Chapitre 4 Walking and Talking, Tshapalodrome relationnel et « La campagne des gens en ballade »

In: 'Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme'
Author:
Rémi Armand Tchokothe
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« Qu’est-ce dont que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie. […] Aujourd’hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux. »

JEAN PAUL SARTRE, « ORPHÉE NOIR. » IN ANTHOLOGIE DE LA NOUVELLE POÉSIE NÈGRE ET MALGACHE DE LANGUE FRANÇAISE, ED. SENGHOR, LÉOPOLD SÉDAR. PARIS: PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE, 1948, IX

1 Positionnalité, réflexivité et circulation ‘relationnelle’ des livres

J’ai terminé le chapitre précédent sur la réflexion de Mehdi qui prône la perspective de ceux qui vivent les réalités trop souvent décrites par d’autres qui les enferment dans des grilles de lecture parfois erronées et des théories insupportables. C’est pour aller à contre-courant d’une simple lecture classique des textes urgents dont l’écriture convoque une autre approche de lecture que j’ai fait du terrain une priorité. Ce chapitre ouvre le deuxième angle du livre, celui de l’agency-l’intervention-qui regroupe le rôle social des auteurs, du Kwassa Kwassa et la réflexivité sur ma situation de chercheur privilégié.

La question qui m’a toujours accompagné lors des réflexions sur la méthodologie appropriée pour rendre au mieux l’esprit des textes du corpus était comment « décentrer mon propre discours du regard situé qui le détermine ».1 Souny est conscient de sa relation tardivement construite avec l’Archipel des Comores, une relation qui appelle une double prudence au moment de la recherche et plus tard au moment de l’écriture sur l’Archipel.

Il en est de même pour moi. Camerounais d’origine et jeune chercheur. Ma « relation » à Mayotte date de mars 2015. Avant Mayotte, j’avais travaillé sur la littérature swahilie pendant près de dix ans, et, ayant, dans le cadre d’un travail sur la question de la réception des textes, effectué des séjours de recherche au Kenya et en Tanzanie en 2008 et en 2009. L’expérience de terrain au Kenya et en Tanzanie est-elle transférable à l’Archipel des Comores ?

Malgré toutes les belles leçons apprises, le terrain comorien est forcément différent surtout eu égard à la question de recherche qui est éminement politique et sujette à de nombreuses controverses. Comment donc partir d’une université germanophone (d’abord Bayreuth, petite ville dans le sud de l’Allemagne, associée à l’échelle mondiale à l’opéra de Richard Wagner, et depuis Octobre 2020, Vienne en Autriche) avec les moyens de recherche de pays membres de l’Union Européenne, pour dénoncer, par le biais d’un projet de livre en critique littéraire et humaniste, les abus imposés à un archipel à presque 8000 kilomètres du siège de l’Union Européenne par la France, membre important de l’Union Européenne ?

Comment négocier ma positionnalité (Hall, 1996) dans ce conundrum: poste « avantageux » dans deux institutions consacrées (incluant une facilité à me déplacer vers et dans les îles grâce au pouvoir symbolique d’un passeport européen), ajouté au statut de professeur associé au Centre Universitaire de Formation et de Recherche de Dembéni, Mayotte ? Compte tenu de la sensibilité du lieu d’où je parle, comment me verra-t-on ? Comment me parlera-t-on ? Suis-je un égoïste altruiste pour reprendre la formule de Vaux (2001) au sujet de l’aide humanitaire qui, au final, est souvent l’aide de soi-même, un retour sur soi? Comment faire la recherche sur les Comores en se défaisant du regard impérial et des régimes de valeur occidentaux qui étaient au centre de mon parcours universitaire ? À qui profiteront les résultats de mes recherches ? Qu’est-ce que mes recherches apportent aux communautés en question ? Y a-t-il des risques pour les participant.e.s ?2

J’ai été et je demeure conscient de ces importantes questions qui m’ont accompagné à toutes les étapes de ce projet. J’y ai régulièrement réfléchi, mais, malheureusement, je n’ai pas de réponses définitives. J’espère, dans ma ‘narration’, mon comportement à l’égard des personnes qui m’ont guidé pendant mes séjours de recherche, et surtout à travers ce que je fais des résultats des recherches, apporter des tentatives de réponses.

« Comment décentrer mon regard situé? » Pour moi, les acteur.rice.s, les participant.e.s, les victimes de la tragédie sont au centre de ma recherche pour laquelle les différences culturelles et structurelles sont fondamentales, et à étudier dans leur contexte, sans imposer des méthodes de lecture importées qui ne cadrent pas avec les réalités.

Pour ce qui est des différences structurelles, lorsqu’on consulte par exemple le guide pratique de la chaîne du livre illustré par Faber (2008),3 on est impressionné par le nombre d’acteur.rice.s impliqué.e.s dans la chaîne du livre qui est ici répartie en quatre principaux axes de compétence. L’auteur, le traducteur, l’illustrateur dessinateur, le typographe et le relieur interviennent au niveau de la création (1) L’éditeur, le maquettiste graphiste et l’imprimeur façonneur se chargent de la fabrication (2) La commercialisation (3) est aux bons soins du diffuseur, du distributeur et du point de vente librairie. Enfin, la médiation (4) est assurée par les bibliothécaires, les organisateurs des manifestations, les associations et les lecteurs.

Bien qu’exigeant une mise à jour avec la montée des nouvelles technologies de l’information et de la communication, on ne peut que s’étonner du grand nombre d’acteur.rice.s aux domaines de compétence bien définis rassemblé.e.s autour de l’objet culturel que représente un livre, vu depuis un exemple provenant de la France. Partant des universités dans lesquelles on nous enseigne généralement ces approches faussement universalisantes, j’ai dû me rappeler les mots très percutants de Jean Claude Naba.

En juillet 2016, pendant les jounées d’étude que j’ai organisées avec Ute Fendler sur l’œuvre en Wolof de Boubacar Boris Diop, Jean Claube Naba des éditions Sanfoka & Gurli, petite maison d’édition basée à Ouagadougou et qui publie aussi en langues du Burkina Faso et en langues transfrontalières, disait en réponse au concept de chaîne du livre que, dans beaucoup de cas, il faudrait mieux parler de « l’horloger du livre ».

Tout en faisant référence à sa propre expérience, il rappelait un fait d’une importance méthodologique cruciale: dans beaucoup de maisons d’édition, la conception, la fabrication, la circulation et la médiation des livres est souvent le travail d’une seule personne qui n’a pas forcément été formée au sens technique du terme au métier du livre comme c’est son cas : Jean Claude Naba est en effet professeur de cultures et civilisations germaniques.

Nous retrouvons ce cas de figure avec les éditions Komédit (Moroni), où neuf des dix-huit textes du corpus ont été publiés. Les neuf autres textes ont paru à Paris (sept en tout, dont trois chez l’Harmattan, un chez Gallimard, un chez publibook, un chez Tripode et un chez Vents d’ailleurs); un à Bruxelles (Casterman) et un autre à Moroni (Bilk & Soul qui est une auto-édition de Soeuf Elbadawi).

On remarque que seul le texte de Nathacha Appanah, qui est un magnifique roman de terrain, violent mais édifiant et qui offre une belle sociogenèse de la violence et de la désespérance juvéniles à Mayotte, mais qui est écrit avec un subtil détachement, est publié dans une maison d’édition qui joue un rôle symbolique dans la consécration des auteur.es: Gallimard.

Les autres auteur.e.s, dont beaucoup sont à leur premier ‘essai’, ne sont évidemment pas consacrés. À cette invisibilité, il faut ajouter le fait que le sujet évoqué et leurs angles d’approche ne caressent pas la République dans le sens du poil. Ceci explique le recours à des maisons d’édition militantes, des maisons d’édition à contre-courant, prêtes à prendre le risque de publier des auteur.e.s « engagé.e.s », car, autant que le manque de notoriété, c’est le fond du propos, à rebrousse-poil, qui empêche ces auteurs de se tourner vers des maisons d’édition classiques. Ces maisons d’édition ont des capitaux financiers et surtout humains très limités, comme Komédit. Pour avoir accès à certains textes, il fallait aller sur le terrain car ils n’étaient pas tous disponibles sur les plateformes courantes. Aller sur le terrain était donc incontournable pour véritablement comprendre les contours de l’édition militante, terme auquel Ahmed Chamanga souscrit entièrement.

FIGURE 5
FIGURE 5

Rencontre-entretien à Paris. Ahmed Chamanga (À Gauche) et L’auteur (À Droite), Paris, Le 1er Septembre 2021

© AHMED CHAMANGA ET L’AUTEUR

C’est mon Fundi (maître-initiateur en Shimaoré), Nassur Attoumani, qui me met en contact avec Mohamed Ahmed Chamanga, la figure de proue de Komédit, professeur de linguistique à L’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco) de Paris, que je rencontrerai physiquement au moment de finaliser ce manuscrit. C’est donc un chercheur consacré qui part d’une institution puissante pour créer un espace de discours différent et d’archives différentes avec des auteur.es dont les textes leur font aussi porter la casquette de chercheur.es de la vérité historique.

Son objectif principal depuis 1996 était et demeure, après son expérience comme directeur de collection chez l’Harmattan, « de rendre les livres accessibles aux Comores ». Il y dévoue toute son énergie, surtout depuis qu’il est en retraite (2016) tout en essayant d’intéresser des jeunes à la question du militantisme livresque non rémunéré et la grosse question de « la relation entre les îles des Comores et la méfiance fabriquée » à travers les nombreux projets d’écriture qu’il a accompagnés. C’est un véritable « horloger du livre » qui s’active néanmoins à coopérer avec des maisons comme l’Harmattan en ce qui concerne la distribution et la diffusion de la centaine de titres déjà répertoriés chez Komedit. Ce dernier, deux ans avant notre rencontre effective, établit dans la logique de la chaîne relationnelle le pont avec Madame Moinourou Said Charif (voir photo ci-dessus).

