And maybe we’d all benefit from some epistemic humility
Greg Graffin
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1 Aux origines d’un concept
Sans doute l’anecdote1 est-elle connue ? A toutes fins utiles, prenons toutefois la précaution de la rappeler. Durant l’été 1971, le professeur Stanley Fish assurait successivement, dans la même salle, deux cours, respectivement consacrés aux liens entre linguistique et critique littéraire, et à la poésie religieuse anglaise du XVIIe siècle. A la fin de la première d’une de ces séances, il consigna au tableau, à titre de sujet de devoir, dit-il, la liste reproduite ci-dessus2 ; où les lecteurs versés en ces matières auront reconnu les noms d’éminents spécialistes de grammaire transformationnelle. Avant d’accueillir les étudiants de son second enseignement de la matinée, Fish agrémenta cette succincte bibliographie d’un encadré et d’une imaginaire indication de pagination. Il enjoignit alors son nouvel auditoire d’interpréter ce qu’il présenta comme un poème religieux du XVIIe siècle ; tâche dont, à l’en croire, ces littéraires s’acquittèrent sans difficulté majeure, en en exhumant la signification allégorique.
Si, dans les rangs des théoriciens de la littérature du moins, cette expérience pédagogique est passée à la postérité, c’est parce que, aux côtés d’autres anecdotes en leur principe similaires, elle fournit opportunément (et pour cause…) à Fish un exemple concret lui permettant d’affirmer que « les significations ne sont la propriété ni de textes stables et fixes ni de lecteurs libres et indépendants, mais de communautés interprétatives qui sont responsables à la fois de la forme des activités d’un lecteur et des textes que cette activité produit3. » A la lumière de l’anecdote qui vient d’être rapportée, le premier volet de l’assertion paraît en effet évident : sans doute conviendrait-il en l’occurrence de prendre en considération le rôle joué par Fish lui-même (auteur du cadre, de l’indication de pagination et de la consigne d’étude) dans la diversité des lectures de ses deux groupes d’étudiants ; mais, si l’on accepte de ne pas lui chercher chicane sur ce point, comme il paraît nous y inviter en n’en disant mot, le dispositif pédagogique qu’il a ainsi élaboré fait bel et bien pièce aux conceptions positivistes et/ou objectivistes du texte et de son sémantisme. Pour le dire dans ses propres termes :
La compétence de lecture est généralement conçue comme une capacité à discerner ce qui est là, mais si l’exemple de mes étudiants peut être généralisé, c’est une capacité à savoir comment produire ce dont on peut dire, après coup, qu’il est là. L’interprétation n’est pas l’art d’analyser (construing) mais l’art de construire (constructing). Les interprètes ne décodent pas les poèmes : ils les font (they make them). (p. 62)
Analyser cette citation permet en outre de récuser une objection que certains adversaires de Fish lui ont opposée, non sans mauvaise foi : contrairement à leurs allégations, le théoricien ne présuppose nullement l’inexistence matérielle du texte, ce qui n’aurait aucun sens. Comme le signale justement Yves Citton4, le verbe « faire » (to make) ne renvoie bien sûr pas en l’occurrence à la figure du démiurge donnant l’être à ce qui ne préexisterait pas à son intervention. Aussi, selon lui, « ne faudrait [-il] pas dire que les interprètes “font” les textes, mais que, en présence d’un texte déjà fait, les interprètes peuvent en faire un poème. » (Idem). Ce que la formule y perdrait en force de provocation, elle le regagnerait en clarté et précision, invalidant par là même des critiques injustes – car pour contre-intuitive qu’elle soit, la thèse de Fish n’a rien d’absurde.
Il est toutefois aisé de comprendre l’ampleur et la vigueur des réticences qu’elle a suscitées. En effet, en récusant l’hypothèse essentialiste d’une signification a priori du texte, fixée par les seules relations entre les mots au sein d’un système linguistique normatif, non seulement le théoricien sape-t-il les fondements de la majeure partie des approches en vigueur dans le cadre des études littéraires, de la critique la plus positiviste au structuralisme, en passant par les travaux des « New Critics » ; mais aussi et surtout, il paraît frayer la voie à un total relativisme interprétatif. Si le sens d’un texte n’est plus garanti par ses hypothétiques propriétés intrinsèques, tout se joue dans la performance du lecteur, dès lors pourvu d’une liberté démesurée car absolue. En l’absence de garde-fou contraignant le geste herméneutique, la lecture serait subséquemment vouée à un fonctionnement en roue libre, de sorte que toutes les interprétations se vaudraient. La disparition d’une norme objective capable de jouer le rôle de paramètre discriminant aboutirait ainsi à une totale dérégulation de l’activité interprétative. Telles paraissaient être, dans les grandes lignes, les craintes exprimées en leur temps par Meyer H. Abrams5 et par Eric D. Hirsch6.
Mais, à l’examen, cette peur des potentielles dérives anarchisantes de la pensée de Fish paraît à son tour largement infondée ; et si ses thèses prêtent le flanc à la critique, ce n’est pas en raison de leur hypothétique relativisme, mais à l’inverse de leur déterminisme – qui pour le coup peut paraître excessif. En effet, comme l’a bien perçu Antoine Compagnon7, en dépit des apparences (et encore…), Fish se situe très exactement aux antipodes d’une célébration de l’absolue liberté du lecteur, dont il démontre au contraire avec insistance que l’activité est préconditionnée par tout un ensemble de contraintes intériorisées. Il ne saurait donc être suspect de propension au relativisme, dans la mesure où il n’a de cesse d’affirmer que l’« ego non contraint (the unconstrained self) » (p. 73) constitue une pure et simple impossibilité ; « car l’ego n’existe pas en dehors des catégories de pensée conventionnelles et communautaires qui habilitent ses opérations (penser, voir, lire) » (idem). Et c’est précisément en opposition à l’hypothèse d’une prétendue liberté interprétative individuelle que Fish insiste de façon récurrente sur ce que l’on peut considérer comme la notion centrale de sa pensée :
Si l’ego est conçu, non comme une entité indépendante mais comme une construction sociale dont les opérations sont limitées par les systèmes d’intelligibilité qui l’informent, alors les significations qu’il confère au texte ne sont pas les siennes mais trouvent leur source dans la (ou les) communauté(s) interprétative(s) sur laquelle (ou lesquelles) il repose. (p. 74, c’est moi qui souligne)
Sur la foi de telles déclarations, il ne devrait donc pas être trop difficile de convenir que la position de Fish n’a rien de solipsiste ni de relativiste. Et, rassurons les inquiets, l’auteur de Is There A Text in This Class? ne saurait pas davantage passer pour le chantre de l’incommunicabilité, tout bonnement parce que, à le suivre, entre les membres d’une communauté interprétative donnée, « l’accord est assuré » (p. 76)8.
