Author:
Rémi Armand Tchokothe
Search for other papers by Rémi Armand Tchokothe in
Current site
Google Scholar
PubMed
Close

The price of silence is paid in the hard currency of human suffering. Asking the right questions makes, after all, all the difference between fate and destination, drifting and travelling. Questioning the ostensibly unquestionable premises of our way of life is arguably the most urgent of the services we owe our fellow humans and ourselves.

ZYGMUNT BAUMAN, GLOBALIZATION. CAMBRIDGE: POLITY PRESS, 1998, 5

En août 2013, mon collègue Buata Bundu Malela qui a eu un rôle déterminant dans ce projet de livre1 m’informe qu’il a été affecté en qualité de maître de conférence au Centre Universitaire de Formation et de Recherche de Dembéni (CUFR, Mayotte). Je le félicite chaleureusement pour cette promotion, un mot malheureusement très important dans nos petites vies de chercheur.e.s. Nous avons eu un bref entretien sur les perspectives qu’offre un nouveau poste, surtout dans un nouveau centre universitaire, avant de nous arrêter un moment sur la question : « Mayotte, tu connais, Man ? » Il n’y avait jamais été et j’avais, dans le cadre de mes études doctorales sur la littérature swahilie, vaguement entendu parler de cette île où certains religieux et commerçants parlent aussi le swahili et lu le travail de Daniela Waldburger sur le repertoire linguistique des Comoriens de Marseille (2015).

Buata s’y installe en Septembre 2013. De temps en temps, nous échangeons sur ses activités à Mayotte, sur les difficultés et la beauté de ce nouveau poste qui représente un défi. J’avoue que c’est en 2014, lorsqu’il me sollicite comme président du comité scientifique de la toute première conférence du département des lettres du CUFR que je prends enfin le temps de lire davantage sur Mayotte. Détenant un passeport symboliquement puissant, un passeport européen, je me rends compte que je n’aurais pas besoin de visa, ni de faire le change avant de prendre la route pour Mayotte. Je commence à porter une attention singulière à l’île.

L’intitulé du colloque, « La littérature francophone de Mayotte, des Comores et du sud-ouest de l’Océan Indien: production et réception », était, il faut le reconnaître, maladroit et disrespectueux du droit des peuples à s’auto-affirmer. Avec cet intitulé, nous soutenions sans le savoir la division imposée à UN peuple par la France. Par conséquent, nous avions, à juste titre, irrité des écrivain.e.s, des hommes et des femmes de culture de la région.

L’irritation a, entre autres réactions, conduit à un mot d’ordre de boycott intitulé « Comores : Colloque, manipulation et absurdité » publié en mars 2015.2 Les signataires qui connaissent mieux les réalités de l’archipel et la question de la relationnalité aux Comores étaient Anssoufouddine Mohamed, Mohamed Nabhane, Saïndoune Ben Ali, Hasan Fathate, Soeuf Elbadawi et Mohamed Ahmed Chamanga. C’est plus tard que je me rendis compte, avec le plaisir de l’éternel apprenant, que quatre des six signataires joueraient un rôle important dans ce projet de livre, d’abord en qualité d’auteurs dont les œuvres figurent dans mon corpus, ensuite en tant qu’architecte de la principale maison d’édition aux Comores.

Pendant le colloque qui a eu lieu du 19 au 20 mars 2015 au CUFR de Dembéni, les échanges et les premières observations participantes m’ont fait mieux comprendre la pertinence de certains propos des contestataires de la conférence. Au moment d’éditer les actes du colloque qui ont été publiés en 2017 chez Classiques Garnier/Paris, mes collègues Buata, Linda et moi convenions de revoir le titre pour corriger notre naïveté.3

Mais c’est particulièrement en 2016 et en 2017, quand j’y retourne pour dispenser mon cours annuel sur la sociolinguistique historique du swahili et les rapprochements avec le shimaore, la principale langue de socialisation primaire à Mayotte que je comprends, en plus des lectures sur le sujet, « le sens d’une écriture produite dans l’urgence et la nécessité », comme le dit la préface du recueil collectif Paris Mutsa en quête de Récit.4 Deux étudiant.e.s très impliqué.e.s dans le cours m’informent de leur incapacité de se concentrer sur la préparation du contrôle continu pour manque de ‘papiers’, l’incertitude administrative étant leur principale préoccupation du moment. Ainsi, commençai-je inconsciemment la recherche dont voici le produit ‘final’.

Sans préparation, je commence à poser des questions sur leurs itinéraires, leurs biographies éducative, linguistique et sociale et, comme des enfants longtemps empêchés de s’exprimer, ils/elles explosent, me font la confidence de leur douleur profonde, se (dé) livrent par la parole et m’apprennent beaucoup de choses sur l’histoire relationnelle entre les différentes îles des Comores, une histoire dont les livres ne sauraient exposer toute la profondeur vécue et que la version de l’empire ne laisse pas assez entrer dans l’histoire,5 pour reprendre à contre-courant les termes de Nicolas Sarkozy, l’un des défenseurs de la fausse histoire.

Ces termes disrespectueux ont été prononcés par un liseur de texte dont le contenu lui semblait inconnu devant un public médusé à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar le 26 juillet 2007. Le liseur a d’ailleurs omis de prononcer le nom du géant culturel Cheikh Anta Diop qui a aussi posé de grandes questions de méthodes de recherche sur l’Afrique. Cette ellipse mémorielle aura finalement donné plus d’écho à Cheikh Anta Diop dont le nom et les travaux continuent d’inquiéter une certaine bienséance, des fois une malséance peut-on dire. Point besoin de longtemps discourir sur cette stratégie de l’ellipse mémorielle. Il suffit ici de rappeler que ‘L’Afrique lui a bien répondu’.

Dans sa réponse, Boubacar Boris Diop faisait la remarque suivante dans l’ouvrage l’Afrique répond à Sarkozy : « À l’arrivée on a presque envie de remercier Nicolas Sarkozy d’être venu nous apporter, bien malgré lui, la bonne nouvelle : en Françafrique, depuis le ١٦ mai ٢٠٠٧, le roi est nul. »6 Non seulement le roi a été nul, mais surtout la stratégie du roi était particulièrement nulle car elle a ignoré l’histoire, l’attention et l’écoute.

