Chapter 10 Murtabaʿ al-jund et manzil al-qabāʾil

Pénétration militaire et installation tribale dans la campagne égyptienne au premier siècle de l’ Islam

In: Authority and Control in the Countryside
Author:
Sobhi Bouderbala
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Selon la plus ancienne source islamique d’ Égypte parvenue jusqu’ à nous, les Futūḥ Miṣr d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 275/871), le calife ʿUmar b. al-Khaṭṭāb (r. 12–25/633–646) avait ordonné au gouverneur ʿAmr b. al-ʿĀṣ (en poste 20–25/641–646) d’ interdire aux soldats de prendre possession des terres agricoles égyptiennes, en leur promettant une rétribution pérenne, le ʿaṭāʾ1. Cette interprétation probablement apocryphe nous renseigne sur le système militaro-administratif établi par le nouveau pouvoir musulman en Égypte : le jund, armée de conquête, composé de familles et de tribus, est installé dans une nouvelle ville construite exclusivement pour lui, un miṣr, celui de Fusṭāṭ2, ainsi qu’ à Alexandrie, d’ une façon moins permanente, selon un système de rotation de six mois en occupant les maisons des anciennes élites dirigeantes3. Il était interdit au jund de pratiquer l’ agriculture ou de devenir propriétaire terrien, mais il était récompensé, en contrepartie de ses réalisations militaires, par l’ obtention de lots d’ installation à Fusṭāṭ – les khiṭaṭ – et d’ une rétribution en deux sortes : en espèce, le ʿaṭāʾ, et en nature, le rizq4. C’ est le schéma que nous présentent les historiens musulmans d’ Égypte et qui se trouve confirmé par la documentation papyrologique de la fin du Ier/début du VIIIe siècle, dont le sujet principal est en effet la rétribution du jund de Fusṭāṭ tant en espèce qu’ en nature5.

Cependant, les conquérants n’ étaient pas absents dans la campagne égyptienne : de nombreux documents grecs datant des premières années de l’ administration arabo-musulmane montrent une présence effective dans les circonscriptions administratives d’ Égypte6. Plus importante encore est la présence du jund dans le Delta, le Fayyūm et la Moyenne-Égypte pendant le printemps, le murtabaʿ al-jund, d’ une part ; et la sédentarisation de quelques tribus arabes dans le Delta occidental, par la possession des terres, le manzil al-qabāʾil. Ces informations nous sont transmises par le même Ibn ʿAbd al-Ḥakam dans un chapitre intitulé Dhikr murtabaʿ al-jund, qui détaille le processus de cette présence tant militaire que tribale dans la campagne égyptienne. Malgré les détails précis fournis et le langage administratif auquel recourt l’ historien, ce chapitre n’ a pas attiré l’ attention des chercheurs7. La présente contribution propose par conséquent une analyse de cette « occupation » de l’ espace rural égyptien immédiatement après la conquête.

1 Le murtabaʿ al-jund d’ après le texte d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam

Pour mieux comprendre l’ essence de cette pratique militaro-administrative, il convient au préalable de dire quelques mots sur la méthode utilisée par Ibn ʿAbd al-Ḥakam dans la rédaction de son ouvrage. Comme tous les historiens de son époque, il se fonde sur la méthode de l’ isnād, dans le sens où chaque récit est précédé d’ une chaîne de transmetteurs, censée remonter jusqu’ au témoin oculaire ou transmetteur originel8. C’ est cette méthode qui a valu à Ibn ʿAbd al-Ḥakam le titre de traditionniste9. Cependant, deux textes fondamentaux de son ouvrage échappent à cette méthode. Le premier concerne l’ installation du jund sur le sol de Fusṭāṭ par la distribution des lots d’ installation, à la fois individuels et collectifs10. Cette opération s’ appelle le takhṭīṭ. Dans ce texte, nous remarquons l’ absence totale d’ isnād, l’ information est livrée directement, sans transmetteur. La même méthode est répétée en ce qui concerne la description de l’ installation printanière du jund dans la campagne égyptienne. Les deux textes relatent en fait deux mesures administratives qui sont au cœur du projet mis en œuvre par les nouveaux dirigeants pour la gestion du jund : installation urbaine dans la nouvelle capitale du pays et séjour régulier dans la campagne, à un moment précis de l’ année, pour l’ entretien des chevaux, ainsi que pour l’ approvisionnement en vivres directement chez les contribuables égyptiens.

Le chapitre du murtabaʿ se divise en deux parties. La première est présentée sous la forme de deux récits attribués ʿAmr b. al-ʿĀṣ et d’ un sermon de vendredi, censé avoir été lu par le même ʿAmr au jund, détaillant les raisons et les mécanismes du murtabaʿ ; il est intitulé khurūj ʿAmr ilā l-rīf, “la sortie de ʿAmr à la campagne.” Répondre à la question de l’ authenticité d’ un tel texte reste difficile. Malgré cela, les détails qu’ il contient devaient être inspirés de cette pratique administrative. Le fait de commencer son chapitre sur le murtabaʿ par le sermon en question permet à Ibn ʿAbd al-Ḥakam de jeter les bases de cette pratique, avant de passer à la description de l’ installation militaire dans la campagne.

Les deux récits, assez semblables, précisent la période pendant laquelle le jund est autorisé à s’ installer dans la campagne, le rīf :

Les gens, en revenant de leurs expéditions, se réunissaient à Fusṭāṭ. ʿAmr alla à leur rencontre et leur dit : les vivres (marāfiq) de votre campagne sont prêts [à être consommés], vous êtes autorisés à y aller. Quand le lait devient aigre, et les branches (des arbres) deviennent sèches, et les mouches nombreuses, retournez à votre ville. Je ne veux pas voir quelqu’ un qui s’ est engraissé alors qu’ il a fait maigrir son cheval11.

Il s’ agit donc d’ une sortie circonscrite dans le temps, probablement quelques semaines, pour des buts bien précis : profiter des denrées de la campagne égyptienne pour l’ entretien des soldats et de leurs chevaux. Le sermon donne plus de détails quant au moment opportun de cette sortie, ainsi que sur les produits consommés. La période est difficile à évaluer puisque aucune date n’ est avancée par Ibn ʿAbd al-Ḥakam, toutes les références sont agricoles, relatives à l’ abondance des vivres et à la fertilité des bêtes. Les produits expressément nommés dans le sermon sont le lait et les brebis12. De même que le récit, le sermon insiste sur l’ obligation d’ entretenir les chevaux :

Sachez que j’ inspecterai les chevaux de la même manière que j’ inspecterai les hommes. Celui qui aura fait maigrir son cheval subira une baisse de sa rétribution à la hauteur de la maigreur infligée au cheval13.

Ce passage met l’ accent sur le caractère administratif de cette pratique : il s’ agit d’ une sortie destinée à l’ entretien militaire des soldats et des chevaux. Il faut rappeler que la fin de la conquête de l’ Égypte ne marque pas l’ arrêt des opérations militaires : la Nubie au Sud (31/652), l’ Afrique du Nord à l’ Ouest (à partir de 23/644) étaient les cibles des dirigeants de Fusṭāṭ, ce qui nécessitait une armée toujours au point. D’ où aussi l’ interdiction aux soldats de ne pas s’ adonner aux activités agricoles car, si le motif principal de cette interdiction était selon Ibn ʿAbd al-Ḥakam la pérennisation de l’ impôt foncier, la raison militaire était, elle aussi, d’ actualité.

Après avoir présenté ces récits, Ibn ʿAbd al-Ḥakam passe à la description à proprement parler de cette pratique, à savoir l’ installation du jund dans la campagne selon une organisation très méticuleuse. Dans le texte intitulé Dhikr murtabaʿ al-jund, l’ historien de la conquête donne une liste exhaustive des différents composantes tribales du jund avec leurs affectations respectives dans la campagne égyptienne14. Ce processus administratif devait obéir à une réglementation consignée par écrit de la part des dirigeants de Fusṭāṭ, comme le montre la phrase introductive du chapitre :

Lorsque le printemps et [la saison du] lait arrivait, on autorisait par écrit (kutiba) chaque groupe (qawm) à aller à la pâture et [à la recherche] du lait où bon leur semblait15.

