1 Introduction
Cette étude est centrée sur l’ exemple de la triade ‘esse, vivum, homo’, qui apparaît dès les premières propositions du Liber de causis.
Il s’ agit d’ un exemple destiné à expliquer le premier théorème I du Liber et les propositions qui l’ accompagnent. Ce n’ est en réalité pas un exemple comme un autre. Les relations entre première cause et causes secondes sont illustrées par l’ évocation de causes formelles secondes dans l’ ordre de la nature générée à propos du seul être intelligent qui s’ y constitue, l’ homme. Ce passage représente le point précis où pourraient venir s’ affronter la philosophie néoplatonicienne et la doctrine d’ Aristote, si l’ on voulait formuler le problème en des termes gigantomachiques anachroniques. En adoptant le point de vue des auteurs médiévaux, confrontés à des textes dont les formats interprétatifs sont mouvants et à des doctrines qui n’ existent jamais à l’ « état pur »1, on peut y voir comment se forme un nœud exégétique particulièrement révélateur des tensions qui animent les diverses interprétations d’ un aristotélisme plus ou moins ‘platonisé’ et, pour certains de nos textes, résolument en voie d’ ‘aristotélisation’.
L’ exemple, qui apparaît à la proposition 6, pour s’ achever à la proposition 132, est censé illustrer et faire comprendre la série de thèses énoncées dans les propositions 2 à 5 du Liber de causis, thèses elles-mêmes censées expliquer le premier théorème, qui affirme la plus grande influence de la cause première au regard de la cause seconde. Cette série de thèses se formule de façon générale, et semble valoir non pas seulement pour la Première Cause, mais aussi pour la série des autres causes, qui sont, relativement entre elles, causes premières et causes secondes. Le texte affirme la non-suppression de la cause première par la suppression de la cause seconde dans l’ effet (proposition 2), l’ antériorité de la cause première (proposition 3), la non-substituabilité de la cause première par la cause seconde (proposition 4), et la non-séparation de la première cause de l’ effet par la séparation de la cause seconde (proposition 5). Dans l’ analyse médiévale, l’ ensemble de l’ exemple est le plus souvent rapporté à deux rubriques, la thèse de la non-suppression et la thèse de l’ antériorité, lisibles dans les propositions 7 et 11, lesquelles sont parfois combinées en un argument unitaire, inspiré de la tradition porphyrienne, l’ argument de la non-suppression et de l’ antériorité. La question de l’ inséparabilité est également discutée parfois de façon distincte.
La proposition 8 de l’ exemple introduit, en outre, par rapport aux propositions 1 à 5, l’ idée de causes lointaine et proches. Les propositions 9 et 10, ainsi que la proposition 11, dans une portion de phrase (quoniam causa non removetur per remotionem causati sui), formulent explicitement l’ idée que la cause première est cause de l’ effet de la cause seconde en étant cause de cette dernière, une question qui sera abordée par quelques-uns de nos commentaires. L’ argument de la non-suppression et de l’ antériorité avait déjà, au milieu du XIIIe siècle, une belle carrière logico-ontologique derrière lui, avec celle de l’Isagogè lui-même3. Dans le contexte d’ une redécouverte désormais sérieusement engagée de la philosophie naturelle d’ Aristote, l’ exemple sera en outre presque toujours discuté, a minima, dans l’ optique d’ une théorie de la génération et de la corruption. D’ autres problématiques viendront s’ y adjoindre, en particulier la question des universaux, c’ est-à-dire le problème de la dimension ontologique des relations topiques hiérarchiques entre les genres et les espèces, puis la question de la pluralité des formes substantielles, à partir des années 12704.
Rappelons d’ abord le texte de l’ exemple. Nous citons l’ édition d’ Adriaan Pattin en négligeant ici la question de la différence entre le texte édité par ce dernier et les propositions effectivement citées et discutées, y compris dans l’ établissement du texte, par les commentateurs médiévaux5 :
6. Et nos quidem exemplificamus illud per esse et vivum et hominem.
7. Quod est quia oportet ut sit res esse in primis deinde vivum, postea homo.
8. Vivum ergo est causa hominis propinqua ; et esse, causa eius longinqua.
9. Esse ergo vehementius est causa hominis quam vivum, quoniam est causa vivo quod est causa homini.
10. Et similiter quando ponis rationalitatem causam homini, est esse vehementius causa homini quam rationalitas, quoniam est causa causae eius.
11. Et illud quod dicimus significatio est quod quando tu removes virtutem rationalem ab homine, non remanet homo sed remanet vivum, spirans, sensibile. Et quando tu removes ab eo vivum, non remanet vivum sed remanet esse, quoniam esse non removetur ab eo, sed removetur vivum, quoniam causa non removetur per remotionem causati sui, remanet ergo homo esse. Cum ergo individuum non est homo, est animal et si non est animal, est esse tantum.
12. Iam igitur manifestum est et planum quod causa prima longinqua est plus comprehendens et vehementius causa rei quam causa propinqua.
13. Et propter illud fit euis operatio vehementioris adhaerentiae cum re quam operatio causae propinquae. Et hoc quidem non fit secundum hoc, nisi quia res in primis non patitur nisi a virtute longinqua ; deinde patitur a virtute quae est sub prima6.
Le corpus que nous nous proposons d’ évoquer commence avec l’ œuvre de Roger Bacon, rédigée autour de 1245. Il s’ agit d’ une époque où le Liber de causis était relié à l’ enseignement de la Métaphysique, comme en témoigne le Guide de l’ étudiant7, et pouvait en être considéré le dernier livre8, selon une distinction entre les théorèmes, aristotéliciens, et leurs explications, alfarabiennes. Notre étude s’ étend jusqu’ aux commentaires anonymes fortement influencés par Siger de Brabant dans les années 1270-1290, en passant par le commentaire de Thomas d’ Aquin, qui a identifié en Proclus la source du Liber. Comme nous le constaterons, le commentaire de Siger (1274/1276) constitue un point d’ orgue dans l’ histoire de l’ exégèse de l’ exemple de la triade esse, vivum, homo.
La liste des textes comprend ainsi, dans l’ ordre chronologique : le commentaire littéral et par questions de Rober Bacon9 ; le commentaire du Ps-Henri de Gand, c’ est-à-dire la reportatio incomplète d’ un commentaire par questions issu de la faculté des Arts de Paris, daté des années 1245-125510, lequel comporte de nombreux matériaux communs avec le commentaire de Roger Bacon ; la paraphrase d’ Albert le Grand, datée de 1269 ; le commentaire continu de Thomas d’ Aquin, daté de 1272 ; le commentaire par questions de Siger de Brabant (1274-1276) ; le commentaire de l’ Anonymus Sectator philosophiae, des questions fragmentaires datant des années 1274-1277, éditées par Dragos Calma11, qui suivent de près le commentaire de Siger et que nous aborderons en même temps que ce dernier ; le commentaire du (Ps?) Pierre d’ Auvergne, un commentaire par questions situé probablement dans les années 1274-1278, édité par Mihai Maga12, et qui sera traité avec le commentaire de Siger ; le commentaire littéral et par questions de Jean de Mallinges, antérieur aux années 1289-1291, édité par Alexandra Baneu et Dragos Calma13, également abordé avec le commentaire de Siger ; le commentaire lemmatique accompagné de dubitationes de Gilles de Rome, daté des années 1289-1291 ; enfin, l’ Anonymus Ausburgensis, un commentaire lemmatique postérieur à 1289-1291, partiellement édité par Alexandra Baneu et Dragos Calma14. Nous nous concentrons dans cet exposé sur certains des textes énumérés précédemment, négligeant l’ étude détaillée d’ autres, dont les positions sont parfois très sommaires ou redondantes par rapport à des textes plus complets, ou encore trop complexes pour pouvoir être expliquées dans toutes leurs nuances. C’ est le cas du commentaire de Roger Bacon, abordé essentiellement en association avec l’ analyse du commentaire du Ps-Henri de Gand. Le commentaire de Guillaume de Leus, qui suit pas à pas le commentaire de Gilles de Rome à propos de l’ exemple, comme l’ illustre parfaitement l’ apparat des sources de l’ édition de Delphine Carron15, n’ a pas été inclus dans cette étude.
Suivant la suggestion de Dragos Calma dans sa description d’ un corpus devenu accessible par la mise au jour d’ un continent de commentaires inédits16, nous nous sommes surtout concentrée sur l’ étude des stratégies exégétiques et des schèmes récurrents de questions, qui montrent la constitution d’ un réseau d’ adages et d’ arguments. Ceux-ci révèlent également une série d’ évolutions profondes sur la période considérée, avec l’ agrégation à l’ exégèse de l’ exemple de la question du réalisme des universaux, puis de celle de la pluralité des formes substantielles. Nous avons choisi de mettre l’ accent sur la question du statut argumentatif et philosophique de la triade esse, vivum, homo, dont l’ examen précis a été quelque peu négligé dans les études sur les commentaires médiévaux au Liber. Sans prétendre à l’ exhaustivité, nous tentons d’ offrir une cartographie des différents usages qui ont été fait de cet exemple. Nous observons la manière dont ces textes fonctionnent en réseau, ou, au contraire, sur certains points, développent des lectures complètement différentes les unes des autres. Le premier cas de figure est notamment illustré par l’ existence de questions reprises pratiquement à l’ identique d’ un commentaire à l’ autre. Cette méthode ‘micro-exégétique’ a l’ avantage de permettre de cerner la manière dont l’ agenda philosophique évolue au cours de la période considérée, et d’ ajouter une pièce, que nous espérons significative, au dossier des stocks d’ arguments et de questions en réseau qui marquent l’ exégèse médiévale latine du Liber.