Sur le plan méthodologique, je dirais donc que l’attention et l’écoute ont été, sans le vouloir, les premières approches qui m’ont ouvert ce vaste champ sur les relations complexes et encore compliquées par des discours politiques entre les quatre îles des Comores et la France. Les discours étant fondamentalement un assemblage de mots, c’est aussi en faisant particulièrement attention aux mots, source des maux, qu’une analyse socio-littéraire devient possible et pertinente. Cette analyse associe textes, textualités, contextes et contextualités, sociologie, histoire, géographie, anthropologie, économie etc., car, comme le dit bien Nassuf Djailani dans Le songe … probable d’une renaissance7

Ce qu’il nous faut, c’est mettre des mots sur les blessures mal refermées, des gerbes de mots échappés de tous les tamis révisionnistes … des mots qui exigent la reconnaissance et le respect de toutes les humanités […] Ce sont des jets de maux déchiquetés, des mots aphones à l’intérieur de nos corps dynamités par la machinerie assimilationniste … Des mots qui rient aux larmes pour déchirer ce ciel gorgé de rêves résignés, des mots qui accouchent d’un songe improbable de la renaissance, des mots qui désapprennent à haïr comme on apprend à aimer les murmures câlins d’une rivière qui s’écoule. …

Je vois cet ouvrage comme un projet de (re)connaissance des faits, des lieux, des auteur.es, une recherche-action animée par le désir de défendre, dans une perspective englobante, la thèse des recherches en humanités relationnelles du modèle SHAPE8 (social sciences, humanities and the arts for people and the economy) qui puissent épouser trois démarches complémentaires : (1) Why do you do it? (pertinence des questions de recherche, état des lieux sur les questions de recherche, originalité de la contribution), (2) How do you do it? (approches méthodologiques contextualisées, théories correspondantes et justesse du corpus) et (3) What has it got to do with the ‘damned’ reality out there? (la place de la recherche dans l’actualité et la construction des actualités, laquelle tourne essentiellement autour du langage, donc des mots appropriés ou à dessein inappropriés).

Le livre est donc axé sur l’étude, au sens large, des mots dont les auteur.e.s comorien.n.e.s, français.e.s et mauricien.n.e.s se sont servis, dans l’esprit de la convivialité humaine. En plus des méthodes, des causalités et des modalités, c’est un ouvrage sur les mots qui parlent des gens et s’adressent aux gens, dans l’humanité fraternelle et qui invitent à partager le désespoir des autres, pour lever un pan de voile sur les maux de l’Archipel des Comores. L’espoir consiste à avoir les mots comme un début de conversation, un dialogue apaisant, une esquisse de thérapie mémorielle et l’espoir d’une autre vie exprimés par vingt auteur.e.s. Ces derniers ont associé une esthétique de la contestation et du vivre autrement à la diversité générique dans un contexte de littérature encore invisible. Dans ce contexte précis, la littérature devient « un nœud spécifique entre un régime de signification des mots et un régime de visibilité des choses ».9

Le corpus composé de poèmes, d’une pièce de théâtre, de nouvelles, d’un texte-passerelle et de romans permet, dans ce cas d’étude, de parler des humanités, des sciences sociales, des Geisteswissenschaften (sciences de l’esprit) sous le prisme d’un espace doublement confiné. D’un côté, il est question de la géopolitique des chiffres biaisée ou inexistante compte tenu du silence des médias internationaux sur le problème de la ‘migration’ ou plutôt de l’immobilité administrative des ressortissant.e.s de Mohéli, de la Grande Comore et d’Anjouan. J’espère ici embrayer dans le même sillage que Lionnet et Jean-François10 qui, dans leur article sur l’économie littéraire-créative dans l’Océan Indien, montrent comment la littérature est une voix alternative pour faire entendre des vérités affectives et poétiques. Ceci est en opposition aux vérités quantifiées, numériques et figées. Lionnet et Jean-François écrivent ceci: « (t)he qualitative and aesthetic goals of our interpretive disciplines provide a crucial counterpoint to the ostensibly unbiased but always incomplete numerical perspective. »

D’un autre côté, il est question de la « nécropolitique » ou de « la politique de la mort » dont parle Achille Mbembe et, qui dans le contexte d’étude, s’applique bien à l’idée de morts politiquement pour rien ; comorien – comme-mort-rien, comme aiment dire les Comoriens pour rire de leur sort tragique. La capacité de l’autodérision face à l’absurdité contemporaine désespérante qui rappelle l’esthétique du « pleurer-rire » (Lopès, 1982) ouvre sur plusieurs questions de recherche.

1 Questions de recherche

En Petite Terre, une femme a été arrêtée dans sa propre chambre par le cousin – un gendarme – de son mari … Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme, voilà un procédé digne du déguisement des fourgonnettes de la PAF en taxi-technique développée en 2005.11

Cette anecdote dont la partie que j’ai marquée en gras m’a inspiré le titre de l’ouvrage met le doigt sur la blessure collective12 qui est en amont et en aval des textes dont je ferai une lecture contextualisée et (inter)actualisée c’est-à-dire au prisme de l’actualité qui met les Comores en relation avec d’autres parties du monde. L’ordre des mots du titre retenu pour l’ouvrage suit la chaîne de causes à effets : « Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme » : Visa Balladur, Kwassa Kwassa, (Im)mobilité et Géopoét(h)ique relationnelle aux Comores.

L’introduction illégitime d’un visa communément appellé « visa Balladur », en référence au premier ministre français de l’époque, Edouard Balladur, en 1995, pour limiter les déplacements des ressortissant.e.s de la Grande Comore, de Mohéli, et d’Anjouan vers Mayotte, justifie la montée du business des Kwassa Kwassa. Avant 1995, les Grand-Comoriens, Anjouanais et Mohéliens avaient été brièvement soumis à un visa d’entrée à Mayotte qu’ils obtenaient à l’arrivée, dans la mouvance du « rétablissement généralisé des visas » du gouvernement Chirac du 16 septembre 1986.13

Ce visa avait généralement une validité de trois mois, mais compte tenu de l’absence de contrôle effectif de la durée du séjour, du désir de départementalisation aussi poussé par les élus Mahorais, du développement des discours anti-immigration, et de l’envie de s’assurer les suffrages des élus mahorais lors des élections présidentielles de 1995, Edouard Balladur introduisit un visa préalable pour l’entrée à Mayotte, qui soumettait désormais les déplacements inter-îles à la toute puisssance de l’administration française.

Il faut noter que jusqu’à présent, les Mahorais peuvent se rendre facilement dans les trois autres îles de l’archipel tandis que les ressortissant.e.s des trois autres îles n’ont pour la plupart, ni les facilités financières, ni les moyens administratifs pour obtenir « légalement » le visa pour Mayotte.

C’est la raison pour laquelle ils ont eu et ont encore recours à ce que j’appellerai le visa naturel et non informel entre les îles : les kwassa kwassa, un objet de relation millénaire entre les îles, en amont du développement des réseaux de passeurs plutôt que de réduction des déplacements. La traversée est devenue dangereuse, on envoie à la mort des milliers de Comoriens, et on divise UN archipel et UN peuple jusqu’ici unifié historiquement même si la question des hiérarchies et des castes y a joué un important rôle. C’est UN peuple dont l’avenir se joue désormais en bonne partie autour des kwassa kwassa.

Ces bateaux étaient, au départ, des « vedettes », mot du jargon militaire mais, qui, dans le contexte comorien, renvoie à un outil de pêche. Les Kwassa Kwassa sont l’instrument de la mobilité vers l’incertitude, le refoulement, l’exil, l’errance, l’horreur, et la mort quand la traversée tourne mal, comme c’est souvent le cas. La traversée est en soi une relation entre des espaces, de la mobilité qui implique souvent des moments d’immobilité comme je le soulignerai dans le chapitre 5. Le triangle visa Balladur – Kwassa Kwassa – (im)mobilité est le point de départ des textes du corpus qui explorent la poétique et l’éthique de nouveaux types de rapports entre les quatre îles depuis 1995, lesquels rapports sont, comme mis ici en relief par l’anecdote, des rapports multiples.