FIGURE 6
FIGURE 6

Mme Moinourou Said Charif, la représentante de l’éditeur Mohamed Ahmed Chamanga ou le visage de Komédit à Moroni, 22 août 2019

© MOINOUROU SAID CHARIF ET L’AUTEUR

Cette photo prise à Moroni résume bien, tout en interrogeant les prétentions universalisantes de la chaîne du livre, la distribution relationnelle (d’une personne à une autre) et la question de la matérialité même des livres, laquelle est à mes yeux tout aussi importante que les contenus dans ce contexte de littérature en devenir. En plus de m’avoir introduit à son espace de travail, Madame Moinourou a été d’une grande importance dans la recherche sur le terrain car elle porte avec une fierté contagieuse plusieurs casquettes: conseillère en publicité, point de vente, finance, diffusion, relations publiques etc. Les multiples fonctions de madame Moinourou dans ce contexte de recherche dans lequel les voix féminines sont pratiquement absentes remettent en question la notion ‘occidentale’ de la chaîne du livre car elle joue des rôles pour lesquels il faudrait plusieurs personnes dans la chaîne du livre telle que cette notion est définie en ‘Occident’.

C’est dans ce petit coin que je tombe par exemple sur le dernier exemplaire (au moment du terrain) de Le Songe … d’une probable renaissance… suivi de Roucoulement remanié, avec la traduction en anglais par Carore Beckett (Djailani, ٢٠١٠). Ahmed Chamanga et madame Moinourou réunissent les fonctions de fabrication-production-circulation-médiation des livres de Komédit. Cet aspect est significatif pour l’étude car il est aussi question d’objets culturels dans un contexte de précarité. En plus des contenus poétiques et politiques des textes étudiés, leurs multiples casquettes peuvent servir de base pour une nouvelle réflexion théorique sur l’idée de la chaîne du livre qui partirait du contexte comorien.

C’est aussi grâce à l’une des nombreuses casquettes de Madame Moinourou que j’obtiens facilement le contact d’Anssoufouddine Mohamed qui sera mon prochain guide-éducateur quelques jours plus tard, à mon arrivée à Anjouan, et surtout l’initiateur du Walking and Talking.

2 Walking and Talking

Quelques heures après mon arrivée à Anjouan, « docteur »comme il se fait appeler affectueusement par tous et toutes sur l’île vient me voir, courtoisie très appréciée, accompagné de Monsieur Abou qui deviendra ma principale ressource plus tard. Nous faisons connaissance autour d’un pot qu’il paye pour me souhaiter la bienvenue à Anjouan. Je lui résume mon parcours et le projet dans le cadre duquel je suis aux Comores. En honnête personne, il me rappelle l’épisode du colloque mal placé de Mayotte 2015 dont j’étais le président du comité scientifique (voir l’introduction).

FIGURE 7
FIGURE 7

Walking and Talking/Promenade-Conversation: Anssoufouddine Mohamed (À Droite) Et L’auteur (À Gauche), Anjouan, Le 27 Août 2019

© ANSSOUFOUDDINE MOHAMED ET L’AUTEUR

Je lui confesse notre naïveté à l’époque. Il avait pu vérifier le changement de ton à travers le titre du volume collectif qui a résulté du colloque. Par ailleurs, il était au courant d’autres travaux que j’avais publiés depuis le colloque. Le courant passe donc très vite. Nous parlons de Mongo Béti, de Cheikh Hamidou Kane, d’In Koli Jean Bofane, de Patrice Nganang, d’Abdourahmane Wabéri, d’Alain Mabanckou, d’Emmanuel Dongala, de Théo Ananissoh, de Nassur Attoumani; de son rapport à la ville et aux quartiers de la ville; du problème de la dépendance de l’aide extérieure qui étrangle l’île ; de ses projets d’écriture ; de son implication dans les projets d’écriture pour enfants et jeunes adolescents etc.

Je l’invite à effectuer une lecture-traduction spontanée de son poème Shivuli sha zintrongo (dans Brisures Comoriennes. Komedit, 2014, 71–94). Il s’y met de tout cœur. À la fin de cette belle communion sous les yeux étonnés de Monsieur Abou, je suis curieux de savoir quel effet cela lui a fait de lire/d’interpréter instantanément?

Je me rends compte que j’écris en fait en Shindzuani/en comorien. Donc, je fais tout le temps des transcriptions. Oui, surtout qu’on nous fait croire que nos langues sont incapables de porter la littérature. En fait nous avons traduit les fables de La Fontaine en comorien et nous nous sommes rendus compte que la langue comportait tous les éléments nécessaires pour ce travail. Notre projet est de demander aux élèves de faire un pré-achat qui nous permettra de faire éditer avec les économies solidaires.4

Dans sa réponse, il aborde la question de la langue de la socialisation primaire en opposition à la langue de la scolarisation, le prestige social de chacune des langues, son rôle social de médiateur interculturel, et dans ce contexte, le point important des économies solidaires pour la (sur)vie des livres. Ceci l’amène à parler des ateliers d’écriture et de lecture avec les jeunes qu’il anime à Anjouan, de ses autres textes sur la question tout en me prévenant : « Ce qui me gêne c’est l’anthropophagie littéraire sur cette question de kwassa. J’ai arrêté d’écrire sur le sujet car beaucoup s’y mettent sans véritable conviction. »

« Docteur » est un homme convaincu de la force de l’action, de la force de l’expérience et de l’activité physique qu’il recommande à toutes ses patientes et à tous ses patients. Il prêche d’ailleurs par l’exemple en marchant tous les jours entre ses nombreuses consultations. Il me demande si je ne suis pas trop fatigué du voyage et si je veux un peu voir l’île.

Je souris car le vol Moroni-Anjouan avait duré trente petites minutes. J’accepte l’offre avec enthousiasme tout en me rappelant les promenades-conversations d’Ebrahim Hussein et d’Alain Ricard à Kariakoo, le marché-fief du dramaturge tanzanien qui vivait éloigné de la masse et la formule de Ricard, homme des terrains des Afriques5 : Confiance Optimisme et Solidarité (Ricard, Alain. Ebrahim Hussein. Théâtre swahili et nationalisme tanzanien, 1998 & La Formule Bardey: Voyages en Afrique 2005).

Nous partons pour la promenade-conversation6 qui, suivant l’application pour Smartphone de comptage de pas, durera trois belles heures. Nous traversons le centre ville, la médina, escale à la bouquinerie, la librairie principale à Anjouan où ‘docteur’ me montre des textes dont je n’avais pas connaissance et lit volontiers quelques lignes, petits intermèdes avec des patient.es. rencontré.e.s sur le chemin et qui demandent des précisions ou des rendez-vous, petite pause à la maison où il me présente comme son « frère camerounais » et où nous parlons des livres et il me remet des exemplaires de livres, bref passage au cabinet de consultation où beaucoup attendent ses bons soins, comme tous les jours pendant des heures.

Pendant toute la promenade, nous parlons de la circulation séculaire entre les îles, de la désuétude, de la désespérance et du désœuvrement visibles sur la photo, nous rencontrons des personnes concernées par le drame des Kwassa Kwassa ou en attente des nouvelles des membres de la famille ou des connaissances partis pour Mayotte. Le spectre de la violence du phénomène guide notre conversation et, chaque fois qu’il me présente comme chercheur sur la question, on me le fait comprendre ouvertement en Shidzuani, langue à laquelle on m’associe naturellement, en français en utilisant le registre familier ou surtout par les regards: « vas-tu suffisamment faire entendre nos cris de désespoir? »7 Ceci m’a fait entendre de nouveau les mots très profonds de Linda Tuhiwai Smith: « Pour qui est-ce que cette recherche est pertinente?’ En tant que chercheur, à qui ai-je des comptes à rendre? »8

Au risque de choquer, en harmonie avec mon appproche volontairement sociologisante, psychosociale et empathique dans plusieurs parties du livre, ma réponse est simple: j’ai d’abord des comptes à rendre à la mémoire des milliers de Comoriens morts dans cette absurde tragédie et aux auteur.e.s et acteur.rice.s qui m’ont tout de suite fait confiance. Cette confiance m’a introduit jusque dans leur intimité, comme c’est le cas avec le tshapalodrome relationnel, espace dont la présentation renchérit l’approche du journal de la route dans cette partie.

3 Tshapalodrome relationnel

L’idée de rencontrer les auteurs dans leurs (mi)lieux de vie et d’écriture et de voir si leurs textes d’une brûlante actualité ont une vie sociale, d’étudier la littérature comme un moyen d’intervention sociale9 (social agency) est visible chez Anssoufouddine Mohamed mais surtout chez Saïndoune Ben Ali, dont j’ai le contact par Anssoufouddine qui, très occupé, prie son ami monsieur Abou de m’accompagner.

C’est ainsi que monsieur Abou et moi marchons davantage le lendemain à la recherche de la figure sociale qui vit dans un triangle10: cyber café (pour expédier le courriel); terrain de foot (sous un arbre pour tout voir passer) et le tshapalodrome relationnel, milieu privilégié d’échange, d’enseignement, d’apprentissage et de philosophie de la vie. Pour des raisons éthiques et en raison de la grande confiance dont j’ai bénéficiée, je me limiterai à une photo de l’entrée du tshapalodrome.

Cette photo illustre aussi bien l’entrée que la barrière à un univers de partage de connaissance. Rencontrer Saïndoune Ben Ali est un acte fondamentalement relationnel car, peu sont celles et ceux qui connaissent son agenda pourtant très simple: se retirer pour philosopher, éduquer, échanger autour d’un tshapalo (boisson locale), écrire, encore écrire et surtout rester en retrait car il faut rappeler que Saïndoune Ben Ali est « mort en 1978, piétiné par une foule carnavalesque dans les rues de son île natale, à l’annonce du coup d’État qui mit fin à la vie d’Ali Soilihi. »11 La quatrième de couverture de cette collection de poèmes annonce la rencontre de deux approches chez Saïndoune : le va-et-vient entre l’autofiction et les réalités des îles. « Le roman est paraît-il une œuvre d’imagination. Il faut pourtant que cette imagination trouve sa place quelque part dans quelque réalité. J’écris, ou je crie, un peu pour forcer le monde à venir au monde » disait Sony Labou Tansi (1981) dans la préface à L’État honteux. Saïndoune écrit et pousse son cri poétique afin de placer les Comores sur la carte des humanités négligées et des souffrances en partage. Rencontrer Saïndoune équivalait à faire fusionner des méthodes.