S’il importait tout d’abord de rendre ainsi justice à Fish, en dissipant au moins pour partie les malentendus ou les craintes que ses thèses ont pu alimenter, il n’en reste pas moins nécessaire d’examiner à présent de plus près la notion de « communauté(s) interprétative(s) », dans l’espoir d’en cerner les tenants et aboutissants, notamment l’éventuelle opérativité empirique – qui est très loin d’aller de soi. A la relecture de Quand lire c’est faire, en effet, force est de constater que l’idée de communauté interprétative, pourtant récurrente, ne fait pas l’objet des affinements auxquels on aurait pu s’attendre. Pour l’essentiel, son inventeur se borne à rappeler qu’il s’agit là d’une structure au plus haut degré contraignante, dans la mesure où elle fait l’objet d’une intériorisation par les membres d’un groupe donné – par exemple le microcosme universitaire – au point qu’ils n’ont pas même conscience du conditionnement auquel ils se trouvent soumis, et jugent les actions qui en résultent « naturelles », au sens de non problématiques. Autrement dit, « les opérations mentales que nous pouvons exécuter (perform) sont limitées par les institutions dans lesquelles nous sommes déjà inclus » (p. 68) ; ce qui revient à affirmer que, au même titre que les objets que nous « faisons » (au sens spécifié plus haut), nous-mêmes « sommes les produits de schèmes de pensée sociaux et culturels » (p. 69). Qu’un « fait » littéraire relève non pas du donné mais du construit n’a rien d’une révélation bouleversante (voyez déjà Piaget9 ) ; et, en dépit du cas qu’en font de nos jours les tenants des « études culturelles », en particulier les spécialistes de « l’intersectionnalité », que toute pensée soit nécessairement située constitue un truisme bien banal. Aussi ce qui confère à la pensée de Fish sa force d’ébranlement tient-il au fait qu’elle ne joue pas tant au niveau sociologique que cognitif ; et pose l’annulation des distinctions endoxales du texte et de la conscience lectrice, mais aussi de l’objectivité et la subjectivité – ces deux dernières notions se voyant congédiées pour cause de défaut de pertinence, en même temps que disparaît toute liberté individuelle du lecteur.
On le voit, et c’est d’ailleurs là une tendance prononcée de ses travaux, du moins des plus célèbres, en dépit des anecdotes sur lesquelles il paraît fonder ses réflexions, Fish se maintient à un très haut niveau d’abstraction et de généralité ; de sorte que nous y rechercherions en vain une définition plus précise de la communauté interprétative. Si ce n’est, toutefois, dans la postface auctoriale tardive rédigée à l’occasion de la parution de Quand lire c’est faire. Y faisant retour sur son itinéraire intellectuel, le théoricien apporte en effet la précision suivante :
L’idée de communauté interprétative était très féconde. Non seulement elle permettait de dépasser la dichotomie sujet / objet [voir plus haut], mais elle expliquait à la fois l’accord – les lecteurs opérant à l’intérieur des présupposés spécifiques à une communauté ont tendance à voir le même texte – et le désaccord – les membres de communautés interprétatives différentes voient, et dans un sens très affaibli, font, des textes différents. Elle donnait également à la critique un nouveau projet – celui de l’étude de l’histoire des communautés interprétatives en vue de l’établissement du registre de l’ascension et de la chute des interprétations. (p. 130)
Si l’affirmation initiale de la fécondité de la notion peut paraître quelque peu tautologique, il en va différemment de la suite du propos, puisque Fish y prolonge ses considérations épistémologiques par l’évocation d’un programme empirique – qu’on pourrait, n’était la lourdeur de la formule, qualifier de « méta-herméneutique historique ». Et ce déplacement d’accent se révèle d’autant plus éclairant que, une fois n’est pas coutume, il est illustré au moyen d’un exemple concret. En effet, Fish rappelle10 qu’il a déjà lui-même, à petite échelle, réalisé ce projet, dans un essai intitulé « Transmuting the Lumb » (transmuer le bloc), consacré aux variations historiques qu’a pu connaître l’interprétation des deux derniers livres de Paradis perdu. Alors qu’en 1942, C.S. Lewis, raisonnant d’après le modèle que constituaient à ses yeux les poèmes linéaires de John Donne, condamnait cette partie de l’œuvre de Milton, qu’il percevait comme « un bloc de futur non transmué » (untransmuted lump of futurity), au début des années 60, sous l’influence de critiques tels que Northop Frye et Joseph Frank, émergea une conception notablement assouplie de la poésie, à l’origine d’une considérable revalorisation des livres XI et XII de Paradis perdu – ainsi « renouvelés ». Si cet exemple est précieux, c’est qu’il paraît témoigner, outre son intérêt épistémologique, de la possible opérativité de la notion de communauté interprétative. Du moins jusqu’à un certain point… car Fish a tôt fait de délaisser le terrain des analyses empiriques pour se livrer à de nouvelles considérations générales, qui ne vont pas sans inquiéter le bénéfice que le critique pouvait escompter de son concept.
Dans un premier temps, il insiste ainsi sur la proximité de la communauté interprétative et d’autres représentations contextuelles de la connaissance, telles que la « dimension d’évaluation » de J.L. Austin11 et le « paradigme » de Thomas Kuhn12 (ou encore les travaux du pragmatiste Richard Rorty13 ) ; avant de signaler qu’il a lui-même eu fâcheusement tendance à ne pas séparer deux dimensions pourtant distinctes dans la notion qu’il a introduite, le normatif et le descriptif : plus précisément « 1. L’effort normatif pour déterminer ce qu’un texte signifie réellement et 2. L’effort historique pour suivre l’ascension et la chute (et, peut-être, la nouvelle ascension) des interprétations » (p. 133). De ce nécessaire distinguo témoignerait par exemple la question de savoir si Satan est ou non le véritable héros de Paradis perdu : que les poètes romantiques l’aient pensé est certes intéressant sur le plan de l’histoire des interprétations, mais ne nous renseigne guère sur la signification du texte de Milton. Fish estime donc que la notion de communauté interprétative est inopérante pour répondre à une telle interrogation, sauf à désirer dissoudre le texte dans l’histoire de sa réception. Au temps pour l’efficacité analytique du concept… décidément subordonnée à la valorisation de son intérêt épistémologique.
En effet, après avoir émis cette réserve, que l’on est d’ailleurs en droit de juger décevante, il affirme qu’en définitive « l’intention de l’auteur […] est la seule candidate possible au statut de source de la signification » (p. 134). Qu’on ne se hâte pas pour autant de crier à la palinodie, en identifiant là une profession de foi positiviste, car Fish s’empresse d’ajouter que : « L’intentionnalisme n’est pas une méthodologie […] [puisque] savoir ce qu’un auteur a voulu ne vous dit pas comment déterminer cette intention. Ça ne vous dit même pas qui est ou ce qu’est l’auteur […] » (p. 135). Dès lors, on s’avise qu’en dépit des apparences il n’y a là nulle répudiation des thèses antérieures : si vouloir spécifier l’intention de l’auteur ne nous dit pas comment le faire, alors ce paramètre en droit discriminant entre interprétations exactes et inexactes ne l’est, une fois encore, qu’au plus haut degré de généralité théorique, et ne nous est d’aucun secours sur le plan des analyses textuelles. Aussi, nonobstant son plaidoyer en faveur de l’intentionnalisme, Fish est-il fondé à conclure que les controverses interprétatives sont appelées à perdurer, en raison des conditionnements sociaux, culturels et épistémologiques qui pèsent sur les divers candidats à l’interprétation : « […] la communauté interprétative est l’espace à l’intérieur duquel l’effort pour spécifier l’intention procède. » (p. 136).
Ajoutons toutefois que Fish s’accommode fort bien de cet inévitable dialogue de sourds. En effet, dans la mesure où il estime que l’activité critique est constitutive de son objet, il est fondé à contester la validité du modèle logique de la démonstration, où les interprétations pourraient être ou non validées à l’aune de faits indépendants ; et à lui substituer celui de la persuasion14, où l’accès aux « faits » est nécessairement médié par une interprétation antécédente, au sens où elle repose sur divers présupposés. Il s’ensuit que l’objectif de la critique ne saurait être d’exhumer quelque vérité objective, mais d’inviter autrui à partager nos croyances, partant à voir dans tel texte ce que nous-mêmes y voyons. Or, on l’aura compris, cet aggiornamento ne fait que confirmer le poids des communautés interprétatives, puisque les croyances auxquelles nous nous efforçons de persuader autrui de croire à son tour sont nécessairement tributaires des déterminismes « communautaires » qui nous façonnent – et régissent à la fois les questions que nous posons aux textes et les réponses que nous y apportons.
