Chapitre 2 Peau Comorienne, masques français: l’aventure ambiguë de la fabrique de « l’Intranger »

In: 'Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme'
Author:
Rémi Armand Tchokothe
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« Je me suis toujours battu contre l’oppression. Je chéris toujours l’idéal d’une société démocratique libre où tous vivront ensemble, avec des chances égales. »

NELSON MANDELA, DISCOURS DU 20 AVRIL 1964 LORS DE SON PROCÈS À PRETORIA

1 Géographie procédurale : Fanon et l’aventure ambiguë de la fabrication de l’Intranger

En bon connaisseur de la question de la géographie du pouvoir, de la géographie procédurale, à la manière du Général de Gaulle qui prônait une géographie qui exclut et inclut selon les termes fixés par l’empire, l’écrivain d’origine algérienne Yassir Benmiloud qui signe Y. B1 donne, dans son roman au titre très évocateur Allah Superstar, la définition suivante à son néologisme intranger :

L’Intranger, c’est un mot que j’ai inventé que si tu es pas d’origine difficile tu peux pas piger, mais moi je t’explique, ça veut juste dire que tu es un étranger dans ton propre pays, mais ne me demande pas si le pays en question c’est l’Algérie ou la France, allez, on va dire l’Algérie française vu que c’est ici et maintenant comme il a dit mon père.2

Ce sont les propos de Kamel Hassani qui a dix-neuf ans. Il a tellement ‘aimé le classique L’Étranger d’Albert Camus, d’origine algérienne comme lui et aussi au cœur du débat sur les appartenances multiples, qu’il s’est amusé à rebaptiser le livre l’Intranger. Il est le protagoniste du ‘roman extrême contre les extrémismes’, comme peut le lire le lecteur sur la quatrième de couverture qui est un paratexte bien choisi dans le dispositif discursif.

Kamel Hassani est un « jeune d’origine difficile issu d’un quartier sensible d’éducation prioritaire en zone de non-droit donc un Arabe ou un Noir, eh bien lui il a pas le choix : soit il est une star soit il est rien ».3 Il est né d’un père algérien avec qui les rapports sont complexes et d’une mère ‘FDS’ (française de souche) qui décède lorsqu’il a quatre ans. La description de la rencontre de ses parents et du départ de la famille pour la France ne laisse pas indifférent :

Mon père il s’appelle Mohamed comme tout le monde. Au bled il travaillait dans le tourisme donc il a rencontré ma mère sur la plage de Tipiza en 82, Martine Gros, sténodactylo en vacances avec son comité d’entreprise rigolo. Mon père il l’a tellement bien niquée qu’elle est restée avec lui à Alger et moi je suis né dans la foulée. Un an plus tard ma mère la pauvre, un barbu en robe blanche il lui crache dessus et il la traite de « Française satanique » alors qu’elle est juste une brave Charentaise. Heureusement mon père il a réagi en homme : il a foncé à l’agence de voyage pour acheter trois billets. J’ai dit mon premier mot à l’aéroport d’Orly, c’était « caca » à cause du temps de merde je crois.4

C’est un enfant émotionnellement déchiré, qui ne comprend pas ce qui lui arrive et, plus tard, un orphelin de mère et de la société qui le disqualifie. Son unique planche de salut, conçu avec son coach qui n’est autre que l’imam connu sous le nom de Cheikh Morphéus, est de devenir comédien ‘musulman’, de ‘niquer’ l’islam au point de faire peser sur lui une fatwa. Car une fatwa est stratégique « pour devenir à la mode, c’est plus rapide que “Star Academy” , ça dure plus longtemps, tu voyages dans le monde entier, tu donnes des conférences, tu descends dans les palaces, tu montes sur scène avec U2 ».5

Après ses débuts hésitants, d’abord devant ses amis, ensuite devant un public grandissant, il deviendra célèbre, « obtiendra » sa fatwa et atteindra l’apogée. C’est en ces mots lourds de sens qu’il criera sa jubilation: « je nique la fatwa à l’Olympia, et un 11 septembre comme par hasard, si c’est pas du tempo c’est quoi ? »6

Trois jours avant le grand jour, en l’absence de sa garde rapprochée qui voulait le laisser profiter longuement de ses moments avec Cécile qui le laissera tomber en arguant qu’il a vingt ans de moins qu’elle et qu’il doit revoir ‘son rapport au monde’, il sera victime d’une tentative d’assassinat d’un ‘fan’ qui prétendra vouloir un autographe et sortira, avec style, au lieu d’un stylo, un stylet : « un poignard à la lame mince et très pointue ».7 Cet incident le rendra célèbre et augmentera sa cote marchande et le souci de ne pas pouvoir remplir l’Olympia se dissipera très vite. Un marché souterrain des billets sera d’ailleurs mis en place par Claude pour faire grimper les prix des places. Claude est le « Franco-alcoolique » qui est son « prote ». Ce néologisme est un mot portemanteau ou mot-valise résultant de la troncation, puis de la fusion des deux mots concernés « producteur » et « pote ».