FIGURE 8
FIGURE 8

Tshapalodrome: mode d’existence et philosophie de la résilience, 28 Août 2019

© L’AUTEUR

Dans cette partie se rencontrent deux méthodologies: celle de Saïndoune, qui adopte une démarche thérapeutique de terrain, et la mienne propre, de nature anthropologique, qui consiste à rencontrer l’homme avant l’écrivain, ainsi que son laboratoire de travail, sa géographie d’enseignement, pour mieux comprendre ses œuvres. Tout comme avec Nasur Attoumani et ‘docteur’, je rencontre les écrivains sur le terrain des idées, humain, empathique, langagier, mais aussi géographique, comme c’est le cas du tshapalodrome.

» Lieu d’évasion et d’illumination, hanté par le verbe et l’inconséquence éthylique. On y boit de la sève de coco fermentée et des songes d’enfance mal lunée «. Telle est la description que Soeuf Elbadawi12 fait dans la préface de Malmémoires de cet endroit unique et magique, compte tenu des divers bagages intellectuels, sociaux, émotionnels des rares complices qui ont accès au lieu où je rencontre pour la première fois Saïndoune Ben Ali et son monde qui songe d’une probable renaissance.

Loin des grandes théories qui n’expliquent souvent pas grand chose, très proches de la réalité (‘grassroots level’) amère de l’Archipel et sur l’Archipel, les membres du tshapalodrome sont solidaires et partagent chaque après-midi, dans une absolue complicité-simplicité, leurs victoires, leurs angoisses, leurs projets et leurs vivres, comme le délicieux poisson pêché par un membre, poisson auquel j’ai pu goûter au tshapalodrome.

Ce néologisme composé de ‘tshapalo’ (vin de palme local) et de ‘drome’ à l’image du vélodrome, est une arène de grande communion, un exutoire des déceptions ontologiques, une espèce de parlement retiré même s’il est tout de suite clair qui préside les débats. Saïndoune Ben Ali, l’écrivain public, le marginal, le trouble-fête y est installé en position de président de ce parlement qui représente, pour reprendre ses mots : « ses territoires, ses lieux de communion, de partage, de liberté, d’inspiration ; donc de création. » (entretien avec Saïndoune). Le tshapalodrome représente donc ‘ses vasques’ dont il parle dans Testaments de Transhumance.

Ces vasques sont pour lui un carrefour, lui qui, à son retour aux Comores, après 11 ans et demi passés en France, s’était donné pour mission d’être un pont. Comme il me dira au tshapalodrome, « je vis dans le cœur de mon peuple qui n’est pas à confondre avec au cœur de mon peuple ». Au tshapalodrome, il est entouré de jeunes, d’autres ayant la quarantaine, des personnes en retraite, mais surtout en retrait.

Retrait de la réalité déshumanisée pour des personnes qui ont tiré un trait sur les apparences mensongères. Incapable de se mentir davantage, il a arrêté d’enseigner à l’université car on attendait de lui qu’il prêche à la jeunesse des choses dont il n’était pas convaincu. Il fait donc allusion à Aimé Césaire.

« Moi, Laminaire… » de Césaire lui parle profondément, lui qui par l’écriture essaye de sortir de la cale pour affronter la lumière, tout en étant conscient de l’odeur du père (clin d’œil à Mudimbe) c’est-à-dire ce que cela lui coûtera d’aider son peuple à se libérer de l’emprise néocoloniale française. Il reprend donc l’idée de la blessure dans l’âme et dans la chair, chère à Césaire même s’il veut assurément écrire au-delà de la blessure afin d’aller vers un dialogue car, s’enfermer dans la blessure, c’est accepter d’être blessé deux fois.

Le tshapalo fait donc aussi office de (mi)lieu de réparation psychologique et de thérapie sociale collective : « Ici, j’ai des élèves, je suis leur calmant, tu vois celui-là par exemple, c’était un fou. Nous nous retrouvons ici pour partager. J’enseigne dans la rue depuis 16 ans. » Quand écris-tu lui demandai-je ? Après un rire communicatif d’une vingtaine de secondes, il me répondit comme suit :

Je n’ai pas de temps précis. Je peux m’amuser ici pendant des semaines avec mes gars. Cela me nourrit, c’est la nourriture de mon esprit mais quand ça urge, je m’asseois devant l’ordinateur et peux m’enfermer des jours pour finir un travail (souvent il y a aussi les délais). Quand je suis saturé, je pars car je suis un grand randonneur, je vais dans les villages, je peux disparaître deux à trois mois pour humer la terre.

Où dors-tu pendant les randonnées ? L’auteur de Testaments de Transhumance rit de nouveau un brin avant de dire : « dans chaque village, j’ai d’anciens élèves qui m’invitent à venir dormir chez eux. » Les moments au tshapalodrome m’aident à mieux comprendre sa poétique de la transhumance, la complexité des textes de Saïndoune et surtout son rôle d’éducateur public à Anjouan. J’y vois the ‘locogenetic approach’ dont parlait la chercheure-femme d’action Leslie Ogundipe (1998).

Par cette approche du développement humain dans ce cas d’étude, Ogundipe privilégiait les démarches qui viennent du terrain et non des biblio-thèques et des amphithéâtres, des approches qui répondent au besoin des personnes concernées et qui mettent en avant leur bien-être psychologique et social. Ainsi, la poésie chez Saïndoune garde une grande sensibilité culturelle, elle puise dans le quotidien des femmes et des hommes qui l’entourent et porte toujours leurs voix dans ses textes-espaces. L’on comprend mieux ces mots de Burungu Bongo sur la quatrième de couverture de Malmémoires :

C’est une quête. La quête d’un espace qui refuse de jeter l’ancre. C’est ce pays du poète sans chez lui. Les mots empruntés ne pouvant lui servir d’habitat. Et le poème est un désir, désir d’un lieu difficile à atteindre, mais quand bien même espéré comme dans la surdité du vent dans les feuilles du badamier, unique symbole des retours qui poursuivent toute une vie.13

Nous parlons brièvement des propos de Burungu Bongo, de Malmémoires, de la grande question des (mi)lieux et nous prenons rendez-vous pour le jour suivant, cette fois dans un autre milieu, pour poursuivre la conversation que Saïndoune m’autorise à enregistrer et à utiliser pour ce projet de livre.

FIGURE 9
FIGURE 9

Entretien complice entre Saïndoune Ben Ali (À Droite) Et L’auteur (À Gauche), Anjouan, Le 29 Août 2019

© SAÏNDOUNE BEN ALI ET L’AUTEUR

4 Du boycott du colloque de 2015 au « con qui a établi le visa Balladur »

Comme je l’ai écrit dans l’introduction, Saïndoune Ben Ali était à juste titre l’un des signataires du mot d’ordre qui appelait au boycott du colloque de 2015 dont l’intitulé renforçait l’idée de la blessure. Néanmoins, l’angoisse de le rencontrer et de devoir, une fois de plus, présenter des excuses pour mon implication naïve dans l’organisation du colloque s’était tout de suite noyée dans l’accueil très complice et fraternel la veille au tshapalodrome.

Après la journée à Domoni, je retrouve le grand frère et complice Saïndoune en soirée pour un entretien d’une heure et cinquante-deux minutes suivi d’une Walking and Talking nocturne dans les rues d’Anjouan. Même dans le noir, l’éducateur public est reconnu et sollicité par ses nombreux élèves qui le portent dans leurs cœurs tout comme il vit dans le cœur de son île. Certains nous proposent d’ailleurs soit à boire, soit des pattes de poulet braisées importées du… Brésil au cœur de la nuit.

Je fournis ici le condensé des morceaux choisis du long entretien14 qui a eu lieu cette fois dans un ‚salodrome‘ (salon et drome) pour reprendre l’expression de Saïndoune-Dans la transcription, Saïndoune est représenté par l’initiale S et moi par l’initiale R.

