Un écosystème relationnel suscite de la multiattractivité. Les mobilités du monde ne se feront plus comme on le voit encore, de la pauvreté vers la richesse, du dominé vers le dominant, de la guerre vers la quiétude, de la pénurie vers l’abondance. Elles actionneront une cartographie des désirs erratiques, les stimulations imprévisibles de l’inconnu, de l’étrangeté, du possible ou de l’impossible. Une sentimographie de la mondialité.
PATRICK CHAMOISEAU, FRÈRES MIGRANTS. PARIS: SEUIL, 2017, 103
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Terminer le chapitre précédent avec ‘le chant du passeur’ était une manière d’annoncer les couleurs du troisième angle qui porte sur les modalités de l’écriture : esthétique, poétique et éthique. En faisant référence à ce poème en vers libres, poème-bilan, poème de déculpabilisation mêlée à la culpabilisation, poème-cri de colère, poème-enterrement, poème-juge, poème-trajectoire, poème qui exprime subtilement l’intranquillité de Sain’Sauf qui n’est ni sain(t) ni sauf, j’introduis la question de l’écriture « cassée », en réponse à la malmémoire et aux nombreuses vies cassées par le visa Balladur.
Né dans une région, dans un embryon de pays en déshérence, pris en tenaille entre l’assimilation à la France ou le cantonnement dans le surplace comorien, le choix de la langue d’écriture est toujours l’objet d’une ‘distorsion psychologique’. La question posée par Patrick Chamoiseau me revient à chaque fois à la figure comme un boomerang : Comment écrire dominé ? Comment exprimer cette poésie dans cette langue qui au fond exige de soi une traduction d’une émotion qui s’en trouve forcément trahie puisque non exprimée dans la langue maternelle? Comment la faire exister loin de l’ombre de la grande édition bon chic bon genre?2
Les auteur.e.s répondent à la violation du territoire et au « viol » de l’imaginaire linguistique, au mécanisme de fabrication, de circulation et de consécration biaisées des œuvres par ce que je qualifie d’écriture décoloniale. C’est une écriture centrée sur ce que Mignolo (2013) a appelé la « géographie des sensibilités », car les auteurs utilisent le français à des fins utilitaires et surtout contestataires.
La décolonialité étant principalement une attitude à l’égard d’un système et, dans ce cas de figure, une attitude envers la langue et les genres littéraires, je m’appuierai exclusivement sur quelques textes des auteurs originaires des Comores, dont le rapport au français est un autre volet de la blessure, pour aussi aborder les notions de « coolitude » (Torabully); « d’esthétique de la vulgarité » (Mbembe); « d’intranquillité » (Pessoa) et de « bricolage générique » (Marson).
Je regroupe ces approches parce qu’elles se rejoignent dans l’optique de dépasser le « canon » occidental et, dans ce cas d’étude, aller au-delà du français standard, langue de l’empire des confettis. Par ailleurs, ces approches sont suggérées par des chercheurs qui s’expriment du point de vue de l’expérience « postcoloniale », voire néocoloniale sur le plan linguistique. J’ai donc choisi comme grilles théoriques de lecture des paramètres proposés par des penseurs qui ont, comme les auteurs étudiés, une vision commune de la résistance aux nouvelles formes de pouvoir et aux tendances à l’homogénéisation.
1 Bricolage générique et coolitude
Comme leurs îles natales sont des lieux d’observation privilégiés des rencontres culturelles, les littératures ‘indocéanes’, qui déconstruisent les genres canoniques et les réélaborent tout en voulant unifier ces recréations sous des appellations traditionnelles, apparaissent comme le reflet de « l’Allant du Tout-Monde » et de sa littérature. Cette tension entre science et bricolage, ces allers-retours, semblent constituer la dynamique du processus de création littéraire et la condition de sa possibilité, de sa fécondité.3
Il faut noter que pour Marson, le bricolage n’a rien d’essentialiste. Comme les kwassa kwassa, l’écriture-bricolage est une réponse-résistance aux normes qui étouffent et ne conviennent pas au contexte. Il s’agit d’un renouvellement de l’écriture qui fait écho aux espaces dans lesquels la littérature prend corps, d’amener les textes, les registres de langue et les genres vers de nouveaux espaces. L’indiscipline générique qui n’est pas à confondre avec l’hybridité générique, est consubstantielle aux textes du corpus. Comme je l’ai souligné dans la partie 1.2, il est question d’un corpus varié composé de: roman-essai,4 roman-factuel, roman-témoignage, roman-documentaire, théâtre de l’absurde, poèmes, poèmes-deuils, nouvelles et texte-passerelle. Au-delà des catégories ouvertes auxquelles les textes appartiennent, il est intéressant de noter ce qui se passe à l’intérieur des genres.
Testaments de Transhumance et Malmémoires de Saïndoune se lisent bien comme des carnets de route, des aide-mémoires et des condensés d’histoire. Les extraits ‘lu dans la presse’ qui déclinent l’actualité de la tragédie de la traversée et la tragédie de « gaza »5 dans Poëmes de Sambaouma sont comme des collages qu’on peut étudier tel un genre à part. Le poème-funéraire de Soeuf Elbadawi, Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, se lirait aussi comme un brûlot, un pamphlet sur les maladresses de la « Franc(h)e » aux Comores.
Les chapitres épistolaires (V à VII6) dans lesquels Saidali Silahi Boura, le père de Combo, écrit aux présidents français et comorien à la suite du drame dans lequel il a perdu trois petits-fils constituent un réseau interdiscursif dans lequel interviennent la diatribe, le cours de droit international et l’histoire du vote en aval duquel la crise du séparatisme avec les interventions du mercenaire Bob Denard est née.
Messieurs les Présidents, la langue de Molière, le sens de cette belle langue fut détourné pour expliquer l’inexplicable et le caractère nostalgique d’un Giscard d’Estaing rêveur et habité toujours d’un XIXème siècle mélancolique, a fait le reste. La consultation faisait référence ‘aux populations des Comores’ et non à « la population comorienne ».7
Cet extrait illustre les nombreuses références à l’histoire, surtout dans la deuxième partie de Mayotte, un silence assourdissant, qui en font un véritable cours d’histoire auquel le personnage ajoute ses émotions et ses blessures silencieuses et endormies que le décès de ses trois petits-fils a fait ressurgir. Ceci fait de Mayotte, un silence assourdissant un roman historique et un roman d’histoires entremêlées que la narration démêle progressivement au fil des chapitres. Au sujet des histoires qui fusionnent, Paris Mutsa en quête de récit est un cas particulier de la confluence des genres.
Ce recueil, commis à plusieurs mains, est né du désir d’incarner un « lieu », d’être à l’endroit d’une frontière, d’y établir une joute verbale entre un monde et puis l’autre. Les boutriers du pays des lunes parlent volontiers de cet étroit passage qu’est « la passe » en haute mer ou dans les cours d’eau. Un endroit où il faut de la malice et du génie pour échapper au tumulte des eaux ou aux mystères des profondeurs. […] Il a fallu
établir une passerelle entre deux classes de seconde, l’une située à Mutsamudu, l’autre à Paris. Le premier groupe d’élèves a cherché à bâtir un récit sur une histoire de domination récente aux Comores et sur la tragédie du « visa Balladur ». Le second l’a rejoint dans ce work in progress, en empruntant une « petite passe littéraire », suggérée par Soeuf Elbadawi.8
Ces mots qui introduisent le recueil justifient ma dénomination « texte-passerelle », choisie pour qualifier ce projet de dialogue entre deux lieux, le lieu d’écriture étant une catégorie primordiale chez Glissant, car le lieu instruit le texte tout comme le texte détermine le lieu. Les propos du texte deviennent un lieu et une voie d’échange entre Mutsamudu et Paris à travers les voix des jeunes dont les textes sont accompagnés d’images des corps rejetés par la mer sur les plages qui deviennent des « quais des Absences »,9 pour non seulement faire entendre le drame, mais aussi afin de donner à voir la tragédie.
Ce sont aussi les voix des 1200 jeunes qui ont ouvert en 2014 la voie au Prix littéraire des lycéens, apprentis et stagiaires de la formation professionnelle en Île de France à Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents de Soeuf Elbadawi. L’auteur a initié la passerelle qui épouse bien la thèse suivante de Marson (2013): « Les littératures ‘indocéanes’ se laissent donc entrevoir comme des lieux de recherche, d’expérimentation. Chaque texte apparaît comme une table de laboratoire et le creuset d’une opération alchimique particulière. »10
Ainsi, 62 jeunes dont 31 à Mutsamudu principalement (en plus de quelques jeunes à Mayotte et Anjouan) et 31 à Paris ont porté leurs voix dans cette collection qui est une collecte de genres : témoignages, poèmes, interrogations, cours de géographie et d’histoire ; ce qui fera dire à un. e élève : « Je trouve que le visa Balladur ressemble au Mur de Berlin. Il découpe les Comores en deux, et creuse un fossé entre ces îles. Je me demande si ce Visa Balladur se terminera comme le mur… »11
Ce texte qui essaye de casser le « rideau de mer », le « mur de haine »12 entre Mutsamudu et Paris est singulier dans l’éthique du bricolage générique car il part de la lecture par tou. te.s les participant.e.s d’Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, pour aboutir à d’autres textes-axes de réflexion et donner
Paris Mutsa en quête de récit, tout en étant un travail singulier, montre la vie sociale d’un autre travail, le pamphlet de Soeuf Elbadawi qui a été lu en communauté, c’est-à-dire qu’il a été « reçu », pour utiliser le vocabulaire des écoles de la réception, comme l’école de Constance (Jauss & Iser). C’est de la lecture en partage d’Un Dhikri pour nos morts La rage entre les dents qu’est née l’idée du « texte passerelle » Paris Mutsa en quête de récit, en écho au Dhikri (le poème funéraire).