L’anecdote révèle les contours du difficile rapport entre « Mayotte la française » et les trois autres îles de l’archipel, des mécanismes de contrôle, de mise en scène et d’aliénation identitaire sous forme de mascarades. Touam Bona reprend l’idée de Frantz Fanon en parlant de « Mayotte : peau comorienne, masques français… ».14 Dans ce point de vue d’une grande actualité, Touam Bona s’étonne en ces termes :

Non, c’est pas possible, tu déconnes ! … ; à chaque fois que je tente d’expliquer ce qui se passe à Mayotte, c’est d’abord à l’incrédulité que je me heurte. Mayotte, c’est l’impossibilité d’une île, impossibilité en premier lieu de dire ce qui s’expérimente sur cette île : les mots, les expressions, les catégories employées pour en rendre compte étant depuis longtemps corrompus et sclérosés. Tel un mauvais djinn, un désir d’apartheid – le rêve pathogène d’une communauté homogène – possède Mayotte : une île asphyxiée par sa propre frontière où schizophrénie et paranoïa vont de pair, et où l’on chasse l’étranger, village après village, au plus profond de soi-même.

Cet extrait montre combien la ‘blessure’, qui est un motif cher aux auteur.e.s dont j’étudierai les modalités dans les œuvres, est profonde et a de multiples visages. Il est question d’explorer le malaise existentiel, la dépossession géographique et la déshumanisation avec pour conséquence un déséquilibre anthropologique, un sentiment d’étouffement, une haine de soi bien orchestrée qui débouche sur la haine de l’autre, proche mais fragile. Cet.te autre nous ressemble et nous rappelle notre condition d’insécurité humaine : le ‘Comorien’, catégorie qui en néocolonie exclut car l’autre ici renvoie aux ressortissant.e.s de la Grande Comore, de Mohéli et d’Anjouan.

Les termes de référence pour cet.te autre sont de manière évidente des ‘mots corrompus et sclérosés’ pour revenir à Touam. Il est donc question des ‘étrangers’, ‘clandestins’, ‘indésirables’, ‘pestiférés’, ‘bagnards’, ‘rapatriés’, ‘boat people’, ‘réfugiés’, ‘sans-papiers’, ‘illégaux’, ‘envahisseurs’, ‘travailleurs au noir’ et de ‘criminels’. Leur tort est de vouloir se rallier à leur histoire, une histoire qui leur est contée dans la langue et la version du vainqueur, voire du vain cœur qui prône l’altérité, l’intériorisation de l’infériorité et du déchirement identitaire.

Au-delà du problème territorial, il est question d’une pathologie identitaire qui fait suite à une violence multiple : brutale et silencieuse, (Chamoiseau, 1999), historique car l’histoire « officielle » fait aussi partie de la violence par les mots oblitérant les faits réellement vécus par les insulaires, néo-impériale, territoriale, linguistique, et sur l’imaginaire même. Cet état de fait invoque la psychiatrie identitaire du modèle fanonien qui se penche entre autres sur la question du psychique des « noir.e.s » et des « colonisé.e.s » aux prises avec des identités souvent en opposition. En ce sens, ma recherche voudrait apporter des réponses aux questions suivantes :

  1. Comment des œuvres d’imagination sur la « migration » vers Mayotte peuvent-elles constituer une thérapie collective et une intervention sociale ?

  2. En quoi est-ce que les textes choisis interrogent les frontières politiques de l’archipel en proposant une alternative humaine axée sur les identités multiples aux Comores ?

  3. Pour paraphraser Chamoiseau (Écrire en pays dominé), comment (d)écrire le cauchemar comorien en se servant du français qui est un instrument important de domination de l’imaginaire ?

  4. Où est-ce que les auteur.e.s puisent des ressources pour écrire lorsque l’environnement est dominé par le spectre de la folie, de la mort physique, spirituelle, sociale, économique, politique, environnementale, spatiale etc. ?

  5. Ya t-il un lien entre les écrivains en question et les auteurs de l’Océan Indien en général et des Antilles françaises, du fait de leur rapport à la France?

  6. Pour paraphraser Mignolo15: “is the West all over the rest or is the rest all over the West?”, La France compte t-elle plus que toutes les autres nations (dés)unies ou toutes les nations comptent-elles plus que la France ?

Ces questions centrales ont guidé le choix des œuvres du corpus que je présente maintenant.

2 Corpus : critères de sélection et hypothèses

Pour cette étude, j’ai retenu un corpus diversifié qui permet de faire un tour d’horizon des importantes questions de recherche. Les textes retenus répondent à l’attente de la variété nécessaire et de la pluralité des voix pour étudier les contours de la question délicate de la ‘migration’ en relation avec le paradigme indo-océanais et la relation avec la ‘métropole’. Les principaux auteurs viennent de Mayotte (Nassur Attoumani et Nassuf Djailani), de la Grande Comore (Soeuf Elbadawi et Sambaouma Nassar), d’Anjouan (Saïndoune Ben Ali, Anssoufouddine Mohamed, Ali Zamir), de l’île Maurice (Nathacha Appanah) et de la France (Frédéric de Souza, William Souny et Charles Masson). Ils offrent à l’appréciation du lecteur plusieurs genres pour comprendre la complexité de la ‘migration’ vers Mayotte.

J’ai tenu à avoir des auteurs de divers horizons : des Comores (seule Mohéli n’est malheureusement pas représentée car je n’ai trouvé aucun texte produit par un.e auteur.e de l’île sur le sujet de recherche); de France, avec des auteurs tantôt acteurs administratifs tantôt témoins de la violence du système social à Mayotte, de l’île Maurice, qui portent un regard d’observateurs incrédules face à l’absurdité de la situation. Au sujet du témoignage venant d’ailleurs, William Souny dira ceci dans son entretien avec Soeuf Elbadawi en prélude à Mayotte Suicide :

J’ai donc publié, dans les années 2000, Notes Comoriennes pour un comité de rivages puis Comores en flammes, dernier appel. Mayotte suicide et le principe Archipel parachèvent une trilogie poétique, que j’espère sans rapport avec l’exotisme complaisant de la carte postale littéraire. Je voudrais au contraire restituer à l’archipel les significations que son espace invente, proposer un langage en relation avec les possibilités que ses visages appellent, soumettre une manière de percevoir et de réfléchir les enjeux que sa réalité incarne—de la part d’un outsider conscient de sa situation.16

William Souny met l’accent sur l’écriture en situation,17 depuis une posture qui ne saurait être sans risque, mais il est intéressant d’insister sur son approche du langage: ici une relation volontairement multiple au langage que Souny démultiplie pour dire la variété des possibles, l’infini des significations du vécu, du réel et de ‘l’irrué’ (Glissant) aux Comores. Il est question d’une (dé)réalité qui impose à Souny de « maintenir à même le langage une dialectique du désespoir et de la promesse, de la colère et de la confiance, de la tendresse et de la rage. ».18 On comprend aisément le titre que Soeuf Elbadawi, qui pose des questions à Souny, donne à son poème funéraire, Un Dhikri pour nos morts La rage entre les dents (2013) sur lequel je reviendrai.