R:
Quel effet cela te fait d’être dans un espace à la fois multiple et restrictif ?
S:
Notre problème est que nous sommes un peuple insulaire et nous n’avons pas encore suffisamment intériorisé tout ce qui est lié à l’insularité en tant que phénomènes qui plus ou moins régissent ou participent du fonctionnement de l’humain. Par exemple, quand tu es dans une île de cet archipel parfois tu peux avoir une position où tu vois les trois autres à l’œil nu. C’est bien significatif. C’est ce qui montre l’unité et l’unicité de cet archipel. C’est pas comme quand on parle du dividué et de l’individu.
R:
Pouvons-nous revenir un moment sur le concept d’espace. Pour toi, l’écriture est-elle aussi un espace ?
S:
Tout à fait ! Car l’identité même de l’écriture c’est toujours par rapport à un espace. On ne peut définir une écriture que par rapport à un espace. C’est pour cela que les écrivains français se définissent comme tels parce que l’espace nourrit l’imaginaire. L’espace fournit les éléments qui nous permettent de concevoir le réel. Les bruits,15 les sons, les sensations quand on touche à l’espace. On marche pieds nus ou même chaussés, tout cela renvoie à l’espace et cela nous permet de nous reconstruire et de reconstruire notre façon de voir le monde.
R:
L’écriture rime-t-elle avec la possession et la transcendance de l’espace ?
S:
L’écriture c’est le pont. J’habite l’étroitesse et pour vivre convenablement je dois toujours être en relation avec l’autre ; ce que j’appelle dans un vieux texte qui n’a jamais été publié la perpétuité de l’azur. J’ai écrit le texte parce qu’une fois à La Réunion, je travaillais comme secrétaire-comptable de l’ADER, [association des écrivains de l’Océan Indien]. On rééditait les poèmes d’un grand poète réunionnais qui s’appelle Jean-Henri Azéma.C’est un paria parce que dans les années ٤٠ il a frôlé l’action française ». Du coup, en 45, il s’est retrouvé parmi ces jeunes qui étaient interdits de séjour en France. Il s’est réfugié au Brésil où il a passé toute sa vie. Ce n’est qu’en 1984 qu’on lui a permis de retrouver sa terre natale, La Réunion. Donc, il avait écrit de la poésie en français tout en étant au Brésil. Quand il est rentré, il fallait récupérer ses écrits et les rééditer et on m’avait sollicité pour préfacer un recueil à lui qui s’appelle « D’azur à perpétuité ». C’est partant de là que l’idée m’est venue, que j’ai compris l’importance du pont. J’ai compris que l’écriture pour Azéma a servi à toujours rester avec La Réunion, à ne pas couper le lien. Dans ce sens, l’écriture c’est une façon de ne jamais sortir de ma terre à ma terre pour reprendre une expression de grands historiens de vieilles religions comme Eliade.
R:
Conviens-tu avec moi que Testaments de Transhumance est un texte hermétique ?
S:
Oui, c’est codé car pour parler des choses complexes, des choses aussi douloureuses, ce n’est pas facile de trouver la meilleure façon. Je sais qu’on m’accuse d’hermétisme au sujet de ce texte mais en fait, c’est par rapport aux clés. Nous sommes un peuple de voyageurs, un peuple de boutriers.16 Pendant tout le Moyen Âge, les Comoriens ont voyagé à travers l’Océan Indien. Mais là, s’ajoute l’accident de l’histoire. On se trouve dans un archipel avec UN même peuple et deux gouvernements, deux administrations alors que nous avons toujours eu l’habitude de circuler entre les îles. C’est comme l’autre phénomène récent qui n’est pas encore lisible pour tout le monde : il y a la génération des enfants nés dans les années 80, ce sont des enfants errants dans les quatre îles.
R:
L’errance, dans ce contexte un contre-discours, nous ramène à Mudimbe…
S:
Tout à fait. Par exemple, tu vois un enfant de 26–30 ans ici, tu vis à Anjouan avec lui pendant six mois et puis paf tu ne le vois pas. Tu vas à Moroni deux mois et tu l’y vois. Ensuite, il disparaît. Tu vas un an, tu ne le vois pas dans les trois autres îles, il est à Mayotte. Une fois refoulé de Mayotte il fait encore le tour des trois autres îles. C’est devenu même un mode de vie. Quand on lit cela on comprend très bien que RIEN NE PEUT EMPÊCHER LA CIRCULATION (insistance de Saïndoune). Ce sont des personnes qui cherchent toujours à se reconstruire, qui cherchent à construire une identité de liberté.
R:
‘Reconstruire un mode de vie’ me permet de faire un pont vers « Malmémoires ». S’agit-il des mémoires qui ont mal, des humains qui ont mal ou les deux ?
S:
Comme il s’agit de poésie, normalement je devais dire mauvaise mémoire. Mieux vaut dire des mémoires qui sont mal (mâles), mais attention dans le double sens : mâle (l’opposé) du féminin, la virilité, debout avec toute sa force, cette énergie mais mal qui n’exclut pas la maladie comme corrolaire de la blessure.
R:
Y a-t-il un lien entre ce mal et ta posture publique d’écrivain dit marginal ?
S:
Je ne juge pas ce que les autres disent sur ma façon d’habiter l’espace mais il faut comprendre que vivre c’est une forme de choix. Il y a longtemps que j’ai compris que j’appartiens à une société dont la rumeur17 est peut-être plus bruyante qu’ailleurs et cette rumeur qui contamine le discours du quotidien empêche également de penser librement, l’esprit de conceptualiser son autonomie. Alors je me suis dit, pour pouvoir regarder mon peuple, je dois être au cœur de mon espace. Il m’arrive de lancer ça à la figure de mes amis pseudo-intellectuels.En fait, en Afrique l’école francophone-française nous a tué.e.s. Au lieu de nous faire avancer, elle nous a tué.e.s. Je prends l’exemple de l’ami avec qui j’ai fait le CM2. Je réussis l’examen de passage en classe de sixième et lui non. Du coup, je deviens plus important et lui un raté. J’oublie que la vie c’est des schémas. Je n’ai pas de problème qu’on me dise en retrait mais cela n’a jamais été mon intention de construire une image de moi. Ce que je refuse, c’est qu’on me transforme en intellectuel de salon.
R:
Un intellectueur donc…
S:
Rire […] Oui un intellectueur de salon.
R:
Comment comprendre les personnes d’origine anjouanaise qui, une fois entrées dans les cercles des privilèges à Mayotte, se plaisent à parler d’autres Comoriens comme des ‘clandestins’ ?
S:
Rires. C’est ça la malmémoire. C’est bien ça la malmémoire. [Quelques secondes de silence] Tu veux que je te dise autre chose : les choses à Mayotte ne vont jamais s’arranger tant que l’État français ne comprend pas qu’aussi longtemps qu’il y aura deux peuples à Mayotte [quelques secondes de silence], il y a un peuple de la nuit qui fout le bordel car c’est une question de survie et un peuple du jour. Il faut avant tout que l’État réalise que c’est UN même peuple. Ce n’est même pas une question de cousinage, de fraternité ; c’est UN même peuple. Tout ce qu’on pourra développer ne peut pas changer cette réalité. Celui qui a établi le visa Balladur est un vrai con. Les gens venaient et repartaient. Il n’y avait pas d’étouffement. Le vrai problème maintenant c’est l’étouffement ; c’est devenu carcéral.
R:
Vois-tu une solution au dossier Mayotte avec tous les complices des réseaux de Kwassa Kwassa par exemple ?
S:
Il y a une solution mais ce sera très difficile. C’est une décision qui est totalement amère. Pourquoi ouvrir les portes ? Il faut qu’il y ait quand même un peu d’activités. L’activisme de l’absurde. Cela va te paraître marrant. Presque depuis 43 ans, l’État comorien revendique Mayotte, je fais partie d’un groupe qui ne veut plus de Mayotte car nous avons compris que la France a fabriqué une bombe (insistance). Si par exemple ils nous lâchaient ça, je dis bien ça, c’est fini pour les Comores, les Comores n’existeraient plus parce que tout ce qui s’est développé là-bas ne se trouve pas dans cet espace. Toute cette psychose, cette pression [phrase inachevée]. Si notre groupe est invité à une discussion sur la question : nous dirons officiellement : Mayotte : on n’en veut plus.
R:
La jeunesse qui a faim de vie et d’opportunités comprendrait-elle votre démarche, elle qui voit en face le rêve même si cela peut être l’irrué dont parle Glissant ?
S:
Mon cher ami, tu me fais peur (rires) parce que là on parle de littérature mais je te réponds tout de même. Comment botter le maître qui continue à te faire souffrir ? Cette démarche consiste à botter la France pour la deuxième fois (après 1975) en déclarant l’indépendance de ces îles unilatéralement… sans négociations.
R:
Le Kwassa Kwassa sert-il aussi à ‘botter le maître’ ?
S:
Le kwassa c’est le mtepe (bateau) de la civilisation swahilie, ce qui permet de sauver, ce qui permet d’aller à la découverte, c’est un refus et ce qui permet également d’aller à la guerre.
R:
La guerre des frontières ?
S:
Cette guerre des frontières, cette guerre silencieuse plus meurtrière que toutes les guerres. Comment compter nos noyés ? À un moment, je faisais partie d’une association qui s’appelait: Groupe de réflexion sur le devenir des Comores (GRDC) dont le siège était à Passamainty, à Mayotte. Le moment le plus chaud, ces haines, ces rancœurs, ces contradictions, les mensonges qui nous habitent et toutes les noirceurs, toutes les saletés que nous avons ingurgitées ont refait surface. C’était en 1997. Il fallait vivre les contradictions. Comment un peuple qui a demandé l’indépendance, comment un peuple qui a fui le chabouk (le fouet du maître de la plantation) revendique le chabouk. C’est bien la malmémoire.
R:
Finalement, l’écriture est-elle chez toi une contre-archive ?
S:
Bien sûr, c’est comment fixer le fait que les Comores, c’est, j’ai du mal à le prononcer [petite pause] : l’archipel des sultans batailleurs. En 1789, on parle de révolution en France, les massacres de Paris. C’est bien beau mais maintenant il s’agit du regard du regard regardé.18 Ils continuent toujours à croire que nous n’avons pas compris comment ils nous regardent.
R:
Penses-tu à travers la littérature pouvoir équilibrer les regards ?
S:
C’est l’appel de l’apaisement des haines parce que le fond du problème entre Mayotte et les trois autres c’est cette haine inutile qui n’a pas de sens. Les Comores c’est un petit État. Il faut dépasser la haine, il faut dépasser ce qu’on nous a vendu.
R:
Dénoncer ce qu’on vous a vendu uniquement en français, n’est-ce pas une démarche contradictoire ?
S:
Nous avons été blessés historiquement. La France a colonisé cet espace, elle a maintenu cet espace loin de toute forme d’enseignement en étouffant l’arabe. Au 12ème siècle, nous sommes dans l’arabisation. Il y a eu des moments où les mufti [connaisseurs du droit canonique musulman] de Zanzibar et de Dar es Salaam étaient comoriens. Ceci montre qu’au moment de l’arabisation, il y avait une présence intellectuelle qui était reconnue jusqu’en Afrique australe. Pour s’assurer de sa toute puissance, elle a étouffé l’arabisation en imposant la francisation mais ceci en pressant le peuple. Par exemple, une année, il y avait un seul enfant comorien qui passait en sixième. Rends-toi compte que l’examen du bac a été organisé pour la première fois aux Comores en 1968 et les Comores ont pris l’indépendance en 1975. Tu imagines combien de formés et non d’instruits il y avait aux Comores au moment de l’indépendance. Je parle de formés et non d’instruits : formés pour la cause.
R:
Ce qui implique aussi la langue de formation…
S:
La question de la langue est une VRAIE (insistance) question parce qu’après l’indépendance, nous avions la chance de pouvoir nous exprimer dans nos langues maternelles. L’hydre à trente têtes a compris en assassinant Ali Soihili en 1978. Du coup, le problème économique a enveloppé celui du développement de la langue. Comme tu as pu le remarquer, nous n’avons pas de vraies imprimeries. Parler de littérature implique aussi la question de l’audience, du lectorat, du marché du livre. Cela a son sens que nous nous exprimions toujours en français. C’est pour parler à l’hydre et à nous-mêmes. Le seul problème est qu’une majorité se trouve coupée du dialogue.
R:
Ceci pose donc le problème de la réception de tes textes.
S:
Nous sommes extrêmement lus à l’extérieur mais méconnus des Comoriens même si la grande majorité de la jeunesse s’amuse avec cela. Tout le temps, je vois des jeunes qui arrivent avec Malmémoires à la main et me disent : « eh Saïndoune, j’ai pas compris ce passage. Que voulais-tu dire ? » Ce sont des moments pendant lesquels les batteries se rechargent.
R:
Fais-tu des rapprochements entre les Comores et les Caraïbes ?
S:
Je suis Caribéen (gros rire). Je suis Césairien puisque nous avons notre Césaire dans l’Océan Indien ; Boris Gamaleya qui a écrit Vali pour une reine morte, 1973 (qui est fort semblable au Cahier d’un retour au pays natal). C’est la même force que le Cahier.