La réception d’un texte a initié la production d’un autre, une production portée par des jeunes lycéens et facilitée par des enseignants des lycées en question comme Dénètem Touambouna à Mayotte et Anssoufouddine Mohamed qui porte ici la casquette d’animateur culturel du Club Soirhane à Anjouan. Tous deux sont, en plus d’être des piliers de la circulation des livres et de la formation à la lecture et l’écriture, des maillons essentiels de la réception des textes dans ce contexte. Après la circulation relationnelle des livres, il est ici question d’un cas de réception relationnelle des livres. Ce type de réception remet par exemple en question l’approche de l’école de Constance, dont j’avais déjà montré les limites en faisant une étude de la réception des romans en langue swahilie au Kenya et en Tanzanie dans un précédent ouvrage.
Le cas de Mayotte est particulièrement dramatique. Ceci explique mon insistance sur la « géographie des sensibilités » qu’on peut allier à la grammaire des motifs, c’est-à-dire à l’ensemble des paramètres tels que l’acte, la scène et les agents clés dans l’écriture du drame comorien. Le drame dont il est question ici est multiple: humain, écologique, économique, identitaire et linguistique.
Malgré son statut de jure comme co-langue officielle dans l’Archipel des Comores, le français est de facto la langue d’une minorité politique et intellectuelle, deuxième, voire troisième langue dans le contexte plurilingue des Comores où le shikomore (Grande Comore), le shidzuani (Anjouan), le shimwali (Mohéli), le shimaore et le shibushi (Mayotte) sont les langues de communication quotidienne, les langues d’affection et les langues du vécu.
On peut saluer à cet égard l’initiative du sénateur Abdallah Hassani qui a abouti le 10 décembre 2020 à l’adoption du shimaoré et du shibushi comme langues régionales de Mayotte.13 Néanmoins, ce pas ne résoud pas entière-ment le problème du statut de ces deux langues vivantes à Mayotte car, en
En attendant le déroulement des phases décisives de la planification linguistique, les auteurs du corpus s’amusent avec le français et l’imaginaire des langues parlées dans l’archipel. De fait, le français représente, pour les auteurs dont j’analyse les œuvres, ce que l’écrivain et médiateur culturel sénégalais Boubacar Boris Diop qualifie de « langue de cérémonie, langue du dimanche ».14 Ceci explique la présence décomplexée des éléments des langues de l’archipel dans les écrits du corpus.
Dans ce cas d’étude, les auteurs jouent avec le français et se jouent du français afin de sortir « la langue de cérémonie » des schémas culturellement intériorisés. Le jeu avec la langue est ainsi une stratégie discursive anticolonialiste des auteurs. J’interpréterai cette démarche comme une réaction décoloniale au vœu politique de créer de nouvelles frontières artificielles entre Mayotte et le reste de l’Archipel, la frontière étant une « institution moderne » mise en place par le projet colonial, ici néocolonial, pour empêcher la culture de la circulation.15
La langue et le travail sur la langue deviennent un terrain du combat symbolique qui s’appuie sur l’imaginaire exprimé dans la langue dans laquelle les normes linguistiques et territoriales sont postulées et marquées. C’est un espace de libération de la langue elle-même,16 de l’imaginaire linguistique et une sorte de « third space » dont parle Homi Bhabha (2003), de langue intermédiaire, d’interlangue qui cadre bien avec les interréalités de l’Archipel des Comores et des autres îles de l’Océan Indien.
Anssoufouddine Mohamed, Nassur Attoumani, Nassuf Djailani, Soeuf Elbadawi, Nassar Sambaouma, Saïndoune Ben Ali et beaucoup d’autres, taillent le français à leurs besoins de revendications vindicatives, esthétiques, poétiques, identitaires, matériels et culturels. Ce faisant, avec l’aide de multiples répertoires
La politique de la littérature n’est pas la politique des écrivains. Elle ne concerne pas leurs engagements personnels dans les luttes politiques ou sociales de leur temps. Elle ne concerne pas non plus la manière dont ils représentent dans leurs livres les structures sociales, les mouvements politiques ou les identités diverses. L’expression « politique de la littérature » implique que la littérature fait de la politique en tant que littérature. Elle suppose qu’il n’y a pas à se demander si les écrivains doivent faire de la politique ou se consacrer plutôt à la pureté de leur art, mais que cette pureté même a à voir avec la politique. Elle suppose qu’il y a un lien essentiel entre la politique comme forme spécifique de la pratique collective et la littérature comme pratique définie de l’art d’écrire.
Le caractère indissociable de l’esthétique et du politique dans les œuvres du corpus est bien définie dans ce passage. Écrire c’est participer à la vie de l’Archipel et agir à travers le travail sur l’imaginaire dans lequel on retrouve beaucoup de traces de la réalité aux Comores. Les textes deviennent à travers les sujets et les itinéraires des personnages un projet de reconstruction de la société et un lieu de la politique de la proximité qui est complétée par la politique de la langue des textes. Les auteurs font aussi de la politique de la langue en célébrant avec fierté leur relation indisciplinée à la langue de l’empire, comme c’est
L’attitude des auteur.e.s sous étude à l’égard du français fait bien écho aux multiples identités présentes dans l’archipel, lesquelles sont en constante interaction dans une dialectique de mutations « points to multiple identities in a dynamic interaction, in a dialectic of mutations ».22 Pour moi, les auteur.e.s sont des agents de ce que je nommerai la poéscience identitaire. Ce néologisme résulte de la troncation, puis de la fusion des mots « poésie » et « conscience ». La poésie exprime la conscience identitaire qui englobe la relation entre les quatre îles et les îles voisines, la religion, les valeurs et les éléments de culture en partage, comme la diversité linguistique. L’objectif de la poéscience identitaire est de sortir les Comores des quatre mots/maux qui ouvrent la nouvelle la république reconnaissante : « conscience comorienne. Conscience brouillée »23
Baroquism, by its ‘impure’, multiple, mosaic consistence, enables this coexistence of opacities. In fact, this poetics allows to use ‘deviant forms and expressions’ to break the order of a system whose language, for efficiency and domination, did not tolerate a spontaneous, dynamic or chaotic approach to language, and therefore favoured communication
and social coercion. In fact, a baroque attitude which is a complex one, brings to the very heart of communication a kind of subversion, where the imaginaire becomes capable of exploding the ‘productive language strategy’ of the centre. Cuban writer Alejo Carpentier clearly described baroquism as a ‘creative impulse’. There is no better way of breaking a compelling strand of communication than by multiplying the levels of possible interpretations, by turning language itself into a contaminated medium where the precedence of transparency is caught in the web of contradictory meanings, in what Eco has called a semiotic game, ‘jeu de la sémiosis’ when referring to Finnegan’s Wake, for instance.24
L’explosion du « centre » linguistique, le chaos créatif, faire tomber les barrières et le jeu de la sémiosis sur le plan de la langue sont des stratégies bien visibles chez Soeuf Elbadawi. S’exprimant sur ses écrits en général et sur Un Dhikri en particulier, il déclarait dans un entretien avec Anssoufouddine Mohamed (2013)25 que l’absence de toute marque de ponctuation dans son poème funéraire est une réponse à la situation absurde/abjecte que le français normé et dominant ne saurait exprimer. Puisqu’il s’agit d’une annonce à la radio, on pourrait aussi lire Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents comme un texte aural qui invite à se focaliser sur l’écoute, à réactiver l’ouïe, aussi éteinte par « la malmémoire épileptique ». (Anssoufouddine)
J’ai aussi emprunté à la tradition poétique de l’idumbio, complainte de deuil, que l’on nous a transmis de manière posée, figée ou immuable, mais, qui, à l’origine, est un poème de facture tripale, également. Il s’agit d’une mère ou d’une soeur, qui raconte le vécu d’un être cher assassiné ou mort. Je pense notamment aux idumbio consacrés à Msafumu et Masimu, des victimes de la conquête coloniale. Ce sont des chants qui partent de l’être profond, en ne s’embarrassant pas d’une règle édictée, au moment de leur scansion originelle. L’affect originel, si je puis dire, l’emporte souvent sur leur recomposition à l’écrit, pour le legs. J’ai, enfin, travaillé sur le wadhufa des shadhuli, un chant très écrit, très littéraire, lorsqu’il est transmis aux initiés soufis, en ouverture du dhikri, mais qui, à l’interprétation, n’est pas assujetti à un jeu de ponctuation, bête et sournoise. Le texte est alors arrimé à une musicalité, au rythme et au souffle des interprètes. J’aime assez cette idée que l’interprète, le lecteur, en ce qui me concerne, peut inventer sa propre lecture, sa propre musique, son propre chant, à partir de ce qu’on lui met à lire entre les mains.28
Soeuf Elbadawi est donc un écrivain-conteur-chanteur qui fait entendre les traditions orales dans son pamphlet. Son écriture est acoustique, non figée et invite les lectrices et les auditrices à participer à l’échange, tout en s’ouvrant aux particularités du contexte, comme c’est le cas avec cet extrait de la Marseillaise. Dans ce poème-chant, un couplet de la Marseillaise est confondu/confronté aux réalités de l’archipel et mélange le baroquisme, l’explosion du français standard et l’implosion des termes de référence culturelle, tout en rappelant le contexte politique tendu dans l’archipel.