Le langage administratif d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam est précieux pour comprendre les mécanismes de cette pratique. Il insiste sur le fait que cette dernière était consignée par écrit, donc gérée par des administrateurs, et n’ obéissait pas au bon vouloir des tribus. Le terme utilisé pour désigner les groupes est très intéressant car, si le terme qawm est connu dans la littérature généalogique comme l’ une des composantes de la tribu arabe, il a un sens administratif dans le cas précis de Fusṭāṭ. Il désigne les habitants d’ un même lot d’ installation, d’ une même khiṭṭa de Fusṭāṭ, par opposition à ʿashīra, autre terme emprunté au jargon généalogique arabe, désignant les personnes enregistrés dans une même liste administrative dans le dīwān al-jund en vue de l’ obtention du ʿaṭāʾ16.

Le texte d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam donne la liste de vingt-huit qawms occupant, pendant le murtabaʿ, vingt circonscriptions et villages égyptiens. Les régions concernées sont le Delta oriental, le Fayyūm/Arsinoé, al-Bahnasā/Oxyrhynchus et Ahnās/Héracliopolis. Des régions proches de Fusṭāṭ, mais aussi des régions sous le contrôle administratif du nouveau pouvoir comme l’ atteste une abondante documentation papyrologique grecque des années qui suivent la conquête17. Quelques remarques sont à tirer de la liste exposée par Ibn ʿAbd al-Ḥakam. La première est la présence de tous les groupes installés à Fusṭāṭ (mentionnés dans la liste des khiṭaṭ) dans la campagne égyptienne au moment du murtabaʿ, ce qui appuie l’ idée d’ une pratique administrative dûment organisée par les dirigeants de la capitale. La deuxième est le partage d’ une circonscription entre plusieurs groupes : à Atrīb, au nord-est de ʿAyn Shams/Héliopolis, par exemple se trouvaient ʿAkk, Fahm, Ḥaḍramawt et Āl Kaʿb b. Ḍinna. De même, un même groupe pouvait se répartir sur plusieurs circonscriptions : les Maʿāfir étaient présents à Atrīb, Sakhā et Manūf. Ce double phénomène met l’ accent sur le caractère relativement « non-tribal » de l’ organisation du jund puisque les groupes se trouvaient, comme à Fusṭāṭ, mélangés à d’ autres qui n’ étaient pas de la même « filiation »18.

2 Une pratique administrative attestée dans la documentation papyrologique ?

Le texte d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam montre d’ une façon claire l’ existence de cette pratique dans les années qui ont suivi la conquête ; il détaille ses raisons, ses objectifs et donne une description détaillée de la présence du jund dans la campagne égyptienne pendant le printemps. Il est difficile de dire jusqu’ à quelle période cette pratique fut appliquée en Égypte. Un seul indice pousserait à croire qu’ elle était toujours en vigueur à l’ aube du IIe/VIIIe siècle. Un vers poème transmis par al-Kindī (m. 350/961), relatant le raid byzantin sur Tinnīs en l’ an 102/720, durant lequel un grand nombre de mawālī avait laissé la vie, parle du murtabaʿ :

N’ as-tu pas pratiqué le murtabaʿ pour que tu sois informé. De ce que les mawālī ont enduré à Tinnīs19.

Malgré l’ importance de cette pratique administrative dans la gestion militaire du jund, elle ne se manifeste pas, expressis verbis, dans la documentation papyrologique des débuts de l’ Islam. Plusieurs documents grecs, nous l’ avons dit, mentionnent la présence d’ administrateurs arabes dans la campagne, appelés amiras, mais cela ressemble plus à une pratique de gestion des affaires fiscales, plutôt que de l’ attestation d’ une présence militaire du jund dans la campagne. Une lettre arabe envoyée par Qurra à Basile a amené les historiens à conclure que le jund était aussi présent dans la campagne, d’ une façon permanente même puisque la lettre évoquerait un groupe du jund vivant dans la kūra d’ Ishqūh pendant quarante ans20. Pour expliquer cette anomalie, l’ éditeur de ce document, Carl Becker a avancé l’ idée que le groupe en question possédait des terres agricoles, qui étaient gérées par le pouvoir local21. Insatisfait de l’ hypothèse de son prédécesseur, Adolph Grohmann, en republiant le même document, a essayé de rapprocher la fonction de ce groupe du jund à celle des buccelaires de l’ époque byzantine22, ces soldats privés qui apparaissent dans les grands domaines à partir du Ve siècle23. De son côté, Petra Sijpesteijn a avancé l’ idée d’ un groupe installé à Ishqūh suite à la pratique du murtabaʿ, arguant du fait que cette pratique se serait progressivement transformée en une installation permanente24.

La présence permanente du jund dans la campagne égyptienne pose problème puisque toutes les analyses – fondées sur la littérature historique de Fusṭāṭ, mais aussi sur la documentation papyrologique – montrent que son siège est la ville de Fusṭāṭ. Nous proposons ici une révision du passage clé de ce document afin de mieux comprendre la nature de cette présence25 :

‭1‬.… فإنَ ناسا من الجند‬‎

‭2‬.ذكروا لي كتبة [مـ]ـن [قريتهـ]ـم‬‎

‭3‬.كانت تجري عليهم منذ أر‬‎

‭4‬.بعين سنة …‬‎

1.… Un groupe du jund
2.m’a signalé une rétribution de leur [village]
3.qui courait pour leur profit depuis
4.quarante ans …

Le terme qaryatihim (en gras), qui fait référence au groupe du jund et qui laisse à penser que ce dernier était installé dans l’ un des villages de la kūra d’ Ishqūh, a été restitué par Carl Becker, comme le montre les crochets droits ; il ne figure pas dans le texte originel. Il ne s’ agit donc que d’ une interprétation personnelle de la part du papyrologue pour donner sens à cette requête. Elle trouve son origine dans la lecture des lignes 13–16 du même document :

‭13‬.[فـ]ـلا تقدَمن [مـ]ـن قرية من كو[رتك]‬‎

‭14‬.إلاَ سألت أهلـ[ـها]‬‎

‭15‬.عمَا في قريتهم من تلك ا‬‎

‭16‬.لكتبة، و لمن هي …‬‎

13.Ne laisse aucun village de ta circonscription
14.sans demander ses habitants
15.s’ il existe dans leur village une trace de cette
16.rétribution, et à qui appartient-elle …

Carl Becker a cru, si notre analyse est bonne, que le village dont il est question dans ce dernier passage renvoie à celui du jund, ou plutôt au village où vivait ce groupe du jund, d’ où l’ interprétation du mīm final de la ligne 7 du document comme le pronom possessif indiquant le village des soldats en question. Or, le village dont il est question dans la ligne 15 renvoie à des habitants égyptiens que Basile devait questionner au sujet de la kitba. Quant à Adolph Grohmann, il ne semble pas prêter attention à la reconstruction de son prédécesseur puisqu’ il la valide, en enlevant même de son édition le mīm final de la ligne 7 qui légitime le choix du terme qaryatihim26. Certes, le jund touchait une rétribution perçue directement dans la kurā d’ Ishqūh, mais n’y habitait sans doute pas. Le contenu de la requête nous semble avoir été le suivant : Qurra, en arrivant à Fusṭāṭ, devait faire face à une situation turbulente au sein du jund, comme le laisse à croire un passage d’ al-Kindī : cherté des denrées, conflit avec les principaux chefs et notables du jund27. La première mesure qui s’ imposait était donc le retour au calme, l’ apaisement, qui passe nécessairement par le paiement des soldes. Le groupe en question vient réclamer sa paie au gouverneur qui ne trouve aucune trace de son enregistrement dans le dīwān al-jund, comme le montre l’ expression suivante :

‮… و لم نجد أيَ شيء من الكتب‬‎

… Et nous n’ avons trouvé aucun document [prouvant le dire du jund].