Dans cet entretien, nous avons fait le grand tour avec Saïndoune, l’incompris. Il a été, entre autres, question de son in(ter)vention littéraire, ses codes, sa philosophie, son rapport à la terre, aux îles, l’unicité de l’archipel, les espaces, la nécessité de la relation à l’autre, comment encoder et décoder la douleur, la désespérante errance des jeunes, les visages de la malmémoire, les activités trompe-l’oeil pour rappeler l’existence de « la connerie de visa », sa posture et son rôle dans la société, la psychose de la bombe Mayotte, le choix radical de se distancier au besoin de Mayotte, la symbolique du Kwassa Kwassa, le problème des regards, la blessure territoriale, linguistique, de l’imaginaire et du public.

Ces nombreux angles justifient « l’espace » que j’accorde à cet entretien qui donne de la consistance à mon approche qui consistait à ramener les textes dans leurs (mi)lieux et à redonner la parole aux auteurs qui décrivent une réalité dont ils maîtrisent les contours douloureux. « Celui qui a établi le visa Balladur est un vrai con » dit Saïndoune plus haut. Dans Droit du Sol on entend aussi Jeff s’offusquer de la catastrophe humanitaire à Mayotte en ces mots: « ça a commencé avec l’autre con de Balladur et son visa en 1995. »19

C’est l’avis général qui se dégage des voix d’autres acteurs importants de la scène politique et sociale aux Comores : les journalistes et les commentateurs de l’actualité auxquels je donne, dans le sous-chapitre suivant, une attention méritée en faisant un détour dans les archives de presse sur « la connerie » électorale Balladurienne.

5 « Edouard Balladur ou la campagne des gens en ballade »

Lors du séjour de recherche à Moroni, j’ai pu, grâce à la bienveillance de Mr Zakari du Centre National de Documentation et de la Recherche Scientifique (CNDRS), accéder aux archives du journal bilingue arabe-français Al-Watwan – le pays, la nation –, le premier quotidien gouvernemental de la République Islamique des Comores fondé en 1985. J’ai prêté attention aux numéros parus entre 1995 et 2014 soit entre l’année de l’instauration du visa Balladur et l’année de la matérialisation de la rupéisation de Mayotte, c’est-à-dire de son passage au statut de Région Ultrapériphérique de l’Union Européenne.

Je souligne ici le rôle des articles de presse comme une source de faits fictionalisés dans certains textes littéraires du corpus ou repris sous la rubrique « lu dans la presse » dans les Poëmes de Sambaouma et dans Mayotte, Un silence assourdissant de Feyçal.20 Dans ce récit, le père de Combo recolle sept accidents de Kwassa Kwassa relatés dans la presse écrite et électronique entre août 2001 et avril 2006. Les articles de presse parfois intergénériques et certains extraits des textes littéraires ont d’abord été écrits pour la presse ou sont parus dans la presse qui,21 comme ce fut le cas dans beaucoup d’autres pays, a d’abord été un espace de prise de parole, le principal canal d’information et de médiation. La presse a été une passerelle et le point de départ de nombreuses carrières littéraires22, le premier espace de consécration, le réseau des acteurs culturels aux multiples casquettes comme Soeuf Elbadawi dans le contexte comorien.

Dans l’introduction d’un volume récent, Ducournau résume ainsi les synergies entre les littératures africaines et la presse qui a ‘fabriqué’ d’important.e.s auteur.e.s :

Ngugi Wa Thiong’o, Thomas Mofolo, Es’kia Mphahlele, Olympe Bhêly-Quenum, Sylvain Bemba, Maryse Condé, Paulin Joachim, Williams Sassine, Norbert Zongo, Boubacar Boris Diop, Thérèse Kuoh-Moukoury, Florent Coua-Zotti… Si certains des noms de ces écrivain.e.s résonnent de manière familière aux oreilles des spécialistes ou amateur..rice.s de littérature africaine, leurs détenteur.rice.s ont un autre point commun que leur aura littéraire et leur affiliation géographique au continent : ils ou elles ont aussi été, parfois ponctuellement et/ou sous pseudonymes, des journalistes ayant amplement contribué à la presse africaine, parallèlement aux publications de leurs livres.23

FIGURE 10
FIGURE 10

Dans les archives du CNDRS de Moroni, 26 août 2019

© CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Aux Comores, Soeuf Elbadawi est une figure emblématique de ce lien important entre la presse et la création littéraire, dans un contexte où les conditions de production et de circulation des textes littéraires sont encore difficiles et font de toute recherche sur la reconstruction des archives culturelles un beau défi. Il est entre autres journaliste (comme Nassuf Djailani) et metteur en scène, contributeur à la presse internationale et à la presse locale. Par ailleurs, il s’appuie de plus en plus sur les nouvelles plateformes médiatiques qui sont un support crucial pour faire la publicité en amont et en aval des projets littéraires et artistiques qu’il anime régulièrement aux Comores et sur les Comores dans d’autres pays.

Comme l’avait déjà remarqué Lüsebrink (2003) dans son travail précurseur sur la presse comme le lieu privilégié de prise de parole pour les écrivains et les intellectuels africains francophones déjà à l’époque coloniale, on aurait du mal à s’imaginer l’écriture d’une histoire littéraire comorienne sans un chapitre sur le rôle incontournable de la presse, en particulier Al Watwan qui est présent sur la scène sociale et culturelle depuis bientôt quatre décennies.

Aux Comores, l’exemple d’Al Watwan donne raison au ‘petit manifeste pour les ‘Press and Literature studies’ de Thérenty (2017), car on peut étudier une bonne partie de l’histoire de ce journal en rapport avec les contributions que les auteur.e.s y ont faites et la façon dont le journal a contribué à ‘fabriquer’ des figures artistiques et littéraires aux Comores et surtout des archives. En fin de compte, les articles de presse et les textes littéraires fusionnent pour construire les archives sur lesquelles je peux par exemple m’appuyer pour enrichir mon analyse, mais aussi et surtout les contre-archives contestataires dans le but de toujours rappeler à la communauté humaine l’absurdité du visa Balladur.

» Edouard Balladur ou la campagne des gens en ballade « est le titre bien choisi par le rédacteur en chef Ahmad Mdahoma pour qualifier les calculs politiques électoraux d’Edouard Balladur en amont de l’instauration du visa Balladur dans son article du 10 juillet 1995. Pour Mdahoma dont le commentaire pointu est publié quatre jours après la célébration du vingtième anniversaire de la proclamation de l’indépendance des Comores :

Officiellement, le premier ministre français Edouard Balladur, n’est, pas encore, candidat à l’élection présidentielle. Cependant les stratégies s’élaborent en coulisse. Il se bat pour remonter à la tête des sondages d’opinion en multipliant gestes et promesses. À Mayotte notre île restée sous administration française depuis 1975 où il affectué une visite de 24 heures, il a séduit la masse des Ultras du Mouvement mahorais en annonçant sa décision de rétablir l’exigence du visa d’entrée pour les ressortissants des trois autres îles comoriennes.24

Cet extrait renvoie à la visite d’Edouard Balladur à Mayotte le 24 novembre 1994. C’est à ce moment qu’il annoncera, sur un ton triomphal de campagne pré-électorale, sa décision usurpatoire de réinstaurer un visa préalable pour les Grand Comoriens, Mohéliens et Anjouanais qui désirent se rendre à Mayotte. Les dates faisant l’histoire, c’est le 18 janvier 1995,25 date à partir de laquelle la décision est mise en vigueur qu’il annoncera depuis Matignon sa candidature à l’élection présidentielle sous la vision : « Croire en la France ».26

Les résultats montreront que les Françaises et les Français n’y auront pas suffisamment cru tout comme les Comoriens qui, depuis 1995, s’activent en art, littérature, documentaires, manifestations pacifiques ou violentes et par voie de presse, à refuser de croire au séparatisme mahorais provoqué par le visa « Balladur-Pasqua ».27 Charles Pasqua était à l’époque le ministre de l’intérieur du gouvernement Balladur.

Le 20 janvier 1995 aura lieu à Moroni une démonstration historique contre le mur Balladur que l’ambassade comptait mettre à exécution à partir du 20 janvier, (in)-justement. « Visa d’entrée à Mayotte. Colère à Moroni » sera la une du numéro 347 du 27 janvier au 2 février 1995 dans lequel Ben Abdallah28 reviendra sur la manifestation historique d’abord au stade de Moroni ensuite devant la représentation diplomatique de la France à Moroni. La « politique de l’inimitié »29 dont parle Mbembe y est bien présente depuis des décennies.

Cette politique sera régulièrement décriée dans le journal Al Watwan. Au cours de la période ciblée (1995–2014), le journal ne cessera jamais de commenter régulièrement le différend territorial avec la France, la politique du chiffre des repoussés, politique poussée d’un cran par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur, les horribles poursuites en mer par la police française qui aboutiront à ce que les enquêteurs français (!) nommeront « homicides involontaires » et les milliers de morts sans sépulture du « visa de la mort » lors des journées Maoré (Mayotte en Shikomore) le 12 novembre au palais du peuple.