La date du 11 septembre est tout aussi symbolique que les nombreuses références aux rapports mitigés entre la France et l’Algérie. Le spectacle sera plutôt le spectre d’un attentat suicide car le Cheikh a volontairement organisé une Fatwa contre Kamel Léon afin de le rendre plus célèbre, attirer le public en nombre lors du spectacle à l’Olympia intitulé Allah Superstar, et ainsi commettre un attentat qui ferait plus de victimes.

Les huit dernières pages du roman sont une liste ‘in Memoriam’ de toutes les personnes et les institutions consécrantes piégées dans cet attentat suicide et l’incendie de l’Olympia.8 Le dernier nom sur la très longue liste est ‘la société du spectacle’ à laquelle Kamel Léon a voulu appartenir en faisant de son capital humoristisque des schèmes de préjugés qui l’ont longtemps condamné et fait de lui un damné social qui n’hésite pas à se mettre dans la peau d’un Kamel Léon pour résister.

L’appartenance-désappartenance que Y.B déplore est le quotidien de milliers d’individus aux Comores. La présence injustifiée de la France à Mayotte sur le plan du droit international et qui s’explique, compte tenu des intérêts stratégiques en jeu que j’ai passés en revue dans le chapitre précédent, a provoqué une distorsion des peuples et des identités très visible dans le comportement et au niveau du langage qui est un lieu d’expression de la violence psychique.

Le ressortissant d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore est devenu, par le biais d’un jargon néocolonial, ‘l’envahisseur’ ; ‘le migrant’, ‘l’illégal’ ; ‘le voleur’ ; ‘le criminel’, ‘le noir travailleur au noir’, ‘l’étranger’, ‘l’intranger’, ‘l’ennemi’ qu’il faut, à défaut d’abattre, maintenir loin de l’eldorado que serait Mayotte. Ces ressortissants sont, par un rapport de ‘soutènement’ à la langue, enfermés dans ces catégories réductrices, avilissantes et la littérature veut les en sortir, pour parler comme Fanon.

Le ‘Mahorais’ acquis à la cause républicaine et le ‘Comorien’ sont séparés par un creux, un espace inhabité marqué par une absence de dialogue et une rupture relationnelle construite autour d’une altérité. Dans la préface de Hadith pour une République à naître (2017) de Nassuf Djailani à laquelle Saïndoune Ben Ali donne le titre La hantise du mur de nos tragédies intérieures, Saïndoune envisage la poésie comme l’espace entre le creux et l’équilibre. Il dira des poèmes de Djailani ce qui suit :

Ses poèmes s’évertuent précisément à recoudre des bouts pour appréhender l’incapacité humaine d’être-là ensemble, des individus blessés par l’histoire, et qui refusent d’additionner les multiples « soi », leur héritage, pour entrer en soi. – On nous a volé le temps, et depuis longtemps déjà l’espace n’existe pas … rien que la psychose en place et lieu de nos utopies.9

Ce chapitre porte sur la question de l’utopie de Mayotte comme terre du bien-être, terre française avec ses privilèges, en opposition aux trois autres îles de l’archipel des Comores qui sont caractérisées par une désarticulation émotionnelle, psychique et relationnelle. La blessure qui torture les âmes, le vol du temps, de l’espace, des imaginaires, des héritages et des identités en partage ont causé une dystopie qui s’exprime par l’insécurité psychologique et identitaire propice à de multiples formes d’aliénation et de folie.

Mayotte a créé de nombreux patient.e.s, victimes de troubles de malmémoire (Saïndoune) et de la haine de l’autre qui nous rappelle le soi douloureux que nous voulons faire taire avec la complicité du néocolonialiste, qui prend néanmoins le soin de rappeler par le langage et les structures sociales aux Mahorais qu’ils ne seront jamais véritablement Français -‘blancs’. Par conséquent, le Mahorais, le Comorien, le Malgache ou toute autre personne ‘noire’ à l’abri du besoin admistratif à Mayotte est souvent pris au piège d’une complicité qui assure reconnaissance mais aussi aliénation.

Ce phénomène d’attraction-répulsion qui révèle la profondeur de ‘l’édifice complexuel’ et de ‘l’éréthisme affectif’ qui pousse les ‘noirs’ à vouloir s’installer dans le monde des ‘blancs’ (Fanon) est visible chez Lucie et Anissa. Anissa est une Malgache aussi venue à Mayotte par Kwassa Kwassa dans Droit du Sol. Son itinéraire a été Nosi Be-Anjouan-Mayotte. Elle rencontre Pierre le métropolitain dans un lieu de socialisation prisé à Mayotte : la boîte de nuit où les sociétés parallèles se rencontrent et la condescendance est explicite : « il doit y avoir de la clandestine à la tonne. Ça va sentir le zébu et le poisson. Ce soir, il allait se bourrer la gueule. Plus, si affinité. ».10 Lucie est quant à elle Mahoraise revenue de la métropole. Dans un état de colère, elle menace de dénoncer sa dame de ménage ‘Comorienne illégale’ à Mayotte. Ce sont deux personnages embarqués dans une aventure ambiguë, comme Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane (1961).