Pour autant, Fish relativise aussitôt les implications pratiques de ces considérations, et affirme qu’elles déterminent une position sur laquelle nous ne pouvons pas vivre, mais avec laquelle nous vivons tous (p. 99). En d’autres termes, quoi que nous pensions de la pertinence de ces réflexions, elles ne seraient d’aucune incidence sur nos activités critiques, car à partir du moment où nous délaissons l’espace des spéculations théoriques pour celui des analyses empiriques, il nous serait tout bonnement impossible de ne pas habiter sans réserve nos propres présupposés interprétatifs15. Il s’ensuit que le geste critique ne s’en trouverait en rien entravé. Bref, une fois encore, aussi contre-intuitive cette théorie puisse-t-elle paraître, les craintes qu’elle suscite seraient donc nulles et non avenues.
2 Qu’en penser ? Et qu’en faire ?
Du panorama cavalier qui précède, on inférera aisément que prétendre exercer un droit d’inventaire sur la pensée de Fish relève de la gageure, puisque, entre cercle herméneutique et cercle vicieux, elle forme un système clos, rigoureusement inexpugnable, où les éventuelles critiques sont par avance retournées en arguments favorables à la thèse qu’elles prétendaient contester :
L’idée d’une position qui serait invulnérable à la critique n’a de sens que si vous croyez en la possibilité d’une position innocente de tout présupposé ; c’est bien sûr exactement ce que je ne crois pas, et le fait que mes présupposés soient susceptibles d’être délogés ne réfute pas mon argumentation mais la confirme, puisque c’est une extension de cette même argumentation. (p. 99)
En effet, s’il n’existe aucune préséance du texte sur l’activité interprétative du lecteur, l’hypothèse même d’une position d’extériorité suffisamment stable pour que puisse se déployer avec quelque assurance le geste critique et évaluatif se trouve sapée à la base. De plus, et à vrai dire surtout, quel observateur oserait sérieusement se déclarer vierge de tout conditionnement épistémologique ?… Dès lors, il est impossible d’interpréter ou a fortiori de critiquer Quand lire c’est faire sans en cautionner les thèses, malgré qu’on en ait.
Cela posé, même si elles doivent être versées au compte de la communauté interprétative façonnant la structure de pensée et les valeurs de qui les émet, rien n’empêche de formuler quelques observations sur les positions de Fish. Pour ce que cela vaut, employons-nous y donc… Peut-être s’agit-il là d’un réflexe acquis à la fréquentation de modèles théoriques plus orthodoxes, mais, à la lecture de Quand lire c’est faire, il est difficile de se défendre d’un sentiment d’insatisfaction, suscité par la relative imprécision de la définition de la communauté interprétative, cluster concept dont d’aucuns souligneront la souplesse, d’autres le flou – c’est selon… Certes, les rares exemples mobilisés par le théoricien lui permettent de démontrer (sic) la validité voire l’opérativité desdites communautés dans une perspective diachronique. Qu’il s’agisse de Paradis perdu, analysé par ses soins, ou du Misanthrope, entre autres exemples, chacun peut ainsi à bon droit se convaincre de l’existence, au fil du temps, d’interprétations contradictoires de tel ou tel texte ; qui en élaboreraient autant de « versions » distinctes, façonnées par le conditionnement épistémologique des lecteurs ou critiques.
En revanche, dès lors qu’il prétend s’exercer dans une perspective synchronique, le raisonnement paraît beaucoup moins convaincant, faute d’une suffisante extension de la notion de communauté interprétative, comme d’une réelle élucidation de ses modalités de constitution. Il est bien sûr indéniable qu’à une époque donnée se fassent jour de notables divergences interprétatives de telle ou telle œuvre (disons Le Dépeupleur16 de Beckett) ; mais comment expliquer que, dans le microcosme universitaire, rassemblant des individus soumis au même type de conditionnement historique, social, culturel et épistémologique, de parfois considérables différences herméneutiques puissent émerger ? S’il était confronté à semblable question, sans doute Fish répondrait-il que ces interprétations distinctes voire contradictoires sont en partie déjà là – car héritées de communautés interprétatives antérieures –, partant disponibles. Mais la force de conviction d’un tel argument laisse grandement à désirer, car il demeure impuissant à expliquer quel facteur va orienter tel individu vers telle interprétation plutôt que vers telle autre, ou l’inciter à enrichir l’éventail des interprétations existantes d’une nouvelle « version » de son cru. Si l’on s’efforce de faire nôtres les thèses de Quand lire c’est faire¸ ce paramètre discriminant devrait alors être recherché dans le pouvoir de persuasion supérieur de telle interprétation, fondé sur sa virtuosité et la séduction qui en résulte. Mais l’on voit bien qu’un tel raisonnement ne ferait que déplacer le problème, puisque, à partir du moment où nulle interprétation ne saurait se prévaloir d’une supériorité intrinsèque sur ses concurrentes, il n’explique en rien pourquoi je suis séduit par une position herméneutique parmi tant d’autres. D’autant que, sur le terrain mouvant des interprétations in actu, la logique binaire (le héros de Paradis perdu est-il Satan ou le Christ ?…) n’a qu’exceptionnellement cours, tant les divergences entre positions herméneutiques reposent d’ordinaire sur des distinctions beaucoup plus subtiles.
Toutefois, sans même qu’il soit nécessaire de déplacer le débat sur le terrain des analyses empiriques, transfert dont Fish aurait beau jeu de contester la légitimité en excipant du primat à ses yeux dévolu à l’épistémologique, le problème qui vient d’être signalé insiste – à un degré supérieur d’abstraction, donc. En effet, si l’on délaisse la question de l’interprétation de telle œuvre singulière pour reporter son attention sur celle, proprement théorique, de l’interprétation et de ses limites, quel facteur incitera, à une époque donnée, les membres d’une communauté universitaire donnée, à opter pour les thèses de Stanley Fish, ou à l’inverse pour celles d’Umberto Eco17 ? Sans pour autant remettre en cause l’existence des nombreux déterminismes qui s’exercent sur chacun d’entre nous, il semble que ce choix relève malgré tout d’une « décision » individuelle, voire idiosyncrasique. C’est, me semble-t-il, à peu près ce qu’affirme Antoine Compagnon lorsque, s’efforçant de comprendre la nature intrinsèquement oppositionnelle de la théorie littéraire, il estime que : « Mes décisions littéraires relèvent de normes extra-littéraires – éthiques, existentielles – qui régissent les autres aspects de ma vie18. » Dans cette formule, même s’il peut paraître entrer en tension avec le substantif « normes », l’emploi réitéré du possessif (« mes », « ma ») ne paraît pas indifférent, qui témoigne bien d’un investissement personnel. On aura compris où je veux en venir : tout en convenant que notre pouvoir décisionnaire est réduit à la portion congrue, dans la mesure où il s’exerce sous l’emprise de multiples conditionnements, il paraît tout de même témoigner d’une forme, aussi minimale soit-elle, de liberté – qui échappe à la mainmise de la communauté interprétative.
En formulant ces observations, mon propos n’est pas de « déloger » les présupposés de Fish, puisque – il nous en a charitablement avertis – une telle tentative de contestation, nécessairement fondée sur d’autres présupposés, ne ferait paradoxalement que confirmer son argumentation, dont elle constituerait une maladroite extension. Plus humblement ou prudemment, il ne s’agit ici que de relever un défaut de formalisation – relatif tant à l’extension qu’aux modalités de constitution – de la notion de communauté interprétative, alpha et oméga de la pensée de son inventeur. Mais ce peu n’est pas rien, dans la mesure où ces imprécisions peuvent paraître nuire au pouvoir de persuasion des thèses exposées et défendues dans Quand lire c’est faire ; ce qui est tout de même embarrassant puisque, à suivre Fish lui-même, tel est le seul critère dont nous disposons pour « arbitrer » entre des positions antagonistes. C’est ainsi en regard des principes mêmes qui la fondent que sa théorie manifeste quelque fragilité.