Le commandement entend s’instituer sur le mode d’un fétiche. Les signes, les langages et les récits qu’il produit ne sont pas seulement destinés à devenir des objets de représentation. Ils prétendent être investis d’un surplus de sens qu’il n’est pas permis de discuter, et dont on est interdit de se démarquer.32
Grand-mère racontait que c’était à chaque 14 juillet qu’il faisait ses crises. Dès que la radio entonnait La Marseillaise, il était pris de convulsions. Ses membres se remettaient à bouger. Comme s’il voulait à tout prix se lever, pour faire le salut au drapeau. Il se croyait encore sur le champ de bataille, là-bas sur le front de Djibouti. De la chambre, on discernait mal ses hurlements, mais on croyait entendre : À bas Hitler ! À bas Mussolini ! À bas ! Vive la France. Vive la France libre ! Papy était très diminué, il s’accrochait à des souvenirs. La guerre l’avait laissé presque pour mort, traumatisé à vie. Toute l’année, il dormait, le Coran sur le cœur, sauf les 14 juillet. Il y avait comme une horloge interne, qui le réveillait pour le salut militaire.33
La Marseillaise mythifiée par Papy qui vit essentiellemt des souvenirs est complètement démythifiée par Elbadawi. Dans le même ordre d’idées, Elbadawi dénonce et renverse les schémas de représentation, il dédouble le sens de la Marseillaise en lui contestant le rôle de « fétiche ». C’est pourquoi des noyés prennent la place des enfants héroïques de la nation; le jour de gloire se transforme en jour de deuil; la tyrannie a asphyxié la liberté et de braves citoyens ont cédé la place aux bâtards. Ensuite, le contexte de la chanson a été bouleversé afin de faire écho au désastre de la traversée; ce qui explique la présence dans la chanson de requins avides de sang humain, prêts à faire un festin des corps des victimes pour lesquelles même dire une prière devient difficile.
Pour Papy, le 14 juillet est le jour de renaissance, sa raison de vivre. Chez Souny, dans Mayotte Suicide, il est plutôt question du 14-JUILLET, CONTRE-PRIÈRE qui se récite comme suit :
D’un côté, il y a une marâtre qui se sert des nerfs de bœuf,36 outil de violence corporelle pendant la colonisation. D’un autre côté, il est question des « enfants de catins, de bâtards et tortillons » chez Elbadawi cité plus haut. L’auteur touche à l’esthétique de la vulgarité (Mbembe) sur laquelle je reviendrai dans la partie suivante, pour soulever un sérieux problème de mœurs dans l’archipel. Cela rappelle les nombreux mineurs abandonnés à leur sort et souvent à la délinquance juvénile37 (Tropique de la violence) à Mayotte car leurs parents considérés clandestins ont été refoulés vers les autres îles de l’archipel. Il arrive aussi qu’au retour de l’école, les enfants se rendent compte que les parents ne sont plus à Mayotte.
Par ailleurs, cela renvoie à l’identité qui est historiquement multiple car l’Archipel des Comores a été le site de communion des influences africaines, arabes, indiennes, persanes, malgaches et européennes.
Comment donc accepter que le français s’érige en norme, en code unique pour exprimer les imaginaires dans cet espace du multiple par excellence? C’est ici qu’intervient la notion de conscience linguistique que j’étends à la multiple conscience linguistique.
Pour les auteurs des Comores, la langue est bien plus qu’un moyen d’expression. C’est un outil politique et idéologique pour attirer l’attention sur la situation territoriale confuse à cause des configurations historiques qui ont créé le chaos. Dans De la Postcolonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique contemporaine, Achille Mbembe remarquait que : « la postcolonie
Autrefois soumis à des épreuves de français qui ont laissé des traumatismes identitaires, maintenant, les auteurs soumettent à leur tour le français à l’épreuve et leur usage du français est la preuve d’une dé-fixation du français, clairement opposée à la tendance homogénéisante et globalisante à travers le concept politico-idéologique de francophonie. Ce concept renforce curieusement l’écart entre un « centre parisien » et les autres régions sans lesquelles le français aurait déjà perdu du terrain et « de sa séduction », pour reprendre Boubacar Boris Diop (2018).39
Madagascar, l’Île Maurice et la Réunion font partie de ces terrains que Magali Marson (2013) met au centre de la créativité littéraire en français. Dans son étude des auteurs de cette région, elle associe le bricolage générique à la créolisation pour donner de la visibilité à des espaces littéraires négligés. Le bricolage contient l’idée de jouer avec les genres, déplacer la langue sur des territoires inattendus, mélanger délicatement les codes linguistiques et culturels, transformer les textes littéraires en laboratoires d’où émergeront des expressions créolisées.
Un exemple d’hybridité, du ‘mélangue’, de « créolisation » sortie d’un laboratoire expérimental sur la langue est ce que je propose d’appeler les attoumanismes et les zamirismes, qui illustrent la surenchère langagière et portent les signatures de l’auteur mahorais Nassur Attoumani et de l’auteur anjouanais Ali Zamir.
2 Poétique créole du « mélangue »: Attoumanismes et Zamirismes
L’île balance entre fictions et réalités dans une temporalié éclatée, un temps-oralité qui brouille les identités. Le linéarisme, le monolinguisme, le réalisme d’une certaine conception (dix-neuvièmiste) du roman est impuissante à dire le réel-île, tamane à capter les forces missouculaires qui l’animent, malizé à mettre en senne l’identiterre. Inventer une force romanesque nouvelle qui traverse les frontières génériques pour dire en mélangue l’indécidable de l’identité.
le mélangue, comme le jeu avec l’oral l’indique, est donc à la fois un mélange de langues, une appropriation de la diversité des langues présentes sur l’île (mes langues), et, d’une certaine façon, une langue à part entière (mais langue). Le montre, à un niveau purement typographique, le fait qu’aucun des mots nouveaux issus de la rencontre n’est typographiquement signalé, ni par des italiques ni par des guillemets. Ils ne sont, en aucune façon, présentés comme des corps étrangers à la langue d’écriture ou au discours de l’énonciateur, comme des mots inventés, comme un surgissement de l’étrangeté.
Le mélangue est une sorte de mise en abyme des langues en présence. C’est une forme du « tout-langue » pourrait-on dire, à l’image du « tout-monde » glissantien. Ce procédé d’écriture et d’énonciation est aussi visible chez les voisins indiaocéanais de Robert, les auteurs comoriens bien que le mélangue prenne chez eux surtout la forme des néologismes, des phrases oralisées et des transpositions de sens des langues comoriennes vers le français, comme c’est le cas avec les attoumanismes et les zamirismes. Les attoumanismes sont des (en)jeux de mots créatifs et souvent intentionnellement ambigus, des transpositions culturelles qui sont toujours présentes dans les textes de Nassur Attoumani, qui a une relation tonique et décoloniale au français, qu’il voit
Scientifiquement, il ne s’agit pas d’un conflit de religion, mais de légitimité territoriale. Ce macchabée a violé notre espace maritime. La mer a déposé, à notre insu, son corps sans vie dans nos eaux territoriales. Je pense donc que cet individu doit d’abord rendre compte de son acte irrévérencieux à la France.43
Ce n’est plus un homme qui est « illégal » mais son cadavre. Les attoumanismes sont de subtiles réponses à cette absurde comédie humaine et incluent:
- –Chikungunya (le nom du médecin légiste mais on y voit vite l’association culturelle à la maladie qui paralyse, qui désarticule, qui arrive soudainement et maintient la victime courbée et il y a lieu de se demander si le médecin légiste n’est pas une métaphore de la situation « courbée » de l’archipel.)
- –« Je n’ai jamais embrassé un cadavre »44 ; « on n’a pas besoin d’agresser un mort. C’est in-hu-main »45 répond Mahossa au médecin qui veut savoir s’il a essayé la méthode de réanimation cardio-pulmonaire du bouche-à-bouche.
–« Si tu as un rapport à faire, que ce ne soit surtout pas avec le corps de ce macchabée »46 (jeu de la sémiosis avec le mot rapport qui, ici, a le sens de contact charnel). - –« Dans l’égalité républicaine, tous les cadavres doivent jouir… des mêmes droits »47 (autre jeu de la sémiosis avec le mot jouir qui peut signifier bénéficier de quelque chose ou, dans la logique du rapport sexuel, éjaculer).
- –« Une… une… une autre psy !!! Pour nous dire que cet homme est décédé ? On le sait déjà… »48 Mahossa qui a retrouvé le macchabée dans la mangrove feint de mal entendre le mot « autopsie ». Ceci pourrait être interprété comme le besoin de nommer le mal-aise, unique à ce contexte, et qui exigerait un nouveau vocabulaire, donc une nouvelle thérapie.
- –« Simulateur paradisiaque /simulateur cardiaque »49 autre jeu de la sémiosis mettant en avant ce dont le cadavre aurait eu besoin au lieu du rêve de Mayotte.
