles, voir section 2.1.

16

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 45-47 s.vv.

17

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 59-60 s.vv.

18

La mort des soldats thébains ne suffit pas à elle seule à motiver la perturbation de l’aurore. De nombreux massacres ont lieu dans la Thébaïde sans que les descriptions temporelles soient affectées. Seules des actions particulièrement impies causent de tels troubles ; voir section 3.3.

19

Le lien entre le début du jour et le survivant est mentionné par Tydée lorsqu’il annonce que l’aurore du lendemain se lèvera sur le seul Méon (Stat. Theb. 2, 697-698).

20

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 64-65 s.vv.

21

Sur cette innovation, voir Mulder 1954, 233 ; 236 ; 243 ; comparer à Hom. Il. 4, 382-398 ; Apollod. 3, 6, 5.

22

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 182-185 s.vv.

23

Voir Hom. Il. 11, 1-2 ; 19, 1-3 ; Od. 5, 1-2. Dans les trois cas, l’aurore est suivie d’une action immédiate : Zeus envoie Éris dans le camp Grec pour relancer les combats ; Thétis apporte de nouvelles armes à Achille pour lui permettre de combattre Hector ; les dieux se réunissent et acceptent enfin de renvoyer Ulysse chez lui ; sur les troubles de l’effet d’ouverture des aurores, voir section 2.4.

24

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 191-192 s.vv.

25

Sur cette description temporelle, voir conclusion.

26

Dans les Métamorphoses d’Ovide, une aurore contenant la même image marque le retour à une situation identique à la veille pour Pyrame et Thisbé (Ov. met. 4, 81-82).

27

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 229 s.vv.

28

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 267-269 s.vv.

29

Sur la place inhabituelle de ce crépuscule, voir section 2.2.

30

Pour le commentaire de ces vers, voir Williams 1972, 35-36 s.vv.

31

Bien que Juhnke 1972, 142-143 souligne la similitude de situation entre le début du livre 10 de la Thébaïde et le chant 8 de l’Iliade, il ne cite pas ce crépuscule comme modèle pour la description temporelle qui ouvre le livre 10 ; il insiste davantage sur le parallèle avec le crépuscule du chant 18 de l’Iliade (Hom. Il. 18, 239-241), qui est traité plus loin dans cette section.

32

Pour le commentaire de ces vers, voir Kirk 1990, 335 s.vv.

33

Pour cet intertexte, voir Juhnke 1972, 363.

34

Sur la correction, voir section 1.2.

35

La place de cette description témoigne de la violence et de l’ampleur des combats. ; voir sections 2.2 et 2.5.

36

C’est Œdipe qui invoque Tisiphone pour le venger de l’affront subi par ses fils (Stat. Theb. 1, 55-87).

37

Pour le commentaire de ces vers, voir Heuvel 1932, 150-151 s.vv., Caviglia 1973, 117 s.vv. et Briguglio 2017, 291-292 s.vv.

38

Pour le commentaire de ces vers, voir Snijder 1968, 4-5 s.vv.

39

Pour un schéma du déroulement chronologique de la Thébaïde, voir figure 1.

40

Voir van Dam 1984, 223-224 s.vv. 45-47 et Morzadec 2009, 286.

41

Pour des lieux sombres en plein jour, voir Stat. Theb. 4, 420-421, le bois où se déroule la séance de nécromancie thébaine ; 5, 152-154, le lieu où les Lemniennes se rassemblent pour fomenter leur crime ; 7, 45-46, le palais de Mars qui est décrit comme un lieu particulièrement réfractaire à la lumière du Soleil ; pour les sources de lumière naturelles dans la nuit, voir 2, 532, l’éclat de la lune sur les armes des soldats thébains qui révèle l’embuscade à Tydée ; 5, 181-183, les îles de la mer Égée qui réfléchissent la lumière des astres ; 10, 370-371 ; 376-377 ; 12, 309-313, la Lune qui éclaire les corps de Tydée, Parthénopée et Polynice ; voir Parkes à paraître a ; pour l’éclairage artificiel, voir 1, 380-382, les lumières de la ville d’Argos qui brillent dans la nuit ; 7, 458-459, où les Thébains sont pris de panique à la vue des feux du camp argien.