Et il devrait être évident que les réserves ou les critiques gagneront considérablement en intensité à partir du moment où l’on ne raisonne plus en tentant d’intérioriser les cadres de pensée posés dans Quand lire c’est faire, comme je me suis efforcé de le faire jusqu’ici, mais en réfléchissant d’après nos présupposés usuels – cela dût-il manifester notre conditionnement « communautaire ». En effet, dans le champ des études littéraires, l’immense majorité des théoriciens ont coutume d’évaluer la pertinence de leurs modèles abstraits non seulement à l’aune de leur cohérence interne, mais aussi voire surtout en fonction de leurs capacités heuristiques, en particulier de leur rendement analytique. Or, on l’a déjà signalé, Fish n’a de cesse de dissocier ces deux pôles, ce qui le conduit à affirmer que « le fait qu’une thèse n’ait pas de conséquences sur les explications de texte (practical criticism) n’est accablant que d’un point de vue particulièrement étriqué » (p. 100) ; avant d’ajouter que, en dépit de cette inutilité pratique, l’intérêt d’une telle thèse peut être accrédité sur le plan institutionnel : qui parvient à faire avancer les débats sur les sujets que l’institution universitaire juge primordiaux « peut [dès lors] prétendre aux plus hautes récompenses de la profession » (p. 101).
Passons sur le second volet de l’assertion, argument d’autorité dont la recevabilité paraîtra sujette à caution à quiconque n’est pas a priori persuadé que l’Université constitue une infaillible méritocratie, ni adepte de cette variante académique de la « course du rat » (rat race)… Quant au blâme qui le précède (« point de vue particulièrement étriqué »), il peut déjà laisser songeur, dans la mesure où nul argument ne vient l’étayer. Si la fragilité ponctuelle du propos est à ce point gênante, c’est que le problème ainsi éludé de front, non sans brutalité, constitue pourtant bel et bien… un problème digne d’intérêt, qui mériterait plus, et mieux, qu’une telle liquidation condescendante. De fait, l’articulation du théorique et de l’empirique ne se laisse pas si aisément dissoudre dans la seule virtuosité spéculative, comme l’atteste d’ailleurs l’exemple de Fish lui-même, qui fonde ses réflexions sur des cas concrets (la question (« Y a-t-il un texte dans ce cours ? ») d’une étudiante à l’un de ses enseignants, la main levée d’un étudiant durant la prise de parole de son professeur, une liste de noms inscrite au tableau et offerte à l’interprétation19 …), et les illustre au moins ponctuellement par la prise en compte d’interprétations empiriques (les « lectures » divergentes de Paradis perdu, déjà évoquées). Bref, au risque assumé de le lire ainsi contre lui-même, il peut paraître légitime, et intéressant, de rechercher diverses manifestations concrètes des communautés interprétatives, notamment en vue de vérifier si oui ou non un tel changement d’échelle peut contribuer à dissiper le flou environnant la notion. Au prix de sa défiguration ? Telle est la question…
D’un tel projet témoigne l’appel à contributions20 à l’origine du présent volume, dont les auteurs se demandent s’il est possible d’« examiner le fonctionnement d’une « communauté interprétative » (intepretive community) […] à l’aide d’exemples, de case studies » ; et ce sous les auspices de cette formule : « Dis-moi ce que tu lis, et comment tu lis, et je te dirai qui tu es. » Puisque « appel » il y a, tentons d’y répondre… Pour ce faire, il importe avant tout de sérier les problèmes, en distinguant, dans la mesure du possible, deux axes de réflexion ; qu’on présentera pour plus de commodité sous forme interrogative : 1°) Que lis-tu ? 2°) Comment (le) lis-tu ?
Aussi séduisante la formulation originelle soit-elle, force est de faire observer que la première des deux interrogations qu’elle recèle ne ressortit qu’indirectement, par la bande, à la problématique de la communauté interprétative. En effet, à l’examen, elle renvoie plutôt à une « simple » communauté de corpus, de sorte que la question centrale (chez Fish) de l’interprétation n’y est que seconde – voire, dans certains cas, facultative. Cela ne signifie pas qu’un tel questionnement serait dénué d’intérêt, mais qu’il nous engagerait dans des réflexions d’un autre ordre, à dominante sociologique. Qu’on en juge : ceux qui, comme moi, ont commencé à fréquenter les colloques de littérature française contemporaine à la fin des années 90, s’en souviennent peut-être, il était alors à peu près impossible de participer à l’un de ces rassemblements universitaires sans avoir droit, à un moment ou à un autre, à une intervention sur Michon, Millet ou Bergounioux, voire sur les trois à la fois ; avec le sentiment – inconfortable ou réjouissant, selon la sensibilité de l’auditeur –, d’assister chaque fois peu ou prou à la même communication. Ce type d’effet de mode, par essence transitoire, nous renseigne ainsi pour l’essentiel sur les prédilections d’une frange restreinte de la communauté universitaire (en l’occasion, les « francisants », et, en leur sein, les « contemporanéistes »). Certes, l’élection de ce corpus spécifique n’advenait pas en l’absence d’interprétation : si les trois auteurs cités plus haut ont pu faire pour un temps figure de sujets-vedettes aux yeux des spécialistes de l’extrême contemporain (d’alors…), c’est parce que leurs œuvres étaient lues au prisme des notions de filiation ou d’héritage, favorisant une distinction à l’égard de l’esthétique de la rupture emblématisée par les œuvres modernistes qui les avaient précédés. Mais, au même titre que le corpus mobilisé, il s’agissait d’une interprétation elle aussi récurrente, et unanimement partagée, dans laquelle il est tentant d’identifier aujourd’hui un « prêt-à-interpréter » conforme à la noosphère de l’époque. Bref, quoi que l’on pense de la pertinence de la périodisation sur cette base ébauchée, l’intérêt de cet exemple est bien d’ordre avant tout sociologique : ce que nous dit la récurrence de telles communications, consacrées aux mêmes œuvres, c’est : voilà ce qui, à une époque donnée, dans un milieu donné, mérite d’être étudié ; de sorte que la communauté en cause mériterait bien plutôt d’être dite évaluative. Dès lors, mobiliser la notion de communauté interprétative pour rendre compte de ce phénomène risquerait selon moi de quelque peu estomper les contours d’une notion déjà en elle-même pour partie nébuleuse.