L’idée de la rage sociale, cette fois juvénile, est le nœud de Tropique de la Violence (2016) de Nathacha Appanah qui m’a rappellé l’insurmontable difficulté du quota d’auteur.e.s car elle est la seule femme dont un texte figure dans le vaste corpus.19

Cela s’explique par la jeunesse des littératures francophones de l’archipel des Comores définies par Ranaivoson comme « dernière née des littératures en français »20 mais aussi par le fait que très peu d’autrices comoriennes parviennent à émerger ou à se faire entendre. Par conséquent, cet ouvrage, au-delà du fait qu’il se penche, par le biais des œuvres littéraires, sur une thématique sociologique et humaine très actuelle, est aussi un outil de médiatisation des auteur.e.s de l’Archipel des Comores et de vulgarisation d’un corpus important, dont on ne parle pas encore suffisamment dans les cercles dédiés aux études littéraires francophones.

J’axerai l’exploration de la poét(h)ique de la relationalité aux Comores sous le prisme de la ‘migration’ vers Mayotte autour d’œuvres regroupées en cinq genres: la nouvelle, la poésie, le théâtre, le roman et un texte-passerelle. Par texte-passerelle, j’entends un texte servant de pont entre deux mondes liés, un texte né de l’écriture ensemble, du partage de l’expérience des jeunes des lycées de Moroni et de Paris au sujet de la question de la ‘traversée’ vers Mayotte. Les textes retenus qui ont en « partage du sensible » une thématique de la souffrance et une approche décoloniale de la géographie comorienne sont présentés dans le tableau ci-dessus suivant, pour chaque genre, un ordre de parution chronologique décroissante.

TABLE 1

Liste des Textes du Corpus

Romans
Djailani, Nassuf. Comorian vertigo. Moroni: Komedit, 2017.
Appanah, Nathacha. Tropique de la violence. Paris: Gallimard, 2016.
Zamir, Ali. Anguille sous Roche. Paris: Le Tripode, 2016.
De Souza, Frédéric. Mayotte, des poissons à chair humaine. Moroni: Komedit, 2014.
Masson, Charles. Droit du Sol. Bruxelles: Casterman, 2009.
Feyçal. Mayotte, un silence assourdissant. Paris: Publibook, 2008.
Pièces de théâtre
Attoumani, Nassur. Autopsie d’un macchabée. Paris: L’Harmattan, 2009.
(Collection de) Poèmes
Djailani, Nassuf. Hadith pour une République à naître. Variations poétiques. Suivi des Dits des vents du large, avec Saïndoune Ben Ali. Moroni: Komedit, 2017.
Souny, William. Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel. Paris: L’Harmattan, 2015.
Saindoune, Ben Ali. Testaments de Transhumance. Moroni: Komedit, 2015.
Sambaouma, A. Nassar. Poëmes. Moroni: Komedit, 2014.
Mao, Elbadawi, Souny & Anssoufouddine. Brisures Comoriennes. Moroni: Komedit, 2014.
Elbadawi, Soeuf. Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents. La Roque d’Anthéron: Vents D’ailleurs, 2013.
Saindoune, Ben Ali. Malmémoires. Moroni: Komedit, 2013.
Djailani, Nassuf. Le songe… d’une probable renaissance… suivi de Roucoulement remanié, avec la traduction en anglais par Carole Beckett. Moroni: Komedit, 2010.
Collection de Nouvelles
Djailani, Nassuf. L’Irrésistible nécessité de mordre dans une mangue. Fragments et autres micro-fictions. Moroni: Komedit, 2014.
Said Salim, Aboubacar & al. Petites Fictions Comoriennes. Moroni: Komedit, 2010.
Texte-Passerelle
Paris Mutsa en quête de récit. Recueil Collectif. Moroni: Bilk & Soul, 2015.

Tantôt poème funéraire, poème de la révolte, poème incendiaire, poème-plaidoyer pour le retour à l’humain, « poésie de querelle et de justice »,21 « poème-chant », roman graphique, roman-essai, roman-factuel, roman-documentaire, théâtre de l’absurde, nouvelles sur les nouvelles généralement mauvaises dans ce coin du monde,22 texte-passerelle entre des jeunes de deux lycées dont l’un à Moroni et l’autre à Paris, ces textes, souvent au confluent des genres pour écrire la « sous-France » (Azihary, 2016) et les Comores en souffrance, sont un hymne à une approche décoloniale de la géographie.

Les textes de cette étude permettent de poser un autre regard sur les relations entre l’Afrique et l’Europe en insistant sur l’Océan Indien. Ils mettent donc en avant la question du ‘relationnel’ depuis les quatre îles-lieux vers la région et au-delà.

Ceci explique par exemple l’ombre de Césaire qui pèse sur beaucoup d’auteur.e.s et particulièrement sur Nassuf Djailani qui a fait un clin d’œil à Aimé Césaire en intitulant son recueil de nouvelles (qui ne fait pas partie du corpus) Une Saison aux Comores (2014). Même la notion de ‘roucoulement’ qui est le sous-titre d’une de ses collections de poèmes ramène à l’idée de créole, de présence de plusieurs langues et cultures qui s’entremêlent et débouchent sur une langue-carrefour. L’influence de Césaire est à voir aussi bien au niveau de l’esthétique que de l’engagement de l’écriture comme gage d’un monde autre. Les auteurs en question ont bien repris à leur compte la pensée du poète-politique : « La poésie est cette démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde. » (Césaire, Introduction, la Poésie, Œuvres Complètes, Seuil, Paris, 1994).

Il va donc de soi que la poésie domine le corpus (huit collections de poèmes) et même dans les romans (six au total) les traces de la poésie sont évidentes. Ceci m’amène à présenter mes hypothèses.

2.1 Hypothèses

L’ouvrage se structure autour de deux principales hypothèses. En premier lieu, je postule que dans ce contexte de manipulation de l’histoire qui a causé une grande blessure collective, c’est le genre de la poésie qui semble le plus approprié pour « vivre » le deuil en partage comme avec le genre musical du maloya à La Réunion, pour exorciser les traumatismes et faire une thérapie collective en se servant de la parole. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que, dans le contexte étudié, la poésie est à la fois esthétique et sociale, à la base déclamée/chantée en lieu collectif, ce qui entre en harmonie avec l’idée de thérapie collective.

La poésie permet de donner une voix, un corps, un rythme à sa douleur, son désespoir et ses espoirs, et d’introduire des nuances à la voix en impliquant intelligemment l’audience. L’esprit de partage qui découle de la forme poétique facilite le rôle cathartique de la littérature par rapport à des genres plus fermés comme le roman ou la nouvelle.