Elles sont aux prises avec plusieurs identités toutes incomplètes. À l’image du chef des Diallobé qui se demandait si ce que les enfants oublieraient en allant « à l’école des blancs » ne serait pas plus important que ce qu’ils en apprendraient, on voit que les Comoriens et même les Malgaches ‘en règle’ à Mayotte oublient vite d’où ils viennent et créent, dans la logique de la (néo)colonie, une zone de démarcation entre eux et leurs frères et sœurs en situation administrative défavorable. Être du côté de ceux qui possèdent « l’art de vaincre sans avoir raison », comme disait la Grande Royale visionnaire dans L’Aventure ambiguë, pousse à accepter sans s’interroger l’altérité mise en place par celui qui est de fait l’étranger dans l’archipel des Comores, et plonge des ressortissant.e.s de Mayotte dans une forme de réaliénation culturelle, dont les conséquences déjà très violentes risquent de perdurer.

C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre, de manière similaire au projet triptyque de Frantz Fanon, le projet des écrivain.e.s étudié.e.s comme associant (1) écriture, (2) action-politique et (3) tentative de psychiatrie sociale à travers des textes, archives, et thérapie, car le socius aux Comores est particulièrement en souffrance et en « sous-France » depuis l’instauration du visa Balladur en 1995.

Le comportement d’Anissa et de Lucie, tout comme celui de beaucoup d’autres personnages de textes et de personnes à Mayotte, rappelle la honte de l’incomplétude que l’anti-héros Samba Diallo présentait ainsi: « Quelquefois, la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. Alors, nous nous cachons, remplis de honte. ».11 Face au ‘monstre hybride’ qui fait de nous des êtres métamorphosés et étrangers à soi, comme c’est le cas avec Samba Diallo, les crises de folie chez les personnages sont inévitables. Ainsi en est-il du fou qui « prétendait qu’il revenait du pays des Blancs et qu’il s’y était battu contre les Blancs. ».12 C’est lui qui tuera Samba Diallo à la fin du roman. Dans Comorian Vertigo, Ahmed est aussi au bord de la folie :

Cet étrange sentiment de déparler. Plusieurs jours maintenant que je ne sors plus, que je ne dis plus bonjour. Je ne vois plus personne. L’esprit occupe tout l’espace […] La paranoïa confine à la folie. Et chaque petit détail finit par devenir des angoisses imaginaires. Un esprit intranquille rumine les méfaits d’un ennemi hypothétique. La folie n’est plus loin. Je crois que je n’ai plus toute ma tête.13

Confusion, dépression, être sous l’emprise d’Ayouba le « réformé » et des incertitudes sociales, familiales et existentielles sont le lot d’Ahmed. Les personnages comme Ahmed, métaphore des ressortissants des trois îles, souffrent d’une multiple névrose née de l’inconfort émotionnel et psychologique, de la désespérance ambiante qui fait suite au grand mensonge de l’histoire. Djailani utilise l’image de la ‘fable’ pour caractériser ce mensonge qui pousse les enfants des îles à ‘trahir le serment de la terre’, la douleur dans l’âme, face à des parents incapables d’offrir mieux que leur frustration et leur colère latente aux enfants :

Un vent de folie
hante le langage chez les fils agglutinés au mur
des tragédies
Les pères dénoncent l’affluence
la confluence des borborygmes désaccordés
las, les âmes perdues se déversent par bateau entier
sur les rives lointaines du désespoir14

Arriver sur les rives n’est pas la fin en soi. Il faut encore traverser la vigilance de la police aux frontières, des intercepteurs et de la gendarmerie marine-maline très portés sur la politique du chiffre. Combo raconte combien les survivants de la tragédie de la traversée étaient scandalisés de voir ce qui est prioritaire pour les gendarmes dans cet épisode de Mayotte, un Silence Assourdissant :

Ce qui les a choqués le plus, c’est la décision du chef de ces militaires français de vouloir vite embarquer les rescapés vers Mamoudzou, les enfermer et certainement les reconduire à la frontière avant d’avoir retrouvé tous les disparus et enterré les morts ; leur premier souci apparemment était de satisfaire les statistiques du ministère de l’intérieur français en passe de devenir celui de l’immigration et de l’identité nationale.15

L’idée de “wasted lives” [vies sacrifiées] de Bauman (2004) surgit ici. Il est question de vies qui sont rendues sans valeur et données pour superflues. Bauman inclut les réfugiés, les demandeurs d’asile et les immigrés qui dans l’entendement de la ‘modernité’, ici défendue par l’empire, deviennent des humains chosifiés et comparables à de la marchandise qui répond à la politique du chiffre et du gain.