2 Un régime exégétique complet et un régime restreint de l’ exemple
Nous avons pu identifier, d’ un point de vue exégétique, l’ adoption d’ un régime restreint et d’ un régime complet dans l’ interprétation de l’ exemple de la triade, deux régimes qui ont des conséquences doctrinales importantes, bien que celles-ci n’ en découlent pas mécaniquement.
Nous trouvons parfois une réflexion méta-exégétique, qui donne un statut explicite à l’ exemple et s’ explique sur son traitement. On le voit chez Roger Bacon, qui, après avoir reconnu que la présence de l’ exemple devrait signifier que le premier théorème s’ applique aux formes (tenet in formis)17, conclut en disant que, au regard du premier théorème, où il s’ agit d’ influence « au sens propre », le « commentateur » (c’ est-à-dire l’ auteur des propositions de l’ exemple) ne s’ est guère préoccupé de l’ exemple, où il s’ agit d’ une influence « au sens large »18 : il justifie ainsi le traitement de l’ exemple en régime exégétique restreint. Dans la phrase précédente, il avait dit que l’ exemple, s’ il devait être rapporté à l’ existence d’ une influence quelconque, signifierait de prendre « influence » en un sens large (extendendo nomen influentie), justifiant, au contraire, le traitement de l’ exemple en régime exégétique complet19.
Dans un régime exégétique complet, on considère que l’ exemple est utilisé par l’ auteur du Liber pour illustrer l’ ensemble des propositions initiales du premier theorème, y compris la causalité plus grande de la cause première universelle sur l’ effet de la cause seconde universelle. On traite ainsi non seulement les questions de la non-suppression et de l’ antériorité, mais on envisage également la question de la plus grande causalité de la cause formelle plus générique sur l’ effet de la cause formelle moins générique, ou spécifique, voire la causalité de la cause formelle générique sur la cause formelle spécifique ultime. On peut alors donner raison au Liber, comme dans le cas d’ Albert le Grand, ou le contester radicalement, comme le fait Siger de Brabant. Gilles de Rome donne raison au Liber sur ce point, mais il le fait en déployant une stratégie exégétique très particulière, sur laquelle nous revenons plus loin.
Dans un régime restreint, au contraire, on juge que l’ exemple ne fonctionne, dans l’ économie du texte, que pour la question de l’ antériorité et la non-suppression de la cause formelle générique plus universelles par rapport à la cause générique moins universelles, ou par rapport à la différence ultime. Ce choix exégétique peut être soit justifié de façon explicite, d’ un point de vue doctrinal, comme on le voit chez le Ps-Henri de Grand, qui affirme clairement que le premier théorème ne vaut que pour les causes efficientes, ou encore chez Roger Bacon, avec une position plus nuancée. Il peut être parfois en partie escamoté, dans le but probable de minimiser, pour des raisons pédagogique ou doctrinales, un point de conflit avec la théorie aristotélicienne des substances naturelles. C’ est peut-être ce qu’ on observe chez Thomas d’ Aquin. Dans tous les cas, cependant, du fait de l’ impossibilité de faire entrer les propositions 9, 10, 11 (partiellement), 12 et 13 de l’ exemple dans le cadre de cette interprétation, des stratégies drastiques d’ évitement exégétiques sont mises en place par les tenants d’ un régime restreint de l’ exemple.
Le choix entre ces deux options est chez nos auteurs lié à une série de décisions philosophiques plus générales quant à la possible application, dans le cas des causes formelles, du premier théorème et de ses corolaires (non-suppression, antériorité).
Tous les auteurs s’ entendent en effet pour affirmer que l’ exemple porte sur une comparaison des causes formelles entre elles, au travers de l’ être, de l’ être-vivant, et de l’ être-homme (ou de la rationalité) – à quoi s’ ajoutent dans la proposition 11 le « respirant » et le « sensible » – lesquelles sont en outre considérées comme des causes proches ou lointaines d’ un même effet donné, un homme individuel. C’ est cette interprétation qui conduit souvent à prendre « être » au sens d’ un genre, à moins qu’ il ne soit tout simplement effacé de l’ exemple, comme on le voit chez le Ps-Henri de Gand et chez Roger Bacon. L’ exemple porte aussi, le cas échéant, sur une comparaison des causes formelles entre elles en tant que causes les unes des autres.
Tous les commentateurs s’ accordent ainsi pour formuler la question de la possible application par dérivation du premier théorème, qui porte sur les causes primaires efficientes, aux causes formelles, intrinsèques et non efficientes, du fait de l’ existence d’ un rapport de dérivation de ces dernières avec les premières, même si cette application par dérivation peut ne jamais être complète. La réponse des tenants d’ un régime exégétique complet et d’ une interprétation forte de la primauté de la cause première, valable également dans le cas des causes traitées dans l’ exemple, sera positive. Les tenants d’ un régime restreint et d’ une interprétation faible opteront généralement pour la négative, considérant que la causalité par influx, et, ainsi, le premier théorème, ne vaut pas pour les causes formelles. En conséquence, ils adhèrent à une version faible, voire très faible, de la thèse de la non-suppression et de l’ antériorité de la cause formelle plus universelle. Thomas d’ Aquin développe une position ambiguë puisqu’ il soutient, sur le principe, l’ existence d’ une application du premier théorème à toutes les causes, mais il ne l’ applique pas dans son commentaire de l’ exemple, qui est centré sur les notions de non-suppression et d’ antériorité uniquement ; il opte ainsi pour une interprétation de l’ exemple de très basse intensité philosophique, fondée sur une subtile présentation d’ une série d’ arguments en double lecture.
Le régime complet se lit chez Roger Bacon, en prenant « influence » au sens large, puis chez Albert le Grand, chez Gilles de Rome, et chez Jean de Mallinges (dans le commentaire lemmatique). Il est présent, chez Siger de Brabant, mais pour se situer sur un autre plan, ou voir rejetée sur le principe la thèse qu’ il comporte, du fait d’ une interprétation de la théorie aristotélicienne de la substance fondée sur le refus de la pluralité des formes substantielles20.
Le régime restreint se formule chez le Ps-Henri de Gand, chez Roger Bacon, lorsque « influence » est pris au sens strict, puis dans les commentaires de Thomas d’ Aquin, du (Ps?) Pierre d’ Auvergne, de l’ Anonymus Sectator Philosophiae, puisqu’ il ne suit pas Siger sur ce terrain (pour autant qu’ on puisse en juger, étant donné l’ état lacunaire du texte), et chez Jean de Mallinges (dans les questions). La stratégie de ces auteurs consiste généralement à distinguer l’ antériorité et la non-suppression selon le temps et selon l’ ordre des causes, pour donner raison au Liber de causis seulement selon l’ ordre naturel des causes, mais non selon le temps, dans la réalité des processus naturels. Une question épineuse consiste alors se demander si cet ordre vaut aussi dans l’ ordre de la corruption, surtout après que le traitement de l’ exemple a fait jonction avec à la question de la pluralité des formes substantielles.
S’ il est difficile à ‘aristotéliser’, en cas d’ adhésion à la thèse qui y est exposée, le régime complet est bien davantage conforme à la lettre du texte du Liber. Il paraît découler du sens immédiat des premières propositions. Celles-ci invitent à établir un parallélisme fort entre la causalité de la Première Cause par rapport à la cause seconde et la relation entre les causes secondaires elles-mêmes ; les propositions 6 à 13 sont censés « illustrer » ces relations, ce qui implique la causalité plus forte de la cause lointaine dans l’ ordre des causes formelles naturelles. Surtout, cette interprétation peut s’ appuyer de façon assez incontournable sur la présence de l’ adverbe vehementius et du comparatif vehementior pour qualifier le rapport de la première cause à la cause seconde dans les propositions 9, 10, 12 et 13 de l’ exemple, sans compter l’ idée que la cause première est davantage cause de l’ effet de la cause seconde parce qu’ elle est cause de la cause seconde (propositions 9 et 10, proposition 11 partiellement).
Ces passages représentent une très grande portion du texte de l’ exemple. En conséquence, l’ adoption d’ un régime restreint de l’ exemple s’ accompagne de la mise en place de stratégies d’ évitement exégétique particulièrement radicales. Le premier théorème et les propositions 9, 10, 11 (partiellement), 12 et 13 sont totalement passés sous silence, qu’ elles soient ‘sautées’ dans les commentaires continus, comme c’ est le cas chez Thomas d’ Aquin, ou qu’ elles ne soient pas représentées dans les questions des commentaires par questions. Chez Jean de Mallinges, un commentaire d’ ensemble, quoique très superficiel et ‘doxographique’, de l’ exemple, dans la partie littérale du commentaire, côtoie un traitement escamoté de l’ application du premier théorème à la triade dans une question qui formule pourtant une thèse connexe.
Le régime faible est, à l’ évidence, plus facile à défendre d’ un point de vue aristotélicien. On peut trouver dans ce cadre une place, quoique bien délimitée, à l’ idée d’ un ordre des causes formelles. Si la forme spécifique ultime est bien la substance des individus naturels, à l’ exclusion du genre, est disponible l’ idée, dans un contexte aristotélicien, sur un plan logique, ou topique, que la suppression de l’ espèce n’ entraîne pas la suppression du genre. De même, l’ actualisation par la forme spécifique ultime s’ accompagne bien chez le Stagirite d’ une théorie de l’ « échelle des êtres » dans la nature, et d’ un ordre dans l’ actualisation de la forme au cours de la génération, que cet ordre soit ensuite interprétée dans un sens pluraliste ou uniciste, et que le parallèle entre la corruption, qui ‘détricoterait’ la hiérarchie des formes et la génération, qui les aurait ‘tricoté’, soit affirmé ou non.