- –« Tu es passé à l’ouest »,50 pas « être à l’ouest » qui signifie être dérangé, être fou, est un attoumanisme qui exprime l’idée d’être couché/décédé, de manière analogique au soleil qui se lève à l’est et se couche à l’ouest. Voir l’allusion à l’expression anglaise to go west : être tué, détruit, égaré. Dans « passer » il y a une action, la traversée vers l’ouest, l’Occident représenté par la France à travers Mayotte. Cette expression peut aussi être interprétée comme une nouvelle référence au rideau de fer et du coup, au mur de Berlin. La finalité du passage serait donc la mort aussi bien au sens dénoté qu’au sens connoté.51
- –« Le matérialisme t’a décomorianisé, toi aussi. »52 Le macchabée s’adresse ici à Mahossa. Il s’agit d’une critique du fait que beaucoup de Mahorais renient leur passé, leur lien avec les Comores devant les avantages matériels que présente l’affiliation à la France.
- –« Puissances sans frontières »53 de manière analogique aux Médecins sans Frontières, renvoie à la nature infinie du pouvoir de la France.
Anguille sous roche est un roman entier de trois-cent-dix-huit pages sans frein, à bout du souffle, en UNE seule phrase. Consciente d’être en train de se noyer, il semble que raconter sans pause au rythme des vagues « l’aventure verbale56 » (AR, 97) soit le dernier souffle pour la narratrice autodiégétique. Seules les virgules ponctuent ou plûtot relient l’interminable énumération des faits du roman qui se referme sur un point d’exclamation précédé par une onomatopée « ouf ! » (AR, 318). S’agit-il du soulagement après s’être longtemps accrochée à un réservoir-espoir ou de l’épuisement après « la longue aventure verbale » racontée en six chapitres ? On ne saurait le dire avec certitude. Au moins, ce que l’on peut dire avec certitude est que cette phrase de trois-cent-dix-huit pages est une célébration de « la poétique du divers » linguistique avec en subtexte la politique des lieux et la politique de la parole dans ces lieux.
je ne vais pas ponctuer ce texte pour caractériser la situation du personnage, l’urgence. Depuis mon enfance j’ai toujours voulu dire ce que je pense mais j’avais peur qu’on me coupe la parole, qu’on m’impose quelque chose que je ne veux pas. Alors, je me suis dit, bon, je vais dire tout ce que je veux en un seul coup.
Ce passage révèle que le roman de Zamir n’est pas seulement un projet artistique mais aussi un espace de prise de parole, de jeu avec la parole, d’abord orale, avant d’être soumise aux normes qui lui coupent son souffle, un espace où l’auteur peut enfin parler sans être interrompu. Le roman devient une arène de liberté personnelle, culturelle, narrative et surtout stylistique car le style est « une manière absolue de voir les choses » (Rancière, 2007 : 19). Néanmoins, Zamir n’est pas naïf. Bien qu’investi dans la démocratisation du style pour poursuivre avec Rancière, il sait bien que la possession de cet espace est éphémère,58 comme la vie et les trajectoires des personnages de ses récits. Il invoque donc tous les registres de langue : oral, courant, inventif, populaire, classique etc. pour pousser les lectrices à dépasser leurs grilles de lecture conventionnelles.
À l’image de la narratrice Anguille, le français est chez Zamir une langue que l’auteur aide à sortir de sa roche en lui faisant découvrir des territoires et des expressions qui l’enrichissent. Le français bégaye et a besoin d’être sorti de sa zone de confort. Voici quelques exemples de passages dans lesquels les lecteurs/lectrices sont appelé.es à se détacher des usages courants et à explorer de nouvelles pistes sémantiques :
- –« [Q]ui est Mussa Mudu déjà, nous le verrons plus tard, il n’est même pas important dans ce que j’aimerais vous parler »59 (insistance sur le côté oral et tout simplement l’acte d’aligner des mots; transfert culturel du Shidzuani)
–« [Il] était revenu de la plage et continuait toujours de parler comme s’il avait bu de l’eau de cabinets comme on dit chez nous »60 (délirer, tenir un langage démesuré) - –« [Q]uand une anguille crève, elle n’arrête pas de serpenter, même en chiant partout, jusqu’à ce qu’elle arrive là où elle souhaite, c’est ce que je fais maintenant, ouvrez bien donc vos fesses et comprenez la suite »61 (ici est détournée une expression consacrée, celle d’ouvrir ses oreilles. Est-ce lié au fait que les oreilles, tout comme les fesses comportent l’idée d’ouverture?)
- –« [T]omber amoureuse comme on dit, je ne sais pas, pourquoi dit-on ‘tomber amoureuse’, c’est quoi ce langage-là, pourquoi pas ‘culminer’ ou ‘percher’, quelque chose comme ça, mais ‘tomber’, un verbe de malheur pourtant, c’est un verbe suicidaire, car si l’on accepte de tomber comme ça, alors là c’est grave, c’est comme ça qu’un perroquet finit par avaler sa langue sans le vouloir, le suicide langagier »62 (une invitation à un détour sémantique)
- –« [L]a reconnaissance d’un service rendu à un âne ce sont les pets »63 (sagesse propre à ce contexte culturel)
- –« [I]l paraissait très content et m’avait embrassée dans la bouche »64 (au lieu de sur la bouche. Quand on embrasse langoureusement, n’est-ce pas effectivement « dans » la bouche?)
- –« [O]n gémissait seulement en ouvrant la bouche comme si on avait mangé du piment, oui, l’amour c’est aussi du piment qui pique autrement »65 (belle image qui correspond à l’expression désormais consacrée dans plusieurs pays d’Afrique francophone manger du piment et d’Afrique anglophone to eat pepper, pour dire faire l’amour)
- –« [A]h la petite sait déjà conjuguer tous les verbes dans tous les temps et tous leurs modes, quelle nouvelle »66 (pour parler d’une fille qui a déjà eu des rapports sexuels)
Les zamirismes et les attoumanismes rappellent « la langue et la jouissance »,67 la « diversalité » et « aimer les mots d’abord, plus que les souffrances » chez Torabully. Ils trouvent leur origine dans le désir de mettre en exergue les multiples sens/significations, les interprétations divergentes et les contradictions
By breaching the ‘arbitrariness’ of forms, and of language, by often opening them to a spiral of meanings (‘la signifiance’), the poet of complex identities brings to mind that there is no serene vision of identity therefore, in language or culture, as seen in atavistic prisms. By redefining codes, words, techniques of the narrative, of poetry, he/she mocks at the order of the world, by enlarging to the possibility of many centres of meaning, of a ‘contagion’ of imaginaires. One correlate, opacity in writing, gives the discourse a logic where worlds can meet and can converge from various standpoints. This is what I mean by ‘scriptural equality’ – ‘une égalité scripturaire’ I quote from Glissant. In baroque aesthetics, as in postmodernism, many realities seem to coincide, to correlate with each other, questioning the predominance of one vision.70
L’attitude de la coolitude, du droit à l’opacité dont parlait Glissant face à un code – un ordre linguistique – dont on s’émancipe souvent avec dérision et « l’impulsion créatrice »71 dont parle Alejo Carpentier (cité dans Torabully & Carter), permettent à ces auteurs de s’insubordonner et de matérialiser les multiples niveaux de compréhension, de lecture de l’histoire contenus dans les
3 Intranquillité et esthétique de la vulgarité dans la postcolonie
Elle renvoie, simplement, à l’identité propre d’une trajectoire historique donnée: celle des sociétés récemment sorties de l’expérience que fut la colonisation, celle-ci devant être considérée comme une relation de violence par excellence. Mais plus que cela, la postcolonie est une pluralité chaotique, pourvue d’une cohérence interne, de systèmes de signes bien à elle, de manières propres à fabriquer des simulacres ou de reconstruire des stéréotypes, d’un art spécifique de la démesure, de façons particulières d’exproprier le sujet de ses identités.72
Face au chaos à Mayotte, les auteurs se sont posé la question du langage approprié pour bien décrier la confusion, l’intranquillité, l’assujettissement de l’espace, de l’imaginaire et aux institutions dont la langue française fait partie. Dans cette partie, « l’esthétique de la vulgarité » (Mbembe) qui allie dysphémisme et mise à nu de la langue en lieu et place de métaphores fleuries, est célébrée afin de maintenir la fiction près du réel tragique. La posture d’écriture est un contre-discours sur la grande question de la traversée vers Mayotte et ses conséquences sur les sociétés de l’Archipel des Comores. On peut dire avec Rancière (2007, 31) que les auteurs se donnent la mission de « voyager dans les profondeurs de la société, en inventant cette herméneutique du corps social ».
L’usage décomplexé et dé-standardisé de la langue devient un acte de résistance, de poéscience et de projection d’une identité linguistique, culturelle et littéraire. En analogie à l’homo ludens dans la postcolonie chez Mbembe, certains auteurs transforment la langue en logos ludens. Marimoutou (2006, 218)
Dans le débat sur « la littérature-monde », les langues au capital symbolique important comme l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe et, de plus en plus, le chinois, sont très visibles aussi bien comme langues émettrices que comme langues réceptrices des textes qui circulent – textes considérés comme méritant de circuler – sous forme de traduction73 (voir Pascale Casanova et David Damrosch74). Ceci implique que ces langues fonctionnent comme des instances de médiation c’est-à-dire des supra-langues, des supra-cultures qui bénéficient du pouvoir de légitimer et ou de délégitimer d’autres cultures (Bourdieu, 199675).
Le prestige associé à ces supra-langues et supra-cultures explique le fait que de nombreux écrivains des « anciennes » colonies font le choix souvent pragmatique de s’en servir comme langues de création littéraire pour avoir la possibilité d’être édités, lus et diffusés en dehors des frontières de leurs pays bien qu’elles ne soient pas leurs langues de socialisation primaire.