Comme de la marchandise, ces derniers sont exclus ou inclus suivant des logiques commerciales et stratégiques liées aux frontières. Ce sont des humains pris au piège d’un système qui prétend prôner la « civilisation universelle » mais dans le sens où il représente « l’univers » et nous la « selle », comme le formule bien Aboubacar Said Salim dans la révolte des voyelles.16 C’est de la barbarie et non de la civilisation comme disait Cheikh Anta Diop. Il est question d’un système violent qui leur arrache non seulement leur humanité mais aussi leurs rêves, leur désir de respirer, comme l’exprime Ahmed dans Comorian Vertigo : « je brûle d’envie d’un ailleurs, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe dans cette atmosphère de misère qui me consume à petit feu. »17

La répétition martèle la désolation de vivre sur une île où l’on suffoque, non pas seulement du fait que c’est une île, en retrait donc, mais également parce que les réalités néocoloniales y sont invivables. L’île leur répugne, l’empire les traite comme des criminels, la mer les malmène jusqu’aux rives de Mayotte lorsqu’elle ne les rejette pas et, même lorsqu’ils sont finalement à Mayotte, les comportements des Mahorais et de certains Comoriens mieux lotis leur rappelle leur situation vulnérable.

Dans Droit Du Sol, on entendra aussi Lucie qui tire des avantages financiers de sa ‘relation’ avec Serge dire au sujet des femmes ‘clandestines’ : « elles sont bonnes qu’à prendre les mecs des autres. On les accueille sur notre terre et on leur donne du travail et elles nous piquent tout. Qu’elles aillent faire les putes à Tana18».19 Ce préjugé expliquera facilement le fait que Yasmina sera accusée à tort d’avoir essayé de séduire Serge. Lucie poursuivra sa diatribe :

Mais … tu fais quoi avec cette putain !!! Et chez moi en plus !! J’arrive chez moi et je trouve mon mari avec sa pute à poil !! Et faut que je croie quoi ? Tu vas te casser d’ici, et en vitesse !! […] et elle est où la pute de mon mari !! Fous le camp, sale pute !20

En plus du recours à la violence dans le langage, il s’ensuivra que Lucie dénoncera Yasmina à qui elle avait déjà martelé que sa maison n’était pas un ‘zoo’ car Yasmina y venait faire le ménage avec son fils Brice. Lucie incorpore malheureusement ce que Fanon dénonçait : « parfois ce manichéisme va jusqu’au bout de sa logique et déshumanise le colonisé. À proprement parler, il l’animalise. Et, de fait, le langage du colon, quand il parle au colonisé, est un langage zoologique ».21 En conséquence, Yasmina et son fils seront arrêtés et renvoyés à Anjouan.

Pour Serge, l’acte de dénonciation posé par Lucie est « un acte citoyen ».22 Ce passage révèle bien l’idée de personnes de peau noire portant fièrement le masque blanc. C’est la guerre des petits privilèges qui expose les schémas de domination intériorisés qui resurgissent pour faire souffrir d’autres personnes.

Il est question du complexe d’infériorité subie sous la domination/la présence du blanc qui nourrit le complexe de supériorité à l’égard des noirs moins privilégiés. Il s’agit, en somme, d’un transfert de frustration psychique pour aller dans le sens de Fanon. Lucie est une noire qui porte bien son masque blanc pour cacher son déséquilibre émotionnel et sa peur de devoir partager de petits privilèges. Elle est, au-delà du pouvoir qu’elle croit avoir sur Yasmina, une simple victime de la psychose néocoloniale et de ce que Fanon nomme le « complexus psycho-existentiel ».

2 Une si longue lettre de la psychose

Dans Un Dhikri pour nos morts La rage entre les dents, l’auteur prévient déjà de la psychose ambiante aux Comores :

Naître sous ces tropiques-ci vous condamne un homme à mourir sur un manège à roulette russe Le cousin en était persuadé Donc ne s’en inquiétait nullement Avait-il le choix Pouvait-il en être autrement Pour quiconque se sait sur un archipel au visage décati En cette mer archi-troublée par ceux qui tiennent la géographie des temps dissolus en haleine La réalité ne se vit que tordue ou rompue le cours des valeurs humaines étant en chute libre au Cac 40 des puissances dévastatrices.23