Ce groupe prétendait toucher une rétribution provenant de la kūra d’ Ishqawh, sans en connaître le village précis. D’ où les ordres de Qurra adressés à Basile de faire une enquête dans tous les villages d’ Ishqūh pour trouver trace de cette rétribution qui courait depuis quarante ans. Il est à rappeler que la date du document est rabīʿ Ier 90/janvier-février 709, à peine quelques jours après la prise de fonction de Qurra le 13 rabīʿ Ier 90/30 janvier 709. Si ce document ne concerne aucunement une présence d’ une partie du jund dans la campagne, en l’ occurrence Ishqūh, il montre en revanche un système de rétribution décentralisé puisque les soldats pouvaient toucher leur ʿaṭāʾ directement des contribuables, sans passer par l’ administration centrale qui devait d’ abord collecter l’ impôt en espèce pour en distribuer une partie au jund. Les documents postérieurs à P.Cair.Arab. III 150 le prouvent puisque Qurra incite Basile à envoyer l’ argent à Fusṭāṭ, pour qu’ il puisse rétribuer le jund. Les réformes de centralisation amorcées par ʿAbd al-Malik (r. 65–86/685–706)) ne semblent donc se concrétiser que sous le califat d’ al-Walīd (r. 86–96/705–715), tout comme l’ arabisation de l’ administration28.

Pour essayer de détecter les traces de la pratique du murtabaʿ dans la documentation papyrologique, il convient de se concentrer sur les documents datant des années qui suivent immédiatement la conquête. Si l’ on en croit Ibn ʿAbd al-Ḥakam, le murtabaʿ a été appliqué tout de suite après la fondation de Fusṭāṭ et l’ installation du jund dans les khiṭaṭ. De plus, il se pratiquait dans des régions qui ont fourni une importante documentation papyrologique des années qui suivirent la conquête, à savoir le Fayyūm/Arsinoé, Ahnās/Héracleopolis et Bahnasā/Oxyrhynchus. Notre intérêt se portera sur un dossier composé de cinq documents – quatre en grec et un bilingue, arabe-grec – émanant tous d’ un administrateur musulman du nom de ʿAbd Allāh b. Jābir (ou Jabr) durant la période comprise entre décembre 642 et décembre 643. Ces documents ont été tous publiés par Adolph Grohmann29, et analysés tout récemment par Fererico Morelli dans un article dont il convient de rappeler les principales conclusions30.

Rappelons l’ objectif de cette dernière étude : il s’ agit de comprendre et d’ analyser les titres que portaient les administrateurs arabes tout de suite après la conquête, puisque le amiras (titre grec de ʿAbd Allāh dans la partie grecque du document bilingue) ne correspond pas à amīr (traduction proposée par Adolph Grohmann dans son édition)31. Federico Morelli fait d’ abord un constat important : les quatre documents grecs sont des demandes de réquisition de produits alimentaires et autres, tandis que le bilingue est un reçu de livraison32. Selon le papyrologue, l’ existence du texte arabe en plus du grec se justifie uniquement par le fait qu’ il devait être lu par des Arabes, tandis que les autres documents grecs émanant de ʿAbd Allāh ne nécessitaient pas une traduction puisqu’ ils étaient destinés à des fonctionnaires hellénophones. En dernière analyse, il indique que le problème du choix des titres est à examiner d’ une part selon les rapports entre conquérants et conquis et d’ autre part selon les relations à l’ intérieur de la communauté musulmane elle-même33.

Malgré ces conclusions, il nous semble judicieux de poser à nouveau le problème de l’ existence du texte arabe dans le SB VI 9576 en avançant l’ hypothèse d’ un document rédigé suite à une réquisition faite lors d’ une pratique du murtabaʿ. Tout d’ abord, il nous paraît incontestable que le texte arabe doit son existence, non pas pour être lu par des Arabes, mais à la présence d’ un groupe arabe à Ahnās/Héracleopolis en jumāda 1er 22/avril 643. Les deux textes, grec et arabe, le montrent clairement :

Texte grec : De moi amiras ʿAbd Allāh, à vous, Christophoros et Theodorakios, pagarques de Héracléopolite. Pour l’ entretien des Sarrasins qui sont avec moi, je vous ai pris à Héracléopolite …

Texte arabe : Voici ce qu’ a pris ʿAbd Allāh b. Jabr et ses compagnons … à Ahnās …

Les documents grecs émis par le même ʿAbd Allāh concernaient des demandes de réquisitions, sans que l’ on sache à partir de quel endroit il envoyait ses ordres (de Fusṭāṭ ?). Ces documents ne permettent pas de répondre à cette question. En revanche, le document bilingue montre que la réquisition s’ est faite en présence de ʿAbd Allāh et ses compagnons, aṣḥābihi. Ceci nous amène à poser la question suivante : quel était le motif de leur présence à Ahnās/Héracleopolis en avril 643 ?

Adolph Grohmann attribue cette présence à une campagne militaire arabe lancée vers la Moyenne-Égypte. Il ne donne cependant aucune explication. Il semble que pour Grohmann les expressions katāʾibi, traduite par cavalerie, ṯuqlāʾihi, traduite par infanterie cuirassée, et enfin sufunihi, traduite par vaisseaux, impliquaient l’ idée d’ une armée en mouvement, en expédition.

Plusieurs éléments nous permettent de douter du bien-fondé des traductions et, par conséquent, des analyses de Grohmann. D’ abord, ce détachement armé ferait une expédition, mais où ? Si l’ on se réfère aux documents papyrologiques, ainsi qu’ aux études sur la conquête, on s’ aperçoit que, en avril 643, la Moyenne-Égypte était déjà conquise34. Bien plus, elle était soumise à un contrôle de la part du nouveau pouvoir, comme le montrent les archives de Senouthios, provenant de Ashmūnayn/Hermopolis (années 640) et publiées récemment par Federico Morelli35. Selon la documentation papyrologique, l’ administration arabo-musulmane d’ Égypte contrôlait de fait la totalité de la Moyenne-Égypte bien avant la réquisition faite à Ahnās/Héracliopolis, ce qui fragilise l’ analyse de Grohmann36.

Plusieurs éléments du texte arabe convergent vers l’ idée d’ une réquisition faite, nous l’ avons dit, pendant le murtabaʿ al-jund. D’ abord, le lieu, Ahnās/Héracleopolis, décrite par Ibn ʿAbd al-Ḥakam comme l’ un des principaux lieux où le jund effectuait sa sortie printanière37. Ensuite le deuxième élément, la date : avril, au printemps. Des éléments plus décisifs permettent de consolider cette hypothèse. La mention de chevaux, le motif essentiel de la pratique du murtabaʿ, et de brebis, l’ objet de la réquisition (soixante-cinq), qui constituent l’ un des produits destinés à être consommés par le jund, comme le montrent les récits et le sermon présenté plus haut. L’ expression ṯuqlāʾihi, traduite par infanterie cuirassée par Grohmman (qui se réfère à Dozy), peut avoir un autre sens. Selon Ibn Durayd, elle signifie ce que l’ on transporte à dos de bête38. Cette expression est citée dans le sermon de ʿAmr quand il évoque ce que la campagne égyptienne offrait comme vivres au jund pendant le Murtabaʿ : « wa bihā maghānimukum wa atqālukum, Dans cette campagne se trouvent vos butins et vos vivres39 ».

D’ après notre analyse, il convient donc de considérer les Arabes présent à Ahnās/Héracleopolis comme un groupe du jund, commandé par ʿAbd Allāh b. Jabr, et pratiquant leur murtabaʿ annuel. Un texte de al-Maqrīzī, à propos du murtabaʿ, confirme cette façon d’ opérer :

Les Compagnons se sont installés à Fusṭāṭ et à Alexandrie, et ont laissé la plupart des villages égyptiens entre les mains des Coptes. Aucun musulman n’ a habité ces villages, il y avait seulement un contingent qui se rendait en Haute Égypte. Au printemps, les soldats, commandés par des chefs, se dispersaient dans les villages pour le pâturage des bêtes40.