Si l’on est prêt à me concéder un glissement momentané de la recherche à l’enseignement, comme y incite le statut d’« enseignant-chercheur » en vigueur dans le système universitaire français, et dans quelques autres, cette communauté de corpus convoque plutôt le souvenir de la célèbre formule de Barthes : « La littérature, c’est ce qui s’enseigne ; un point c’est tout21 ». Dans cette affirmation se donne en effet à lire une manière de liquidation sociologique de la question épineuse, si ce n’est insoluble, de la littérarité. Pour ce qui nous concerne, elle présente également l’intérêt de souligner la dimension implicitement évaluative présidant à la constitution des corpus scolaires ou universitaires. Par la force des choses, qui dit « élection » dit simultanément « éviction » ; et ces opérations connexes adviennent bel et bien sur la base de normes communautaires : les textes choisis le sont au nom d’une conception donnée de la littérature, censément partagée par les membres de l’institution concernée. En attestent exemplairement les programmes de l’agrégation de lettres, où chacun aura pu constater, au fil des ans, la récurrence des mêmes auteurs, au demeurant bien souvent déjà étudiés en classe de khâgne. Est ainsi affirmée une conception patrimoniale de la chose littéraire, à laquelle, dans leur propre intérêt à court terme, les agrégatifs sont invités à souscrire ; avant, le moment venu, de la faire à leur tour partager aux générations suivantes. Or, dans ce cadre spécifique, la dimension communautaire, loin de ne concerner que le choix des œuvres, informe également les méthodes élues. Toute technicité excessive – c’est-à-dire jugée telle dans ce contexte institutionnel singulier – en est proscrite, au bénéfice d’une pratique de la critique littéraire somme toute traditionnelle, éventuellement enrichie des apports marginaux de telle ou telle méthodologie d’ores et déjà assimilée (sociocritique, poétique, voire psychanalyse en version « soft » ou « light »…). Sur quoi viennent brocher les exercices22 mêmes dont les candidats sont censés maîtriser les arcanes – expertise dont jugeront les membres du jury, garants, pour la circonstance, des normes et valeurs de l’institution qu’ils représentent. Candidats méritants et jurés appartiennent ainsi volens nolens à un groupe ressemblant de très près à la communauté interprétative selon Fish : « un ensemble d’individus qui ont intériorisé des normes, des attentes, des visées, des méthodes, des réflexes, des “recettes de cuisine” »23. Cet exemple particulier traduit donc en définitive une convergence des deux interrogations qui nous occupent : 1°) que lis-tu ? Les textes du programme ; 2°) comment (les) lis-tu ? Conformément aux attentes du jury, telles qu’on peut notamment les inférer de la consultation des annales du concours.
Cela dit, ces observations sont très loin de ne valoir que dans le cas de ce concours propre au système éducatif français, et les questions de corpus manifestent bien sûr également une dimension communautaire, fût-ce sous une forme assouplie, dans le domaine de la recherche. On ne compte plus les ouvrages de poétique fondés sur l’analyse des mêmes exemples, de Jacques le fataliste à La Route des Flandres en passant par Madame Bovary, La Recherche, L’Etranger, etc. Entendons-nous, il ne s’agit pas d’en faire grief à leurs auteurs, dont le choix est très probablement motivé, au moins pour partie, par un souci d’accessibilité. Travaillant sur Diderot, Flaubert, Proust, Camus ou Simon, etc., ils peuvent en effet raisonnablement escompter que ces références soient partagées par leurs lecteurs potentiels, dès lors mieux à même d’évaluer la pertinence de leurs analyses. Simplement, si l’on convient qu’il est parfois délicat de tracer une stricte frontière entre constitution du corpus et interprétation, alors on peut espérer que le choix de « supports » différents aboutisse à des « lectures » elles-mêmes pour partie diversifiées.
En témoignerait un ouvrage comme L’Empire du pseudo24 de Richard Saint- Gelais qui, en délaissant la littérature légitimée pour s’intéresser à la science fiction, parvient à dégager les contours d’une autre modernité ; mais aussi les travaux des narratologues postclassiques (en particulier Brian Richardson25 ), dont l’intérêt privilégié pour les œuvres anti-mimétiques les conduit à la fois à élaborer une autre vision de la littérature et à amender les outils d’analyse forgés pour rendre compte de textes plus classiques ; mais encore nombre de recherches transmédiales, nécessitant divers réajustements pour partie similaires26.
Toutefois, en dépit de l’intrication ponctuelle des deux questions qui nous occupent, dans ces exemples, la question de l’interprétation ne saurait sans abus être présentée comme première. Pour l’essentiel, la réponse à l’interrogation « que lis-tu ? » paraît ainsi surtout faire sens dans une perspective sociologique, somme toute assez éloignée des priorités épistémologiques de Fish, comme de la notion de communauté interprétative. Dans l’espoir d’en ausculter plus précisément le possible apport empirique, sans pour autant signifier son congé à la problématique du corpus, il est donc temps de recentrer la réflexion sur les pratiques proprement herméneutiques – en nous intéressant cette fois à la question « comment lis-tu ? », ou plutôt « comment interprètes-tu ? ».
Une nouvelle distinction doit alors être opérée, selon que l’on décide d’envisager les variations interprétatives dans une perspective diachronique ou synchronique. De la première option, Fish nous avait déjà lui-même fourni un échantillon, en analysant les successives « lectures » des livres XI et XII de Paradis perdu. Or ce projet a depuis lors également été actualisé par d’autres chercheurs, en particulier par Vera Nünning, dans un stimulant article intitulé « Unreliable Narration and the Historical Variability of Values and Norms : The Vicar of Wakefield as a Test Case of a Cultural-Historical Narratology27 ». Même si, de façon somme toute surprenante, elle n’y fait pas mention des travaux de Fish, sa position n’en rejoint pas moins sur bien des points celle de son prédécesseur. Comme le titre de son article l’indique, l’étude de cas y est en effet placée au service d’une réflexion de portée beaucoup plus générale, dans la mesure où l’objectif déclaré de Vera Nünning est d’étudier les liens entre analyses de la narration non fiable et évolutions historiques et culturelles présidant au geste critique. Elle l’atteint à la faveur d’un examen scrupuleux des réceptions successives du roman d’Oliver Goldsmith28, qui joue donc dans son entreprise un rôle pour partie similaire à celui de Milton chez Fish. Sans trop entrer dans les détails, disons que, rejoignant les thèses de son époux Ansgar Nünning29, elle commence par prendre ses distances à l’égard de la définition du narrateur non fiable jadis proposée par Wayne C. Booth30. On se souvient que ce dernier fondait un tel diagnostic de non fiabilité sur le possible repérage en texte d’un écart entre les discours et/ou les actes de cette instance et les normes et valeurs de l’œuvre – écart qu’il identifiait le plus souvent chez les narrateurs moralement ou intellectuellement « déficients ». Or Vera Nünnig fait observer à bon droit qu’une telle « déficience » est établie non pas sur la base de propriétés textuelles intrinsèques, mais par contraste avec ce que les critiques considèrent comme le « sens commun », la « normalité » ou encore le « bien ». A partir du moment où une telle axiologie est appelée à connaître d’importantes variations selon les époques et/ou les cultures, il s’ensuit que la narratologie aurait beaucoup à gagner à être historicisée et contextualisée.
C’est ce que Vera Nünning entreprend de démontrer à partir du Vicaire de Wakefield, « case study » ou « test case », donc. Elle rappelle que, de la parution originelle du roman dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les critiques considéraient presque unanimement le narrateur homodiégétique du roman, le Dr Primrose, comme parfaitement fiable ; et ce en vertu de la culture de la sensibilité qui prédominait alors. Pour le dire dans les termes de Fish, les valeurs de cette communauté interprétative aboutissaient ainsi à la construction d’une instance non problématique, dont était notamment soulignée la dignité morale. En revanche, au fil du temps, en particulier à partir des années 60 du XXe siècle, bien des critiques ont élaboré un portrait radicalement opposé du vicaire : celui d’un imbécile, chez qui la fatuité le disputerait à l’hypocrisie, et dès lors impossible à prendre au sérieux ; ce qui en ferait le parangon du narrateur non fiable. Enfin, Vera Nünning met un terme à ce panorama historique en signalant que, des années 80 aux années 90 du XXe siècle, coexistent des interprétations ambivalentes et contradictoires du roman.