3 Les divergences fondamentales et l’ évolution de l’ exégèse
3.1 L’ argument de la suppression et de l’ antériorité et les autres éléments porphyriens
L’ argument de la non-suppression et de l’ antériorité tient une place très importante dans l’ exégèse de l’ exemple. Tels que présentés dans la plupart des commentaires au Liber, l’ argument de la suppression et l’ argument de l’ antériorité sont en effet couplés et forment comme une sorte de ‘superstructure’. Ils donnent lieu à une règle amphibie qui vaut pour tous les ordres de causes, qu’ elle soit Première, primaires et secondaires, efficientes, formelles, finales et même matérielles, s’ appliquant en philosophie naturelle comme en métaphysique. L’ argument fonctionne pour l’ embryologie, la taxinomie, la théorie des conséquences, la théorie de prédicables et l’ arbre de Porphyre.
Il convient très brièvement d’ en rappeler les éléments techniques, d’ évoquer quelques-uns des autres thèmes auxquels il est associé dans la tradition de l’ Isagogè, et, enfin, de souligner la prégnance dans la tradition d’ une interprétation ontologique et même métaphysique, en termes de flux, des relations des genres et des espèces.
L’ argument de la non-suppression et de l’ antériorité est particulièrement bien connu à travers l’ Isagogè de Porphyre. Le philosophe se sert notamment de celui-ci pour établir l’ antériorité du genre sur l’ espèce :
Les genres sont antérieurs en nature et ils entraînent la co-suppression (simul interimentia) mais ne sont pas supprimés en même temps (non simul interimantur)21.
Le principe est exprimé de façon particulièrement claire et synthétique dans le De Arithmetica de Boèce, avec un exemple proche de l’ exemple du Liber :
La suppression de ce qui est antérieur, quel qu’ il soit, entraîne la disparition de ce qui est postérieur, mais si ce qui est postérieur périt, rien ne change dans le statut de la substance de ce qui est antérieur, comme l’ animal, qui est antérieur à l’ homme. Si tu enlèves l’ animal, aussitôt la nature de l’ homme est également enlevée, mais si tu enlèves l’ homme, l’ animal ne disparaît pas22.
Comme l’ a montré Alain de Libera23, qui parle justement d’ « antériorité en suppression », l’ argument de la suppression fonde l’ antériorité et la position principielle et fondationnelle d’ un item Y sur un autre X. L’ argument de la suppression et l’ antériorité se formule de la façon suivante :
Principe de la suppression et de l’ antériorité :
Suppression de Y ⇒ Suppression de X~ (Suppression de X ⇒ suppression de Y)Y : antérieur, constitutif, principe de X
Le principe est ainsi fondé sur une certaine conséquence logique, qu’ il est possible d’ exprimer sur le mode du modus tollens, comme nous le verrons avec Albert le Grand et Thomas d’ Aquin.
La capacité de la non-suppression à établir l’ antériorité dépend cependant du type de suppression à l’ œuvre. Il faut qu’ il s’ agisse de ce que les commentateurs anciens ont appelé la ‘suppression en pensée’, qui concerne les différences par soi, inséparables et constitutives, telles les différences spécifiques à l’ égard de l’ espèce, et non de la ‘suppression en acte’. Les différences accidentelles, tel le noir du corbeau, ou les propres, telle la capacité à rire pour l’ homme, sont inséparables en acte mais séparables en pensée, de sorte qu’ ils ne sont pas antérieurs aux espèces et n’ en sont pas constitutifs. En revanche, les différences constitutives de l’ espèce sont telles qu’ il est impossible de concevoir l’ espèce sans elles, telle la rationalité pour l’ homme.
Une difficulté provient alors de la relation de la différence diviseuse du genre, qui, si elle ne le supprime pas, ne peut lui être complètement accidentelle, par exemple ‘rational’ pour ‘animal’. Tel n’ est pas le cas pour Porphyre, car le genre contient en puissance les différences spécifiques constitutives des espèces qui lui sont subordonnées. Le genre n’ existe ainsi pas en acte séparément pour recevoir ensuite des déterminations ultérieures à la façon dont une substance sensible une fois constituée reçoit des accidents ultérieurs :
L’ animal possède en puissance toutes les différences des [espèces] qui sont sous lui, mais aucune en acte. De la sorte rien ne naît de ce qui n’ existe pas, et les opposés n’ appartiennent pas simultanément au même sujet24.
Ces éléments apparaîtront régulièrement au fil de la discussion de l’ exemple dans les commentaires latins du XIIIe siècle.
Comme tous les arguments de l’ Isagogè, l’ argument de la suppression et de l’ antériorité comporte une ambiguïté fondamentale chez Porphyre qui alimentera les réflexions médiévales au fil de la découverte du néoplatonisme, de la philosophie arabe et de la philosophie naturelle d’ Aristote. Il peut avoir une signification seulement topique, telle qu’ on la retrouve dans les Topiques IV, 4, 141b, en termes d’ inclusion conceptuelle, au sens où le concept d’ homme inclut le concept d’ animal et il est ‘supprimé’ par lui, mais pas inversement. Mais on peut aussi y lire une thèse ontologique forte, celle de la subsistance antérieure du genre et de la différence constitutive par rapport à l’ espèce qu’ ils « constituent » et « font exister », comme le formule Porphyre. Une conception associée à cette théorie est, dans l’ Isagogè, la description du genre comme « matière », et de la différence spécifique comme « forme »25, qui fera également son apparition dans les discussions médiévales.
Une lecture métaphysique forte de l’ arbre de Porphyre, d’ inspiration néoplatonicienne, est attestée également très tôt, par la connaissance alto-médiévale de la théorie de trois états de l’ universel (ou de la distinction médio-platonicienne entre idea et eidos), mais aussi grâce au premier commentaire de Boèce à l’ Isagogè. Celui-ci s’ ouvre sur une déduction des prédicables à partir du genre de la substance, une déduction fondée sur un métaphysique du flux (manare) à partir d’ une source unique :
[À propos du genre] Videns enim Porphyrius quod in rebus omnibus essent quaedam prima natura, ex quibus omnia uelut ex aliquo fonte manarent, et illa quae prima essent, et substantia esse et generis uocabulo nuncupari (…)26.
3.2 Enjeux doctrinaux
Outre l’ identification, partagée par les commentateurs médiévaux, de la triade de l’ exemple à des causes formelles non efficientes intrinsèques, l’ adoption d’ un cadre philosophique naturaliste, en termes d’ embryogénèse, se couple avec la défense de l’ idée que l’ individu généré naturel est porté à l’ actualisation par la forme ultime qui en est la forme substantielle. Ces éléments motivent une lecture restreinte de la portée de l’ exemple. On voit en effet difficilement dans ce cadre comment l’ être ou l’ être-vivant pourrait être davantage cause de l’ homme que la rationalité, comme différence ultime.
Il existe une autre difficulté dans la formulation des propositions 9 et 10, lorsque celles-ci sont soumises à une lecture naturaliste. Ces deux propositions laissent en effet clairement entendre que chaque forme est cause de la suivante. Dans le cas précis de l’ exemple, la forme antérieure (l’ être-vivant, ou le sensible) serait cause de la forme ultime, l’ être-homme ou la rationalité. Si l’ on peut bien admettre, d’ un point de vue embryologique, que le sensible soit « causé par le vivant », au sens où la forme de l’ animal est éduite de la matière déjà informée par l’ âme végétative et disposée à la réception de la forme de la sensibilité, on ne peut admettre que le vivant soit la « cause » du rationnel, du moins de la même façon. L’ âme rationnelle, de l’ avis général, est en effet infusée par création par Dieu, et non éduite de la matière. Elle peut bien être « causée » par le vivant, dans le sens très faible d’ une condition nécessaire et non suffisante, au sens où l’ infusion de la forme, l’ âme rationnelle, ou l’ actualisation de celle-ci déjà infusée, exige comme condition que l’ être ait la complexion corporelle adéquate, mais cela ne peut pas être dans le même sens où l’ âme animale est éduite du vivant.
L’ usage d’ un passage du De Generatione animalium, livre II, chapitre 3, 736b2-3 qui affirme que « ce n’ est pas le cas que l’ animal et l’ homme soit généré en même temps », est assez révélateur dans ce contexte. C’ est une source sur laquelle presque toutes les discussions se fondent. Le texte va bien dans le sens de la thèse de l’ antériorité du Liber, et il est souvent utilisé en ce sens par des commentateurs de tous bords, notamment Albert le Grand ou Gilles de Rome. D’ autres, qui formulent ce que nous appelons l’ « adage de la génération et de la corruption », attribuent indûment à Aristote une proposition symétrique, dans l’ ordre de la corruption. En outre, le passage suivant (736b5 sqq.) fait porter l’ interrogation sur la venue de l’ intellect, pour affirmer un peu plus loin que l’ intellect est quelque chose de « divin » et vient « de l’ extérieur » (736b28-30). Le problème de l’ hétérogénéité des causes dans la série des formes substantielles, où la forme ultime, l’ âme rationnelle, n’ est ni causée par les formes antérieures, ni éduite de la matière, pourrait avoir été une motivation supplémentaire pour éviter de commenter le contenu des propositions 9 et 10, à moins d’ affronter directement la difficile question de l’ intellect. La stratégie inverse s’ observe cependant chez Siger de Brabant, et chez le (Ps?) Pierre d’ Auvergne à sa suite, qui, toutefois, ne sont pas liés par l’ adoption de la thèse du Liber, puisqu’ ils la contestent. Le traitement de cette question, bien qu’ abordée ailleurs par Albert, est éludé dans la paraphrase au Liber, de même que la question des conditions de la non-suppression de la forme générique si celle-ci existe seulement en puissance, comme nous le verrons plus loin.
3.3 Stratégies de contournement au sein du régime restreint
Le régime restreint se traduit, dans les commentaires par questions, par le fait que les questions sur l’ exemple portent uniquement sur l’ antériorité, ou bien sur l’ antériorité et la non-suppression.