Ce palais symbolise la reconnaissance des Comores comme un pays indépendant constitué de quatre îles par les Nations Unies. La question de la sépulture sera abordée le 12 novembre 2014 par l’un des auteurs du corpus. Dans » où il est question d’une stèle à la mémoire des morts du visa Balladur «, Soeuf Elbadawi revient sur les grandes lignes de son poème funéraire Un Dhikri pour nos Morts La rage entre les dents et s’étonne avec raison des mesures contre l’érection d’une stèle en mémoire des milliers de noyés à Moroni :

Autrement dit, selon le préfet de Moroni, ce serait le même État comorien, célébrant annuellement le retour prochain de Mayotte dans le giron familial, au nom du droit international, qui interdirait l’hommage rendu aux milliers de morts du Visa Balladur dans la capitale. A n’y rien comprendre. Rappelons que cette date du 12 novembre, date de l’entrée des Comores aux Nations Unies, est décrétée fête nationale par l’État depuis sept ans. Rappelons aussi que sur cette même place de France figure une stèle (autorisée) en mémoire des disparus d’une autre guerre, celle de 14–18. Étrange contradiction…30

Dans ce point de vue reposté sur le site internet de mudzwalifahouse, le site de « résistance culturelle et artistique » de Soeuf Elbadawi deux jours plus tard, l’artiviste et activiste culturel montre les contradictions au sein même de la société comorienne qui finalement ne constitue pas un front uni contre la néocolonisation. Dans le même ordre d’idées, Al Watwan reviendra aussi souvent sur la délicate question du visa de sortie des Comores imposé par le gouvernement comorien aux Comoriens désirant se rendre à Mayotte, la question des « collabos » comoriens à la solde du néocolonisateur et des tentatives de « coopération » entre les Comores et la France et les intentions de l’empire de « venir en aide au développement »,31 sans se rendre compte qu’il appauvrit l’archipel par le rattachement de Mayotte à l’empire. C’est le syndrome du criminel qui s’érige en juge dans un procès de la décolonisation à (re)faire dont le dernier chapitre sera la rupéïsation de Mayotte entamée en ٢٠١١ par Nicolas Sarkozy.32

Ahmed Ali Amir titrera son article « la rupéïsation de Mayotte laisse indifférent le Mirex33 des Comores ». Sa sentence est sans ambiguïté :

Qu’a fait le ministère des relations extérieures des Comores, après avoir appris que le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a adressé au président du conseil européen, Herman von Rompuy, une demande officielle de transformation du statut européen de Mayotte de Pays et Territoire D’Outremer associé (Ptom) en Région Ultrapériphérique (Rup). Rien. Absolument rien !34

On comprend la déception d’Ahmed Ali Amir mais les raisons du silence et de l’épuisement du ministère des relations extérieures des Comores sont bien dans son article. En dehors d’un communiqué de rappel de l’ancrage historique et culturel de Mayotte dans l’archipel des Comores, publié dans le même journal le 3 novembre 2011, et les nombreux rejets de la stratégie néocoloniale française par le décomplexé ministre des relations extérieures Fahmi Saïd Ibrahim,35 que peut faire un petit archipel systématiquement déstabilisé par des coups d’États répétés face à un empire qui a toujours eu son mot à dire dans ces coups d’États ? Que peut ce petit archipel face à un membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies qui agit en marge des résolutions des Nations Unies qui ont condamné son appropriation illégale de Mayotte ?

FIGURE 11
FIGURE 11

Dans les archives du CNDRS de Moroni, 26 Août 2019

© CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Les chiffres des votes aux Nations Unies à ce sujet en disent long. En 1976, 102 voix contre une seule qu’on devine bien et en 1994, 87 voix contre deux voix : celle de l’empire et de la … Principauté de Monaco. Absurdité néocoloniale et géostratégique, quand tu nous tiens avec le soutien de l’Union Européenne!

Après la départementalisation le 31 mars 2011, Mayotte est depuis le 1er Janvier 2014, Région Ultrapériphérique de l’Union Européenne, cet ensemble curieusement construit sur l’idée de la suppression des frontières mais dont un membre puissant continue de fabriquer des frontières territoriales et émotionnelles dans un archipel impuissant où des personnalités comme le gouverneur de Ndzuani Anissi Chamsidine parlait de « génocide qui ne dit pas son nom ».

Un brin provocateur, il proposait d’ailleurs une solution de résistance au drame ou plutôt un sacrifice général : un départ massif des Comoriens en Kwassa Kwassa par groupe de cinq vers Mayotte afin de provoquer une réaction du gouvernement français.36 En attendant un lendemain qui ne viendra peut-être pas si tôt, des milliers d’Anjouanais, de Mohéliens, de Grands Comoriens et de plus en plus de ressortissants d’autres pays ‘Aux parfums des îles’ et de la situation administrative de Mayotte essaient, au risque de leur vie, d’arriver à Mayotte, cette petite île de 375 kilomètres carrés dont l’ombre (voir Al Watwan ci-dessus) pèse énormément sur les Comores et toute la région.

6 Mayotte: ‘l’espace des arrivées’

L’ombre de Mayotte conduit à poursuivre la réflexion sur les (con)tours de la traversée depuis « l’espace » mahorais «, l’espace d’arrivée » avec un autre auteur-témoin, mon maître et guide à Mayotte, Nassur Attoumani.

Après m’avoir promené sur plusieurs plages, les villages de chute, les cachettes, les pistes pour contourner les contrôles et les mangroves où les Kwassa Kwassa, embarcations d’infortune, débarquent à Mayotte, le Fundi me montre deux endroits particuliers : la barrière de corail, visible depuis Dapani, et les radars à Acoua.

Pour ce qui est de la barrière de corail,37 elle est un véritable obstacle à la traversée. Ce qui fait dire à Nassur Attoumani que :

Les passeurs savent très bien comment contourner la barrière de corail. Parfois ils font semblant de se diriger vers Madagascar avant de replier sur Mayotte. Des fois, si la marée est basse, ils font descendre les clients et leur disent que là nous sommes arrivés […] Plusieurs Anjouanais ont dit cela dans leurs témoignages. Et donc, ils descendent là. Après, plus ils marchent plus ils se rendent compte qu’ils s’enfoncent. Ils se noient parce qu’entre la barrière et l’îlot de Mtsamboro il y a une bonne distance.38

FIGURE 12
FIGURE 12

Le fundi m’explique les (con)tours de la traversée, Dapani, Mayotte, 3 Septembre 2019

© NASSUR ATTOUMANI ET L’AUTEUR

Ce point de vue de Nassur Attoumani est renforcé par ce passage de Mayotte, un silence assourdissant :

Dès qu’elle posa ses pieds dans l’eau avec le plus petit de ses enfants, l’épouse de Combo sentit des brûlures. Ce sont des coraux ! Cela lui faisait très mal. Ne sachant pas où elle était, elle entendait des cris horribles des femmes et des enfants qui se noyaient.39

La consigne d’un « homme d’équipage » à ce sujet est bien claire dans Aux parfums des îles :

Dieu merci, grâce à une mer sage, nous serons dans peu de temps à Maore. Notre engagement prend fin dès l’instant où vous mettez les pieds dans l’eau ou sur la plage. Mais si je mentionne l’eau, c’est que parfois, pour échapper à la police, on doit agir vite…40

Nous sommes en plein cœur du business de l’inhumanité avec des propriétaires de Kwassa Kwassa, leurs complices et des passeurs prêts à tout pour leur gain et sauver leurs têtes, comme le dit un passeur dans Droit Du Sol :

Je m’en fous des Anjouanais ! Je veux pas me faire attraper ! J’ai fait un an à leur prison de Maoré. Ouais, dans leur palace. Je mangeais trois fois par jour… Mieux qu’à la maison… Enfin, c’est les femmes qui me manquaient.41

La traversée est aussi le lieu de conversations intéressantes car il faut bien occuper le temps, étouffer la peur avant l’arrivée, généralement turbulente, à Mayotte. C’est aussi à Dapani que le Fundi m’explique une autre face cachée des arrivées à Mayotte: celle des voiliers français qui contournent souvent l’itinéraire prévisible de Madagascar à Mayotte :

Les voiliers qui amènent les filles ici. Elles doivent payer 1000 euros pour arriver à Mayotte. Elles sont déposées n’importe où ici et si elles n’ont pas d’argent, elles sont quand même embarquées et c’est la partouze durant tout le trajet. Donc ils ne pensent qu’à baiser. Ils les font donc rentrer mais elles ont déjà payé en nature.42

Tout en soulignant au passage comment la traversée est un moment de pouvoir des hommes sur les femmes, ceci explique en partie la prostitution effrayante à Mayotte surtout pratiquée par de jeunes filles43 ressortissantes de Madagascar qui se retrouvent soit larguées à Mayotte, soit entre les griffes des proxénètes qui leur ont ‘facilité’ le passage malgré la présence de la police aux frontières, des intercepteurs et des radars qui sont à mes yeux l’aspect le moins compréhensible de la traversée vers Mayotte.

Sur les chemins de l’errance à Mayotte, le Fundi m’amène sur le site des radars français qui peuvent contrôler les mouvements des Kwassa Kwassa depuis les points de départ à Anjouan jusqu’aux points d’arrivée à Mayotte. C’est à se demander, peut-être naïvement, quel est leur intérêt à laisser les gens prendre la route, les voir souffrir, les laisser arriver et, de temps en temps, intercepter les Kwassa Kwassa avec des outils de pointe.

S’agit-il de « l’activisme de l’absurde » dont parle Saïndoune Ben Ali ? Un activisme qui consiste à souvent terroriser et produire des chiffres quand le besoin parfois électoral presse ou alors comme le dit Kamal, l’habitué de la traversée dans Aux parfums des îles : « la police se contentait habituellement de quelques gibiers pour épaissir les primes. »44 Les primes absurdes sur les chasses aux Intrangers peut-on dire.

FIGURE 13
FIGURE 13

Le fundi m’accompagne sur le site des radars de contrôle des kwassa kwassa, Mayotte, 8 Septembre 2019

© NASSUR ATTOUMANI ET L’AUTEUR

La dernière étape du terrain n’était pas prévue mais elle s’est révélée incroyablement éducative sur le sujet. Par ailleurs, elle a eu l’heureux effet de permettre aux étudiant.e.s qui se côtoyaient sans véritablement se connaître, d’ouvir leurs cœurs et de partager leurs bagages émotionnels.

7 Repenser la ‘relation’ entre les étudiant.e.s

Depuis 2016, j’enseigne45 entre fin août et début septembre au Centre Universitaire de Formation et de Recherche de Dembéni, Mayotte. Comme je l’ai dit dans l’introduction, c’est surtout le problème ‘administratif’ de deux étudiant.es, très impliqué.e.s dans le cours en 2017 qui déclenche l’intérêt pour ce projet de recherche.