Ceci est le cas des écrivains de l’Archipel des Comores dans l’Océan Indien qui ont pour langues de socialisation primaire ou langue d’héritage le shimaore (Mayotte), le shidzuani (Anjouan), le shimwali (Mohéli) et le shikomore (Grande Comore). En plus de ces langues de la majorité rendue silencieuse, l’éducation religieuse se fait principalement en arabe et en swahili, une langue aux dimensions historiques cruciales pour l’archipel et qui est encore parlée par des groupuscules de la population, des leaders religieux et par des commerçants transfrontaliers.
Depuis 1995, plusieurs dizaines de milliers de candidat(e)s à la traversée sont resté.e.s dans le « cimetière marin » : « Archipel des Comores : le « visa Balladur » tue ! Abolissons-le » dira le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) dans une pétition le 20 Novembre 2015 pour commémorer 20 années de non-respect du droit international et d’impunité néocoloniale.76
Depuis l’instauration du visa Balladur, les relations entre les Comores et la France sont, pour utiliser un euphémisme, des relations délicates. Toute aussi délicate est la relation à la langue d’écriture qui est ici soumise à un détachement, un décentrement, un relâchement, car se plier aux conventions du français en écrivant sur la traversée imposée vers Mayotte serait s’assujettir doublement à l’empire. D’abord sur le plan de l’histoire tronquée et ensuite en embrassant un code linguistique normé pour interroger une situation que les auteurs trouvent hors norme. Hélias (2006, 119) dit justement que « décadenasser la langue c’est aussi la libérer de certains préjugés qui veulent qu’une langue écrite soit débarrassée de certaines caractéristiques de l’oral. »
Je postule ceci: au-delà des trames narratives qui concernent les différentes trajectoires de la traversée et les récits de vie avant, pendant et après la traversée des ressortissant.e.s d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore vers Mayotte, le désir de subvertir,de décentrer et d’oraliser le français est une résistance artistique à une histoire certes complexe mais pervertie sur plusieurs plans.
Le recours à l’esthétique de la vulgarité est une réponse au mur administratif entre des eaux qui unissent l’Archipel des Comores et qui sont témoins d’une libre circulation depuis des siècles. Ce lien est plus pertinent pour les soixante-dix kilomètres qui séparent Anjouan de Mayotte que l’on voit aisément depuis Domoni (Anjouan).
Traduisant le portugais dessassossego, ‘inquiétude, agitation, trouble’, le terme désigne un manque de sossego, ‘repos, tranquillité, calme, paix’. Fernando Pessoa donne au concept le sens de ‘trouble, anxiété, malaise, peine, décalage par rapport à la vie normale’. Le mot désigne ici la tension, représentée par les protagonistes, entre la volonté d’un avoir historique impossible et son repoussoir, le ‘mal’ d’Histoire, à la fois désir et conscience d’un effort à faire vers cette Histoire écrite par d’autres.78
elle est là pour situer dans quel contexte sociolinguistique et anthropologique se construit le langage du roman, à partir de quel réel il travaille. Ce contexte est présenté comme celui d’une île schizophrène, qui n’arrive pas à gérer ses mémoires multiples et ses relations plurielles avec les mondes qui l’ont conçue, dont la population est maintenue dans la peur de l’autre et le rejet de soi.
Djailani (Comorian Vertigo, plus bas CV), Zamir, Halidi et Sast ont recours à une langue des terrains et des réalités de l’Archipel des Comores. Ils ne caressent pas la langue dans le sens du poil. Ils ignorent les euphémismes de circonstance et expriment sans fioriture leur dégoût –leur malang– de toute la situation et ce qu’elle entraîne, tout en ne cachant pas leur plaisir à donner à leurs languesici langues des îles et le français tel qu’il est parlé aux Comores- et au français la
- –« Les Français lui ont fourré la nationalité dans le cul pour qu’il soit redoutablement efficace. Il connaît tout le monde dans la diaspora »79 pour parler de l’inspecteur-traître Saїd O qui connaît le statut administratif de tout le monde.
- –« Nous avons le cul posé sur le chemin sinueux des gisements de pétrole. Nous avons eu la mauvaise idée de nous poser sur l’épine dorsale du volcan en éveil que sont le Proche et le Moyen Orient »80 pour parler de la situation géographique (mal)heureuse de l’archipel qui est la source des convoitises occidentales.
- –« Nous avons le Malheur de nous retrouver dans ce magasin de porcelaine où les éléphants veulent péter en paix »81 toujours pour rappeler la position géostratégique des Comores et surtout de Mayotte; ce qui explique les intérêts des ‘puissances sans frontières’, pour reprendre Attoumani. Au milieu des grandes puissances qui les écrasent comme des éléphants, les Comoriens sont vulnérables.
- –« La mer a une soif irrémédiable d’hémoglobine »82 une personnification de la mer qui devient un monstre toujours à l’affût, un monstre avec ses requins83 qui se chargent des funérailles des victimes, pour reprendre une image de Paris Mutsa en quête de récit.84
- –« Je suis pris au piège comme un rat mort dans ce huis clos comorien. Faut faire un choix, mais lequel ? Ou je m’engage avec Ayouba dans ces projets macabres, ou alors je moisis ici à enculer les mouches »85 : pour exprimer le désespoir et la décadence face au dilemme comorien.
- –« J’ai juste envie de sortir de ce trou du cul du monde, et lui [Ayouba] il peut me l’offrir ce cadeau. »86
(Dés)habiller la langue est une forme de revers de la rhétorique ; la rhétorique à l’envers, une réponse à l’histoire87 inversée et courbée qui donne à la France les droits sur Mayotte. Djailani (dés)habille la langue française tout en brisant les tabous, l’utilise de manière crue pour exposer « la nécropolitique », comme Jean-Luc Raharimanana avec qui il a d’ailleurs créé les éditions Project’îles.
[A] lors, tu as remplacé mon vin par l’urine du petit, c’est ça, tu vas voir sale pute, amène ta viande […] regarde-moi ça, c’est ce que tu veux non, t’habiller comme les Blancs, je ne sais même pas où tu trouves du pognon pour acheter tout ça, en plus tu changes de chiromani tous les jours comme de slip, explique-moi tout ça, ce n’est même pas du slip d’ailleurs ce que t’as mis là, je ne sais pas moi ce genre de cache-sexe qui ressemble à une ligne de pêche, car il y a bien un poisson à pêcher là-dedans, je vois, c’est plutôt un affiche-sexe, pas un cache-sexe, tu veux être prête à recevoir toutes sortes de queues, parle, tu ne vois pas que ce que t’as mis là traverse juste dans le machin.88
Pute, viande, cache-sexe, poisson à pêcher, affiche-sexe, machin forment le champ lexical de la dépréciation, de la vulgarisation même du corps de la femme dans un contexte culturel où l’usage des mots est généralement bien calculé. Une autre femme, Anguille cette fois, dira aussi sans gêne à l’endroit des hommes, dont Vorace, qui a abusé voracement de son amour naïf, qu’ils
L’amour? L’avait-elle jamais connu ? Elle était fille de divorcée. Divorcée avant même qu’elle naisse, sa mère l’avait élevée seule. Et elle n’avait connu, elle, que la douleur des bites bien faites dans ses entrailles. Avec frustration de mal baisée en sus pour la majeure partie du temps. En effet, tel le paillasson, les hommes de Moroni, éblouis par sa beauté, étaient venus s’essuyer leurs pieds dans sa chatte. Et ne parlons pas de ceux qui la sodomisaient par pur esprit de générosité. Il lui arrivait de se laisser aller à une fellation de principe. C’était rare, je dois dire. C’était uniquement lorsqu’ils se distinguaient dans l’art du cunnilinctus.89 En fait, elle était fille vénale, bien que mariée à un maître du Coran…90
Moroni est ainsi devenu ce vaste baisodrome. Dernier rendez-vous de la ruée des hommes vers l’orgasme. Ruée sans complexe vers le sexe pour être plus exact et plus honnête. Car tout le monde n’a pas son orgasme dans cette affaire. Mais tout le monde ici ne pense qu’à ça ! Petits ou grands, les femmes compris, au lycée ou dans les rues, au dancing de la rose noire comme dans les mosquées. […] Leur bite est devenue l’imam
de nos plaisirs insatisfaits. […] Eh oui ! Bienvenue chez nous ! Au pays de la bonne bourre !92
Le livre saint dans la main droite, le tube de vaseline dans l’autre main! Vous, les intégristes à la barbe en permanente érection! Oui! Vous! Avec vos chapelets qui transpirent l’odeur du sang des vierges! Vous! Avec vos discours de charlatans divins! Vous qui n’avez pas honte de vous servir du Saint Coran pour assouvir la libido, abuser des jeunes filles innocentes comme moi, et, pire, des jeunes garçons encore dans la fleur de l’adolescence. Et ne faites pas ces têtes! Car si je crachais toute ma bile, l’océan changerait subitement de couleur!93
Bien qu’allant dans la logique de l’amplification de la représentation littéraire fictionnelle, les extraits cités dans cette partie soulignent la désespérance, le délire, les désirs, la déréliction devant le drame, les doléances, les destins détruits, les discours divins, le doute, la décadence, le deuil,94 le déchirement, le désarroi, la désillusion, la dépression dévastatrice et déguisée, le dévoilement du déshonneur et de la démesure. Tout ce complexe explique, même de manière symbolique, le recours à au moins un dernier Dhikri d’honneur pour les morts et les âmes mortes de douleur.