C’est dans le but d’essayer de restituer un peu de valeur humaine aux 98 noyés dont l’annonce à la radio retient toute la société en alerte que Soeuf compose le dhikri qui est une prière, une louange, une messe de requiem, un poème funéraire, une parole chantée, dont le flux ininterrompu cadre non seulement avec l’oralité poétique propre au contexte, mais surtout rappelle les malheurs et la psychose qui ne laissent aucun répit depuis 1995. Les deux premières lignes du poème-pamphlet informent les lecteurs de l’oralité et du fait que nous serons tenus en haleine sur 70 pages : « ouvrez bien l’oreille Retenez bien votre souffle ».24

Le poème-pamphlet a été performé sur scène par huit acteurs aux Comores et par Soeuf comme one-man-show en France pour des raisons logistiques et une fois de plus, administratives. Obtenir des visas pour la France pour venir y dénoncer les démons de la françafrique n’est pas chose acquise pour un auteur-acteur-activiste-décolonialiste.25

L’on voit à travers le travail de Soeuf Elbadawi que la création et l’économie artistique centrées sur le travail de la psychose sociale aux Comores ont pour effet de créer la panique, la psychose dans le camp de l’imposteur. Le côté agency, intervention/psychanalyse sociale de l’art est bien visible ici. À la suite de Fanon pour qui le travail du psychiatre consistait à aider le consultant à parvenir à ‘la conscientisation de son insconscient’, le travail littéraire et souvent militant des auteurs du corpus remet à l’ordre du jour les silences qui étouffent, tout comme les blessures qui saignent toujours et les mensonges de l’histoire. Il fait ressortir les blessures enfouies dans le corps et le psychique. Tout proche, à la Réunion, Hélias a fait cette remarque pertinente au sujet des auteurs créoles, remarque qui a tout son sens dans le contexte comorien:

Engagés militants culturels, ces auteurs apportent véritablement leurs pierres à l’édifice de la modernité poétique créole: la poésie est avant tout pour eux un moyen de dire. De dire ce qui n’a jamais été dit, de dire ce qui n’a jamais pu être dit, de dire ce qui n’a pas été entendu. Le dire prend maintenant sa place en disant, en se disant.26

L’art ambitionne de reprendre la parole, de rappeler, de dire non au silence, de voir et de montrer le monde sous un nouveau jour, mais, surtout, l’art redonne à chacun.e l’occasion de s’interroger sur sa part de tort (‘mi-complice, mi-victime’ disait Césaire) et de se poser la question de sa place dans notre devenir commun. « Mon ultime prière : Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge! »27 écrivait Fanon au terme de son essai Peau Noire, Masques Blancs.

Comme le dit bien Rancière : « L’écrivain est l’archéologue ou le géologue qui fait parler les témoins muets de l’histoire commune. »28 À travers son pamphlet, Soeuf Elbadawi espère interroger les consciences, réactiver l’inconscient, donner aux 98 naufragés piégés dans le malheur des frontières marines néocoloniales un dernier honneur et faire entendre leurs noms et leurs voix puisque même « le seigneur semble » leur avoir tourné le dos dans cet archipel abandonné et absent des médias (surtout occidentaux), qui contribuent de manière significative à construire les réalités qui conviennent à des publics habitués à leur zone de confort. Il est ici question de ce que Souny appelle à juste titre « un art sélectif de l’indignation. On feint de pleurer sur la misère sociale, on veut prendre des mesures, on veut coopérer. Cette fausse conscience a le cadavre pour fonds de commerce. »29 On ne s’étonnera donc pas de lire la résignation suivante :

Des milliers de morts venant des Comores ? À quoi cela sert-il d’en parler ?? Et où sont donc les Comores ? vous diront certains […] L’information a bien circulé en revanche pour la fille de Beyoncé, qui a fait ses premiers pas, ou encore pour la couleur de la robe de mariée de Kim Kardashian. Bienvenue au XXIème siècle !30

Ainsi s’exclame l’un des contributeurs de Paris Mutsa en quête de récit sur le silence des médias dits internationaux qui sont à la solde de certains pays comme les États-Unis, capables d’ériger même des absurdités en modèles pour le « monde » et dont certains dirigeants se prennent volontiers pour ‘Dieu’. C’est à l’endroit de Dieu que Soeuf Elbadawi adresse son blasphème :

Une de plus et nous nous emparions sans discuter Des quatre-vingt-dix-neuf noms du Seigneur des Inconscients pour défier l’Impensable étais-tu Seigneur Sur quel rivage du Nord ou du Sud somnolais-tu C’est écrit dans le Livre des sacrilèges qu’il n’est pas plus aveugle que Celui qui ne veut ou qui feint de ne plus voir Dieu en cette nuit pour une raison que je n’explique pas a fermé l’œil.31