En 2019, après la première séance de cours, une étudiante d’origine anjouanaise, qui semblait très préoccupée pendant le cours, vient me confier qu’elle a dû retenir ses larmes quand je me présentais au groupe et surtout lorsque je leur ai parlé brièvement du projet de recherche sur lequel je travaille en dehors de mes heures de cours et d’administration. Elle me parle donc tout naturellement de son itinéraire. Nous programmons un rendez-vous deux jours plus tard car elle a, me dit-elle, « besoin de parler à quelqu’un qui peut comprendre «.

Mercredi, au lieu d’une conversation à deux, nous sommes cinq car trois autres étudiant.e.s avaient décidé de se joindre à nous; ce que j’ai accueilli avec joie. C’est donc une ‘focused group’ discussion imprévue qui a eu lieu.

Comme je l’ai déjà souligné, l’attention et l’écoute ont été les premières méthodes pour étudier la grande question de la « migration » vers Mayotte. À ces deux approches, se sont ajoutés les rencontres, l’extension du réseau relationnel, et, dans le cas des étudiant.e.s, le fait d’accepter spontanément d’en inclure trois autres dans la conversation. Dans les extraits de l’échange transcrits par mes soins et rapportés ci-dessous, les étudiant.e.s, qui m’ont autorisé à utiliser cette image et les propos de l’entretien, porteront les lettres A, B, C, D et l’apprenant sur le terrain la lettre R.

R:
Merci d’avoir accepté de participer à cet échange. Comment vivez-vous cette réalité, par exemple le fait d’être en cours avec d’un côté des « Français » et de l’autre des « Comoriens » appelés « clandestins »?
A:
C’est bouleversant déjà parce que sans les Anjouanais et les Comoriens à Mayotte, on n’aurait rien. C’est grâce à eux que nous mangeons. Ce sont eux qui font les champs. Dans les campagnes vous ne verrez jamais des Mahorais en train de cultiver. Ils sont comme les Mexicains aux États-Unis : c’est la main d’œuvre à bas prix.
R:
Pour vous, est-ce que cela fait sens de parler des Comores et de Mayotte ?
C:
Non, nous sommes UN seul peuple (insistance).
FIGURE 14
FIGURE 14

Entretien humainement éducatif avec des étudiant.e.s (con)cernées par la thématique, centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, 5 Septembre 2019

© GROUPE

R:
Pour vous qui êtes ici depuis 2008, comment se passent les choses sur le plan administratif ?
D:
Jusqu’en 2014 tout allait bien parce que j’étais encore mineur. Depuis 2015 j’ai eu beaucoup de difficultés.
R:
Que faites-vous pour que les choses changent ?
A:
J’ai aidé une camarade qui ne connaissait pas la démarche administrative à la préfecture car elle s’est confiée à moi.
R:
Dans un rapport du collectif Migrants publié en 2008, il est question de quelqu’un qui entre comme un cousin et sort comme gendarme ? Qu’en dites-vous ?
D:
C’est vraiment étrange mais cela arrive souvent qu’une personne qui a obtenu les papiers français dénonce les autres, même les membres de sa famille. J’ai vécu cela. Il me manque les mots pour décrire cela. Il y a beaucoup à dire.
R:
Connaissez-vous des gens qui ont fait l’expérience du kwassa ?
C:
Moi, j’étais petite (l’échange prend une tournure de confidence).
D:
Moi, j’ai fait l’expérience. J’ai embarqué. Je suis venu.e ici par kwassa. C’est vraiment une expérience horrible.
R:
Est-ce tu te sens capable de nous décrire la traversée ? Le lieu de départ, l’heure, le lieu d’arrivée ?
D:
Nous sommes partis à 9 heures46 pour arriver vers 16 heures. Il fallait contourner les contrôles car normalement cela ne prend même pas deux heures. On a fait plusieurs escales car il fallait déposer des gens ici et là et surtout il fallait contourner les coraux.
R:
Comment expliquer que malgré les radars, la PAF [police aux frontières], les intercepteurs, les Kwassa Kwassa arrivent toujours à Mayotte ?
D:
Oui il y a les radars. Donc ils voient les gens arriver. Ils les laissent faire en sachant qu’ils vont les arrêter. Ils les laissent entrer et le lendemain ils vont envoyer les policiers de la PAF les attraper, les renvoyer pour montrer comment ils travaillent bien.
D:
Encore un autre détail sur les Kwassa Kwassa. Quand je venais nous étions 30 dans le petit kwassa.
B:
Des fois, si vous êtes vraiment malade on vous [D complète la phrase] « on vous jette47 ».
A:
Ahhhhhhhhhhhhhhhhhh (de consternation : A est la seule personne du groupe qui est né.e et a grandi à Mayotte, donc qui est de nationalité française).
R:
Il paraît que quand la situation est compliquée les passeurs commencent par les personnes âgées, les personnes malades, les enfants, les femmes enceintes.
D:
Même moi on voulait me jeter parce que je pleurais. C’était en 1999. Mon papa était déjà ici et voulait que ma mère et moi le retrouvions. J’étais seule avec ma mère. Mon frère et ma sœur y étaient restés. Deux années plus tard, mon frère est venu et six ans plus tard ma sœur a suivi. Il y avait un homme qui a dit non. Il a dit soit on arrive tous, soit on se fait attraper, tous.

[La révélation donne un coup de froid à tout le groupe qui est silencieux un moment. Je me reconstitue péniblement et remercie D de ce témoignage dont personne du groupe n’était au courant. Je demande s’il serait préférable que nous arrêtions la conversation ou fassions une pause, le temps d’accuser le coup. Tous me disent que nous pouvons continuer même si je sens que ce sera lourd et je décide d’arrêter l’entretien dès que je les sentirai émotionnellement très marqués.]

R:
Quand avez-vous appris cela ?
D:
Ma mère m’en a parlé pour la première fois quand j’étais au lycée.
R:
Y a-t-il autre chose dont vous voulez parler ?
D:
On veut aller manger !Nous rions tous un moment !
R:
Je vous remercie pour cet échange. J’ai appris des choses et j’ai avancé dans mes recherches.
A:
On traîne ensemble mais on ne sait rien des autres. Maintenant on connaît l’histoire de chacun.e et cela fait plaisir.

J’ai trouvé que le mot de la fin de A résume très bien l’état d’esprit qui peut mener à une sensibilisation générale sur le concept de ‘Comorien’, l’autre fabriqué.e, l’autre qui ferait peur, de qui viendrait le danger et dont le rêve serait de grignoter sur les privilèges des Mahorais.

Depuis les rencontres et les échanges sur le terrain, je pose un autre regard sur les textes. Je vois surtout les contextes. Ils me parlent différemment et chaque fois que je relis les textes, j’entends les mots de mes interlocuteurs et éducateurs sur le terrain résonner en symphonie avec ceux des textes. C’est une relation à trois axes qui est née : (1) voies et voix du texte (question de recherche) ; (2) lecture primaire et secondaire et (3) voix sur le terrain et relecture depuis les contextes (question de méthode). C’est une approche que je cultiverai davantage en gardant la relation avec celles et ceux de qui j’ai énormément appris pendant la recherche sur le terrain.

8 Time to Keep the Relationality

Contrairement à l’idée de se préparer pendant le terrain à ‘quitter la relation’ prêchée en anthropologie pour éviter de trop s’attacher aux participant.e.s à la recherche, dans le but d’éviter le risque de laisser parler les sentiments, j’ai considéré qu’il était primordial de trouver des stratégies pour garder les relations, compte tenu de la sensibilité du sujet et de l’énorme confiance dont j’ai bénéficié. Je me permets ici de répéter un point important : j’assume entièrement le côté empathique de ma recherche qui se base en grande partie sur l’idée de la relation.

Elle me permet de mieux comprendre et analyser les textes que j’étudie, qui m’aident eux-mêmes à comprendre cette réalité. Donc garder la relation n’est pas seulement une question d’émotion ou de gratitude, c’est le cœur même de ma recherche/de mon positionnement engagé en tant que chercheur. La perdre ou la « quitter», c’est perdre un élément essentiel de ma recherche, que j’espère poursuivre au-delà de ce livre…

Cette confiance va forcément avec des attentes que j’espère combler avec cet ouvrage-action que je ramènerai sur le terrain, livre de critique sociologique/anthropologique et littéraire, mais surtout un autre porte-voix des peuples victimes de l’une des faces hideuses du néocolonialisme.

J’ai donc résolument gardé le contact avec toutes mes interlocutrices et tous mes interlocuteurs à qui j’envoie de temps en temps des nouvelles du projet, mais aussi à qui je demande de temps en temps des nouvelles, car nous sommes désormais engagés dans « le partage du sensible » (Rancière), une convivialité humaine, relationnelle et empathique, tout simplement. C’est une conversation à long terme qui est née de ce projet pour lequel l’apport de celles et ceux qui m’ont ouvert leurs archives personnelles et familiales douloureuses, leurs cœurs meurtris d’incompréhension et souvent d’appréhension, leurs traumatismes et leur espoir, est crucial.

C’est le souffle même de ce projet d’ouvrage que j’ai presque écrit debout, de bout en bout, même lors de la marche journalière dans la forêt, « à l’oreille » comme disait Amin Maalouf,48 en entendant les échos de leurs voix, de leurs témoignages, avec l’espoir qu’ils aideront à tracer d’autres voies que celles des Kwassa Kwassa et, en revoyant défiler devant moi les inoubliables images qui ont immortalisé les promenades-conversations, les moments d’échange et d’ouverture que j’ai eu le privilège relationnel de passer avec eux/elles sur place. Ceci a été possible grâce à ma mobilité presque illimitée du fait de l’économie prestigieuse d’un objet d’un autre type relationnel : le passeport. Le chapitre suivant traite de l’objet kwassa kwassa qui est aussi un passe-port, un casse-mur et l’objet principal des relations (im)mobiles entre les quatre îles de l’archipel.

1

Souny, Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel, 13.

2

Smith, Linda Tuhiwai (2012; 2017).

3

« Guide de la chaîne du livre », consulté le 10 mars 2020.