Les points de tangence avec les fluctuations historiques de la réception de Milton telles que Fish les analyse sautent donc aux yeux, puisque, en fonction de leur axiologie respective, les critiques d’époques distinctes (appartenant de facto à des communautés interprétatives différentes, dirait l’auteur de Quand lire c’est faire), construisent (ou « font ») des versions opposées de l’œuvre qu’ils étudient. En outre, Vera Nünning paraît rejoindre Fish quant à la thèse de l’inexistence apriorique d’un texte dont il serait possible d’analyser objectivement les propriétés. Elle montre en effet que, là où les critiques du XIXe siècle bâtissaient un texte cohérent et homogène, leurs homologues du XXe siècle donnent naissance à un texte truffé d’incohérences et de dissonances, à commencer par l’écart entre les discours et les actes du narrateur-personnage. Le texte ne serait donc pas toujours déjà là, mais résulterait de la mise en œuvre de systèmes de normes et de valeurs subjectifs, et façonnés par l’ancrage historique et culturel des divers critiques. Les lectures sentimentales et humanistes d’une part, ironiques et cyniques de l’autre, au même degré conditionnées, pourraient donc en apparence être renvoyées dos à dos. Telle serait du moins probablement la conclusion de Fish.
Toutefois, Vera Nünning est pour sa part très loin d’y souscrire, qui milite en faveur de ce qu’elle nomme « un usage responsable du concept de narration non fiable31 » – dont elle estime qu’il doit reposer sur le système des valeurs prédominant à l’époque où le texte a été écrit. Plus généralement, par-delà le cas particulier de la narration non fiable, exemplifié par les vicissitudes de la réception critique du Vicaire de Wakefield, elle insiste sur la nécessité, pour qui souhaite se prémunir contre les dérives interprétatives, de prendre appui sur le contexte originel de production-réception de l’œuvre. Malgré les similitudes partielles de leurs pensées, la position de Vera Nünning ne saurait donc en définitive être confondue avec celle de Fish ; il s’en faut…
Pour autant, plutôt que d’arbitrer entre leurs thèses respectives, ce qui en l’occurrence importe est de signaler la fécondité empirique de la notion de communauté interprétative ; quand bien même Vera Nünning n’use pas de cette dénomination. Mais elle peut sans conteste s’appliquer à ces groupements de critiques dont les lectures sont à l’évidence conditionnées par leur inscription historique et culturelle. Et, comme le signale elle-même l’autrice de « Unreliable Narration and The Historical Variability of Values and Norms »32, des analyses similaires pourraient être conduites à propos de Castle Rackrent d’Edgeworth ; entre autres multiples exemples : que l’on songe en particulier au cas emblématique (déjà signalé) de la perception historiquement variable d’Alceste dans Le Misantrope. La démarche de Vera Nünning rejoint en outre pour partie celle de Marie Parmentier, qui s’efforce quant à elle de théoriser la lecture littéraire à partir d’une modélisation des « effets possibles d’un texte sur un ensemble de lecteurs situés dans le temps33 », donc en fondant ses réflexions sur l’examen de lectures accréditées. Bref, sous les aspects de ce que j’ai nommé plus haut une « méta-herméneutique historique », la notion de communauté interprétative peut être créditée d’une réelle opérativité, ouvrant ainsi la voie à des recherches fructueuses.
Mais, si l’affirmation paraît recevable sur le plan diachronique, l’est-elle au même degré sur le plan synchronique ? Pour qui souhaite répondre à cette question, l’exemple de la célèbre controverse ayant opposé Roland Barthes et Raymond Picard peut se révéler précieux. On se souvient que le premier nommé, alors chef de travaux à la VIe section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, publia en 1963 un recueil d’articles intitulé Sur Racine, puis en 1964 le premier volume de ses Essais critiques34. Le second, professeur à la Sorbonne et éditeur des Œuvres complètes de Racine dans la « Pléiade » (1951), réagit vivement à cette double publication sous forme d’un article intitulé « M. Barthes et la critique universitaire35 », avant de faire paraître chez Pauvert, en 1965, un pamphlet dont le titre dit assez la teneur polémique : Nouvelle critique ou nouvelle imposture. Barthes y répondit à son tour en 1966 dans Critique et vérité36, avant que la querelle s’éteigne graduellement au cours de l’année 1967 – à la veille (ou presque…) de 1968, et du printemps que nous savons.
L’intérêt de cet exemple réside à la fois dans l’unicité de son corpus et dans la considérable divergence des interprétations des deux critiques. On y a fort peu insisté (et pour cause), mais il est au moins un point commun entre Barthes et Picard : tous deux s’accordent quant à l’intérêt qu’il peut y avoir, dans les années 60 du XXe siècle, à élire pour objet d’étude l’œuvre de Racine… Pour autant, affirmer qu’ils travaillent l’un et l’autre sur le même corpus peut paraître discutable, tant chacun d’eux construit à l’évidence son Racine – validant ainsi par anticipation les thèses de Fish… En attestent leurs commentaires diamétralement opposés de cette réplique de Néron à Junie, dans Britannicus : « Si […] / Je ne vais quelquefois respirer à vos pieds37. » Barthes : « Ce que cet étouffé recherche frénétiquement, comme un noyé l’air, c’est la respiration » ; Picard : « “Respirer” signifie ici “se détendre”, “avoir quelque répit” : la coloration pneumatique (dirait M. Barthes) a entièrement disparu. » – et de suggérer avec condescendance au sémiologue de consulter lexiques et dictionnaires. Riposte de Barthes : pour nous, aujourd’hui (c’était hier…), la coloration pneumatique existe bel et bien, car au sens littéral d’origine se superpose ce sens figuré. A chacun son Britannicus… Même si Picard et Barthes sont des contemporains, on mesure à quel point les séparent des présupposés irréconciliables. La méthode du premier se situe à la croisée de l’histoire (il contextualise) et de la critique (il « explique » et évalue) littéraires, dans une perspective positiviste et objectiviste ; celle du second, formaliste et décontextualisée, valorise une interprétation beaucoup plus libre et créatrice, dans une optique subjectiviste et fonctionnaliste. En fait, tous deux interprètent (autre point commun…), mais seul Barthes a conscience de le faire : telle est, entre eux, la pomme de discorde. On peut donc estimer que ce qui les sépare tient à l’irréductibilité de leurs « paradigmes » respectifs, ceux de la critique traditionnelle pour l’un, ceux de ce que l’on nommait alors la « nouvelle critique » pour l’autre.
Or la possibilité même de telles affiliations est loin d’être indifférente, car elle révèle que le conflit en cause ne saurait se limiter à un simple désaccord interpersonnel, et possède indéniablement une dimension communautaire : en l’occurrence, ce ne sont pas seulement deux individus qui s’affrontent, mais les emblèmes de deux courants de pensée. En outre, il ne faut pas non plus négliger le paramètre institutionnel, dans la mesure où la controverse Barthes versus Picard est aussi une opposition, par personnes interposées, entre EPHE et Sorbonne, dont on peut estimer que, jusqu’à un certain point, elle cristallise les dissensions idéologiques qui culmineront au printemps 68. Toutefois, sur ce sujet, dont, afin d’éviter de verser dans la caricature, l’analyse exigerait des développements substantiels, qu’on me permette de renvoyer aux observations nuancées de Christophe Prochasson, dans un article précisément intitulé « Les espaces de la controverse. Roland Barthes contre Raymond Picard : un prélude à Mai 6838 ».
Pour ce qui nous concerne, cet exemple suffit à établir l’opérativité de la notion de Fish, en synchronie également, puisqu’il atteste de l’existence, en une époque donnée, de communautés interprétatives distinctes, dont les présupposés conduisent leurs membres à construire des versions incompatibles du « même » texte – en l’occurrence Britannicus, dont il n’existerait pas d’état ne varietur, antérieur au(x) regard(s) critique(s). A cet égard, à la croisée de la théorie littéraire et de la sociologie, le concept se révèle précieux, en particulier pour l’analyse des multiples controverses qui adviennent dans la République des Lettres. Des analyses globalement similaires pourraient ainsi être reconduites à propos de la vive querelle entre Laurent Jenny et Pierre-Marc de Biasi39, qui se développa dans les colonnes du Monde à la fin des années 90, sous la forme d’articles aux titres évocateurs : « Divagations généticiennes40 » versus « les désarrois de l’herméneute41 »… – entre autres exemples.