Dans les commentaires suivis, l’ évitement des autres thèses peut être instrumenté par le découpage du texte. On l’ observe chez Thomas d’ Aquin, en une stratégie exégétique que nous examinerons plus loin en détail. Cette stratégie lui permet de ne pas commenter les propositions 9, 10, 12 et 13, qui affirment que l’ être est plus fortement cause de l’ homme que le rationnel et que la cause première est cause de la cause seconde, et pas seulement de l’ effet de cette dernière. Elle lui permet également de négliger la phrase du proposition 11, qui relie la relation de non-suppression et la relation de cause à effet en expliquant la première par la seconde : l’ être n’ est pas supprimé par la suppression de l’ être-vivant car la cause n’ est pas supprimée par ce dont elle est la cause, c’ est-à-dire la cause seconde inférieure, l’ être-vivant (et non l’ effet de cette dernière).
Il en va tout autrement dans le commentaire continu de Gilles de Rome, tenant d’ un régime exégétique complet de l’ exemple et d’ une interprétation forte de la primauté de la première cause. Il développe une exégèse totalement originale, en divisant les propositions de l’ exemple de façon inédite. Il dissocie la proposition 11, qu’ il fait porter sur la « cause matérielle », des propositions 6 à 10, concernées par les causes formelles, tandis que les propositions 12 et 13 sont censées résumer l’ ensemble de l’ argument27.
3.4 L’ émergence de la question de la causalité des prédicables universels et de la question de pluralité des formes substantielles
Il existe des phases assez marquées dans l’ exégèse de la triade, phases qui sont, à différents degrés, modulaires ou cumulatives. Certains arguments, formulés dès les premiers commentaires, continuent d’ être réemployés dans des phases ultérieures, en changeant de sens ou d’ usage, tandis que d’ autres disparaissent et que de nouveaux voient le jour.
Les questions autour de la triade deviennent particulièrement riches d’ un point de vue philosophique lorsqu’ elles mettent en rapport la question de la causalité des causes secondes avec la question du réalisme des universaux (et la causalité des Idées), ainsi qu’ avec celle de la pluralité des formes substantielles, adossée au problème de l’ intellect. La constellation de problèmes la plus riche se rencontre ainsi chez Siger de Brabant.
La question du réalisme des universaux et de la causalité des idées, ainsi que le problème de la pluralité des formes substantielles, ne se trouvent pas de façon systématique au début de la tradition exégétique du Liber à propos de l’ exemple de la triade. L’ idée qu’ il puisse s’ agir dans l’ exemple de prédicables universels comme des genres et des espèces de l’ arbre de Porphyre ou des idées comme causes des singuliers n’ affleure même pas dans le commentaire du Ps-Henri de Gand. Ce rapprochement est mentionné, pour être rejeté sur le principe, par Roger Bacon. Le genre et l’ espèce comme prédicables universels ne sont pas causes : or il s’ agit, dans le Liber, avec cet exemple, des causes formelles de la génération. La même idée, formulée comme un principe aristotélicien, fondé sur le livre VII (Z), chapitre 13, de la Métaphysique, se trouvera chez Siger de Brabant : « rien de ce qui est prédicable universel à l’ égard de quelque chose n’ est cause de cette chose ». Ce ne peut donc pas être en tant que prédicables universels que les Idées à la manière de Platon peuvent être éventuellement causes. Une opposition explicite avec les « platoniciens », du moins les « mauvais platoniciens », distingués des tenants de la doctrine de Platon « bien entendue », apparaît parfois dans ce cadre (Siger de Brabant, (Ps?) Pierre d’ Auvergne, Anonymus Sectator philosophiae).
De la même façon, Roger Bacon rejette l’ idée qu’ il pourrait être pertinent de discuter de la « suppression par la pensée » dans le texte du Liber, car il s’ agit toujours selon lui de suppression réelle. Au contraire, Albert va utiliser l’ argument de l’ inséparabilité en pensée et lui donner ses lettres de noblesse métaphysiques. De même, la propriété de prédicabilité universelle de la cause sera affirmée par Albert, mais c’ est une propriété secondaire, dérivée : c’ est parce qu’ une cause est antérieurement cause sur un mode plus unitaire qu’ elle est universelle, et, par conséquent, prédiquée d’ une pluralité. C’ est ainsi que les formes sont à la fois universellement prédicables et causes par effusion des choses individuelles.
Une autre inséparabilité, parmi les inséparabilités réelles, est envisagée par le Ps-Henri de Gand et Roger Bacon. Il s’ agit de savoir si l’ on pourrait donner raison au Liber dans l’ ordre de la succession réelle des formes dans la corruption, selon une inséparabilité faible : celle de la perte de l’ usage de la rationalité, par opposition avec la perte de la rationalité comme forme substantielle ultime. Dans ce dernier cas, le Liber aurait tort puisque toutes les formes sont co-supprimées avec la perte de la forme ultime. La position sur cette possibilité exégétique est négative pour nos deux auteurs, qui tous deux estiment qu’ une notion faible de suppression selon l’ usage de la raison ne fait pas partie des types de suppression à envisager dans l’ exégèse du Liber. Au contraire, comme nous le verrons, l’ idée d’ une perte de l’ usage de la raison sera bien utilisée par Thomas d’ Aquin pour donner raison au Liber en un sens très affaibli, et on la retrouvera chez Siger de Brabant.
Sans être complètement absente, d’ un point de vue doctrinal, des premiers commentaires, qui considèrent comme évidents à la fois l’ existence d’ une pluralité de formes et la co-suppression de toutes formes dans la corruption de la forme ultime, un questionnement radical sur la pluralité des formes ne s’ agrège que dans un second temps à l’ exégèse du Liber. Elle n’ est traitée en tant que telle ni par Albert le Grand, ni par Thomas d’ Aquin. Cette situation correspond bien à l’ idée d’ un agenda philosophique qui change entre 1272 (date du commentaire de Thomas) et 1274-1276 (date du commentaire de Siger), un agenda philosophique qui évoluera sans doute encore une fois après les condamnations de 1277. Alors que Thomas est sur ce thème très discret, ou très prudent, selon l’ interprétation que l’ on préfèrera, on trouve une référence explicite aux ‘grades’ des formes chez Siger de Brabant (une référence que l’ on lit de nouveau chez le (Ps?) Pierre d’ Auvergne). On trouve également une critique explicite de la position uniciste de Thomas chez l’ Anonymus Ausburgensis et chez Jean de Mallinges, ce qui suggère que nos auteurs ont percé à jour les sous-entendus du dominicain, en dépit de ses formulations très indirectes.
3.5 Panorama des stratégies exégétiques et des positions doctrinales
Le tableau suivant résume les différentes stratégies exégétiques des tenants des régimes restreint et complet de l’ exemple.
Nous y faisons figurer en troisième position Siger de Brabant, dans une colonne à part, puisque celui-ci se distinguent des tenants du régime restreint en affrontant directement l’ exemple dans les termes d’ une causalité supérieure de la cause formelle plus universelle, mais c’ est pour la rejeter.
Nous faisons également figurer dans cette troisième colonne Roger Bacon qui, de ce fait, apparaît dans deux colonnes en même temps. Il partage avec les tenants du régime restreint de l’ exemple, en l’ occurrence le Ps-Henri de Gand, l’ idée explicitement formulée que le premier théorème ne peut valoir pour les causes formelles, qui n’ agissent pas par influence. Il offre alors un dubium en régime restreint à propos de l’ exemple, centré uniquement sur la non-suppression et l’ antériorité. Mais il propose une autre interprétation, dans laquelle un régime exégétique complet peut s’ appliquer. Cela se produit de deux façons, dans deux dubia distincts : soit que la notion d’ influence y soit prise au sens large, pour s’ appliquer aux causes « intrinsèques »28, c’ est-à-dire aux causes formelles de l’ exemple ; soit que le premier théorème se reformule en termes de causes, où « influence » et « cause » sont considérés comme deux termes équivalents (idem est magis influere et magis esse causam)29, pour pouvoir ensuite s’ appliquer aux causes formelles de l’ exemple. Dans le doute sur les formes intrinsèques, le théorème s’ applique, c’ est-à-dire que le genre est davantage cause que la différence ultime, du moins s’ il s’ agit de la forme ultime prise absolument, comme la « rationalité », et non en un sens qui engloberait toutes les formes antérieures, comme le serait le « rationnel »30. Dans le doute sur les formes de l’ exemple, qui fait d’ ailleurs référence au doute sur les formes intrinsèques à propos d’ un argument antérieur (et huius ratio dicta est)31, le théorème s’ applique également, avec une solution comparable à celle du premier doute, quoique radicalisée. Il y est en effet dit que c’ est la cause universelle appropriée (appropriata) par la cause ultime qui est la cause de l’ effet, et que, inversement, la forme ultime qui n’ inclurait pas les causes antérieures plus universelles ne serait tout simplement pas cause, ni, a fortori, davantage cause32.
Seul l’ Anonymus Ausburgensis figure uniquement dans ce tableau, la position des autres auteurs étant examinée plus en détail dans la suite de cette étude.