42

Voir Franchet dEspèrey 1999, 230-231.

43

Pour le commentaire de ces vers, voir Heuvel 1932, 99-100 s.vv., Caviglia 1973, 103 s.vv. et Briguglio 2017, 188 s.vv.

44

Cette réaction du jour est imitée de Ov. met. 4, 488, où l’arrivée de Tisiphone à Thèbes fait fuir le soleil.

45

Pour le commentaire de ces vers, voir Mulder 1954, 102 s.vv. et Gervais 2017b, 107 s.vv.

46

Sur l’obscurcissement du ciel avant le duel, voir section 2.3.

47

Pour cet intertexte, voir Taisne 1994, 242 ; l’ensemble du récit d’Hypsipyle dialogue avec le récit qu’Énée fait à Didon dans l’Énéide ; voir Frings 1996, Nugent 1996, Casali 2003 et Ganiban 2007, 71-95.

48

Pour le commentaire de ces vers, voir Jensen 1961, 77-78, Austin 1964, 116-118 s.vv., Mack 1980, Horsfall 2008, 222-225 s.vv. et Casali 2017, 182-185 s.vv.

49

Pour la formulation de ce vers, voir Val. Fl. 5, 691 : et iam sidereo noctem demittit Olympo.

50

Juhnke 1972, 340 relève que l’intervention de Jupiter sur le déroulement du crépuscule rappelle celle d’Athéna au chant 23 de l’Odyssée, où la déesse retient l’Aurore (Hom. Od. 23, 241-246). En effet, dans les deux cas, la perturbation intervient au moment où des hommes rentrent chez eux et retrouvent leurs femmes. Toutefois, les intentions des divinités sont différentes. Alors qu’Athéna veut prolonger les retrouvailles heureuses entre Ulysse et son épouse, l’intervention de Jupiter est motivée par la menace que les Lemniennes représentent pour leurs maris ; voir aussi Val. Fl. 2, 357-358, où Jupiter intervient en faveur des Lemniennes en faisant venir la pluie qui retient les Argonautes. Dans ce passage, le dieu est un moteur (Val. Fl. 2, 357-358 : Pliada […] mouerat […] Iuppiter aeternum uoluens opus), contrairemement à son rôle dans la Thébaïde, où il freine la révolution du ciel (Stat. Theb. 5, 178-179 : Iuppiter et uersum […] aethera […] sustinuit).

51

Sur le retard, voir section 3.1.1.

52

La nouveauté des ténèbres et le poids de l’obscurité qui accable Lemnos rappellent celles qui s’abattent sur Mycènes après le crime d’Atrée dans le Thyeste de Sénèque (Sen. Thy. 786-787 : tenebrisque […] obruat […] nouis | nox […] grauis ; Stat. Theb. 5, 180 : nouae […] tenebrae ; 183 : graui […] obruta caelo).

53

Dès le début du récit d’Hypsipyle, Lemnos est décrite comme un lieu sombre, à l’ombre du mont Athos (Stat. Theb. 5, 51-52). Les femmes se réunissent dans un bois imperméable à la lumière pour mettre au point leur crime (Stat. Theb. 5, 152-154), alors même que le Soleil est à son zénith (Theb. 5, 85-86) ; sur ce contraste, voir conclusion.

54

Sur ce crépuscule, voir section 1.2.

55

Sur le trajet de Polynice vers Argos, voir Parkes 2014, 785.

56

Pour le commentaire de ces vers, voir Heuvel 1932, 194 s.vv., Caviglia 1973, 130-131 s.vv. et Briguglio 2017, 374-376 s.vv.

57

Pour le commentaire de ces vers, voir Heuvel 1932, 233 s.vv., Caviglia 1973, 144 s.vv. et Briguglio 2020, 145-146 s.vv.

58

Voir Briguglio 2020, 146 s.v.

59

Ἀργός est un adjectif qui signifie « brillant », « blanc » ; voir LSJ s.v.