On comprend aisément l’angle d’attaque linguistique des auteurs mentionnés dans cette section qui rappelle une conception de l’écriture prônée par un autre écrivain francophone célébré, entre autres raisons, pour son écriture en dehors de la norme, pour son rapport au français sous l’angle du pyjama, la tenue de nuit, la tenue pour s’aller-laisser sans le moindre complexe. Dans son Journal d’un Écrivain en Pyjama, Dany Laferrière, qui a été élu membre de
Dans la même lignée, Mignolo (2013) parle, dans sa réflexion sur la géopolitique, de la sensibilité et du savoir de « déprise décoloniale »96 et de « désobéissance épistémologique ».97 Je conclus que les auteurs pris en compte dans ce chapitre sont bien dans cette logique émancipatrice et indisciplinée qu’est l’écriture décoloniale, avec un discours sur l’Archipel des Comores en déprise totale avec le discours néocolonialiste de la France et une langue – une poésie baroque –, désobéissante à souhait et émancipatrice dans un contexte de crise identitaire et territoriale. Ceci m’amène au dernier point du chapitre: le rôle de l’écriture, de la poésie, de la déprise en temps de crise.
4 Pourquoi la poésie en temps de crise ?
Dans un article intitulé « Pourquoi des Poètes en temps de détresse? La poésie francophone de l’archipel des Comores depuis 1995 », Rasoamanana (2017) propose un inventaire actualisé des poèmes d’auteurs de l’Archipel des Comores depuis 1995, année de la ré-introduction d’un visa entre les quatre îles. Son article complète l’anthologie de Carole Beckett publiée en 1995 et soulève, à la suite de Friedrich Hölderlin et de Theodor Adorno, la question du rôle de la poésie en temps de crise spirituelle, historique et linguistique.
En plus des neuf axes identifiés par Beckett (la patrie, les déracinés, la liberté, les problèmes mondiaux, l’amour, les coutumes comoriennes, l’Humanité, la religion et la nature), Rasoamanana ajoute trois axes d’une importance contemporaine majeure : « le questionnement identitaire, l’immigration vers Mayotte, la fonction du poète. ».98
Mon approche dans ce chapitre rejoint les trois axes supplémentaires délimités par Rasoamanana. En optant pour le décentrement pour parler de la traversée et ses conséquences sociales et morales, les auteurs étudiés sont conscients de leurs rôles d’interrogateurs, de médiateurs, de visionnaires mais
Djoumbé part des exemples du collectif cité ci-dessus, Les démons de l’aube de Salim Hatubou, Les Berceuses Assassines de Said Ahmed Sast et de Testaments de Transhumance de Saïndoune Ben Ali qu’elle présente comme l’œuvre de la nouvelle orientation, pour parler chez trois auteurs et d’une œuvre à plusieurs mains, de la poésie de la rupture, de la virulence, de la colère, de la palabre, de l’engagement, d’une poésie-autre, et surtout, d’une poésie qui se défait des chaînes linguisticoloniales », et par conséquent se libère de son pesant « héritage françaoui » auquel les auteurs disent désormais résolument non.
« L’autre manifeste pour une littérature qui ose dire son non! » est le titre initial que Sadani donnera à sa réflexion dans le collectif publié en ٢٠٠٧ à Komédit, Moroni. Place à une poésie des héritages multiples pour embrayer dans le sillage de Mazrui « The Africans : A Triple Heritage »99, des nombreuses langues, cultures, héritages et des sonorités en partage et en présence, à une poésie du mélange, du mélangue/malang, de la symbiose entre l’aural et l’écrit, de la sémantique plurielle des mots. Rideau à une poésie qui se fout comoriennement de la grammaire et des alexandrins dont les césures ne résolvent en rien la cassure comorienne, une poésie de la transhumance, une poésie du dérèglement et du plaisir « à s’rouler dans les mots’ et, finalement, une poésie du bruit - du son, comme avec l’exemple ‘in ze fess’ au lieu de ‘in the face ».
Soeuf Elbadawi, Nassur Attoumani, Nassuf Djailani, Said Ahmed Sast, Ali Zamir et les autres ont recours à une langue décentrée pour géo grapher100 le drame humain qui se déroule dans l’Archipel des Comores depuis une génération. En (d)écrivant les contours sociaux et moraux de la traversée vers Mayotte avec décentrement, en choisissant de se détourner du français standard et de se retourner contre le français, il s’agit chez les auteurs parcourus d’une résistance par le biais de l’altériCIté linguistique. Les auteurs suivent donc la lignée d’Ahmadou Kourouma (Côte D’Ivoire), de Kateb Yacine (Algérie) et de Kossi
La langue francaise, c’est très bien qu’on l’ait gagnée. C’est-à-dire que c’est une histoire de résistance. Dans les rapports dominants-dominés, la meilleure chose, la chose la plus intelligente que puisse faire le dominé c’est de se saisir de la langue du maître pour qu’il comprenne qu’il n’y a plus de langue du maître. C’est un premier acte de libération.102
La possession change donc de camp car les auteurs étudiés dans cet ouvrage font du français leur aire de je(u), leur terrain d’expérimentation, leur laboratoire imaginatif sur le terrain du ‘maître’, d’où peuvent naître de multiples formes. Le français devient, à l’image de Mayotte pour la France, leur territoire. Au final, ces auteurs donnent de la substance à la notion de Poїein Comoriensis suggérée par Sadani (2011).103 Poїein Comoriensis englobe la poésie, le plaisir de la langue et célèbre toutes les langues à la disposition des auteurs sous forme de langue de socialisation (shikomore, shidzuani, shimwali, shibushi), religion (arabe), éducation (français), de communication est-africaine (swahili) et d’accès aux médias (anglais).
Néanmoins, il ne s’agit point de romantiser la multiplicité des langues, mais de comprendre que ce plaisir de la langue ne peut être atteint/savouré qu’en gardant une oreille attentive aux contextes historiques imbriqués qui ont donné naissance à cette complexité sociolinguistique. C’est donc par extension une « poésie de querelle et de justice ».104
On doit encore un moment revenir à Césaire dont l’esprit est présent chez beaucoup d’auteurs des Comores et citer le passage légendaire de Et les Chiens se Taisaient (1958) dans lequel le rebelle, sur un ton de dureté, décline son identité poésciente comme suit : « Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ;
Il n’y avait que les enfants, à cause de ce que vous appelez des fautes d’orthographe, qui savaient satisfaire notre besoin légitime de communiquer sans les consonnes, ces empêcheurs de s’aimer en rond. […] Nous en avons également assez de figurer dans les déclarations de guerre, les traités iniques, les accords inégaux et tous les fléaux répandus par vous sur cette terre, où les plus forts écrasent les plus faibles d’une manière ou d’une autre.106
Cette nouvelle très expérimentale nous invite, le temps d’une lecture de huit pages, à imaginer la langue française dépossédée de ses voyelles. Pour contextualiser l’idée de l’auteur, nous n’aurions plus d. frt, d. fbl, d rfrnm, d gr.mm.r et c.t.t m.d. r d. v.s /m.r. blldr. Ce serait rideau à la « LRV- D.S- VYLLS- »,107 une révolte qui insécuriserait l’être humain, ramènerait aux choses essentielles, comme « cultiver son jardin »,108 s’étonner qu’un sourd-muet comme Kiziou parle subitement, et rendrait inutilisables les livres et les journaux auxquels nous attachons souvent plus d’importance qu’à l’humain.
Et si nous devions interroger nos confortables habitudes ? Si les voyelles partaient en voyage, en errance tel ce virus, bénin à la base, mais qui méritera une place d’honneur dans les encyclopédies ? Et si les voyelles disparaissaient subitement, comme ce virus qui nous a tous surpris, ce virus qui a bousculé nos certitudes et révélé notre désespérante fragilité, à l’époque dite de l’hyperconnexion, des progrès scientifiques, techniques et en recherches biomédicales ?
Cette révolte tout aussi inattendue que la covid-19/20/21/22/23… pousserait par exemple l’humanité à repenser sa manière de faire, de vivre, de communiquer. Elle redonnerait un autre sens à l’écoute et valoriserait un autre langage, en marge de la hiérarchie imposée par l’empire. Ce langage accorderait plus d’attention à l’ouïe/ au son, à « l’Ohralität » de Peter Utz cité dans le chapitre 3.
Le français, infiltré tant bien que mal dans les esprits et le quotidien, se mêlait à notre imaginaire en fragments. On s’accommodait mal de ce colocataire capricieux mais il avait des atours aphrodisiaques qu’on ne se lassait pas de désirer et de haïr. L’amour et la haine nous liaient à cette langue, comme de vieux amants en rogne. Les cours continuaient d’être dispensés en français, reléguant le comorien à la rue et à la nuit, mais ma mère insistait pour que le français cohabite avec le comorien dans nos échanges.109
Aujourd’hui, le rattachement administratif à la France de La Réunion et de Mayotte, l’écroulement économique de Madagascar, l’anglophonie des Seychelles et de Maurice malgré un récent retour à la langue française, la culture musulmane ressentie comme composante première de l’identité aux Comores pourraient être à l’origine de la fragmentation des identités insulaires dont la littérature francophone récente rend compte.