« Plus que jamais, la poésie doit délivrer les cœurs, les corps, les esprits dynamités par l’eau de la propagande »23 écrira Mlaïli.

En plus d’être un fait social, le poème est donc dans ce contexte une pratique culturelle et prend au-delà des dimensions esthétiques et politiques une portée thérapeutique et socio-spirituelle, en harmonie avec la socialisation et surtout l’idée de la possibilité de retenir et de chanter le poème et l’esprit de partage plus facile du poème. Cela explique mon choix du mot géopoét(h)ique dans le titre de l’ouvrage.

Par ce mot, j’entends au sens large un poème géographe, l’ écriture comme une arme esthétique et politique, mais surtout un instrument de mise en exergue d’une éthique de la relation et du partage même de la douleur, d’abord comorienne, puis humaine finalement. La réflexion suivante de Véronique Tadjo, qui émane du projet ‘Rwanda. Écrire par devoir de mémoire’, s’applique très bien au contexte comorien et explique ma grammaire des motifs :

The victims remain an anonymous mass. We have difficulty identifying with them or even do not want to: faceless corpses, unnamed bodies that mean nothing to people living an ordinary existence. Therefore, in order to bring back the visibility of these countless victims, the writers who embarked on the difficult task of writing about the Rwandan genocide uses the medium of literature to pay homage to the dead while attempting to ‘lift the cloak’ of their invisibility.24

Le mot génocide est plusieurs fois revenu dans les journaux et les affiches à Mayotte. Écrire c’est donc, tout en montrant aux yeux du monde la gravité actuelle de la situation, espérer empêcher un « autre » génocide car les génocides se construisent aussi autour des mots, des discours et de la parole. Cette optique de rendre la tragédie visible a un lien direct avec ma deuxième hypothèse.

En second lieu, je défends la thèse que les auteur.e.s retenu.e.s sont bien plus que des ‘storytellers’ (conteurs). Ils sont surtout des historytellers en ce sens que leurs textes constituent une contre-histoire, une contre-archive25 éducative et un contre-pouvoir qui devraient éclairer les Comoriens des futures générations, les Africains de l’Est et surtout l’humanité sur la vérité historique de cette région carrefour, lieu de passage et d’accueil séculaire des ressortissant.e.s de différents mondes. Les notions de carrefour et d’accueil trouvent un écho dans la diversité des vingt auteur.e.s du corpus répartis en deux groupes.

D’un côté, il y a des auteurs qui ont publié un roman, une pièce de théâtre ou une collection de nouvelles notamment : Nathacha Appanah, Nassur Attoumani, Saïndoune Ben Ali, Nassuf Djailani, Soeuf Elbadawi, Feyçal, Frédéric de Souza, Charles Masson, Nassar Sambaouma, William Souny et Ali Zamir. D’un autre côté, se trouvent les auteurs qui ont participé à un projet d’écriture/de collectif à savoir Aboubacar Said Salim, Adjmael Halidi, Anssoufouddine Mohamed, Ismael Ibouroi, Fahoudine M’ze, Mao, Said Ahmed Sast, Salim Hatubou et Oluren Fekre.

À ce corpus primaire j’ajouterai au besoin, au fil de l’analyse, des extraits d’entrées de blogs d’auteur.e.s, des extraits de films et documentaires sur la question et des éléments de posture d’auteur.e.s car certains portent de multiples casquettes : écrivain.e.s, bloggeur.euse.s, journalistes, enseignant.e.s, acteur.rice.s de théâtre et même personnages de films/documentaires. Nassur Attoumani par exemple, en plus de son casque colonial qui est l’élément central de son image publique, est porteur de multiples casquettes.

Il est auteur-acteur-compositeur-dramaturge-fondateur de maison de culture-, ancien dj de bals poussière [bals qui se déroulaient littéralement sur des sols en latérite et poussiéreux26], et désormais traducteur-passeur culturel, comme en témoignent la publication des fables de la Fontaine, Hale za Jean de La Fontaine en français et mahorais (édition Nassur Attoumani, illustrations Marie Breucq, 2020, chez Orphie) et son nouveau projet d’écriture de conte trilingue: français-shimaoré-anglais. Il est utile de rappeler que Nassur Attoumani a reçu la médaille de chevalier de l’Ordre national du Mérite en 2017 pour 31 ans de service comme enseignant d’anglais et écrivain. En bon « délinquant littéraire », il s’est essayé au théâtre, au roman, à la nouvelle, au conte, à l’essai, à la bande dessinée, au livre d’images, à la poésie et à la musique.27 Nassur Attoumani aime bien s’auto-définir comme une « femme de ménage culturel » et un « dealer d’histoires. »

Après avoir délimité le corpus, il est utile de préciser la démarche méthodologique sur laquelle je m’appuie pour proposer une lecture, qui dans ce cas d’étude, exige une approche multiple et innovatrice menant de fait aux objectifs de l’ouvrage.

3 Méthodologie et objectifs

3.1 Préambule

Face à des textes d’une urgence sociale, j’ai opté pour une méthodologie proche du social, qui fait encore entendre les voix des auteur.e.s et des acteur.e.s pour qui la littérature est un moyen d’intervention sociale. Face au vide du discours d’état (français comme comorien), c’est à elle qu’est déléguée la mission, par l’hypotypose, de faire ressentir au plus intime et au plus juste l’impérative nécessité de défaire l’absurdité politique et humaine du « visa Balladur » dont on ne peut comprendre les contours en se focalisatnt uniquement sur une approche de recherche en bibliothèque.

Mon approche du terrain, pour le terrain et sur le terrain est urgente et engagée afin de rendre visibles des textes engagés au sens de la littérature comme une action, mais des textes dont la plupart demeurent jusqu’ici invisibles. Il s’agit de montrer que le texte littéraire est une forme de « ré-écriture » du fait social même s’il ne faut pas négliger la poétique des textes qui n’est pas mon intérêt principal. Je mets en avant « le politique de la littérature » et le « partage du sensible » (Rancière, 2007/2000).28 Rancière (2000, 12) définit « le partage du sensible » comme suit :

J’appelle partage du sensible ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d’activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres sont part à ce partage.

L’activité artistique/littéraire prend part au système, fait sa part en gardant sa place et son espace. La participation des auteurs est d’abord esthétique mais dans le cas des œuvres étudiées, la littérature/l’esthétique devient un acte politique. Il est question d’œuvres sur les îles de l’Archipel des Comores et dans les îles de l’Archipel car elles retranscrivent des expériences comoriennes et constituent une forme de connaissance égale aux autres formes, comme l’histoire, la sociologie, l’anthropologie etc. Elles s’invitent au débat social et « font de la politique » (Rancière, ٢٠٠٠ : ١٦). Ceci commande une approche politique au sens de la participation à la vie de notre cité-monde, relationnelle et « partageant le sensible » qui m’a conduit aux Comores.