60

Dans la prolongation de son interprétation lucrétienne de la tempête (voir section 1.2), A. Keith propose de voir dans le roi Adraste l’idéal du sage épicurien qui a dissipé les ténèbres et est nimbé de lumière (Lvcr. 5, 10-12 : quique […] e tantis uitam tantisque tenebris | in tam tranquillo et tam clara luce locauit).

61

Voir Moreland 1975.

62

Sur ce crépuscule, voir section 2.5.

63

Pour le commentaire de ces vers, voir Pollmann 2004, 146 s.vv.

64

Pour le commentaire de ces vers, voir Pollmann 2004, 147-148 s.vv. et Sacerdoti 2012, 124-125 s.vv.

65

Pour le commentaire de ce vers, voir Schetter 1979.

66

Sur la combinaison, voir section 1.1.

67

Pour le commentaire de ces vers, voir Lanzarone 2016, 492-493 s.vv. et Roche 2019, 239 s.vv.

68

Sur le détournement du regard comme signe de pollution, voir Lovatt 2013, 74-77 ; sur la déviation de la lumière dans la Thébaïde, voir section 3.2.2.

69

Sur la figure de narratrice d’Hypsipyle, voir Gibson 2004 ; pour une remise en question de l’innocence d’Hypsipyle, voir Nugent 1996, Casali 2003 et Heslin 2016 ; sur sa version de l’épisode des Argonautes à Lemnos, voir Falcone 2011.

70

Pour le commentaire de ces vers, voir Pollmann 2004, 225-226 s.vv.

71

Bien que Juhnke 1972, 368 relève la correspondance entre le début du livre 12 de la Thébaïde et le chant 24 de l’Iliade, il ne signale pas précisément les vers 413 à 415 comme modèle pour cette description temporelle.

72

Pour le commentaire de ces vers, voir Macleod 1982, 120 s.vv., Richardson 1993, 315 s.vv. et Brügger 2009, 149 s.vv.

73

Il ne s’est écoulé qu’un jour depuis la séparation d’Argie du reste du groupe qui a lieu le troisième jour après la fin de la guerre (Stat. Theb. 12, 50) ; voir figure 1 et tableau 2 Sur ce problème de chronologie, voir Pollmann 2004, 291-293 ; sur le temps de trajet entre Argos et Thèbes, voir Parkes 2013, 415-417.

74

Sur cette aurore, voir section 3.1.1.

75

Sur l’aurore du livre 5, voir section 3.2.1.

76

Mars a une réaction semblable lorsqu’il voit Tydée se livrer au cannibalisme : il ne s’approche pas et dévie son char (Stat. Theb. 9, 6-7 : nec comminus ipsum | ora sed et trepidos alio torsisse iugales) ; voir Lovatt 2013, 74-77.

77

Sur le discours d’Évadné, voir Franchet dEspèrey 1999, 291-294.

78

Pour le commentaire de ces vers, voir Pollmann 2004, 257-258 s.vv.

79

Pour le commentaire de ces vers, voir Pollmann 2004, 260-261 s.vv.

80

Cet éclairage contrasté rapproche également cette scène de l’assaut d’Hannibal sur Rome dans les Guerres puniques de Silius Italicus : la tempête accable Hannibal (Sil. 12, 612-613 ; 654-657), alors que le ciel s’éclaircit pour les Romains (12, 637-638 ; 665 ; 731-732).

81

Augoustakis 2016, xxxviii souligne que, dans le livre 8 de la Thébaïde, Stace inverse le récit d’Hercule et Cacus dans l’Énéide pour représenter non plus la victoire de la lumière sur l’obscurité mais la supériorité des ombres.

82

E.g. Stat. Theb. 8, 369-372 : l’armée argienne est comme la Grande Ourse dont une étoile est voilée par un nuage ; 691-694 ; 10, 42-48 : les affrontements sont comparés à des attaques nocturnes de loups ; 11, 520 : Étéocle et Polynice sont comparés à des navires qui s’entrechoquent dans la nuit.

83

Sur la suppression des indications temporelles dans les livres 10 et 11, voir section 2.3.

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