Tableau 1
Régimes exégétiques dans les commentaires par questions
Régime exégétique complet |
Régime exégétique restreint |
Régime exégétique complet avec une position doctrinale critique |
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Roger Bacon |
Régime restreint : Consequentet dubitatur de hoc quod dicit quod si removeatur rationale remanet vivum spirans sensibile. |
Régime complet : [Dubitatur de causis intrinsecis, de influentia in ipsis large accepta ; queritur de ipsis que magis influat] Dubitatur de suis exemplis primo super hoc quod dicit quod esse magis est causa hominis quam rationale. |
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Ps-Henri de Gand |
Questio 13 : Cum causae hominis sint vivens, spirans, sensibile rationale, remoto rationali adhuc remanet vivens spirens sensibile. |
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Siger de Brabant |
Quaestio 4 : Utrum in causis formalibus alicuius rei sit aliqua forma prior et aliqua posterior Questio 5 : Utrum forma communis posterior sit prior et forma minus communis sit posterior Régime complet : Questio 6 : Utrum forma magis communis sit magis causa quam forma minus communis Questio 7 : Utrum cum aliquod individuum hominis non est homo remaneat animal |
||
Anonymus ‘Sectator Philosophiae’ |
Questio 3 : Utrum in eodem effectu sit causa communior et minus communis Questio 4 : Utrum causa communior sit prior |
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Ps-Pierre d’ Auvergne |
Quaestio 6 : Utrum esse prius adveniat homini quam vivum et vivum quam rationale Questio 7 Utrum prius recedat ab eo vivum quam esse, et rationale quam vivum. |
||
Jean de Mallinges |
Commentaire lemmatique : Reprise de la thèse des propositions 9 et 10 : « esse causa vivere, vivere causa hominis ». [Citation d’ Albert le Grand sur la non-suppression de la cause par la suppression de l’ effet]33 [Citation de la position de Thomas selon laquelle esse, vivum et rationale ne diffèrent pas dans un même individu, mais qu’ il y a priorité selon la raison]34. |
Quaestio 8 : Utrum forma magis universalis in eodem causato differt a forma minus universali Quaestio 9 : Utrum forma magis universalis habeat rationem cause respectu cause particularis Quaestio 10 : Utrum forma magis universalis prius adveniat et ultimo recedat. Réponse inspirée de la position d’ Albert le Grand |
Tableau 2
Régimes exégétiques dans les commentaires suivis
Régime complet |
Régime restreint |
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Albert le Grand |
Commentaire des propositions 6 à 13 |
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Thomas d’ Aquin |
Pas de commentaire sur les propositions 9, 10, 12 et 13, commentaire partiel de la proposition 11 |
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Gilles de Rome |
Propositions 6 à 10 : exemple de la cause formelle = argument par similitude avec la cause efficiente Dubium : Dubitaret forte aliquis quommodo sit simile in causis efficientibus et formalibus Proposition 11 : exemple de la cause matérielle, argument par similitude avec la cause efficiente. Dubium : Dubitaret forte aliquis quommodo haec ratio sit per simile causis materialibus Propositions 12 et 13 : récapitulation de l’ enseignement de l’ exemple. |
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Anonymus Ausburgensis |
Rejet de la distinction de Gilles de Rome entre les propositions 6 à 10 et la proposition 1135. Critique de l’ interprétation de Thomas à propos de la suppression en pensée36. |
Nous allons à présent examiner les différents traitements de l’ exemple dans leur cohérence propre. Nous traitons à part, dans un troisième temps, le commentaire de Siger de Brabant. Nous évoquons ensuite quelques commentaires postérieurs à celui-ci, où les arguments de ce dernier laissent leur empreinte, en même temps que sont évoqués, critiqués ou utilisés les arguments du Ps-Henri de Grand, Roger Bacon, Albert le Grand, Thomas d’ Aquin, et Gilles de Rome.
4 Traitements de l’ exemple en régime exégétique restreint
4.1 Roger Bacon (ca. 1245) et le Ps-Henri de Gand (1245-1255)
Nous trouvons un certain nombre d’ éléments généraux communs entre le commentaire du Ps-Henri de Gand et celui de Roger Bacon. Ce dernier aborde dès le départ la question de l’ application du théorème aux causes formelles37. On observe chez les deux auteurs une démarche qui consiste à énumérer les types de causes auxquelles le premier théorème pourrait s’ appliquer, pour ensuite envisager ce dernier en lui-même, puis commenter le texte du « commentateur », c’ est-à-dire les propositions qui suivent le premier théorème. Comme nous l’ avons vu grâce au tableau offert précédemment, nous trouvons l’ équivalent exact de la question 13 du Ps-Henri de Grand38 chez Roger Bacon39. Du fait de la différence avec la lettre du texte du Liber, par la suppression de esse lors de l’ introduction de sensibile et de respirans, présents à la proposition 11, pour une discussion de l’ exemple en quatre termes (vivum, respirans, sensibile, rationale), on pourrait supposer une influence de Roger Bacon sur le Ps-Henri de Gand. Nous trouvons également chez Roger Bacon des ‘ingrédients’ de la discussion qu’ il semble lui-même avoir trouvés chez des prédécesseurs ou des interlocuteurs, fictifs ou non40. La plupart de ces ingrédients seront repris par le Ps-Henri de Gand, et ils deviendront récurrents dans les textes postérieurs, comme nous le verrons en détail au cours de l’ examen. Roger Bacon envisage en outre des distinctions qui ne seront pas reprises par le Ps-Henri de Gand. Nous les faisons figurer dans la discussion, car elles seront en partie reprises dans la tradition ultérieure. Nous avons privilégié ici le commentaire du Ps-Henri de Gand en raison de la bien plus grande clarté du texte et de son appartenance à un régime et une interprétation clairs de l’ exemple. Le suivi détaillé de la position de Roger Bacon, beaucoup plus subtile et nuancée, que nous avons déjà évoquée plus haut, lors de la présentation du tableau synoptique, aurait entraîné de trop longues explications.
Le Ps-Henri de Gand applique un régime restreint à l’ exemple. Le premier théorème est traité à partir de la question 4. Les questions 4 à 9 s’ attachent à déterminer quelles sont les causes concernées par ce théorème. Celui-ci s’ applique, selon le Ps-Henri de Gand, exclusivement aux causes efficientes. La question 4 établit que toutes les causes efficientes, quel que soit leur type, qu’ elles soient Première, agissant par pure volonté, primaires, spirituelles, naturelles ou qu’ elles agissent par génération, agissent par influx, du fait qu’ elle sont extérieures à ce qu’ elle cause (extra) et que, sans médiation, elles ne peuvent atteindre que la superficie des substances41. Ce point sera développé à plusieurs reprises par la suite des questions, notamment à la question 6, où le commentateur nie que l’ agent d’ une production artificielle agisse par influx, et dans la réponse à la question 8, où la position défendue est bien résumée dans sa généralité42.
La question 5 établit que la causalité par influx de la puissance (influentia virtutis) ne concerne pas les causes formelles. Il s’ agit en effet de causes intrinsèques (agens intra) qui agissent de façon immédiate par la présence de la substance, que ces formes soient incomplètes, ou complètes, comme dans le cas de l’ âme, perfection du corps43.
Les questions 9 et 10 traitent du théorème, puis les questions 11 et 12 des propositions du « commentateur », Alfarabi, c’ est-à-dire du texte du Liber à partir de la deuxième proposition. Les questions de la non-suppression et de l’ antériorité de la première cause, qui avaient été anticipées dans le commentaire sur le théorème, y sont de nouveau traitées dans l’ ordre. L’ auteur compare également les agents généraux et les agents particuliers, de sorte que le cas de la relation entre le soleil et l’ homme géniteur comme causes efficientes d’ un homme donné devient l’ objet d’ une interrogation spécifique à partir de la question 10. On retrouve ce trait chez d’ autres commentateurs.
La triade de l’ exemple est transformée entre une série à quatre termes : vivant, respirant, sensible, rationnel, selon une opération exégétique qui remonte au moins à Roger Bacon, comme nous l’ avons vu. L’ être est mis hors champ. Seule la question de la non-suppression est alors envisagée. L’ exemple est traité à la question 13 : « Puisque les causes (causae) de l’ homme sont le vivant, le doué de respiration, le sensible et le rationnel, une fois supprimé le rationnel, est-ce que demeurent le vivant, doué de respiration et le sensible ? »44. On voit, par la formulation même de la question, ainsi que par la mention des formes « incomplètes » dans la question 5, qu’ une interprétation de la doctrine d’ Aristote en termes de pluralité des formes substantielles était alors considérée comme parfaitement naturelle. D’ autre part, l’ usage des participes et de l’ adjectif neutre substantivé permet d’ éviter certaines maladresses du Liber lui-même à la proposition 11. La formulation de cette dernière semblait en effet présupposer que l’ homme demeure le sujet des formes substantielles « être » et « être-vivant », alors même qu’ il aurait perdu la rationalité et ne serait plus homme (remanet ergo homo esse), une formulation remplacée immédiatement par le Liber, avec une référence plus heureuse, à l’ « individu (individuum) ».
La réponse du Ps-Henri de Gand consiste à donner à la fois tort et raison au Liber selon l’ interprétation que l’ on donne des termes, collectionnant les exemples, les arguments-types, les principes et les adages en faveur de l’ une ou l’ autre des positions.
Contre la thèse de la non-suppression, l’ auteur avance l’ idée que les quatre causes sont les mêmes selon l’ essence (eadem in essentia), un argument également présent chez Roger Bacon45, et l’ idée que la destruction du « postérieur » dans un individu donné, l’ humanité, entraîne la destruction du genre, selon l’ adage : Nihil est in genere quod non sit in aliqua eius specie. Cet adage, inspiré du livre IV des Topiques (121a28-29), se trouve formulé dans les Auctoritates : Nihil est in genere quod non sit in aliqua suarum specierum46. Nous l’ appelons l’ « adage du genre sans espèce » :
Adage du genre sans espèce : Nihil est in genere quod non sit in aliqua eius specie (autorité ≈47 Aristote, Topiques ; = Auctoritates).
L’ argument, tel que présenté par le Ps-Henri de Gand, selon une modalité assez vague, paraît légèrement spécieux. Le même argument se trouve chez Roger Bacon, mais il est compris en un sens philosophique beaucoup plus pertinent, qui lui permet de discuter de l’ espèce à laquelle appartiendrait l’ individu animal qui aurait contre-factuellement perdu sa différence ultime, la rationalité : il envisage alors la possibilité d’ une mutation d’ une espèce en une autre48.