Si nous soutenons que le jund présent à Ahnās/Héracliopolis l’ était dans le cadre du murtabaʿ, il faut attribuer à ʿAbd Allāh ainsi qu’ à ses compagnons une appartenance tribale à Ḥimyar ou à Khawlān, les deux qawms qui pratiquaient leur murtabaʿ dans la région d’ Ahnās/Héracliopolis, selon la description d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam. Ibn Yūnus (m. 347/958), rédacteur du premier dictionnaire biographique de Fusṭāṭ, mentionne un certain ʿAbd Allāh b. Jabr al-Ḥajrī al-Ḥimyarī, ayant vécu dans la première moitié du Ier/VIIe siècle41. Inutile de rappeler que les dictionnaires biographiques ne s’ intéressaient qu’ aux personnes ayant joué un rôle important dans l’ histoire de la cité, voire du pays. S’ agit-il du même ʿAbd Allāh mentionné dans le bilingue ?

Une autre question demande à être élucidée : la nature de la fonction de ʿAbd Allāh. Les textes grecs le décrivent comme un amiras mais ne donnent pas d’ autre précision. Il a le pouvoir d’ ordonner des réquisitions, de fournir à des troupes des repas, etc. Des tâches davantage administratives que militaires en somme, mais effectuées depuis Fusṭāṭ ou sur place ? Si l’ on accepte que ʿAbd Allāh commandait son qawm de Ḥajr pendant leur murtabaʿ à Ahnās/Héracleopolis, sa fonction devrait être le ʿarīf de Ḥajr, le gestionnaire administratif des membres de Ḥajr, habitant dans la khiṭṭa qui leur était attribuée à Fusṭāṭ. Pour mieux comprendre l’ essence de cette fonction, il convient de rappeler les mécanismes de l’ administration militaire, le dīwān al-jund.

La distribution du ʿaṭāʾ, la gestion des affaires courantes et l’ arbitrage entre les membres d’ un groupe du jund, vivant dans le même quartier, (le qawm dans le langage administratif du dīwān égyptien) étaient des tâches relevant du ʿarīf. Selon Fred Donner, cette fonction existait du temps du Muḥammad et des premières conquêtes, quand le ʿarīf était en charge d’ une unité de dix à quinze hommes. Puis, cette fonction se transforma pour devenir plus « administrative »42. À Fusṭāṭ, le ʿarīf gérait, outre la distribution du ʿaṭāʾ, les questions matérielles en tout genre, comme la gestion de l’ argent des orphelins jusqu’ à ce qu’ ils atteignent l’ âge adulte. Un important récit rapporté par Ibn ʿAbd al-Ḥakam montre le ʿarīf d’ un certain quartier de Fusṭāṭ en plein conflit avec le gouverneur umayyade d’ Égypte et demandant l’ aval du calife pour déplacer son qawm en Palestine43. La fonction du ʿarīf est une fonction clef, il est le responsable administratif par excellence, gérant les questions matérielles du jund et représentant le trait d’ union entre les différentes composantes de l’ armée et le gouvernement44. C’ est pour cette raison que nombre d’ historiens ont vu dans le ʿarīf un contre-pouvoir aux chefs tribaux, les ashrāf45.

Avec de telles responsabilités administratives, le ʿarīf pouvait naturellement prétendre au rôle de amiras de cet administrateur en lien direct avec les pagarques des différentes circonscriptions administratives d’ Égypte. Les données nous manquent pour approfondir davantage cette analyse, mais il semble très probable que ces fonctionnaires représentaient l’ ossature de l’ administration musulmane d’ Égypte à ses débuts.

3 Manzil al-qabāʾil : Installation tribale dans la campagne égyptienne au lendemain de la conquête

S’ il l’ on reprend le texte d’ al-Maqrīzī, cité plus haut, et corroboré par les historiens modernes, on constate que le schéma appliqué par le nouveau pouvoir arabo-musulman en Égypte interdisait, au début, toute possession de terres agricoles par le jund. Il faut attendre, selon l’ historien mamelouk, le début du IIe/VIIIe siècle quand l’ intendant des finances ʿUbayd Allāh b. al-Ḥabḥāb (en poste 105–116/724–734) transfère de nombreuses familles qaysites de la campagne syrienne dans le Delta oriental46. Sous le titre de Dhikr nuzūl al-ʿArab bi-rīf Miṣr wa-ittikhādihim al-zarʿ maʿāsh47, « Mention de l’ implantation des Arabes dans la campagne égyptienne et de leur adoption de l’ agriculture comme mode de vie, » al-Maqrīzī suppose que cette installation est la première en son genre dans l’ Égypte musulmane et que, avant cette mesure, il n’y avait pas d’ implantation arabe notable dans la campagne.

Bien entendu, les Arabes ont dû pénétrer la campagne très tôt, comme le montrent de nombreux documents grecs d’ époque umayyade. Un document grec daté de 699/700, mentionnant des vignobles appartenant au protosymbulos – terme grec qui désigne le calife48, en l’ occurrence ʿAbd al-Malik b. Marwān (r. 65–86/685–705) – constitue la plus ancienne preuve de possession de domaines agricoles par les Arabes en Égypte49. Toutefois, ce document n’ implique pas nécessairement une implantation arabe puisque le domaine en question aurait pu être géré par des paysans égyptiens travaillant pour le compte du calife. Des personnes portant des noms arabes ou musulmans commencent à apparaître dans la documentation papyrologique à partir du VIIIe siècle, mais, comme le suggère Petra Sijpesteijn, il est plus probable qu’ ils soient des coptes convertis, plutôt que des Arabes « de souche »50.

Indispensable pour l’ étude du régime fiscal égyptien, de la composition de la catégorie des contribuables et des changements survenus dans la population rurale d’ Égypte, la documentation papyrologique ne répond pas encore à la question de la présence de tribus arabes dans la campagne égyptienne au tout début de l’ Islam51. Il faut revenir, à nouveau, au texte d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam pour détecter la présence d’ un tel phénomène dès la fin de la conquête. Cela nécessite que l’ on applique la même méthode que celle employée dans l’ étude du murtabaʿ, à savoir l’ analyse des termes techniques choisis par Ibn ʿAbd al-Ḥakam dans ses récits.

Le chapitre du murtabaʿ se compose de deux parties distinctes. Une première partie est destinée exclusivement à la description de la répartition géographique du jund pendant le murtabaʿ. Elle commence par le verbe qāla, il (Ibn ʿAbd al-Ḥakam) a dit52, elle est homogène et continue, elle n’ est jamais coupée par l’ intervention du transmetteur du texte. Ensuite, une deuxième partie qui début avec le même verbe qāla, qui montre qu’Ibn ʿAbd al-Ḥakam passe à un autre sujet, différent de celui du murtabaʿ. En voici le récit :

Mudlij s’ est établi (aqāmat) à Kharibtā et l’ a pris comme résidence (manzil) ; avec les Mudlij, il y avait leurs alliés de Ḥimyar, [du clan] de Dhubḥān et d’ autres, et c’ était [Kharibtā] leur habitat. Quant à Khushayn et des groupes de Lakhm et de Judhām, ils retournèrent et élirent domicile (nazalū) dans les terroirs de Ṣān, Iblīl et Ṭarābiya, mais ils ne durèrent pas [dans cette région]. Qays n’ avait pas une installation ancienne dans le Delta Oriental, mais c’ est Ibn al-Ḥabḥāb qui les a implantés (anzalahum)53.