Guide-de-la-chaine-du-livre.pdf (fill-livrelecture.org).

4

Anssoufouddine Mohamed, entretien avec l’auteur, 27 août, 2019.

5

Voir Virginie Coulon, et Xavier Garnier, sous la direction. Les littératures africaines: Textes et terrains. Hommage à Alain Ricard. (Paris: Karthala, 2011).

6

Walking and Talking/promenade-conversation s’est plus tard révélée être une importante ressource pédagogique en temps de Covid-19. Pendant le semestre d’été (Avril-Septembre 2020) qui était mon dernier semestre à l’université de Bayreuth, j’ai, après trois sessions en ligne avec un groupe de 9 étudiant.e.s, décidé de les sortir du confinement digital. À chacun.e, j’ai consacré en cinq séances de 90 minutes quarante-cinq minutes de promenade-conversation en respectant les mesures barrières dans le joli parc Röhrensee près du campus. En amont de la rencontre, chaque étudiant.e devait soumettre un travail de lecture d’une œuvre littéraire à une réflexion méthodologique et théorique. Le côté expérimental, social et relationnel a été bien apprécié par les étudiant.e.s. À titre d’illustration, voici un retour: « Learning outside the classroom is also a great idea, a way of taking our minds off the whole boring, depressive time, especially those who are not the outgoing type. In conclusion, I fully recommend that we adapt this method, at least until things get back to the way they were before. I would also like to thank You for taking out your time to carry us along, devoting your time to equipping us not just educationally, but also mentally, and psychologically.” (étudiant.e anonyme). En anticipant sur la question délicate de la hiérarchie enseignant/étudiant.e hors les murs universitaires, j’ai pris le soin d’obtenir de chacun.e le consentement à la méthodologie du cours – promenade qu’ils ont tous jugée rafraîchissante.

7

Question qui m’a été posée par un interlocuteur anonyme pendant la promenade-conversation avec ‘docteur’.

8

“For whom is this study worthy and relevant?”; “To whom is the researcher accountable?” Linda Smith Tuhiwai, Decolonising Methodologies: Research and Indigenous Peoples (London: Zed Books, 2012), 175–176.

9

On pourrait aussi voir à ce sujet Susan Arndt and, Nadja Ofuatey-Alazard,. Afro-Fictional In(ter)ventions. Revisiting the BIGSAS-Literature Festival. Bayreuth 2011–2013 (Münster: Edition assemblage, 2014).

10

Au sens connoté, le triangle ici renverrait aussi à Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, les trois îles de l’Archipel dans lesquelles Saïndoune, comme les autres Comoriens, continuent de se déplacer librement.

11

Ben Ali Saïndoune, Testaments de Transhumance (Moroni: Komedit, 2015), quatrième de couverture.

12

Elbadawi, Soeuf. 2013 ‘L’ironie des enfants de lune’, préface de Malmémoires, 9–13.

13

Saïndoune, Testaments de Transhumance, quatrième de couverture.

14

Saïndoune Ben Ali, entretien avec l’auteur, 29 août 2019.

15

On se rappelle ici les propos de Boubacar Boris Diop au sujet de l’auto-traduction de son premier roman en wolof doomi golo en français : « l’exercice a consisté, en gros, à naviguer d’un monde bruyant, aux rythmes saccadés et fous à un autre où les mots ne sont, pour dire le vrai, que des sourds-muets pompeux ». Boubacar Boris DIOP, « Écrire entre deux langues. De Doomi Golo aux Petits de la Guenon », Repères DoRiF, n. 2, Voix/voies excentriques: la langue française face à l’altérité – volet n.1 – LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHIES AFRICAINES FACE A LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, DoRiF Università, Roma, novembre 2012, consulté le 24 juin 2020, https://www.dorif.it/reperes/boubacar-boris-diop-ecrire-entre-deux-langues-de-doomi-golo-aux-petits-de-la-guenon/

16

Les boutres sont des voiliers arabes traditionnellement faits en bois, qui ont facilité les déplacements dans l’Océan Indien.

17

Dans la Préface de Hadith pour une République à naître, Saïndoune (2017: 8) définit hadith de l’arabe comme « parole rapportée, rumeur ».

18

Ici me reviennent les mots de Sartre dans Orphée Noir (1948, IX), mentionnés en ouverture de ce chapitre.

19

Masson, Droit du Sol, 231.

20

Feyçal, Mayotte, un silence assourdissant, 96–98.

21

Voir par exemple l’article d’opinion ‘Où il est question d’une stèle à la mémoire des morts du visa Balladur’ publié en novembre 2014 dans Al Watwan dont les trois premiers paragraphes sont repris dans le recueil collectif Paris Mutsa en quête de récit (2015, 11).

22

On peut voir à ce sujet les articles de Dominique Ranaivoson sur la place de la presse dans la carrière des écrivains à Madagascar et celui de Serigne Seye sur l’interface entre les écrits journalistiques de Boubacar Boris Diop et son travail d’écrivain dans Études Littéraires Africaines 48: Presse et littérature africaine, sous la direction de Claire Ducournau, 2019.

23

Claire Ducournau, « Presse et littérature africaines : des relations multiformes aux chantiers de recherche, » Études Littéraires Africaines 48, (2019): 7.

24

Mdahoma Ahmad, « Edouard Balladur ou la campagne des gens en ballade, » Al Watwan, 10 juillet, 1995, 10.

25

Curieusement, le 18 janvier 2021, pendant qu’à Mirontsy (Anjouan) avait lieu la commémoration des morts du mur Balladur devant la stèle montée par les jeunes du club Soirhane, Edouard Balladur s’apprêtait à comparaître devant la cour de justice de la république dans le cadre du procès Karachi. Il est accusé de ‘complicité d’abus de biens sociaux’ et de ‘recel de délit’ dans une affaire républicaine d’un marché des armes avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan dont les rétrocommissions auraient permis de financer sa campagne présidentielle en 1995, année de l’introduction du visa portant son nom aux Comores.

26

« Edouard Balladur se déclare candidat à l’élection présidentielle », consulté le 26 avril 2019,

Edouard Balladur se déclare candidat à l’élection présidentielle - mediaclip (ina.fr)

27

Caminade, Comores-Mayotte: une histoire néocoloniale, 87.

28

Abdallah Ben, « Le régime de visa pour l’entrée à Mayotte. Une décision inacceptable, » Al Watwan, 27 janvier au 3 février, 1995, 3.

29

Achille Mbembe. « The society of enmity», trans. Giovanni Menegalle. Radical Philosophy 200 (Nov/Dec 2016).

30

Elbadawi Soeuf « Où il est question d’une stèle à la mémoire des morts du visa Balladur, » Al Watwan, 13 novembre 2014.

31

Pour comprendre la mascarade autour de la notion d’aide, je recommande la lecture de Dead Aid: Why aid is not working and how there is another way for Africa de l’économiste internationale d’origine zambienne Dambisa Moyo, 2010.

32

Voici ce que dira Serge de l’époque de Sarkozy: « depuis que Sarkozy est président, Mayotte est à la tête des expulsions clandestines. Il a demandé d’expulser quarante indésirables par jour. » (Droit du Sol, 371).

33

Ministère des relations extérieures.

34

Ahmed Ali Amir, « La rupéïsation de Mayotte laisse indifférent le Mirex des Comores, » Al Watwan, 31 octobre 2011, 2.

35

« Bras de fer Comores-France: Ne lâchez pas le ministre! » est le titre-motion de soutien qu’Ahmed Ali Amir donnera à son article dans lequel il encourage le ministre à poursuivre sa démarche de contestation qu’il a présentée à Bruxelles. Dans la même lignée, Amir lâchera : ‘ Il est temps pour la France de remballer à Mayotte ses fils barbelés, de lever les camps militaires, d’amarrer les bateaux rapides de la police qui pourchassent en mer nos frêles kwasa et de laisser vivre les Comores unies dans la paix et la dignité.’ Al Watwan, 21 mars 2011, 2.

36

Sardou Moussa, « Situation de Mayotte. Anissi Chamsidine qualifie la France de génocidaire, » Al Watwan, août 2014, 3.

37

Le leitmotiv du corail est essentiel chez le poète de la créolité Khal Torabully, comme on peut le voir dans sa collection Chair Corail. Fragments Coolies (1999).

38

Nassur Attoumani, promenade avec l’auteur, le 3 septembre 2019.

39

Feyçal, Mayotte, un silence assourdissant, 39.

40

Houmadi, Aux parfums des îles, 73.

41

Masson, Droit du Sol, 330–331.

42

Nassur Attoumani, promenade avec l’auteur, le 3 septembre 2019.

43

On peut mentionner l’exemple de Raissa qui mélange fiction et réalité dans Droit du Sol.

44

Houmadi, Aux parfums des îles, 76.

45

Dans ce cours de deuxième année de licence, je propose un tour d’horizon sur le swahili (histoire, sociolinguistique, littérature, culture populaire etc.) tout en insistant sur le rapprochement culturel avec le shimaoré. L’idée est de ramener les étudiant.e.s à des réalités qui leur parlent, car j’estime que leur cursus est surchargé de cours sur les auteurs français décédés il y a des siècles et dont les thématiques leur sont souvent étrangères. C’est dans cette optique que j’ai invité Nassur Attoumani à un cours en 2017. Sa venue, que je n’avais pas annoncée, a été un moment d’échange inoubliable avec les étudiant.e.s qui, pour la première fois, pouvaient parler avec l’écrivain au célèbre casque colonial.

46

Contrairement aux départs qui se font maintenant surtout la nuit, l’étudiant.e parle d’une traversée qui a eu lieu en 1999.

47

Difficile de ne pas penser à Césaire : « et plus d’un qu’on jette à la mer… »

48

Cité dans Jean-Claude Hazera et Michel Parouty, « Quand Amin Maalouf écrit pour l’opéra », consulté le 30 juin 2021, https://www.lesechos.fr/2001/11/quand-amin-maalouf-ecrit-pour-lopera-732055.

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'Entré en tant que cousin, sorti en tant que gendarme'

Visa Balladur, Kwassa Kwassa, (im)mobilité et géopoét(h)ique relationnelle aux Comores

Series:  Africa Multiple, Volume: 2