En faveur de la thèse de la non-suppression, le Ps-Henri de Gand énonce l’ adage : Quod est ultimum in generatione est primum in corruptione, un adage, comme on l’ a vu, tiré par extrapolation du traité de la Génération des Animaux III, IV, 736b30 sqq. Nous l’ appelons l’ « adage de la génération et de la corruption » :
Adage de la génération et de la corruption : Quod est ultimum in generatione est primum in corruptione (autorité ≈ Aristote, Génération de animaux, II, 3, 736b2-3).
Lorsqu’ il argumente, dans sa solution, en faveur de la thèse de la non-suppression de la première cause, le commentateur commence par rejeter la pertinence d’ une stratégie qui consisterait à donner raison au Liber en envisageant seulement la rationalité en acte (in actum), l’ acte de raisonner (actus ratiocinandi). Celui qui n’ exerce pas en acte sa rationalité, par exemple l’ imbécile (fatuus), peut bien rester un être vivant et sensible. Cependant l’ ambition du Liber ne se limite pas à statuer sur des opérations49. Il s’ agit pour le Ps-Henri de Grand de la capacité à raisonner (in aptitudinem / potentiam / virtutem), non de l’ acte de raisonner, ce qui nous renvoie à la définition de l’ âme comme « entéléchie première » dans le deuxième livre du De anima. Il s’ agit de la puissance de l’ âme (potentia animae) qui est la différence ultime complétive de l’ homme en tant qu’homme (ultima differentia completiva hominis sub ratione qua homo).
Roger Bacon envisage la même distinction, avec le même exemple des imbéciles (fatui), mais il considère que la réponse est également négative lorsqu’ il s’ agit de la capacité, et non de l’ acte, et, d’ une manière générale, révoque globalement la pertinence de la distinction, dans le cadre du Liber, quelle que soit la branche de l’ alternative retenue (sed non est intellectus actoris)50. Il propose également une autre distinction, entre séparation (remotio) du rationnel « par la pensée et l’ imagination », auquel cas la réponse peut être positive (c’ est-à-dire il n’ y a pas de co-suppression), et séparation réelle, c’ est-à-dire la mort. Cette distinction n’ est pas retenue par le Ps-Henri de Gand. Roger Bacon, de nouveau, en dénonce la pertinence du point de vue du Liber (non est de intellectu plane). Dans l’ exemple, il s’ agit toujours pour Roger Bacon de séparation réelle (remotio realis)51.
Le Ps-Henri de Gand donne tort et raison au Liber, selon l’ ordre des choses envisagé. Selon l’ ordre et le procédé de la nature, le Liber a raison selon le Ps-Henri de Gand, qui invoque alors un nouvel adage, tiré d’ Averroès52 que nous appelons l’ « adage de la pénétration première des formes plus universelles » :
Adage de la pénétration première des formes plus universelles : formae universaliores prius inducuntur in materia (autorité = Averroès, In Metaphysica I/com.17, Venezia, 1562, p. 14v (K).
Puis il utilise de nouveau l’ « adage de la génération et de la corruption ». Il donne alors tort au Liber selon l’ écoulement du temps (duratio temporis). Il exprime quelque hésitation (forte), et souligne que d’ autres pourraient soutenir le contraire en se fondant, de nouveau, sur l’ « adage de la génération et de la corruption ». Il suggère finalement que cet adage ne vaut pas dans l’ ordre de la corruption, car le parallèle ne vaut pas entre la corruption, qui n’ est pas ordonnée, et la génération, qui est ordonnée selon la nature.
Il répond ensuite aux arguments du quod sic en distinguant l’ identité essentielle des causes entre elles, où l’ identité ne s’ applique pas, car l’ essence du vivant n’ est pas l’ essence de l’ animal ni celle de l’ homme, et l’ unité des essences dans la constitution d’ une même réalité ; puis en distinguant l’ antériorité et la postériorité selon la nature et selon le temps53. La solution de Roger Bacon est très similaire, si ce n’ est qu’ il n’ évoque pas l’ « adage de la génération et de la corruption », ce qui lui évite d’ avoir à discuter le cas de la suppression selon l’ existence en acte dans le temps. Il semble même accepter, à titre d’ hypothèse, l’ idée d’ une rémanence de l’ animal selon un acte incomplet, sur le modèle inverse du fœtus animal incomplètement en acte avant d’ être homme54.
Nous synthétisons les arguments principaux sous la forme du tableau suivant :
Tableau 3
Q. 13 : Non-suppression du vivant, du doué de respiration et du sensible par la suppression du rationnel ? |
Arguments/ principes/adages/ Exemples |
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Quod non [i.e. suppression] Quod sic [i.e. non-suppression] |
Identité essentielle (eadem in essentia) Adage du genre sans espèce Adage de l’ ordre de la génération et de la corruption |
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Solution selon l’ acte de raisonner : réponse positive – mais ce n’ est pas ce dont veut parler le Liber. |
Distinction selon l’ acte de raisonner / selon la capacité de raisonner [+ Roger Bacon : Distinction selon la suppression en pensée ou selon la suppression réelle de la rationalité] Exemple des imbéciles (fatui) qui n’ utilisent pas leur raison |
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Solution selon la capacité à raisonner = selon la forme ultime de l’ homme par rapport aux formes antérieures plus universelles. Deux réponses possibles. 1) Selon l’ ordre de la nature : réponse positive (i.e. non-suppression) 2) Selon le découlement du temps : réponse négative (i.e. co-suppression de toutes les causes) |
Adage de la pénétration première des formes plus universelles. Adage de la génération et de la corruption. Refus final de l’ « adage de la génération et de la corruption » : il n’ y a pas d’ ordre de la nature dans la corruption, toutes les formes sont supprimées en même temps dans la mort. |
4.2 Thomas d’ Aquin
Thomas considère que l’ exemple porte sur les causes formelles55. Il lui applique un régime exégétique restreint, en dépit du fait que le premier théorème est censé s’ appliquer de façon dérivée à tous les types de causes, y compris les causes matérielles et formelles. Il est vrai que Thomas d’ Aquin précise que le premier théorème s’ applique à chacune des différents genres de causes suo modo56, ce qui permet une grande élasticité dans l’ interprétation.
Le théorème et les propositions 2 à 5 sont analysés comme trois aspects fondamentaux du premier théorème : d’ abord le premier théorème lui-même, qui affirme la plus grande influence de la cause première, puis un corolaire qui manifeste la première vérité, à savoir que la cause première quitte l’ effet en dernier et n’ est pas supprimée par la suppression de la cause seconde, et, enfin, la preuve à l’ appui de ce corolaire, à savoir que la cause première advient en premier.
Les deux derniers éléments, non-suppression et antériorité, sont étroitement connectés en vertu de l’ « adage du dernier arrivé et du premier parti » ou l’ « adage du dernier en synthèse, premier en analyse »57.
Adage du dernier arrivé et du premier parti / adage du dernier en synthèse, premier en analyse = necesse est id quod prius advenit ultimo abscidere / necesse est eniam ea quae sunt priora in compositione esse ultima in resolutione.
Grâce à ce dispositif, les deux derniers éléments sont relativement isolés du premier, et l’ exégèse de ce couple semble pouvoir valoir, par substitution, comme une exégèse du premier théorème lui-même.
Ces trois éléments sont ensuite censés être illustrés à l’ aide de l’ exemple de la triade, mais celle-ci ne s’ applique en réalité qu’ aux deux derniers points, l’ antériorité et la non-suppression. La suite du texte, à partir de la proposition 14, procède, selon Thomas, par raisonnement (per rationem), en faveur des trois aspects du premier théorème, un procédé distingué de l’ exemple, ce qui veut dire que la portée de l’ exemple se termine à la proposition 13. L’ exemple n’ illustre en réalité pas le premier théorème, mais les deux thèses qui l’ expliquent, la non-suppression et l’ antériorité.
L’ exemple est selon Thomas fondé sur le fait que plus la forme est universelle, plus elle est antérieure58, où les formes sont entendues comme des genres et des espèces59. L’ ordre de ceux-ci se manifeste dans l’ ordre de la génération et de la corruption60. Il en résulte une impression que l’ application aux créatures générées de l’ « adage du premier arrivé et du dernier parti » donnerait lieu à l’ « adage de la génération et de la corruption », même si ce dernier n’ apparaît pas explicitement dans notre texte ; il semble être présent par bribes au travers de différentes formulations apparemment symétrisantes. Nous verrons que cette impression est fausse, et que l’ usage de la symétrie est en trompe-l’ œil.
Thomas offre un commentaire très bref de l’ exemple. Il évite soigneusement toute formulation qui l’ entraînerait vers un débat sur la pluralité des formes substantielles. Un examen attentif du texte suggère que le théologien pourrait pratiquer un double langage philosophique. Il utilise des expressions le plus neutres possibles et, surtout, il distille quelques indices discrets au sein de formulations apparemment ‘pluralistes’, indices qui en réalité minent la position pluraliste et sont compatibles avec une position uniciste.
Après avoir évoqué l’ idée que la forme plus universelle est davantage antérieure, comme nous venons de le voir, Thomas n’ utilise plus le mot « forme » que dans l’ évocation des genres et des espèces : à propos d’ un homme donné, nous dit-il alors, on considère la « forme générique », le vivant ou l’ animal, et la « forme spécifique », le rationnel, puis ce qui est commun à tous, l’ être61. Dans tout le reste du commentaire, « être », « vivant », « doué de respiration » et « rationnel » ne sont plus jamais désignés comme des formes. Thomas privilégie les expressions neutres ou bien les désignent à partir des notions d’ « acte » et d’ « opération », à moins de suggérer qu’ il s’ agit de la compréhension d’ une notion, comme nous allons le voir.