Le contenu de ce paragraphe est totalement différent de la description du murtabaʿ. Alors que dans la description de la pratique administrative, Ibn ʿAbd al-Ḥakam utilise les termes akhadha, « prendre », pour signifier la sortie printanière, et qawm pour désigner les groupes du jund, il change de lexique dans la description relative à l’ installation des tribus mentionnées dans la deuxième partie : il s’ agit de tribus, qabāʾil et non de qawm ; de même qu’ il s’ agit de nuzūl et non de akhdh. Les villages cités dans ce texte sont décrits comme des résidences, manāzil, sing. manzil, et qui montre une prise de possession des terres, une installation durable, une sédentarisation rurale. De même, la mention du cas des tribus qaysites, en insistant sur le fait que leur installation n’ est pas ancienne, prouve qu’Ibn ʿAbd al-Ḥakam parle, pour les tribus évoquées – Mudlij, Ḥimyar, Khushayn, Lakhm et Judhām – d’ une sédentarisation remontant à la première période, et d’ une possession de terres par les tribus en question, ce qui rompt avec le schéma traditionnel présenté par les sources en ce qui concerne le jund : habitat à Fusṭāṭ et Alexandrie, interdiction de posséder des terres et de s’ adonner à l’ agriculture. La nuance est justement dans la différence entre le jund, groupe militaire inscrit dans le dīwān et soumis à l’ autorité du gouvernement, et les tribus installées dans le Delta occidental (Kharibtā54) et le Delta oriental, échappant au système administratif du dīwān.

La tribu de Mudlij n’ est à aucun moment citée parmi les composantes du jund qui avaient reçu un lot d’ installation à Fusṭāṭ. Durant tout le Ier/VIIe siècle, aucune personne portant la nisba généalogique de Mudlij n’ est citée dans la littérature historique de Fusṭāṭ. En revanche, la tribu de Mudlij est citée comme résidente à Kharibtā durant les évènements de la Grande Discorde, première guerre civile musulmane déclenchée suite à l’ assassinant du calife ʿUthmān b. ʿAffān en 35/65655. Al-Kindī dit que la shīʿa de ʿUthmān, les partisans du calife assassiné, trouvèrent refuge dans le village de Kharibtā56, où il avance le chiffre de dix mille personnes. Ce nombre élevé, qu’ il soit vrai ou faux, ne représente pas la frange du jund qui a quitté Fusṭāṭ pour se réfugier dans le Delta occidental57. Il est évident que les partisans de ʿUthmān ne se comptaient que par dizaines, quelques centaines tout au plus. Il s’ agit de quelques commandants militaires du jund qui avaient désapprouvé l’ assassinant du calife et, voyant leur vie menacée à Fusṭāṭ, se sont réfugiés à Kharibtā. Quand le nouveau calife ʿAlī b. Abī Ṭālib (r. 35–40/656–661) somme son gouverneur d’ Égypte, Qays b. Saʿd al-Anṣārī (en poste rabīʿ 1er 37-rajab 37/août 657-décembre 657), d’ en découdre avec les « rebelles » installés à Kharibtā, Qays lui répond qu’ il s’ agit des « notables de Fusṭāṭ, wujūh ahl Miṣr wa-ashrāfuhum »58, il parle bien d’ une minorité, d’ une élite ayant quitté Fusṭāṭ pour se réfugier dans le village en question. Cela implique la présence d’ une tribu assez forte, capable de leur offrir sa protection, son jiwār59. La suite du récit d’ al-Kindī montre qu’ il s’ agit bien de la tribu de Mudlij, absente de la composition du jund. Quand ʿAlī, désespéré de la passivité de Qays b. Saʿd à l’ égard des rebelles de Kharibtā, le limoge et nomme à sa place Muḥammad b. Abī Bakr (en poste rajab 37-ṣafar38/décembre 657-juillet 658), fils du premier calife de l’ Islam et principal artisan de l’ assassinant de ʿUthmān, Qays procure à son successeur le conseil suivant : « Laisse ce groupe de Mudlij en paix pour qu’ ils t’ épargnent leur hostilité »60. Al-Ṭabarī est encore plus explicite quant à une présence massive des Mudlij à Kharibtā et il donne des nouvelles informations très intéressantes :

Les gens ont prêté allégeance [à Qays b. Saʿd] et toute l’ Égypte lui a obéit ; il a envoyé partout ses agents, à l’ exception d’ un village appelé Kharibtā, dans lequel se trouvaient des gens qui se sont indignés du meurtre de ʿUthmān. Il y a avait un homme de Banū Mudlij de Kināna, qui s’ appelle Yazīd b. al-Ḥārith, des Banū al-Ḥārith b. Mudlij. Ces gens ont écrit à Qays : Nous ne te combattons pas, tu peux envoyer tes agents [car] la terre est la tienne. En revanche, laisse-nous sur notre position en attendant de voir ce qui va advenir61.

Si le texte d’ al-Ṭabarī confirme que la force tribale à Kharibtā est composée des Banū Mudlij, il incite à croire que cette tribu, des terres agricoles, était sujette à l’ impôt foncier puisqu’ il s’ agit d’ envoyer un agent du gouverneur pour contrôler le rendement de la terre en vue d’ évaluer l’ impôt. L’ interprétation d’ al-Ṭabarī, qui tire son information d’ Abū Mikhnaf (m. 157/773), est probablement une lecture apocryphe de l’ évènement, dans le sens d’ une interprétation tardive du statut fiscal des terres agricoles appartenant aux Arabes de ce village. Il n’ empêche que l’ information est trop précieuse pour être rejetée : elle confirme le statut des Banū Mudlij (propriétaires terriens) et suppose qu’ ils étaient, comme les contribuables égyptiens, sujets à l’ impôt foncier. Cela nous amène à nous poser la question suivante : par quel moyen les Banū Mudlij sont devenus, au lendemain de la conquête, propriétaires terriens ?

Nous avons dit, dans la partie relative à la description du murtabaʿ, que le grand absent géographique de cette pratique est le Delta occidental, ce qui est étrange eu égard à la proximité des villages de Fusṭāṭ et la fertilité de leurs terres. Pour essayer de comprendre les raisons de cet état de fait, il convient de revenir aux circonstances mêmes de la conquête arabe, et plus particulièrement de celle du Delta occidental.

D’ après le schéma avancé par Ibn ʿAbd al-Ḥakam, la conquête pouvait se faire par traité ou par force. Dans le premier cas, il est stipulé que les régions qui se sont rendues sans combattre bénéficient d’ un traité de paix garantissant leur liberté de culte et leurs propriétés en contrepartie du paiement d’ un impôt, la jizya, qui a deux facettes : une sur les têtes, et une sur les terres62. Dans le second cas, si une région combat les musulmans et qu’ elle ne se soumet que par la violence des armes, elle devient un butin de guerre, un fayʾ pour reprendre le terme juridique inspiré du Coran63. Cela implique que terres et personnes deviennent la propriété du vainqueur64. Le problème s’ est d’ abord posé en Irak tel que décrit par Ṭabarī, quand les soldats ayant conquis les anciens territoires sassanides ont voulu s’ emparer les domaines délaissés par leurs propriétaires en fuite, le Ṣawāfī65. Les sources nous relatent les conflits qui se déclenchèrent alors à Médine entre les principaux conseillers du calife ʿUmar : certains étaient pour le partage de ces domaines entre les soldats, arguant du fait que, selon la loi arabe de la guerre, les vaincus et leurs propriétés deviennent un butin, une ghanīma destinée à être partagée entre les vainqueurs66 ; tandis que d’ autres étaient pour la non-dispersion de la propriété terrienne et de son maintien aux mains de leurs possesseurs pour pérenniser l’ impôt foncier. La solution imaginée par ʿUmar, qui se trouve à l’ origine de la création du dīwān al-jund, est la suivante : en recourant à une interprétation personnelle d’ un verset de la sourate al-ḥashr, mentionnant, parmi les bénéficiaires du fayʾ, « ceux qui sont venus après eux », ʿUmar identifie dans ce passage les générations futures des musulmans à qui l’ État devrait songer et s’ oppose par conséquent à la distribution des terres sur les soldats67. De là est né le concept du ʿaṭāʾ, cette rétribution pérenne de l’ État à tout individu musulman. De la sorte, l’ État musulman se pose en médiateur entre les soldats, un garant de la bonne distribution des fruits de la conquête sur ses bénéficiaires68. Qu’ il soit le reflet d’ une réalité historique, ou une interprétation tardive de la part des juristes musulman, ce schéma semble avoir dominé l’ organisation militaro-fiscale du Califat à ses débuts69. Malgré cela, nombreux sont les soldats qui ont reçu des terres de Ṣawāfī et sont devenus, par conséquent, propriétaires terriens, d’ où la distinction faite par Sayf b. ʿUmar (m. 180/796) entre le ahl al-ʿaṭāʾ et le ahl al-fayʾ70.