En m’appuyant sur la décolonialité de Mignolo ; le bricolage générique chez Marson ; le partage du sensible chez Rancière ; le mélangue de Robert ; l’esthétique de la vulgarité de Mbembe ; la coolitude chez Torabully et l’intranquillité chez Pessoa, j’ai montré que le sens profond des textes est à déceler en fouillant dans les formes plurielles et le matériau complexe à la disposition des auteurs. C’est à juste titre que Marson (2013) remarque que « les écrivains affichent leur désir de dialoguer avec les sources dont ils disposent, les genres, les textures. Ils effectuent ainsi un tissage multiforme des références, qui vont de l’oralité traditionnelle ‘indocéane’ à l’Histoire. »112
Il est nécessaire d’étudier de près les signatures des auteurs, en mettant en avant les diverses sources et ressources, les réalités entremêlées qui, ensemble, donnent aux textes leurs (con)textures complexes. Le décentrement linguistique est un mécanisme composite qui regroupe les notions de: retravailler, reconceptualiser les signes, exprimer son désaccord de la situation réélle certes complexe, en se désaccomodant des schèmes classiques, c’est-à-dire en interrogeant sa relation à la langue du/au pouvoir symbolique, à la colonialité du pouvoir et à la version de l’histoire, du passé, conté par ceux qui se considèrent comme les vainqueurs, des personnes à la « mémoire trouée » (Combres) qui ressemblent plus à de vains cœurs, pour m’autoriser un jeu homophonique.
Les gens grimacent parce qu’ils vivent un mal-être dans cette espèce de monde un peu merveilleux qu’on essaye de bâtir pour eux. (…) Je me suis
posé la question de savoir s’il n’y avait pas une nécessité de dire « nous », de dire « je », de nous réapproprier l’autorité discursive, c’est à dire parler en notre propre nom et dire notre propre réalité et non pas laisser à d’autres le soin de nous définir.113
En prenant l’initiative de conter leurs malheurs en s’appuyant sur les sensibilités « comoriennes » et de ce fait élevant les Comores en une « catégorie géoesthétique »,114 les auteurs de l’archipel des Comores attirent non seulement l’attention sur cette région négligée, mais surtout, ils invoquent l’importante question philosophique des morts qui ne comptent pas à l’échelle de la « fraternité » médiatisée. Le chapitre suivant montre comment leur écriture s’inscrit dans une esthétique de la géopolitique de la fraternité en relation.
Il faut tout de même relever que le français est la langue de Chamoiseau, de Fanon, de Mudimbe, etc. Sachant que Chamoiseau, dans la vraie vie, a reçu le prix Goncourt pour Texaco dans la langue française, il faut aussi voir dans cette question le fait que la reconnaissance de ces écrivain.e.s est surtout conditionnée par l’écriture en français et la valorisation de leurs textes dans les cercles de consécration ‘parisiens’.
Djailani, Le songe… d’une probable renaissance… suivi de Roucoulement remanié, 64.
Magali Nirina Marson. « Les littératures ‘indocéanes’ : laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire », Loxias-Colloques, consulté le 18 septembre 2018, http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=430
Sur la question de la perméabilité des deux genres, on peut voir l’important ouvrage récent de Olga Hel-Bongo, Roman Francophone et Essai. Mudimbe, Chamoiseau, Khatibi. (Paris: Honoré Champion, 2019).
Par exemple « le visa Balladur et ceux qui en profitent ont encore tué. Lundi soir, un kwassa-kwassa qui se dirigeait vers Maore a chaviré peu après son départ de Ndzuani. Comme d’habitude, aucun chiffre précis n’a été arrêté quant au nombre des disparus que les rumeurs annoncent à une vingtaine, pour deux rescapés. » Kashkazi, 25 août, 2005. (Poëmes, 94).
Ils s’étendent sur 57 pages; ce qui représente plus de la moitié du roman et rappellent Une si longue lettre de Mariama Bâ (1979), du fait de leur nature confidentielle, récapitulative de l’histoire, thérapeutique, exutoire et sans attente de réponse.
Feyçal, Mayotte, un silence assourdissant, 74–75.
Recueil Collectif, Paris Mutsa en quête de récit, 9.
Elbadawi, Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 29.
Marson. « Les littératures ‘indocéanes’: laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire », non paginé.
Recueil Collectif, Paris Mutsa en quête de récit, 24.
Elbadawi, Un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 7.
Anne Perzo, « Le shimaore et le shibushi officiellement reconnues comme langues régionales », consulté le 15 décembre 2020.
Le shimaore et le kibushi officiellement reconnues comme langues régionales | Le Journal De Mayotte.
Boubacar Boris Diop, L’Afrique au-delà du miroir (Paris: Philippe Rey, 2007), 171.
Mbembe, Sortir de la grande nuit, 227–228.
Dans l’Océan Indien, on peut voir à ce sujet l’important et premier ouvrage de la sorte à la Réunion d’Axel Gauvin (1978) : Du créole opprimé au créole libéré. Défense de la langue réunionnaise.
Rancière, Le Partage, 2000.
Rancière, Politique, 11.
Jean-Louis Robert, À L’Angle-malang. Les maux d’ici (Saint Dénis : Grand Océan, 2004).
Voir par exemple le classique L’Interférence (1987) de l’auteur malgache Jean-Joseph Rabearivelo.
Raharimanana, Jean-Luc, Nour, 1947. (Paris: Le serpent à plumes, 2001), 28.
Marina Carter, Khal Torabully, Coolitude. An Anthology of the Indian Labour Diaspora (London: Anthem Press, 2002), 171.
Fahoudine Mze, la république reconnaissante, 33.
Carter, Torabully, Coolitude. An Anthology of the Indian Labour Diaspora, 174.
Anssoufouddine, Mohamed, & Elbadawi, Soeuf. 2013. Enterrer l’Impensable dans le miroir des vérités sues et bues, consulté le 21 novembre 2017, http://africultures.com/enterrer-limpensable-dans-le-miroir-des-verites-sues-et-bues-11707/
En faisant des rapprochements avec d’autres langues bantoues comme le Swahili kukumbuka [se souvenir, se rappeler] et Ibuka en Kinyarwanda [Souviens-toi, nom donné à une association en mémoire au génocide des Tutsi au Rwanda], on pourrait comprendre le rôle d’Iɓuka, le marginal, comme celui de rappeler le désordre dans l’Archipel, voire de rappeler à l’ordre.
Frédérique Hélias, Les nouvelles formes de la poésie réunionnaise d’expression créole. (Ille-sur-Têt : ÉD. K’A, 2006.).
Anssoufouddine, Mohamed, & Elbadawi, Soeuf. 2013. Enterrer l’Impensable dans le miroir des vérités sues et bues, consulté le 21 novembre 2017, http://africultures.com/enterrer-limpensable-dans-le-miroir-des-verites-sues-et-bues-11707/
Elbadawi, un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 57–58.
Mikhail Bakhtin, Esthétique et théorie du roman (Paris: Éditions Gallimard, 1978), 180.
Serge Gainsbourg, Aux Armes et Caetera (Kingston: Dynamic Sounds Studios, 1979).
Achille Mbembe, De la Postcolonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique contemporaine (Paris: Karthala, 2000), 141.
Nassuf Djailani, « Cet étrange sentiment de ne plus s’appartenir, » in L’Irrésistible nécessité de mordre dans une mangue. Fragments et autres micro-fictions (Moroni: Komedit, 2014), 43.
Souny, Mayotte Suicide suivi de Le Principe Archipel, 21.
Consulté le 25 mars 2020, https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/prier/prieres/372212-je-vous-salue-marie/
On pourrait à ce titre lire le roman Nerf de Bœuf de Nassur Attoumani (2000) chez l’Harmattan.
La délinquance et la violence juvéniles sont aussi un sujet des textes des îles voisines à l’Archipel des Comores. Pour La Réunion, on peut citer le poème en créole réunionnais ‘Ti Gistin’ d’Alain Armand dans Zordi an kasé brisé (Marseille : K’A Pou larg langaz, «Pou koméla», 2004). À Madagascar, on peut se référer à la nouvelle Funérailles d’un cochon de David Jaomanoro qui est bien analysée par Rondro Ravanomanana (2003).
Mbembe, De la Postcolonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique contemporaine, 148.
Diop, Boubacar, Seck, Fatimata. « Mettre sa langue à la première place: Entretien avec Boubacar Boris Diop, » Qui a peur de la littérature wolof? Études Littéraires Africaines no. 46 (2018), 91–105.
Carparin Marimoutou, « Poétique du mélangue et du malang dans le roman réunionnais », Revue de Littérature Comparée (Apr-Jun 2006) : 219–220.
« Offer new vocabularies for reading migration narratives from a decolonial point of view ». Rebecca Fasselt, “Decolonizing the Afropolitan. Intra-African migrations in post-2000 literature.” in Routledge Handbook of African Literature, eds. Moradewun Adejunmobi & Carli Coetzee (London and New York: Routledge Taylor and Francis Group, 2019), 75–91.
Mayotte. Des poissons à chair humaine de Souza s’ouvre d’ailleurs sur l’image du chavirement d’un Kwassa Kwassa qui transportait trente passagers. Cette description plonge immédiatement les lecteurs au cœur de l’horreur.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 29–30.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 13.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 14.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 20.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 21.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 22.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 42.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 56.
Voir à ce sujet la réflexion intéressante d’Ahmed Abdallah Mgueni, 2014. Traversée de Mayotte: les vrais morts sont les survivants, consulté le 7 octobre 2019, https://comoressentiel.wordpress.com/2014/08/31/traversee-de-mayotte-les-vrais-morts-sont-les-survivants/
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 62.