Thomas donne raison au Liber dans l’ ordre de la génération, qui est le moins problématique. Il cite le De generatione animalium II, 3 dans ce sens62. Même là, sans doute afin d’ éviter d’ avoir à discuter de plusieurs formes englobées ou supprimées par la forme ultime, ou de « grades » de formes, Thomas utilise les tournures neutres pour les deux premiers éléments de l’ exemple, « l’ être », « le vivant », et désigne le produit final comme « un homme ».
L’ évocation de l’ ordre de la corruption n’ est isomorphe à celle de la génération que sur un plan très superficiel d’ analyse. À un premier stade, l’ individu (individuum) perd pour Thomas non pas la forme de la rationalité ou, de façon neutre « le rationnel », mais l’ « usage de la raison » (usus rationis), c’ est-à-dire qu’ il cesse d’ être un homme « selon l’ acte propre de l’ homme » (secundum actum proprium hominis), pour rester « vivant et doué de respiration » (vivum et spirans). Cette situation est glosée par Thomas en disant que « demeure en lui l’ opération animale qui consiste dans le mouvement et la sensation » (remanet in eo operatio animalis que consistit in motu et sensu). Le second stade est constitué par la perte de l’ animalité. Quand il n’ est plus un animal, nous dit Thomas, « il reste seulement un corps inanimé » (remanet corpus penitus inanimatum) :
Manisfestum est autem in generatione unius particularis hominis quod in materiali subjecto primo invenitur esse, deinde invenitur vivum, postmodum autem est homo […]. Rursum in via corruptionis primo amittit usum rationis et remanet vivum et spirans, secundo amittit ⟨vitam⟩ et remanet ipsum ens, quia non corrumpitur in nihilum. Et sic potest intelligi exemplum secundum viam generationis et corruptionis alicuius individui. Et haec est eius intentio, quod patet ex hoc quod dicit : Cum ergo individuum non est homo, id est secundum actum proprium hominis, est animal, quia adhuc remanet in eo operatio animalis quae consistit in motu et sensu ; et cum non est animal, est esse tantum, quia tenet corpus penitus inanimatum63.
Ce texte pose d’ importants problèmes d’ interprétation64. Toute la question est de savoir quel est le sujet des deux « remanet » initiaux, si c’ est le même individu en nombre qui « reste ».
C’ est tout à fait possible, dans un cadre uniciste, au premier stade, car l’ individu humain qui aurait perdu l’ usage de la raison, conserverait bien les opérations animales, puisqu’ il garderait la même forme substantielle. L’ impression est que Thomas ne parle pas exactement ou seulement des imbéciles (fatui) du Ps-Henri de Grand et de Roger Bacon, dont ceux-ci avaient récusé la pertinence dans l’ exégèse du Liber, mais d’ une description du processus de la mort, où la perte de l’ usage de la raison viendrait en premier : l’ homme qui n’ a plus l’ usage de la raison serait le mourant, davantage que l’ imbécile. Le deuxième stade est bien plus problématique, puisqu’ il ne peut pas s’ agir d’ une opération, mais bien de la perte de la vie elle-même. Rien n’ empêche cependant de traduire le passage avec le deuxième remanet, en bonne orthodoxie uniciste thomasienne, par « il reste un être », dans une tournure impersonnelle, et non « il (celui-ci, le même individu) reste être ». Le sujet grammatical n’ est plus que le même qu’ initialement (individum), de même que le sujet réel : il s’ agira d’ un autre individu corporel inanimé, différent numériquement, puisqu’ actualisé par une autre forme substantielle. Cette interprétation repose sur un tour de passe-passe grammatical, puisque ce changement de sujet ne vaudrait que pour le second remanet, et non pour le premier.
Une autre interprétation possible serait que le changement de sujet réel vaudrait également dans le premier cas, mais alors, encore une fois, il ne s’ agirait pas du même individu en nombre, mais bien d’ un autre individu65, actualisé par une autre forme substantielle, celle d’ animal, exactement comme dans le cas du cadavre au moment de la mort. Cette interprétation a en sa faveur le fait qu’ on évite une contorsion dans l’ analyse grammaticale des occurrences du verbe remanet, et le fait que Thomas glose dans la suite non est homo, qui avait été précédemment expliqué par la perte de l’ usage de la raison, par l’ expression secundum actum proprium hominis. C’ est cette formule qui pousse Fabrizio Amerini à considérer que cette partie du texte de Thomas ne peut simplement s’ expliquer par la rémanence d’ un même individu humain qui seulement n’ exercerait pas sa raison ou serait dans l’ incapacité de l’ utiliser66. Son interprétation est fondée sur le fait qu’ il remplace la notion d’ « usage de la raison », pourtant seule présente dans notre texte, par celle de la « possibilité d’ un usage de la raison »67, et que selon lui, la possibilité d’ un usage de la raison est toujours associée à la possession de l’ âme rationnelle une fois celle-ci infusée, parce qu’ un organe est toujours potentiellement en capacité de récupérer sa fonction. C’ est ce qui fait que tous les hommes restent humains, même les plus endommagés du point de vue des organes qui conditionnent l’ exercice de la vie intellectuelle. Cette analyse, alliée au fait que l’ exemple du Liber est utilisé pour évoquer la question eucharistique, le conduit à proposer une explication fondée sur la possibilité pour la Première Cause d’ actualiser miraculeusement une possibilité qui existe seulement sur le plan logique, mais non réel, dans l’ ordre naturel, c’ est-à-dire la rémanence de l’ animal après la perte de la rationalité dans le même individu68.
Sans nier l’ intérêt et la plausibilité de cette approche, nous préférons la première lecture, en dépit de sa difficulté grammaticale. La justification de celle-ci réside dans l’ impression de ‘double lecture’ qui se dégage généralement de l’ analyse de l’ exemple. Elle s’ appuie surtout sur le fait que Thomas, qui n’ est pas connu pour son imprécision philosophique, parle bien de l’ usage de la raison et non de la possibilité d’ usage de la raison ou de possession de la raison, qui équivaudrait à la séparation de la forme substantielle, l’ âme intellective, laquelle entraînerait non la déraison, mais la mort ; il n’ y a pas de distinction entre la fin de la vie humaine et la mort biologique69. En outre, il est parfaitement possible de lire dans la formule secundum actum proprium hominis, lorsqu’ elle vient gloser le Liber qui dit non est homo, comme une restriction : on comprend alors actum non pas comme la perfection substantielle (entéléchie) exercée par l’ âme rationnelle, mais comme l’ opération rationnelle en acte. Il suffit de considérer, pour redonner toute sa force à l’ argument, qu’ il s’ agit bien d’ une absence habituelle ou permanente d’ opération et d’ usage de la raison, comme dans le cas des hommes mourants, plongés dans un coma permanent ou des ‘débiles mentaux’, par exemple, et non d’ une absence ponctuelle ou prolongée d’ exercice en acte (comme l’ homme qui dort). Le texte de Thomas équivaudrait alors à : « il n’ est pas homme, c’ est à dire il n’ est pas homme (seulement) du point de l’ acte propre de l’ homme [i.e. l’ acte de raisonner ; sous-entendu : il reste un homme substantiellement, simplement il ne peut plus exercer sa rationalité] »70.
Dans la même veine, lorsque Thomas envisage de donner raison au Liber dans l’ « ordre des choses (rerum ordine) », il maintient un double langage, entre l’ ordre des processus naturels et l’ ordre des relations topiques d’ inclusion. Dans le sens de la composition, Thomas dit simplement que les choses sont d’ abord existantes, puis vivantes, et d’ abord vivantes, puis des hommes. En sens inverse, dans l’ ordre de la ‘décomposition’, Thomas ajoute, quand il affirme qu’ il y a non-suppression de l’ animal par la suppression de l’ homme, que l’ animal n’ est pas supprimé « selon la contenance » (secundum continentiam). Il évoque alors la conséquence (modus tollens) :
Si non est animal, non est est homo.
Il sous-entend le caractère invalide de la conséquence inverse :
Si non est homo, non est animal71.
C’ est un point que nous retrouverons chez Albert le Grand. Glosée en termes de « contenance », cette conséquence ne peut être comprise qu’ en référence à l’ ordre d’ une inclusion conceptuelle – le concept [animal] est inclus dans le concept [homme], mais pas inversement72 ; ou bien à un ordre taxinomique, c’ est-à-dire selon l’ idée que le genre ne disparaît pas avec la disparition d’ une de ses espèces, puisqu’ il y a davantage d’ animaux qu’ il y a d’ animaux humains. Dans tous les cas, la thèse est métaphysiquement neutre, ce qui cadre bien avec le fait que l’ « adage de la génération et de la corruption » n’ est pas formulé par Thomas. L’ « adage du dernier arrivé et du premier parti » ou l’ « adage du dernier en synthèse, premier en analyse » ne vaut que sur un plan logico-taxinomique dans l’ ordre de la suppression.
En dépit d’ une adhésion de surface aux formulations métaphysiques et symétrisantes, de la génération à la corruption73, Thomas d’ Aquin place l’ exemple dans un régime philosophiquement très faible pour donner raison au Liber. La suppression du rationnel devient la perte de l’ usage de la raison, un sens dont Roger Bacon et le Ps-Henri de Gand estimait qu’ il ne pouvait pas entrer dans l’ interprétation du Liber, dédié aux causes formelles, et non aux opérations effectives des fonctions qui leur sont attachées. Une explication alternative est, suivant Thomas, que la suppression se rapporte à de simples rapports logiques, topiques, ou taxinomiques.