Revenons à l’ Égypte. Ibn ʿAbd al-Ḥakam, dans ses tentatives de mettre de l’ ordre dans les récits contradictoires se rapportant à la nature de la conquête (par force ou par traité), avance que les seuls villages qui ne sont pas rendus pacifiquement sont Sulṭays, Maṣīl et Balhīb, tous dans le Delta oriental. Ils se sont rangés du côté des Byzantins et ont combattu les musulmans qui proclamèrent : « ceux-là [les trois villages], avec Alexandrie, sont notre fayʾ ». Informé par ʿAmr, le calife ʿUmar ordonne à son gouverneur « de faire d’ Alexandrie et de ces trois villages les protégés (dhimmā) des musulmans, de leur imposer l’ impôt foncier pour que ce dernier soit, avec celui obtenu par traité avec les coptes, une force pour les musulmans contre leur ennemi. Ils ne doivent être ni un fayʾ [en ce qui concerne les terres], ni des esclaves [en ce qui concerne les habitants de ces trois villages] »71.

Le même problème irakien s’ est donc bel et bien posé en Égypte, plus particulièrement dans le Delta occidental. Au-delà de l’ aspect juridique de la question et du probable caractère apocryphe de la décision du calife72, il paraît clair que certains groupes ont réclamé leur part immédiate du butin, fayʾ, dans le Delta occidental, suite à la résistance des villages mentionnés et leur conquête par la force. Il est peu probable que la décision de ʿUmar, si jamais elle s’ avère réelle, ait été appliquée. À l’ image des Ṣawāfī d’ Irak, certaines terres égyptiennes ont dû être occupées par une partie de l’ armée de conquête ; c’ est la seule explication possible à la présence de Mudlij dans le Delta occidental. C’ est aussi la seule explication logique à son absence de la liste des tribus composant le jund à Fusṭāṭ. Si le chiffre de dix mille personnes peut paraître exagéré73, il témoigne néanmoins d’ une présence arabe conséquente à Kharibtā quinze ans après la conquête du pays, pendant les événements de la première guerre civile en Égypte (35/656). En 203/818, al-Kindī signale que les Banū Mudlij comptaient quatre-vingt mille personnes74, ce qui témoigne non seulement de leur imposante présence dans la région, mais aussi de la continuité dans l’ occupation du sol.

Cette sédentarisation précoce des Arabes en Égypte, probablement par la possession par la force de certains domaines considérés comme butin de guerre, échappe au modèle construit par les sources musulmanes tendant à unifier en quelque sorte l’ organisation conçue par ʿUmar à Médine, interdisant le jund de s’ adonner à la vie sédentaire en vue de ce double objectif : pérenniser l’ impôt et garder la vocation militaire des conquérants. De nombreuses questions restent en suspens : à quel régime étaient soumis ces nouveaux propriétaires terriens ? Payaient-ils l’ impôt foncier ou en étaient-ils exempts pour les récompenser de leurs efforts dans la conquête du pays ? Quels étaient les rapports qu’ ils entretenaient avec leurs voisins « égyptiens » ? Quels rapports avaient-ils aussi avec le gouvernement de Fusṭāṭ, au-delà des considérations fiscales ? Difficile d’ aller plus loin dans l’ analyse, faute de textes et de traces de ces tribus qui étaient sans doute les premiers éléments d’ une acculturation amorcée tout de suite après la conquête de l’ Égypte, d’ un contact précoce entre Arabes et Egyptiens.

4 Conclusion

L’ étude du chapitre du murtabaʿ al-jund d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam permet donc d’ analyser la pénétration précoce des Arabo-musulmans dans la campagne égyptienne. Une pénétration militaire, annuelle et de courte durée, bien organisée par le gouvernement, et une installation permanent de quelques tribus dans le Delta occidental et oriental par une sorte de compromis avec le pouvoir, compromis relatif aux circonstances mêmes de la conquête. Le langage administratif et technique précis de l’ historien de la conquête musulmane d’ Égypte contribue à identifier la nature même de cette pénétration : ce sont les différents qawms de Fusṭāṭ, groupes composant le jund et habitant dans le même lot d’ installation, khiṭṭa, qui sont autorisés par écrit à effectuer cette sortie printanière pour des objectifs économiques et militaires. Le jund, à qui il était interdit de posséder des terres agricoles et de s’ adonner à une vie sédentaire, était confiné à Fusṭāṭ et sa une vie urbaine était bien gérée par le dīwān al-jund. Son murtabaʿ était purement administratif et l’ on ne peut s’ empêcher de faire le parallèle entre le traité conclu entre conquérants et conquis et les détails révélés par le document bilingue d’ Ahnās/Héracliopolis. Les produits consommés par le qawm étaient un acompte sur les impôts de l’ année en cours, comme le montre le texte grec du bilingue75. Cela montre clairement l’ existence d’ un accord entre les deux parties, d’ une sorte de traité fixant les règles de la gestion fiscale du territoire égyptien. Cette mesure concernait uniquement le jund et c’ est pour cette raison qu’Ibn ʿAbd al-Ḥakam, en évoquant l’ interdiction imposée par le pouvoir de cultiver la terre, intitule son paragraphe comme suit : Dhikr nahy al-jund ʿan al-zarʿ, Mention de l’ interdiction au jund de pratiquer l’ agriculture.

Cette distinction entre un jund soumis aux règles fixées par le pouvoir et des tribus (qabāʾil) s’ étant installées dans la campagne égyptienne par la possession de terres agricoles est fondamentale. Le choix des termes nazala et manzil démontre la sédentarisation des quelques tribus tout de suite après la conquête. Comme en Irak, certains éléments ont préféré jouir différemment de leurs exploits militaires en s’ appropriant des terres agricoles, certainement avec l’ aval du pouvoir, car il est peu probable qu’ une telle opération ait pu échapper aux nouveaux dirigeants du pays. On ne peut s’ empêcher de faire un parallèle avec le modèle irakien des Ṣawāfī. Le texte d’ al-Ṭabarī incite à le croire, puisque les propriétés de ces tribus étaient, selon cet historien, soumises au contrôle du gouvernement de Fusṭāṭ : al-arḍ arḍuka, la terre est la tienne. Devons-nous comprendre que ces terres étaient déjà soumises à l’ impôt foncier ? Cela paraît peu probable puisqu’ il s’ agissait d’ un butin, d’ un fayʾ, donc d’ une jouissance totale, une propriété exclusivement privée. En revanche, le même texte indique une certaine forme de contrôle gouvernemental sur ces domaines que nous avons du mal à définir.

Le contrôle effectif pratiqué par l’ administration islamique sur le pays montre la volonté des nouveaux dirigeants de surveiller de près les cadres de l’ administration régionale, notamment par la présence de nombreux amiras dans la campagne égyptienne. Ces fonctionnaires, dont il faut supposer leur rattachement au dīwān al-jund en leur qualité de arīf-s, étaient la trace visible d’ un nouveau pouvoir en place qui entendait contrôlait l’ assiette fiscale de l’ Égypte pour nourrir l’ armée de peuplement à Fusṭāṭ, pour poursuivre les projets expansionnistes (notamment en Méditerranée) et pour subvenir à des demandes califales de plus en plus imposantes (constructions impériales à Jérusalem, Damas …). Pour cela, la terre devait rester étrangère à l’ islam, pour continuer à nourrir le combattant et assurer la pérennité de l’ État76.