Elbadawi rappelle dans sa diatribe qu’il manque un nom à la liste pour faire le chiffre 99, qui équivaut au nombre de noms de ‘Dieu’ en Islam. Son texte peut donc aussi se lire comme une si longue lettre, non seulement « aux putains de fossoyeurs de la dernière minute En accord avec ce qu’ils mijotent de pire sous un soleil de plomb »,32 mais aussi une si longue lettre aux dernières consciences vivantes et au ‘Dieu’ partial, aveugle, sourd, muet et « qui ne serait là que pour honorer les Puissances dévastatrices martyrisant ce monde ».33

Comme dans le roman classique Une si longue lettre de la Sénégalaise Mariama Bâ, Elbadawi (d)écrit et n’attend pas expressément de réponse de ses interlocuteurs. Pour les deux auteurs, l’écriture est un cri après trente ans de silence et de harcèlement émotionnel pour Ramatoulaye et dix-huit ans de visa Balladur chez Soeuf. Le projet d’écriture est une confidence, un journal intime, un rappel historique des événements qui ont culminé au malheur, une tentative de pacification des mémoires.

Dans le cas de la narratrice Ramatoulaye, il est entre autres question de la mort de son époux Modou et de sa ferme opposition à un second mariage malgré les contraintes islamiques et sociales qui lui imposaient d’accepter de se marier une nouvelle fois. Chez Elbadawi, il est question du décès par noyade de parents, frères, sœurs et enfants comoriens, damnés et condamnés par leurs frères « pas encore blancs, plus tout à fait noirs » pour reprendre Fanon dans les Damnés de la terre. Par la voix de Ramatoulaye, Mariama Bâ a dénoncé la souffrance des femmes soumises à l’islam conservateur.

Chez Elbadawi, les victimes de l’histoire tronquée et de l’aventure désespérée dans le ‘bras de mort’ entre Anjouan et Mayotte occupent la scène. L’idée de dépossession est marquée chez Soeuf Elbadawi et Mariama Bâ. La femme devenait par le lien du mariage le bien de la belle-famille en sacrifiant sa personnalité et sa dignité. Cette humiliation se poursuivait en cas de décès de l’époux comme c’est le cas de Ramatoulaye qui, suivant les codes culturels et les lois de l’islam, devait accepter un second mariage auquel elle résiste avec détermination. Avant cet affront supplémentaire à sa dignité, elle devait aussi faire face au caractère impitoyable des belles-sœurs dans ce passage qui dit toute sa dépossession et son humiliation pendant le deuil :

Nos belles-sœurs nous décoiffent […] C’est le moment redouté de toute Sénégalaise, celui en vue duquel elle sacrifie ses biens en cadeaux à sa belle-famille, et où, pis encore, outre les biens, elle s’ampute de sa personnalité, de sa dignité, devenant une chose au service de l’homme qui l’épouse, du grand-père, de la grand-mère, du père, de la mère, du frère, de la sœur, de l’oncle, de la tante, des cousins, des cousines, des amis de cet homme. Sa conduite est conditionnée : une belle-sœur ne touche pas la tête d’une épouse qui a été avare, infidèle ou inhospitalière. Nous, nous avons été méritantes et c’est le chœur de nos louanges chantées à tue-tête.34

Ce rite d’humiliation auquel les veuves sont soumises sous les mains des belles-sœurs, qui ne font pas de différence entre trente ans et cinq ans de mariage, a lieu pendant que les hommes s’occupent de l’enterrement, une cérémonie de laquelle les femmes, une fois de plus, conformément à la logique de la masculinité, sont exclues.

Dans Un Dhikri pour nos morts La rage entre les dents, en plus d’avoir été dépossédées d’une importante partie de leur histoire et de leur culture, les victimes de la noyade n’ont pas droit à un enterrement digne, à une sépulture. Avec dignité, les deux auteurs résistent à l’hypocrisie sociale et leurs œuvres se lisent non seulement comme une invitation à participer à une catharsis mais aussi et surtout comme des chants écarlates pour la justice pour faire un clin d’œil au titre du deuxième et dernier roman de Mariama Bâ, qui a donné dans ses deux romans la parole aux femmes ‘soumises’ à des régimes masculins illogiques et inhumains.

Dans Comorian Vertigo une autre femme prendra aussi par le biais de la lettre, la parole pour décrire l’injustice et la psychose sociale aux Comores. Le chapitre 27 de Comorian Vertigo est une lettre de la mère adressée à son fils Ahmed, le narrateur principal. La mère s’en est allée pour Mayotte avec ses filles à la stupéfaction totale de son mari qui à travers cet acte voit sa masculinité remise en question car d’habitude c’est l’homme qui part en laissant derrière lui la femme et les enfants qui attendent que ce dernier s’installe dans le nouvel environnement et crée les conditions pour que sa famille le retrouve. Dans le cas de la mère d’Ahmed, il est question de la « féminisation de la migration » dont parle Raimundo (200835) en s’appuyant sur l’étude des interviews aussi bien individuelles que collectives autour de six trajectoires de femmes et d’hommes âgés entre 23 et 62 ans à Maputo.