Toutefois, deux réserves doivent selon moi être émises. Tout d’abord, ce que j’ai désigné plus haut comme un point aveugle de la notion de communauté interprétative (le flou nimbant la formation et l’extension desdites communautés) insiste sur le terrain des analyses empiriques. Or, sitôt que l’on délaisse les cas d’école (Barthes versus Picard), fondés sur des oppositions massives, ce flottement paraît révéler les limites opératoires du concept. Ainsi, il ne saurait suffire à expliquer pourquoi Jean Ricardou et Bernard Magné s’opposent avec une telle violence à propos de la tentative de réécriture, par le premier, d’un écrit lipogrammatique perecquien42 ; pas plus qu’il ne permet de comprendre le désaccord profond entre Sylvie Patron43 et Gérard Genette44 quant à la question du récit sans narrateur, etc. On en revient donc à la question posée plus haut : qu’est-ce qui, en tant que sujet, motive mon inscription dans telle communauté interprétative, plutôt que dans telle autre ?
Sur la réponse déjà évoquée d’Antoine Compagnon paraît renchérir, dans une perspective psychanalytique, la notion de « paradigme intérieur » introduite par Pierre Bayard, qui en propose la définition suivante : « […] un groupe de questions personnelles (et […] l’articulation entre elles de ces questions), rejouées sur la scène de la recherche, et en modelant inconsciemment et de façon déterminante les directions majeures45. » D’où, lorsque nous échangeons à propos de littérature, inévitable incommunicabilité, ou, si l’on préfère, « dialogue de sourds ». En dépit de similitudes partielles, la pensée de Bayard paraît donc se situer aux antipodes de celle de Fish : pour l’un, il n’y aurait que des sujets-lecteurs, pour l’autre, que des communautés. Simple comme l’œuf de Colomb, à défaut de briller par son audace ou son aspect contre-intuitif, la solution à ce dilemme (Fish ou Bayard ?…), pourrait consister à rappeler que les sujets-lecteurs sont, qu’ils le veuillent ou non, inscrits dans des communautés interprétatives, qu’ils choisissent (ou créent46 ) en vertu de leur propre paradigme intérieur. J’ignore ce que les principaux intéressés penseraient de ce mariage de raison, mais, même en l’absence de leur assentiment, je le célèbrerais volontiers ; dans l’espoir de rédimer ainsi ce qui m’apparaît comme les carences de leurs concepts respectifs. Chacun jugera si cette « union » y suffit, ou non.
Quant à ma seconde réserve, a contrario fondée, cette fois, sur le souci de rendre justice à Fish, elle aurait trait non pas à sa pensée en tant que telle, mais aux usages ou mésusages qui en sont faits, ou risquent de l’être. On peut craindre, en effet, qu’à force de dérives historicisantes et/ou sociologisantes, la notion finisse par ne devenir qu’une étiquette commode parmi d’autres, au détriment de sa pertinence épistémologique. Certes, on l’a vu, l’auteur de Quand lire c’est faire présentait lui-même l’établissement d’une histoire des communautés interprétatives comme un projet critique fécond. Mais, à y réfléchir un instant, est-il si surprenant que le personnage d’Alceste fasse l’objet de perceptions antagonistes dans une société courtisane au XVIIe siècle, et dans une social-démocratie au XXIe siècle ? De même, mutatis mutandis, le fait qu’une militante féministe et un habitué des cercles SM produisent des lectures diamétralement opposées de Projet pour une révolution à New York de Robbe-Grillet mérite-t-il de susciter notre ébahissement ? Entendons-nous : il ne s’agit pas pour moi de me dédire des affirmations antérieures : tant en diachronie qu’en synchronie, la notion de communauté(s) interprétative(s) peut indéniablement se révéler utile, dans la mesure où elle permet d’expliquer nombre de divergences herméneutiques. Un tel apport peut en outre sembler tout particulièrement précieux dans le contexte actuel, où tendent à proliférer les critiques non seulement communautaires, mais communautaristes – dont les présupposés seraient ainsi mis au jour. De plus, moyennant quelque infléchissement, le concept autorise semble-t-il des recherches fructueuses dans d’autres domaines que la critique littéraire, comme le droit47, ou la sociologie – sous la forme, dans ce dernier champ, de la notion apparentée de « communauté d’usage48 ».
Toutefois, pour ce qui concerne l’étude de la littérature, à laquelle, conformément à la position exposée par Fish dans « Folger papers. Un argumentaire contre le « professionnellement correct » dans l’enseignement littéraire49 », ne rêvant pas d’être autre que qui je suis, ni de faire autre chose que ce que je fais, je me limiterai bien volontiers, il me faut persister et signer. Lorsque j’aurai dit que je lis comme je lis parce que j’appartiens bon gré mal gré à telle communauté, de surcroît inscrite dans l’Histoire, je n’aurai pas dit grand-chose que nous ne sachions tous déjà de longue date. Telle est donc ma crainte : que, coupée de sa source, et indûment réduite à cette dimension socio-historique, la communauté interprétative tourne au truisme critique ; le cluster concept devenant ainsi au fil du temps un terme-parapluie, au détriment de sa richesse heuristique. Il risquerait alors de ne constituer au bout du compte qu’un mot-talisman parmi tant d’autres, dont la fonction serait surtout de connoter l’appartenance de qui l’emploie à la tribu universitaire ; confirmant certes par là même, mais sur un mode détourné, et bien décevant, la pertinence de la pensée où il trouve son origine…
Cela dit, pour sauver la notion de ce triste destin, il n’est que de garder présentes à l’esprit les priorités épistémologiques de son inventeur, pour qui l’intérêt principal de la communauté interprétative résidait dans le dépassement ou la liquidation de la dichotomie objectivité / subjectivité qu’elle autorisait. Pour le littéraire, il s’agit bien là d’une problématique essentielle : rien moins que celle du poids respectif que nous pouvons accorder à l’auteur, au texte, au lecteur (ou au critique) et au contexte. En ces matières, nul n’est bien sûr pour autant contraint de souscrire aux thèses de Fish, et l’on sait la fréquence et la virulence des critiques qu’elles ont pu susciter. Mais là pourrait bien résider la force de la notion qu’il a inventée, et plus généralement de sa pensée : inquiétant nos certitudes, l’idée de communauté interprétative nous fait obligation de sonder nos propres présupposés ; nous dispensant ainsi une salutaire leçon d’humilité épistémologique. N’en faisons donc pas une « recette de cuisine » supplémentaire (nous n’en manquons pas…) : bien plus que réponse, elle est – et, selon moi, gagnerait à demeurer – question.
Relatée par Stanley Fish dans « Comment reconnaître un poème quand on en voit un », in Quand lire c’est faire. L’autorité des communautés interprétatives, préface d’Yves Citton, postface de Stanley Fish, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2007, p. 55-77. Cet ouvrage constitue la traduction française de la plupart des textes originellement rassemblés dans Is There a Text in This Class? The Authority of Interpretive Communities, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1980.
Quand lire c’est faire, op. cit., p. 56.
Ibidem, p. 55. Dans ce qui suit, en vue de limiter le nombre des notes infrapaginales, la majeure partie des renvois à Quand lire c’est faire seront indiqués entre parenthèses dans le corps du texte. Dans le même souci d’économie, ne seront précisément référencés que les textes littéraires faisant l’objet d’analyses.
« Puissance des communautés interprétatives », préface à Quand lire c’est faire, p. 5-27 ; p. 22.