Attoumani, Autopsie d’un macchabée, 75.
On peut citer à ce sujet « Une voix comorienne dans l’océan : oralité et création littéraire chez Ali Zamir » de Crohas Commans (2021).
Axel Gauvin, Romans por détak la lang, démay lo kèr. (Saint-Denis : Editions du Tramail, 1991).
En plus de « l’aventure verbale » dans le roman, l’idée du roman comme une autoaventure est développée avec une grande élégance par Zamir dans son dernier roman (Jouissance, 2022). « Cet enbuissonnement verbal où il est impossible de m’interrompre, effaré, écumant, » (Jouissance, 11) est un « verbe », ici synonyme de roman/livre, qui se raconte, qui raconte ses infortunes de poubelle en poubelle, d’une bibliothèque vers de nombreuses mains avant de terminer sa mésaventure dans une falaise, au terme d’une lutte ardue entre un époux et l’amant de son épouse. Le verbe-livre-témoin-indice qui est personnifié est le narrateur autodiégétique qui s’adresse à ses éventuelles lectrices, leur fait des confidences, leur tient la main et, à travers la vie et les occupations des autres personnages comme Plume, la bibliothécaire, son époux et son jeune amant, les promène dans les bas-fonds de la société qu’il « déshabille » et en fait progresssivement tomber les masques. Ce roman clinique, encore une longue phrase sur deux-cent-trente-quatre pages se termine d’ailleurs par un point d’interrogation, une invitation aux lectrices : « voulez-vouz avouer quelques-uns de vos absurdes secrets, comme un grand, ou une grande, afin d’épuiser, sans trêve, les plaisirs intarissables de votre vie grotesque, et d’ensevelir dans ma veine la dépouille mortelle de la mort ? » (Jouissance, 234).
« Qui est Ali Zamir, l’OVNI littéraire de la rentrée ? », Le Monde, 9 septembre 2016, consulté le 23 novembre 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/video/2016/09/09/qui-est-ali-zamir-l-ovnilitteraire-de-la-rentree_4995182_3212.html
Voir à ce sujet « Vulnérable que je suis: poétique de l’éphémère chez Ali Zamir » (Crohas Commans, 2020).
Zamir, Anguille sous roche, 14.
Zamir, Anguille sous roche, 20.
Zamir, Anguille sous roche, 77.
Zamir, Anguille sous roche, 87.
Zamir, Anguille sous roche, 109.
Zamir, Anguille sous roche, 124.
Zamir, Anguille sous roche, 127–128.
Zamir, Anguille sous roche, 129.
Manisha Goodary-Tauckoor, « Coolitude, l’aventure du signifiant, l’érotisme et la jouissance ». Les Cahiers du GRELCEF, no. 5 (2013): 87.
Rancière, Politique, 23.
Zamir, Anguille sous roche, 183.
Marina Carter & Khal Torabully, Coolitude. An Anthology of the Indian Labour Diaspora (London: Anthem Press, 2002), 212–213.
Carter & Torabully, Coolitude. An Anthology of the Indian Labour Diaspora, 174.
Mbembe, De la Postcolonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique contemporaine, 139–140.
Laachir, Marzagora et Orsini (2018, 302) dans « significant geographies » comme alternative à la « littérature-monde » disent ceci: « to privilege the translation of a text into English or French as marking entry into “world literature” is problematic, since it may not have been so “significant” after all, or may be actively invisibilized. »
Laachir, Karina, Marzagora, Sarah & Orsini, Francesca, “Significant Geographies in Lieu of World Literature,” Journal of World Literature, no. 3 (2018): 290–310.
Casanova, Pascale, La République mondiale des lettres (Paris: Seuil, 1999).
Damrosch, David. What is World Literature? (Princeton: Princeton University Press, 2003).
Bourdieu, Pierre. The Rules of Art. Genesis and Structure of the Literary Field, trans. Susan Emanuel. (Stanford: Stanford University Press, 1996).
Action Collective, « Archipel des Comores: le ‘visa Balladur’ tue! Abolissons-le », consulté le 5 juillet 2021, http://www.gisti.org/spip.php?article5096
Aboubacar Said Salim, « la révolte des voyelles, » in Petites Fictions Comoriennes (Moroni: Komedit, 2010), 13–14.
Marson, « Les littératures ‘indocéanes’: laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire », non paginé.
Djailani, Comorian vertigo, 16.
Djailani, Comorian vertigo, 41.
Djailani, Comorian vertigo, 42.
Djailani, Comorian vertigo, 79.
Dans un cri d’alarme humain et écologique, Aboubacar Said Salim (2015) revient avec ironie sur le symbole du requin : « adorable Balladur tu as inventé un nouveau mode pour conserver les mémoires de nos morts, entre les cendres et l’humus, tu as créé le requin tombeau qui évolue maintenant à coté du requin marteau. Ô frères japonais, qui êtes si friands de requin, vérifiez bien, avant de vous régaler, si vos suchi ne sont pas aux orteils de Comoriens, surtout si le squale vient de l’Océan Indien. »
Recueil Collectif, Paris Mutsa en quête de récit, 19.
Djailani, Comorian vertigo, 88.
Djailani, Comorian vertigo, 97.
Au sujet des versions remaniées de l’histoire, Anguille dira dans Anguille sous roche de Zamir (2016, 147): « je doute toujours de tout ce que racontent ces menteurs d’historiens, je vous l’ai déjà dit je pense, ils croient tout savoir, ils oublient que leurs regards ressemblent à une caméra qui ne peut capter que là où elle est braquée. »
Zamir, Anguille sous roche, 142–143.
Version orginale.
Adjamael Halidi, « le sang bâtard, » in Petites Fictions Comoriennes (Moroni: Komedit, 2010), 18.
Mbembe, De la Postcolonie, 146.
Said Ahmed Sast, « une bouteille à la mer, » in Petites Fictions Comoriennes (Moroni: Komedit, 2010), 27.
Sast, « une bouteille à la mer », 28.
Il s’agit d’un deuil qui ne fait plus forcément verser des larmes car le contexte rappelle le roman de Mongo Béti Perpétue et l’habitude du malheur (1974). Ceci explique la réaction suivante de la famille: « à dire vrai le cousin disparu n’est que fragment d’histoire en déconstruction et Si nous n’avons pas hurlé pas crié pas même jeté une larme dans l’arrière-cour de l’enceinte familiale à l’annonce de sa mort C’est bien parce que le sort de ce peuple nous paraît scellé à jamais Sur un rivage oublié du monde grâce aux numéros de claquettes gagnants orchestrés par l’Immensité Dévastatrice. » Soeuf Elbadawi, un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 56.
Dany Laferrière, Journal d’un Écrivain en Pyjama (Paris: Grasset & Fasquelle, 2013), 161.
Walter Mignolo, « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique, » Mouvements 73 (2013): 183.
Mignolo, « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique, », 186.
Linda Rasoamanana, « Pourquoi des poètes en temps de détresse? La poésie francophone de l’archipel des Comores depuis 1995, » in Les Littératures francophones de l’archipel des Comores, ed. B. Malela, L. Rasoamanana & R. Tchokothe (Paris: Classiques Garnier, 2017), 88.
Alamin Mazrui, The Africans: A Triple Heritage (London: Little Brown & Co, 1986).
Voir l’article « Radical Political Geographies » de Simon Springer (2017) sur les différentes formes de géographie radicale notamment l’approche marxiste ; l’approche postcoloniale/dissidente qui interroge les régimes de valeur/vérité et les constructions discursives qui géo graphent/déterminent la scène politique mondiale et l’approche anarchiste.
Elbadawi, un dhikri pour nos morts La rage entre les dents, 38.
Kossi Efoui, « la littérature, outil de pensée pour un monde meilleur ?, consulté le 22 décembre 2020, Kossi Efoui : la littérature, outil de pensée pour un monde meilleur ? - YouTube.
Sadani, « Pour une poésie qui ose dire son Non! » Project-îles 2, (Moroni-Mamoudzou: Komédit-Upanga, 2011), 76.
Condro, Postface, Le Songe… d’une probable renaissance…, 52.
Césaire, Et les chiens se taisaient, 68.
Said Salim, « la révolte des voyelles », 13.
Said Salim, « la révolte des voyelles », 8.
Said Salim, « la révolte des voyelles », 10.
Djailani, Comorian vertigo, 37.
Dominique Ranaivoson, « D’une île à l’autre, d’une terre à l’autre : regard, mémoire et imaginaire de l’Océan Indien », in Identités, langues et imaginaires dans l’Océan Indien, textes réunis et présentés par Jean-Luc Raharimanana, Interculturel Francophonies 4 (novembre-décembre 2003), 144.
Mignolo, “Delinking: the rhetoric of modernity, the logic of coloniality and the grammar of De-coloniality”, 352.
Marson. « Les littératures ‘indocéanes’ : laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire », non paginé.
Djailani, Nassuf & Moaddem, Nassira « Le grand entretien du Bondy Blog avec Nassuf Djailani, » consulté le 10 octobre 2019, https://www.bondyblog.fr/studio/videos/le-grand-entretien-video/le-grand-entretien-du-bondy-blog-avec-nassuf-djailani/
Achille Mbembe, « L’Afrique qui vient, » in Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui, ed. Alain Mabanckou (Paris: Seuil, 2017), 24.