En plus des méthodes de lecture29 telles que la close reading, l’herméneutique, la stylistique, la sociocritique, la psychocritique etc., je propose une méthode de lecture transversale dans laquelle des théories littéraires, psychanalytiques, philosophiques, linguistiques, des cultural studies, servent d’outil pour interpréter le corpus diversifié. Par ailleurs, au-delà de toute tentative d’exotique tourisme littéraire,30 je mets un accent sur le rapport entre les textes et le terrain, l’objet-livre, les milieux d’où ils prennent corps, avec pour objectif singulier de mieux faire justice aux multiples facettes de la thématique abordée, de redonner des visages aux textes étudiés et de faire plus entendre les nombreuses voix étouffées à travers une immersion personnelle. C’est un choix méthodologique d’opérer un va-et-vient entre les analyses sémiotiques et la sémantique d’obédience sociologique et politique (les trois premiers chapitres), qui insiste sur le signifié, surtout eu égard à ce que j’ai appris sur le terrain.

Mon travail sur le terrain avait donc pour dessein de dépasser le simple cadre de l’ethnographie littéraire traditionnelle car, l’ethnographie est, il faut le rappeler, une catégorie contestable empruntée à l’anthropologie qui est une discipline axée sur le regard sur des sociétés déclarées « différentes », une discipline qui crée « l’Autre » pour étudier son altérité. En plus du critère quantitatif qui fragilise l’exercice d’une discipline qui veut discourir sur l’Autre, le critère qualitatif de la non pertinence des fondements épistémologiques sur lesquels se base l’anthropologie pour discourir sur cet.te Autre et son appui sur une « librairie coloniale » avec des lunettes colonialistes (cf. Mudimbe, The Invention of Invention), remettent en question le bien-fondé de l’anthropologie.

Je postule plutôt le retour sur les lieux qui ont inspiré et vu naître les textes que j’étudie. Compte tenu de l’écriture d’urgence, je défends la thèse du terrain comme un outil de réflexion pour essayer de mieux comprendre les dynamiques en amont et en aval des textes à l’étude qui sont bien plus que des projets esthétiques. Je propose, dans la mesure du possible, l’approche closely reading in contexts, lire les textes à l’intérieur des contextes qui les ont inspirés, au côté des personnes qui portent et habitent les textes.

Pour ce faire, j’ai pu en 2017, 2018, 2019 et 2022 pendant mes séjours d’enseignement au Centre Universtaire de Formation et de Recherche de Dembéni Mayotte recueillir plusieurs témoignages sur les naufrages, ‘les chasses aux Comoriens’, les opérations de décasage et des histoires de famille liées à la traversée. J’ai aussi pris des notes et visité des sites d’arrivée à Mayotte. En août 2019, j’ai pu me rendre à la Grande Comore, et particulièrement à Anjouan qui est le lieu clé dans la question de la traversée vers Mayotte. En septembre 2021, j’ai pu rencontrer et entrer en contact avec des témoins majeurs sur la question de la ‘traversée’ d’Anjouan vers Mayotte à Paris et à Marseille.

Ainsi, j’ai pu, avec la bienveillance de mes éducateurs sur le terrain et dans la diaspora, explorer les archives de presse du Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique (CNDRS) de Moroni, toucher du doigt la brutalité de ce que j’appellerais le business inhumain des Kwassa Kwassa. J’ai pu voir les lieux de départ des Kwassa Kwassa, échanger avec des fabricants de Kwassa Kwassa dans un atelier, rencontrer Samir Dupont qui est un visage public et une voix médiatique à travers la radio Domoni FM.

Marcher en ces lieux pleins de sens, écouter les acteurs et les témoins, des victimes comme deux étudiant.e.s (cf. chap. 4.8), des auteur.e.s à qui le déroulement de certaines traversées est confié dans le détail afin qu’ils écrivent sur le sujet, et partager la douleur silencieuse ou exprimée des personnes concernées, m’ont permis d’atteindre l’objectif de mieux restituer les textes dans leurs contextes et de mieux les faire résonner.

Parmi les causes qui ont facilité mon séjour et donné d’importantes clés d’analyse des textes, je retiendrai celles-ci : la confiance, la proximité naturelle, culturelle et relationnelle qui, par exemple, m’ont permis de bénéficier de la disponibilité de Mohamed Anssouffoudine malgré son emploi du temps très chargé d’écrivain et de surcroît de seul cardiologue31 sur l’île d’Anjouan au moment de mon séjour de recherche, l’accès aux musées et aux archives du CNDRS de Moroni et d’Anjouan, les échanges spontanés et d’une grande profondeur intellectuelle et humaine avec Anssouffoudine et Saïndoune, l’accès inoubliable au ‘Tshapalodrome’, dans l’intimité de Saïndoune qui m’a tout de suite promu au rang de complice. Je reviendrai sur cette complicité dans le chapitre 4.

Il s’agit de montrer que les textes à l’étude nécessitent pour leur meilleure compréhension et vulgarisation une démarche multiple, relationnelle et interactionnelle. Dans le chapitre 2, je pars de l’œuvre vers le réel. J’offre une synthèse du roman avant de livrer mes propres commentaires sur l’œuvre en lien avec le sentiment double de dés-appartenance des personnages des romans et des habitants des Comores. Je fais parler l’œuvre par elle-même, avant qu’un commentaire ciblé n’en apporte les preuves requises. Dans les autres chapitres, il est nécessaire d’inverser la démarche méthodologique en opérant des va-et-vient entre la réalité du terrain et les œuvres de fiction, entre mon point de vue analytique/personnel sur la situation sociale réelle des Comores et les réflexions des auteurs émanant des textes de fiction.

Dans ce contexte d’étude, le texte littéraire devient un outil pour lire et décoder la réalité des îles, conférant à la littérature une fonction de document qui puisse compléter des pièces (il)légales comme le Visa Balladur, des chartes internationales, des archives historiques ou des documents sociologiques. Bien qu’il soit nécessaire d’insister sur la forme du discours, les techniques de la narration dans les textes littéraires afin de les distinguer des livres de sociologie ou de reportage journalistique, dans cet ouvrage, le va-et-vient entre réalité et fiction est justifié par le contexte d’étude, la nature des supports et la nature des textes de fiction très proches du réel qui méritent une étude aussi accessible à un public qui n’est pas exclusivement littéraire. Ceci conduit à la présentation de mes ‘supports’ théoriques en annonçant la structure globale du livre.

4 Structure de l’ouvrage et approches théoriques

L’ouvrage est organisé en huit chapitres que je regroupe sous trois angles à savoir : A. La spatialité-temporalité ; B. L’agency (le rôle social des auteurs, du Kwassa Kwassa et la réflexivité sur ma situation de chercheur privilégié et C. Les modalités de l’écriture (esthétique, poétique et éthique).