Le but de cette recherche très utile pour la sociologie urbaine, la géographie de la mobilité, la statistique et la psychologie des couples et des familles était de comprende en quoi la « féminisation de la migration » a changé la masculinité et les structures des familles rurales et urbaines. Sa conclusion est que seules les opportunités devraient déterminer qui devrait partir et non le sexe. Pour ce qui est des parents d’Ahmed dans Comorian Vertigo, l’opportunité se construit autour du vœu de la mère de pouvoir réellement vivre, de rêver d’autres opportunités qui ne lui sont plus offertes à Moroni. Elle est partie pour Mayotte parce qu’elle ne croyait plus aux discours politiques et révolutionnaires dont son mari avait du mal à se défaire. Même si les nouvelles circonstances lui font regretter son choix, au moins elle aura fait le pas, brisé le mythe de la « migration masculine » et osé rêver d’une autre vie:

Fils, depuis l’intérieur de ce taudis où le destin m’a jetée, je n’ai cessé de connaître le tumulte. Des hommes en armes nous pourchassent de nuit comme de jour. Ils ont pour mission de faire le tri parmi les hommes et les femmes. Les enfants aussi sont embarqués. Comme les hommes courent plus vite, ne restent que les femmes et, alors on les entasse ! Menottés pour le chemin du retour. Alors on aperçoit des larmes, et des rires gras des gens qui s’extasient. Ces rires sont comme des boules qui arrachent des blessures inconsolables. Une violente houle qui provoque des ruptures de chair. Dans ce taudis à l’entrée de la ville, je les revois tous, je reconnais des visages dans cette foule hystérique. J’ai toujours senti dans ces regards inamicaux l’expression d’un dégoût.36

La mère confie ici sa grande déception, son expérience de la haine de l’autre, du plaisir à voir l’autre piétiné, de la complicité des personnes qu’elle reconnaît. Elle dresse un bilan triste de son départ de Moroni, la mort dans l’âme, dans l’espoir d’un mieux-vivre à Mayotte qui est pire qu’un exil : c’est de l’‘ex-île’, « une oasis artificielle »,37 une bombe à retardement où les douleurs, les frustrations sont si mal étouffées qu’il est visible qu’à chaque moment, tout peut basculer.

Pour la mère, Mayotte est une société constituée de gens à l’affût, dans l’attente du moment de crever l’abcès, pour laisser libre cours à leurs bassesses contenues. « Pars de ce pays qui a renoncé à l’homme »38 intime Houleid à Marie pour signifier le degré de déshumanisation à Mayotte dans Comorian Vertigo.

En définitive, la mère témoigne de son expérience de l’espace dystopique qu’est Mayotte où des hommes et des femmes, portant bon gré mal gré leurs « masques blancs », sont prêts à tout pour défendre leur petite zone de privilèges. Elle résume comme suit ce malaise :

l’espèce n’aspire qu’à une chose, se perpétuer, manger et survivre. À ce jeu, pas de place pour les faibles, car ceux qui ont réussi à sortir leur tête de l’eau n’entendent pas que plus affamés qu’eux viennent leur jalouser leur frénésie de confort.39

Avec le concours de la France s’est installée aux Comores une « politique de l’inimitié » et s’est établie l’idée d’un ennemi pour aller dans le sens de Mbembe. Cet ennemi est médiatisé comme un éventuel profiteur de certains avantages que les complices de la « ripoux blique » (Djailani) exploitent sans toujours les payer quand cela leur convient. Ces complices les dénoncent souvent aux autorités pour se donner de la contenance et fuir leurs obligations morales.

Dans Comorian Vertigo, Houleid le compagnon de Marie doit s’enfuir (encore le motif de la fuite) vers Moroni et se cacher auprès de sa belle-famille car il est accusé de crime contre son employeur qui s’obstinait à ne pas lui payer six mois de travail et le dénonce lâchement auprès des autorités. De son côté, Marie vend « des friperies pour le compte d’un patron local ». Les ‘immigrés’ ne peuvent pas réclamer juridiquement leurs droits. Ils représentent une présence-absence, un amour-haine, une relation ambiguë. Tchumkam attire l’attention sur cette relation sans relation, serait-on tenté de dire, entre les ‘immigrés’ et les personnes qui devraient les accueillir :

We should point out, the paradoxical status of the immigrant in France, which alternates between attraction and repulsion, in other words, between being needed and being expendable. Clearly, the immigrant is necessary as a force for production, but at the same time his or her presence is not desired by the host country.40

Les questions de malmémoire, d’anarchie dans l’archipel, du refus de la France de se plier à la juridiction internationale, de la notion d’étranger chez soi, des troubles de la personnalité dont parle Fanon et des identités imposées, vécues et rêvées, préparent la scène à de multiples formes de violence que j’analyse dans le chapitre suivant.