« The Deconstructive Angel », Critical Inquiry, vol. 3, n° 3, printemps 1977, p. 425-438 ; « How to do Things with Texts », in Doing Things with Texts: Essays in Criticism and Critical Theory, New York, Norton, 1989, p. 567-588.
« Objective Interpretation », PMLA, vol. 75, n° 1, March 1960, p. 463-479. Référence, on le voit, antérieure aux travaux de Fish.
Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1998, « La couleur des idées ».
En revanche, il en va bien sûr différemment entre membres de communautés interprétatives distinctes, comme nous le verrons plus loin – de sorte que la question du relativisme peut en définitive faire retour…
Jean Piaget, Études sociologiques, Genève, Droz, 1965.
Dans Quand lire c’est faire, op. cit., p. 130 sq. Les lignes qui suivent constituent une synthèse à grands traits du propos de Fish.
J.L. Austin, Quand dire c’est faire (1962), Paris, Seuil, 1970 pour la traduction française.
Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques (1962), Paris, Flammarion, 1983, « Champs » pour la traduction française.
Par exemple Objectivisme, relativisme et vérité (1991), Paris, P.U.F., 1994 pour la traduction française.
Opposition formalisée dans « Démonstration VS. Persuasion : deux modèles d’activité critique », in Quand lire c’est faire, op. cit., p. 79-102.
Cette affirmation peut pour le coup paraître étonnamment positiviste, et somme toute discutable, surtout compte tenu de l’épistémè actuelle. Sur cette question, voir Frank Wagner, « Actualité(s) de Stanley Fish », Vox-Poetica, mis en ligne le 5 janvier 2009, note 15, http://www.vox-poetica.org/t/wagner2009.html.
Au point qu’Antoinette Weber-Caflisch a pu publier un ouvrage précisément intitulé Chacun son Dépeupleur, Paris, Minuit, 1995, « Paradoxe ».
Telles qu’il les a par exemple exposées dans Les Limites de l’interprétation (1990), Paris, Grasset & Fasquelle, 1992 pour la traduction française ; ouvrage dans lequel il entreprend précisément de réfuter les thèses de Fish.
Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, op. cit., p. 25, c’est moi qui souligne.
Ces deux premiers exemples sont évoqués dans « Y a-t-il un texte dans ce cours ? », in Quand lire c’est faire, op. cit., p. 29-53. Quant au troisième, sauf préoccupante amnésie, le lecteur / la lectrice doit s’en souvenir…
Mis en ligne sur le site Fabula, en date du 6 septembre 2021, et consulté ce même jour à l’adresse suivante : https://www.fabula.org/actualites/communautes-interpretatives-ou-dis-moi-comment-tu-lis-et-je-te-dirai-qui-tu-es-universite-d-automne_103497.php.
Roland Barthes, « Réflexions sur un manuel », dans Serge Doubrovsky, Tzvetan Todorov, Jean Alter (dir.), L’Enseignement de la littérature, Paris, Plon, 1971 ; puis Bruxelles-Paris-Gembloux, De Boeck-Duculot, 1981, p. 64.
Dissertation, commentaire composé ; leçon, explication linéaire…
Cette formulation provient de la préface d’Yves Citton, « Puissance des communautés interprétatives », in Quand lire c’est faire, op. cit., p. 20.
Richard Saint-Gelais, L’Empire du pseudo : modernités de la science-fiction, Québec, Nota Bene, 1999.
Par exemple dans Brian Richardson, Unnatural Narrative: Theory, History, and Practice, Columbus, The Ohio State University Press, 2015.
Sur cette question, on se reportera avec profit à l’important article de Raphaël Baroni, « Pour une narratologie transmédiale », Poétique, n° 182, 2017/2, p. 155-175.
Vera Nünning, « Unreliable Narration and the Historical Variability of Values and Norms: The Vicar of Wakefield as a Test Case of a Cultural-Historical Narratology », Style, vol. 38, n° 2 (German Narratology I), été 2004, p. 236-252.
Oliver Goldsmith, Le Vicaire de Wakefield (1766), Paris, Le Livre de Poche, 2017 pour la traduction française utilisée.
Telles qu’elles apparaissent notamment dans deux articles essentiels : Ansgar Nünning, « “Unreliable, Compared to What?” Towards a Cognitive Theory of Unreliable Narration: Prolegomena and Hypothesis », in Walter Grünzweig & Andreas Solbach (éds), Grenzüberschreitungen : Narratologie im Kontext / Transcending Boundaries: Narratology in Context, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1999, p. 53-73 ; et « Reconceptualizing Unreliable Narration: Synthesizing Cognitive and Rhetorical Approaches », in James Phelan & Peter J. Rabinowitz (éds), A Companion to Narrative Theory, Malden, Blackwell Publishing, 2005, p. 89-107.
Wayne C. Booth, The Rhetoric of Fiction, Chicago, The University of Chicago Press, 1961 ; 1983.
« A responsible use of the concept of unreliable narration » (art. cit., p. 245, ma traduction).
Art. cit., p. 238.
Marie Parmentier, « Lectures réelles et théorie littéraire », Poétique, n° 181, 2017/1, p. 125-141 ; p. 140.
Tous deux aux éditions du Seuil.
Raymond Picard, « M. Barthes et la critique universitaire », Le Monde du 14 mars 1964.
Toujours aux éditions du Seuil…
J. Racine, Britannicus (1669), acte II, scène 3. J’emprunte cet exemple, ainsi que les gloses contrastées qu’il inspire à Barthes et Picard, à un cours (en ligne) d’Antoine Compagnon, « Qu’est-ce qu’un auteur ? Onzième leçon : l’illusion de l’intention », disponible sur le site Fabula, et consulté le 11 janvier 2022, https://www.fabula.org/compagnon/auteur11.php.
Christophe Prochasson, « Les espaces de la controverse. Roland Barthes contre Raymond Picard : un prélude à Mai 68 », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, Paris, Société d’études soréliennes, n° 25 (Comment on se dispute. Les formes de la controverse), 2007/1, p. 141-155.
Pour une analyse de cette controverse, qu’on me permette de renvoyer à Frank Wagner, « L“herméneute” et le “généticien” (Retour sur la controverse Laurent Jenny versus Pierre-Marc de Biasi) », Enjeux, 79, hiver 2010, p. 7-40.
Le Monde du 20 décembre 1996.
Le Monde du 17 février 1997.
J’ai analysé cette querelle dans un article intitulé « Intégristes et hérétiques… de la contrainte », Cuadernos de Filologia Francesa, 28, 2017, p. 39-51. Le cas échéant, on voudra bien s’y reporter.
Sylvie Patron, Le Narrateur. Introduction à la théorie narrative, Paris, Armand Colin, 2008, « U », p. 10 et passim.
Gérard Genette, Nouveau Discours du récit, Paris, Seuil, 1983, « Poétique », p. 67-69. On se souvient que Genette entendait y récuser la thèse d’Ann Banfield, exposée dans Unspeakable Sentences: Narration and Representation in the Language of Fiction (1985), ouvrage depuis lors traduit en français, sous le titre de Phrases sans paroles. Théorie du récit et du style indirect libre, Paris, Seuil, 1995.
Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds, Paris, Minuit, 2002, « Paradoxe », p. 143.
Car Fish ne nie pas la possibilité d’une évolution ou d’un renouvellement de ces « cadres de pensée ».
A titre d’exemple, mentionnons l’article d’Olivier Tholozan, « Les communautés interprétatives en droit », Dacoromania Litteraria, III, 2016, p. 103-121.
Sur cette question, voir par exemple Pascal Nicolas-Le Strat, Moments de l’expérimentation, éditions Fulenn, 2009.
Dans Quand lire c’est faire, op. cit., p. 103-123.