Pour ce qui est de la spatialité-temporalité, le chapitre 1 (Le principe d’anarchipel: Mayotte et la Malmémoire Épileptique) fera un rappel du contexte historique, de la consultation de 1974, du référendum de 1975 et invoquera le droit international et les résolutions32 de l’ONU qui curieusement ne s’appliquent pas à Mayotte. Ceci s’ouvre sur le chapitre suivant (Peau Comorienne, masques français: la fabrique de ‘l’intranger’). J’aurai ici recours à Fanon, Mbembe (politique de l’inimitié), les vies sacrifiées (Bauman), le concept d’‘Intranger’ ou étranger chez soi (Y. B, 2003) et je reviendrai sur l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane soixante ans plus tard.

Ces modulations de la personnalité entraînent la violence de soi et contre l’autre qui représente l’altérité, « la violence du frère contre le frère, et la violence du frère contre la mère et les sœurs »33 écrira Mbembe. L’exploration des formes multiples du spectre de la violence (brutale, silencieuse et furtive chez Chamoiseau, 1999), territoriale, psychique, de l’imaginaire et intime (cousin-gendarme) dans le cas d’étude est au cœur du chapitre 3 (‘Migration’ et spectre de la violence multiple).

La violence de la situation, des scènes dans quelques textes et la complexité de la question ont rendu urgent le terrain pour mieux comprendre le point de départ des écrits, le contexte et les dynamiques en amont et en aval des textes étudiés. Il était aussi question, dans la mesure du possible, de rencontrer quelques auteurs dans leurs (mi)lieux de vie et d’écriture et de voir si leurs textes d’une brûlante actualité ont un véritable écho social. Je parlerai donc de l’angle littérature comme intervention (deuxième axe, agency), des configurations littéraires (Bourdieu), de la posture de certains auteurs (Meizoz), de leur réflexivité sur leurs travaux et de ma propre réflexivité liée à mon approche méthodologique de terrain que je nomme « Walking and talking et Tshapalodrome relationnel », un milieu/mode de vie et de partage dont je détaillerai les contours dans le chapitre 4.

Lire les (con)textes en marchant, en écoutant les grands témoins, ouvre sur le chapitre 5 (Kwassa Kwassa: (im)mobilités, économie et écocritique d’un objet relationnel et intersectionnel). En plus de l’idée de la symbolique du lieu, je porterai ici une attention méritée à ces embarcations qui sont des ‘bateaux’ de pêche, mais qui depuis le visa Balladur, sont devenues autant un porte-espoir qu’un porte-deuil et une médialité centrale autour de laquelle s’est formée une importante économie transactionelle dont les contours sont bien démasqués dans les textes.

Le troisième angle couvre les modalités/les axes d’écriture, le rapport à la langue d’écriture, la résistance poétique et très souvent une invitation à une communion et à une autre éthique de l’humanité. Dans le chapitre 6 (Géographie des sensibilités: Écriture décoloniale et esthétique poétique de l’Archipel des Comores), j’invoque les réflexions théoriques de Mignolo (décolonialité) ; Marson (Bricolage générique) ; Robert (le mélangue) ; Mbembe (esthétique de la vulgarité) ; Torabully (coolitude) et Pessoa (intranquillité).

La notion d’intranquillité est développée dans le chapitre 7 (Comme-Mort-Rien, Homo Sacer et Géopoét(h)ique archipélique de la Fraternité) dans lequel je lis surtout quelques poèmes en croisant les pensées de Chamoiseau (Frères Migrants/Osons la Fraternité !) et de Agamben (Homo Sacer). Le dernier chapitre rappelle, malgré la profondeur de la blessure collective, la nécessité d’une fraternité/humanité qui ne devrait pas oublier l’idéal de la joie, du rire-interrogateur même en situation de grande tragédie. C’est la raison pour laquelle je termine l’analyse sur un brin d’humour-espoir dans le chapitre 8 « Keep smiling: Décadence, Départenance et la thérapie du Pleurer-rire » en partant du « Pleurer-Rire » (Lopès) et de la ‘départenance’ (Rosello & Bjornson).

Je reviens dans la conclusion sur les grandes lignes à retenir de l’ouvrage que j’ouvre à d’autres perspectives de recherche en souhaitant qu’elles soient pluridisciplinaires, théoriquement et méthodologiquement croisées. Celles-ci sont nées pendant le projet dont je sors mûri humainement, motivé à développer de nouvelles approches (surtout méthodologiques) pour ‘prétendre’ étudier les littératures des Afriques dans toute leur complexité, leur intersectionnalité, leur multiplicité et leur relationalité. Un autre enseignement que je tire de ce projet de recherche est que les littératures des Afriques nous invitent à une constante réflexivité eu égard aux traditions de recherche et des écoles de pensée d’où nous partons pour nous targuer d’être des spécialistes des littératures africaines, c’est-à-dire des littératures d’un ailleurs en constante (r)évolution, en permanente (ré)écriture, et en difficultueuse (dé)construction.

1

C’est aussi après une belle conversation entre la navette entre Bayreuth et Vienne, les confinements et les cours en ligne le 18 Octobre 2020 que je trouve enfin l’énergie libératrice pour commencer à ‘accoucher’ sur le clavier de cet ‘enfant’ que je porte dans la tête et dans le coeur depuis 2017. Les mots de Buata qui m’ont poussé à la table d’écriture debout, à l’image de la poésie de « l’homme debout » dont parlent MlaïLi Condro (2010, 53, postface de Le Songe …) et Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au Pays Natal, resteront notre secret fraternel.

2

« Colloque : Parler des littératures maoraise et comorienne est d’une absurdité intellectuellement insoutenable », consulté le 17 mars 2015.

Colloque : Parler des littératures maoraise et comorienne est d’une absurdité intellectuellement insoutenable | HabarizaComores.com | Toute l’actualité des Comores.

3

Afin de respecter les sensibilités et les liens historiques, nous retiendrons pour titre : Les Littératures francophones de l’Archipel des Comores.

4

Recueil Collectif, Paris Mutsa en quête de récit. (Moroni: Bilk & Soul, 2015), 9.

5

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » disait Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar, le 26 Juillet 2007, consulté le 14 février 2022, Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy (lemonde.fr).

6

Boubacar Boris Diop, « Françafrique : le roi est nul … » in L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le Discours de Dakar, ed. Makhili Gassama (Paris: Philippe Rey, 2008), 146.

7

Nassuf Djailani, Le songe … d’une probable renaissance … suivi de Roucoulement remanié, avec la traduction en anglais par Carole Beckett (Moroni: Komedit, 2010), 21.

8

Voir l’initiative innovante développée en 2020 en Grande Bretagne qui complète le modèle STEM (science, technology, engineering and mathematics) pour montrer la nécessaire complémentarité entre toutes les disciplines afin de répondre aux questions du monde, comme celle de la Covid-19.

9

Jacques Rancière, Politique de la Littérature (Paris : Galilée, 2007), 17.

10

Françoise Lionnet, Emmanuel Bruno Jean-François. “Literary Routes: Migration, Islands, and the Creative Economy,” PMLA 131, no. 2 (October 2016): 1223.