1

ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAbd Allāh Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr wa akhbāruha, éd. Ch. Torrey, Yale Oriental Series, Researches 3 (New Haven : Yale University Press, 1922), 162, sous le titre de Dhikr nahy al-jund ʿan al-zarʿ, Mention d’ interdire le jund de pratiquer l’ agriculture. Il convient de signaler quelques écrits produits à Fusṭāṭ à la fin du IIe/VIIIe et au début du IIIe/IXe siècle, telle que la biographie du calife umayyade ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99–101/717–719) écrite par ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829), mais il ne s’ agit pas d’ une source historique égyptienne, dans le sens d’ une œuvre qui s’ intéresse à l’ histoire islamique d’ Égypte.

2

Sur la fondation de Fusṭāṭ et l’ installation du jund, voir Wladyslaw Kubiak, al-Fusṭāṭ : Its Foundation and Early Urban Development (Cairo : American University Press, 1987) ; Sobhi Bouderbala, “Ǧund Miṣr : étude de l’ administration militaire dans l’ Égypte des débuts de l’ Islam (21/642–218/833)” (PhD diss., Sorbonne University, 2008), 115–125.

3

Sur l’ occupation militaire d’ Alexandrie par le jund, voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 130–131, sous le tire de akhāʾiḏ al-Iskandariyya, Les prises d’ Alexandrie ; Bouderbala, “Ǧund,” 142–150.

4

Hugh Kennedy, “The Financing of the Military in the Early Islamic State,” dans Byzantine and Early Islamic Near East, vol. 3, States, Resources and Armies, éd. Averil Cameron (Princeton : Darwin Press, 1995), 363.

5

Il s’ agit des lettres (en arabe et en grec) envoyées par le gouverneur umayyade d’ Égypte Qurra b. Sharīk au responsable administratif (pagarque) de la kūra d’ Ishqūh, Basile, dont le sujet est la rétribution du jund. Pour un tour d’ horizon complet sur cette correspondance, voir en dernier lieu Jāsir Abū Ṣafiyya, Bardiyyāt Qurra b. Sharīk al-ʿAbsī : dirāsa wa taḥqīq (Ryad : The King Faisal Center for Research and Islamic Studies, 2004).

6

Un dossier de 5 documents datant des années 642–643 montre une présence certaine des nouveaux dirigeants dans la gestion de la campagne égyptienne, il sera analysé plus loin référence à la note. La nouvelle publication de Federico Morelli, L’archivio di Senouthios Anystes e test connesi : lettere e documenti per la costruzioone di una capitale, Corpus Papyrorum Raineri XXX (Berlin/New York : De Gruyter, 2010) démontre aussi la présence de nombreux officiers arabes en Moyenne-Égypte, voir essentiellement les pages 16–17.

7

Seuls Kosei Morimoto, “Land Tenure in Egypt during the Early Islamic Period,” Orient : Report of the Society for Near Eastern Studies in Japan 11 (1975) : 113, et Petra Sijpesteijn, Shaping a Muslim State : The World of a Mid-Eighth-Century Egyptian Official (Oxford : Oxford University Press, 2013), 168–169, dont les conclusions seront discutées plus loin, se sont intéressés à cette pratique administrative.

8

Sur l’ isnād, voir en dernière instance Harald Motzki, “Dating Muslim Tradition : A Survey,” Arabica 52 (2005) : 204–253.

9

Robert Brunschvicg ne voit dans l’ œuvre d’ Ibn ʿAbd al-Ḥakam qu’ un travail de traditionniste fortement marqué par les débats juridiques de son époque et lui dénie par conséquent sa valeur historique, d’ investigation méticuleuse sur les années post-conquête (Robert Brunschvicg, “Ibn ʿAbdalhʾakam et la conquête de l’ Afrique du Nord par les Arabes : étude critique,” Annales de l’ Institut des Etudes Orientales d’ Alger 6 (1942–1947) : 131).

10

Sylvie Denoix, Décrire Le Caire : Fusṭāṭ Miṣr d’ après Ibn Duqmāq et Maqrīzī (Cairo : Institut français d’ archéologie orientale, 1992), 73–79.

11

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 139.

12

Pour la mention des brebis dans le sermon de ʿAmr, voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 140, ligne 15.

13

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, 141.

14

Petra Sijpesteijn met l’ accent, en se fondant sur le CPR VIII 74,2 (Arsinoé, 698), sur une organisation militaire du jund selon les divisions tribales, Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, 136 et note 31.

15

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 141.

16

Bouderbala, “Ǧund,” 187–190. Notre analyse semble être confirmée par la documentation papyrologique analysée par Petra Sijpesteijn. Elle souligne que c’ est bien le terme qawm qui est mis en avant dans les papyrus pour désigner un groupe de musulmans, Shaping a Muslim State, 151.

17

Voir la synthèse récente de Arietta Papaconstantinou, “Administering the Early Islamic Empire : Insights from the Papyri,” dans Money, Power and Politics in Early Islamic Syria, éd. John Haldon (Burlington : Ashgate, 2010), 60–69.

18

Bouderbala, “Ǧund,” 122–124.

19

Muḥammad b. Yūsuf al-Kindī, Kitāb al-Wulāt wa kitāb al-quḍāt, éd. R. Guest, Gibb Memorial Series XIX (Leiden : Brill, 1912), 70.

20

P.Cair.Arab. III 150.

21

Carl Becker, “Arabische Papyri des Aphroditofundes,” Zeitschrift für Assyrologie 20 (1906) : 95.

22

Adolph Grohmann, Arabic Papyri from the Egyptian Library, vol. 3 (Cairo : Egyptian Library Press, 1938), 20–21.

23

Jean Gascou, “L’ institution des bucellaires,” Bulletin de l’ Institut français d’ archéologie orientale 176 (1976) : 143.

24

Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, 86 et note 249.

25

Nous renvoyons ici à l’ édition de Becker, “Arabische Papyri,” 94, car elle est un peu différente de celle de Grohmann comme nous le verrons.

26

Dans une note de lecture, il admet que le mīm est toujours lisible, mais il ne le transcrit pas dans l’ édition, Grohmann, Egyptian Library, 20, note 6.

27

al-Kindī, Wulāt, 59–63.

28

La correspondance de Qurra avec Basile a incité les chercheurs à conclure à une centralisation totale de l’ opération fiscale, Hugh Kennedy, The Armies of the Caliphs : Military and Society in the Early Islamic State (London : Routledge, 2001), 67. Cela est vrai, mais il convient de voir dans le début du mandat de Qurra, nommé par le calife al-Walīd, le début d’ une mise en place rigoureuse de cette politique. Voir à ce sujet Arietta Papaconstantinou, “The Rhetoric of Power and the Voice of Reason : Tension between Central and Local in the Correspondence of Qurra ibn Sharīk,” dans Official Epistolography and the Language(s) of Power, éds. Stephan Prohatzka, Lucian Reinfandt et Sven Tost (Vienne : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2015), 267–281.

29

SB VI 9576 (bilingue, Héracléopolite, 25 avril 643), SB VI 9577 (Héracliopolite, 26 janvier 643), SB VI 9578 (Héracliopolite, 29 novembre 643) et SB VIII 9572 (Héracliopolite, 643), voir Adolph Grohmann, “Aperçu de papyrologie arabe,” Études de Papyrologie 1 (1932), 40–46.

30

Federico Morelli, “Consiglieri et comandanti : I titoli governatore arabo d’Egitto symboulos et amîr,” Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 173 (2010) : 158–174.

31

Le premier à avoir soulevé la question est Robert Hoyland, “New Documentary Texts and the Early Islamic State,” Bulletin of the School of the Oriental and African Studies 69 (2006) : 401.