1

Vers la fin du roman, on apprendra qu’un journaliste a commenté l’une des prestations polémiques de Kamel Léon dans le Canard Enchaîné et a signé Y.B, Yoram Benzona, Benzona signifiant ‘fils de pute en hébreu’ (200–201). Quand on sait que l’auteur est un journaliste, on ne peut s’empêcher d’y voir une véritable autodérision, qui est un leitmotif qui traverse tout son roman. L’auteur prend un malin plaisir à rire de tout par une trame narrative imprévisible et un langage-canaille-puisque son protagoniste est considéré comme de la -racaille- et par un humour que je qualifie, à l’image des couleurs du pays dont les dérives exacerbent Kamel Léon, de bleu (le désir de la mer), blanc (l’enjeu de Peau Noire, Masques Blancs qui revient dans le roman) et rouge (le sang des martyrs de la guerre d’Algérie et des victimes de l’attentat suicide).

2

Y. B. Allah Superstar. (Paris: Grasset & Fasquelle, 2003), 237–238.

3

Y. B. Allah Superstar, 11.

4

Y. B. Allah Superstar, 10–11.

5

Y. B. Allah Superstar, 50.

6

Y. B. Allah Superstar, 222.

7

Y. B. Allah Superstar, 241.

8

Y. B. Allah Superstar, 257–264.

9

Saïndoune Ben Ali, La hantise du mur de nos tragédies intérieures. Préface de Hadith pour une République à naître. Variations poétiques. Suivi des Dits des vents du large, avec Saïndoune Ben Ali. (Moroni: Komedit, 2017), 8.

10

Masson, Droit du Sol, 111.

11

Cheikh Hamidou Kane. L’aventure ambiguë. (Paris: Julliard, 1961), 125.

12

Kane, L’aventure ambiguë, 97.

13

Djailani, Comorian vertigo,106.

14

Djailani, Hadith pour une République à naître. Variations poétiques. Suivi des Dits des vents du large, avec Saïndoune Ben Ali, 20.

15

Feyçal, Mayotte, un silence assourdissant, 43.

16

Aboubacar Said Salim, « la révolte des voyelles » in Petites Fictions Comoriennes. (Moroni: Komedit, 2010), 14.

17

Djailani, Comorian vertigo, 97–98.

18

Abréviation d’Antananarive. Le préjugé au sujet des Comoriens comme des ‘envahisseurs’ aussi sur le plan des relations privées revient dans la nouvelle la république reconnaissante de Fahoudine Mze.

19

Masson, Droit du Sol, 282.

20

Masson, Droit du Sol, 286–287.

21

Fanon, Œuvres, 456.

22

Masson, Droit du Sol, 292.

23

Elbadawi, Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 14.

24

Elbadawi, Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 7.

25

Pour un aperçu du travail anticolonialiste de Soeuf Elbadawi à travers son blog et la maison de culture qu’il a initiée et anime avec d’autres artistes, on peut lire l’article ‘Résistance culturelle aux Comores: Soeuf Elbadawi et le blog de Muzdalifa House’ de Christophe Ippolito dans Les Littératures francophones de l’archipel des Comores (Malela, Rasoamanana, Tchokothe, dirs. 2017).

26

Hélias, Frédérique , Les nouvelles formes de la poésie réunionnaise d’expression créole. (Ille-sur-Têt : ÉD. K’A, 2006), 87.

27

Fanon, Œuvres, 251.

28

Rancière, Politique de la Littérature, 24.

29

Souny, Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel, 11.

30

Recueil Collectif, Paris Mutsa en quête de récit, 23.

31

Elbawawi, un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 9.

32

Elbawawi, un dhikri pour nos morts, 11.

33

Elbawawi, un dhikri pour nos morts, 18.

34

Mariama Bâ. Une si longue lettre. (Dakar: Nouvelles Éditions Africaines, 1979), 11.

35

Înes M. Raimundo, « The Interaction of Gender and Migration: Household Relations in Rural and Urban Mozambique, » in Masculinities in Contemporary Africa. La Masculinité en Afrique Contemporaine, ed. E. Uchendu (Dakar : Codesria, 2008), 192–193.

36

Djailani, Comorian vertigo, 101.

37

Feyçal, Mayotte, un silence assourdissant, 12.

38

Djailani, Comorian Vertigo, 29.

39

Djailani, Comorian Vertigo, 102.

40

Hervé Tchumkam, State Power, Stigmatization, and Youth Resistance Culture in the French Banlieues. Uncanny Citizenship (Lanham: Lexington Books, 2015), 4.

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'Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme'

Visa Balladur, Kwassa Kwassa, (im)mobilité et géopoét(h)ique relationnelle aux Comores

Series:  Africa Multiple, Volume: 2