11

Rémi Carayol, Marie Duflo, ed, « CONTRE-RAPPORT sur la réalité de ce que dissimule le terme ‘d’immigration clandestine’ à Mayotte. » Migrants Mayotte (2008), 27.

12

De manière analogique à la ‘mémoire collective’ chez Halbwachs (1950).

13

« Des Visas aux frontières », Plein droit 13 mars 1991, consulté le 26 juillet 2020, http://www.gisti.org/spip.php?article3791

14

Touam Bona. « Peau comorienne, masques français », consulté le 30 janvier 2018, http://africultures.com/peau-comorienne-masques-francais-13832/#prettyPhoto

15

Walter Mignolo, “Delinking: the rhetoric of modernity, the logic of coloniality and the grammar of De-coloniality”, in Globalization and the Decolonial Option, ed. Mignolo, Walter & Escobar, Arturo (London: Routledge, 2010), 303–368.

16

William Souny, Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel. (Paris: L’Harmattan, 2015), 9.

17

Je reviendrai dans le chapitre sur la méthodologie relationnelle de ma recherche forcément située et la notion de réflexivité.

18

Souny, Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel, 9.

19

On notera l’exception de Touhfat Mouhtare. Son premier roman Vert Cru est paru à Komedit, Moroni, en 2018. Il est aussi question de migration dans ce roman car, après le décès de son « père », la jeune Rhen retourne aux Comores et entame une recherche sur ses origines. Cette recherche révélera que sa vie est, comme un fil(m), (re)liée à celles de plusieurs autres personnes et particulièrement d’autres femmes, les femmes étant rarement les personnages principaux des écrits sur la migration dans la littérature de l’Océan Indien. Bien que son texte n’aborde pas la question centrale de l’ouvrage, j’ai essayé deux fois de mener un entretien avec elle à Paris pour ouvrir le sujet et éviter l’impression de soutenir la confiscation des voix et d’expériences, ce qui n’a malheureusement pas encore abouti. Un autre travail pourrait porter sur la littérature orale des femmes et des entretiens avec des femmes sur le terrain, comme cela a été le cas avec le groupe des étudiant.e.s qui était quatre dont trois femmes.

20

Dominique Ranaivoson, « Compte rendu de Malela (Buata B.), Rasoamanana (Linda), Tchokothe (Rémi), dirs., Les Littératures francophones de l’archipel des Comores. » Études littéraires africaines 45 (2018), 252.

21

Condro, Postface, Le Songe … d’une probable renaissance …, 52.

22

C’est pourquoi on entendra le narrateur de la nouvelle l’irrésistible nécessité de mordre dans une mangue dire « mon rêve le plus fou, faire que pour une fois, ce pays soit une bonne nouvelle dans le monde. » (Djailani 2014 : 58).

23

Condro, Postface, Le Songe … d’une probable renaissance …, 52.

24

Véronique Tadjo, « Lifting the Cloak of (In)Visibility: A Writer’s Perspective, » Research in African Literatures 44, no. 2 (2013): 4.

25

L’auteur-narrateur dira à l’endroit de la France et des défenseurs de Mayotte française dans un dhikri pour nos morts La rage entre les dents (2013, 49) : « et je le sais moi Que je vous conte là une histoire Longue de dix mille pages mal retranscrites en express texte Sans compter ni recompter les détails qui fâchent mais Je vous crois assez habiles en perversion pour Vous engouffrer sans mépris en nos mémoires fracturées »

26

Voir la comédie Bal Poussière d’Henri Duparc, 1989.

27

Voir son profil d’auteur sur le site <http://ile-en-ile.org/attoumani/>

28

Rancière, Jacques. Politique de la Littérature. Paris : Galilée, 2007.

Rancière, Jacques. Le partage du sensible: esthétique et politique. Paris : La Fabrique -éditions, 2000.

29

« Among the many diverse methods of interpretation it is possible to isolate four basic approaches which provide a grid according to which most schools or trends can be classified. Depending on the main focus of the major methodologies, one can distinguish between text- author-, reader-, and context-oriented approaches. » Klarer, Mario. An Introduction to Literary Studies. Second Edition. (London & New York: Routledge), 2004, 77.

30

Au sujet du ‘tourisme littéraire’ comme approche, on peut voir Watson (2006): The Literary Tourist : Readers and Places in Romantic & Victorian Britain.

31

En corrigeant ce manuscrit, j’ai reçu par poste de l’éditeur Ahmed Chamanga mon exemplaire du dernier livre d’Anssoufouddine Mohamed le 5 décembre 2022. Dans Corps Errants, cœurs malades. La double peine (Moroni : Komedit, 2022), le médécin-humaniste-gardien du temple-poète raconte onze épopées, onze histoires de vie, d’échange et d’apprentissage avec ses patient.e.s. Ce grand témoignage de l’homme de terrain nous fait découvrir entre autres : la méfiance souvent injustifiée des malades envers les strutures médicales aux Comores et des médecins, la corruption au sujet des évacuations sanitaires, le business médical entre les mains de médecins véreux dans l’Océan Indien, l’arrogance des médecins dits ‘humanistes’ qui interviennent souvent aux Comores, les réseaux par Kwassa Kwassa pour faire circuler les médicaments et les tests dans la région mais aussi et surtout les belles relations qui peuvent naître entre les médecins comme lui, son collègue Samir et des patient.e.s comme Taou et Binti. Ce cœur mis à nu du cardiologue-poète se termine par l’histoire de Binti dont je cite le passage qui m’a le plus marqué : « en nous faisant découvrir ce pan de l’histoire des Comores qui nous ouvrit, par le même coup, les yeux sur ce choix stoïque de se faire soigner dans notre établissement, Binti devint une des nôtres, une icône au service. Sa dispatition fit de la peine à tout le service. Surtout à un moment où elle passait en classe de Terminale et préparait son baccalauréat. Durant ses longues hospitalisations nous lui aménagions un espace pour travailler ses cours. Docteur Samir s’occupait des mathématiques. Daniel de la physique-chimie et Docteur Ansuldine des sciences naturelles. Avec moi, c’était la lecture. Je lui emmenais des romans qu’elle dévorait et sur lesquels nous discutions jusqu’à tard dans les après-midi. » (Corps Errants, 163).

32

Voir à ce sujet « La souveraineté de l’Union des Comores selon les Nations unies 14 résolutions des Nations unies sur «la question de l’île comorienne de Mayotte» entre le 21 octobre 1976 et le 28 novembre 1994 réaffirmant la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte, consulté le 15 février 2022, La souveraineté de l’Union des Comores selon les Nations unies 14 résolutions des Nations unies sur «la question de l’île comorienne de Mayotte» entre le 21 octobre 1976 et le 28 novembre 1994 réaffirmant la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte ⋅ GISTI.

33

Achille Mbembe. Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée. Suivi d’un entretien avec l’auteur. (Paris: La Découverte, 2013), 233.

  • Collapse
  • Expand

'Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme'

Visa Balladur, Kwassa Kwassa, (im)mobilité et géopoét(h)ique relationnelle aux Comores

Series:  Africa Multiple, Volume: 2