32

Morelli, “Consiglieri et comandanti,” 162.

33

Morelli, 182.

34

Alfred Butler, The Arab Conquest of Egypt and the Last Thirty Years of Roman Dominion, 2nd ed. (Oxford : Oxford University Press, 1978), 318–319 ; Nikolas Gonis, “P. Paramone 18 : Emperors, Conquerors and Vassals,” Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 173 (2010) : 133–135.

35

Morelli, L’archivio di Senouthios, 16–17.

36

Voir les analyses de Jean Gascou, “De Byzance à l’ Islam : les impôts en Égypte après la conquête arabe,” Journal of the Economic and Social History of the Orient 26 (1983) : 101.

37

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 141 : wa kānat al-qurā allatī yaʾkhudu fīhā ʿuḍmuhum … Ahnās. Les [principaux] villages où la plupart [du jund] pratiquait [le murtabaʿ] sont … Ahnās.

38

Muḥammad b. al-Ḥasan Ibn Durayd, Jamharat al-lugha, éd. M. Baalbaki (Beyrouth : Dār al-ʿ, Ilm lil Malayīn, 1987), 430 : ‮متاع القوم و ما حملوه على دوابَهم‬‎.

39

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 140.

40

Aḥmad b. ʿAlī al-Maqrīzī, al-Mawāʿiẓ wa al-ʿiʿtibār bi dikr al-khiṭaṭ wa al-ātār, éd. A. Sayyid (London : Dār al-Furqān, 2002–2004), vol. 4, part. 1, 48.

41

ʿAbd al-Raḥmān b. Saʿīd Ibn Yūnus, Tārīkh Ibn Yūnus, éd. ʿA. Fatḥī (Beyrouth : Dār al-kutub al-ʿIlmiyya, 2000), 1 :522.

42

Fred Donner, The Early Islamic Conquests (Princeton : Princeton University Press, 1981), 40.

43

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 124.

44

Bouderbala, “Ǧund,” 261–268.

45

Kennedy, Armies, 22.

46

al-Kindī, Wulāt, 76–77 ; Petra Sijpesteijn, “Landholding Patterns in Early Islamic Egypt,” The Journal of Agrarian Change 9 (2009) : 129.

47

al-Maqrīzī, Khiṭaṭ, I, 214.

48

Morelli, “Consiglieri et comandanti,” 195.

49

CPR VIII 82 = SB VI 9460, 5 (Provenance : Fayyūm/Arsinoé, 699 ou 700).

50

Sijpesteijn, “Landholding,” 128.

51

C’ est le constat tiré par Petra Sijpesteijn, à la suite de ses investigations papyrologiques, “Landholding,” 124–125 : “While papyri record soldiers and Arab officials moving through the countryside, there is hardly any evidence for more permanent Arab settlement before the eighth century.”

52

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 141 (à partir de la ligne 16) et 142 (jusqu’ à la ligne 14).

53

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, 142–143.

54

Sur cette région, voir Shihāb al-Dīn al-Ḥamawī Yāqūt, Muʿjam al-buldān (Beyrouth : Dār Ṣādir, 1977), 2 :355.

55

Sur les évènements de Fitna de ʿUthmān, voir Martin Hinds, “The Murder of the Caliph ʿUtmān,” International Journal of Middle East Studies 3 (1972) : 450–469 ; Hichem Djaït, La Grande Discorde : religion et politique dans l’ Islam des origines (Paris : Gallimard, 1990), 138–155.

56

al-Kindī, Wulāt, 19. Leurs chefs de file étaient Muʿāwiya b. Ḥudayj al-Tujībī (m. 52/671) et Maslama b. Mukhallad al-Anṣārī (d. 62/681), deux éminents chefs du jund, amenés à jouer un rôle de premier plan en Égypte après la victoire de Muʿāwiya et l’ avènement de la dynastie umayyade au Califat, voir Djaït, Discorde, 316 ; Hugh Kennedy, “Egypt as a Province in the Islamic Caliphate, 641–868,” dans The Cambridge History of Egypt, vol. 1, éd. Carl Petry (Cambridge : Cambridge University Press, 1997), 68.

57

al-Kindī, Wulāt.

58

al-Kindī, 21.

59

Sur le jiwār, pratique tribale anté-islamique, consistant à héberger une personne en danger et lui offrir sa protection, voir Muḥammad b. Makram Ibn Manẓūr, Lisān al-ʿArab (Beyrouth : Dār Ṣādir, 1997), IV, 155.

60

al-Kindī, Wulāt, 27.

61

Muḥammad b. Jarīr al-Ṭabarī, Tāʾrīkh al-rusul wa al-mulūk, éd. M. Ibrāhīm (Cairo : Dār al-Maʾārif, 1967), 4 :549.

62

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 154.

63

Sur la notion de fayʾ, voir Frede Lokkegaard, Islamic Taxation in the Classical Period (Copenhagen : Porcupine Press, 1950), 38–46 ; Hichem Djaït, al-Kūfa : naissance de la ville islamique (Paris : Maisonneuve et Larose, 1986), 58–63 ; Kennedy, “Financing of the Military,” 363–364.

64

Sur ces questions, voir essentiellement Albercht Noth, “Zum Verhhaltnis von kalifaler Zentralgewalt und Provinsen un umayyadischer Zeit : die “Sulh-ʿanwa Traditionen fur Agypten und den Iraq,” Die Welt des Islams 14 (1973) : 150–162 ; Alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’ Islam : entre écriture et histoire (Paris : Seuil, 2002), 214–215. Plus connectée au statut des terres agricoles, voir l’ étude de Kosei Morimoto, “Muslim Controversies Regarding the Arab Conquest,” Orient 13 (1977) : 89–105.

65

al-Ṭabarī, Taʾrīkh, 3 :586–587.

66

al-Ṭabarī, 4 :30.

67

Abū Yūsuf Yaʿqūb, Kitāb al-Kharāj (Beyrouth : Dār al-Maʿrifa, 1979), 23–25 ; Abū ʿUbayd al-Qāsim Ibn Sallām, Kitāb al-amwāl, éd. M. ‘Imāra (Le Caire : Dār al-Shurūq, 2009), 125–130 ; Aḥmad b. Yaḥyā al-Balādhurī, Futūḥ al-buldān, éd. ʿA.A. al-Ṭabbā (Beyrouth : Muʾassassat al-Risāla, 1986), 371–372.

68

Djaït, al-Kūfa, 60 ; Kennedy, “Financing of the Military,” 364.

69

Djaït, al-Kūfa, 60.

70

al-Ṭabarī, Taʾrīkh, 3 :615–616 ; Djaït, al-Kūfa, 61.

71

Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, 83. Sur la nature de la conquête, et l’ histoire du traité signé entre conquérants et conquis, voir les remarques de Jean Gascou, “De Byzance à l’ Islam,” 97–109.

72

Les historiens musulmans ont tendance à ramener toutes les décisions importantes au calife ʿUmar, érigé en héros des grandes conquêtes, et pratiquant une politique de centralisation rigoureuse sur les principaux commandants militaires. Sur le cas précis d’ Égypte, et la tension entre ʿAmr et ʿUmar, voir Fred Donner, “Centralized Authority and Military Autonomy in the Early Islamic Conquests,” dans The Byzantine and Early Islamic Near East, vol. 3, States, Resources and Armies, éd. Averil Cameron (Princeton : Darwin Press, 1995), 347–350.

73

Sur les chiffres avancés par les historiens musulmans, voir Kennedy, Armies, 19.

74

al-Kindī, Wulāt, 170.

75

SB VI 9576, verso. Voir aussi les analyses de Papaconstantinou, “Administering the Early Islamic Empire,” 60–64.

76

Christian Décobert, Le mendiant et le combattant : l’ institution de l’ islam (Paris : Seuil, 1991), 94.

Bibliographie

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From Antiquity to Islam in the Mediterranean and Near East (6th-10th Century)

Series:  Leiden Studies in Islam and Society, Volume: 9

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