5 Le traitement de l’ exemple en régime exégétique complet : Albert le Grand et Gilles de Rome
5.1 Albert le Grand
Le commentaire d’ Albert fait entrer l’ exemple de la triade dans un régime philosophique fort. Outre l’ application pleine et entière de la causalité par influx aux causes formelles, on y trouve des ingrédients importants pour la suite de la tradition : la question de la causalité des Idées, l’ articulation entre les universaux logiques et les causes universelles, l’ argument de la non-suppression en pensée, la question des relations logiques entre antécédents et conséquents, et, enfin, le problème du mode d’ existence du genre et de l’ espèce selon la puissance et l’ acte. Pour Albert, les causes primaires sont tout à la fois efficientes, formelles et finales, de sorte que le premier théorème s’ applique à elles également en tant que causes formelles, ce qui modifie complètement le cadre interprétatif de l’ exemple de la triade. L’ analyse d’ Albert fait la part belle à une isomorphie entre le plan logico-déductif des relations entre prédicats, avec un usage intensif de l’ argument de la suppression par la pensée, et le plan métaphysique des relations entre causes, lesquelles sont au fondement des relations de prédicabilité.
L’ examen d’ autres passages qui utilisent l’ exemple, en dehors du commentaire proprement consacré à ce dernier, montre cependant qu’Albert fait une différence entre, d’ une part, les formes des individus générés dont il est question dans l’ exemple et, d’ autre part, la Première cause et les causes primaires, de sorte que le parallélisme n’ est en réalité pas complet. Il insiste sur l’ existence d’ un passage de la puissance à acte dans le premier cas seulement, une relation de puissance et d’ acte entre les formes qui préserve l’ unité substantielle de l’ individu généré, mais qui est niée dans le cas des causes primaires. Le traitement relativement allusif de ces questions dans la paraphrase au Liber ne permet pas de faire entièrement la lumière sur cette difficulté.
On ne lit pas chez Albert, à l’ occasion de l’ exemple, une interrogation sur la pluralité des formes substantielles. Pas davantage, on n’ aborde la question de la place de l’ âme rationnelle, infusée par création et non éduite de la matière, dans la série des causes formelles naturelles. L’ « adage de la génération et de la corruption » est absent du commentaire, qui s’ en tient à l’ « adage du dernier dans la synthèse et du premier dans l’ analyse »74, lequel n’ est cependant pas utilisé dans le cadre de l’ analyse de l’ exemple. La citation tirée du chapitre 3 du livre II de la Génération des animaux, alléguée par un certain nombre de commentateurs comme une autorité à l’ appui de l’ « adage de la génération et de la corruption », est utilisée par Albert, non pas pour justifier la relation de non-suppression entre la forme plus universelle et la forme moins universelle, mais pour justifier la non-simultanéité des causes formelles dans la génération, ce qui est fidèle au contenu réel du texte d’ Aristote.
5.1.1 L’ analyse de l’ exemple, entre causalité et prédicabilité
Comme nous l’ avons souligné, il n’ y a pas pour Albert d’ opposition entre les causes efficientes extrinsèques et les causes formelles intrinsèques, contrairement à ce que nous avons observé dans les commentaires du Ps-Henri de Gand et de Roger Bacon. Il n’ y a pas non plus d’ opposition absolue entre être prédicables et être cause, une opposition soulignée par Roger Bacon, nous l’ avons vu, qui reviendra dans le commentaire de Siger de Brabant et dans les commentaires influencés par ce dernier.
Albert s’ explique sur ce point dès le début de son commentaire sur le premier théorème, du fait de la présence dans celui-ci du terme « universel » (causa universalis secundaria). Les Formes platoniciennes, formes ante rem, comme cause des réalités individuelles, dans la pluralité et dites de la pluralité, et, ainsi, prédicables universellement, sont parfaitement licites au plan philosophique, du moment qu’ elles sont conçues comme « rayons de l’ intelligence ». Mais ce sont bien les propriétés logiques (être dit de la pluralité) qui découlent des propriétés ontologiques et métaphysiques (être dans la pluralité, être cause d’ une pluralité) et non l’ inverse, les causes étant universelles parce qu’ antérieures :
Causa primaria universalis de causalitate sua plus influit super causatum suum quam causa secundaria universalis. Causa enim universalis non dicitur quia praedicabilis sit de mutlis sed quia universaliter influit sub se existentibus. Hoc enim est secundum dicta Platonis universale quod est ante rem, ex quo simplici et impermixto existente esse, nomen et rationem omnia sequentia recipiunt. Et hoc modo etiam secundaria dicitur universalis ad ea quae sequuntur ipsam […]
Propter quod causa primaria ad omnia secundaria in quae causalitate sua extenditur est in multis. Et in quantum communicat formam rationem et nomen sicut causa univoca secundum aliquid est etiam de multis. Et sic accipit universalis nomen et rationem. Dicit enim Aristoteles quod universale est quod est unum in multis et de multis. Quia vero universalius est quod est in pluribus et est de pluribus, et primaria uiversalior est quam secundaria (…)75.
En amont et en aval de l’ analyse de l’ exemple, Albert utilise la triade être, vivre, intelliger dans les passages où il conçoit bien cette dernière comme une illustration dans l’ ordre des causes formelles des relations entre les causes primaires. Certains de ces usages vont dans le même sens que l’ analyse de l’ exemple : nous les examinons donc ici.
Albert fait d’ abord le parallèle entre, d’ une part, les relations d’ indépendance causale de la cause primaire antérieure à l’ égard de la cause primaire postérieure et de dépendance causale de la cause primaire postérieure à l’ égard de l’ antérieure (causat non causante ≠ non causat nisi causante)76 et, d’ autre part, la triade, dans l’ ordre des causes secondes, de l’ être, du vivre et de l’ intelliger, à laquelle il ajoute le sentir (sentire)77.
Le même thème de la dépendance causale asymétrique est repris, avec une référence au passage que nous venons d’ évoquer, à propos du parallèle entre, d’ une part, les relations entre l’ être, premier créé, le bon et le vrai, une triade concernée par l’ être qui relève « de la nature simpliciter », et, d’ autre part, les relation entre les causes formelles, l’ « être, le vivre, le sentir et le raisonner ou intelliger, dont on vient de parler » (esse, vivere, sentire, ratiocinari vel intelligere, de quibus paulo iam ante dicimus), lesquelles relèvent de l’ « être de la nature déterminé dans la forme d’ un genre ou d’ une espèce » (esse naturae determinatum in forma generis vel speciei)78. Ce passage montre bien que l’ être dans la triade de l’ exemple est pris en tant que forme générique, et non comme le premier créé simpliciter. Comme le premier passage, ce texte montre qu’Albert ne fait pas de différence fondamentale entre la triade néoplatonicienne « être, vivre, intelliger » et la triade de l’ exemple : elles portent toutes deux sur les causes formelles considérées du point de vue de leurs relations hiérarchiques selon l’ enchaînement des genres et des espèces.
L’ équivalence est d’ ailleurs énoncée dans la première phrase du commentaire sur l’ exemple, avec une référence aux deux passages que nous venons d’ évoquer, et l’ usage de sive entre les deux triades :
Et hoc quidem exemplificare possumus per ea quae supra diximus, esse, scilicet, vivum et hominem, sive per esse, vivere et intelligere. In qualibet re causata primum est esse, in quo fundatur omnia sequentia : deinde est vivum, per quod esse formatur ; postea est homo sive rationale, per quod determinatur esse et vivere ad speciem. Propter quod dicit Aristoteles quod secundum consequentiam naturae non est vivum et animal simul nec animal et homo simul [= De generatione animalium, II, 3, 736b2-3]. Vivum ergo in causis formalibus est causa hominis propinqua, non tamen ultima ; et esse est causa hominis longinqua et prima in causis formalibus substantiam hominis ingredientibus. Esse igitur vehementius secundum influentiam est causa hominis quam vivum propter hoc quia esse est causa vivo, quod est causa hominis propinqua. Et similiter, si rationalitas ponatur causa hominis esse, erit esse, quod est causa longinqua, vehementius causa quam rationalitas, quae est causa hominis ultima ad speciem hominis determinans79.
L’ analyse de l’ exemple comporte un ensemble de thèses fortes qui vont au-delà de la seule relation de dépendance causale asymétrique. Albert décrit un parallélisme complet entre ce qui est dit des causes primaires et ce qui est dit des causes formelles entre elles. Après un bref résumé des propositions 2 à 5 du Liber et des quatre thèses qui y sont exposées (non-suppression, antériorité, non-substitution, non-séparation)80, le commentaire d’ Albert montre que l’ exemple fonctionne à plein régime exégétique. Il illustre non seulement l’ antériorité ou la non-suppression de la cause plus universelle, mais aussi l’ idée que la cause antérieure plus universelle est bien davantage cause de l’ effet que la cause qui vient après. L’ être est davantage formellement cause de l’ homme que la rationalité.
On remarque que ce texte organise l’ exemple en une triade cause lointaine/cause prochaine/cause ultime, où la cause lointaine (l’ être) est la cause de la cause prochaine (le vivant), mais où la cause prochaine (le vivant) n’ est jamais décrite comme la cause de la cause ultime (la rationalité). La cause lointaine (être) n’ est pas non plus décrite en ces termes. Il en avait été déjà de même dans les deux illustrations des relations de dépendances causales asymétriques que nous avons à peine évoquées : les exemples ne ‘descendaient’ pas jusqu’ à la relation de causalité entre les deux dernières causes formelles. La cause prochaine et la cause ultime apparaissent au contraire, dans notre texte, toutes deux comme des causes de l’ homme (alias « le rationnel »), la rationalité étant la cause ultime qui détermine à entrer dans l’ espèce d’ homme.
Ces formulations permettent de préserver le fait que la série des causes formelles secondes éduites de la matière ne concerne pas la forme ultime dans le cas de l’ homme. La production hiérarchisée des formes éduites de la matière ne vaut pas ; l’ âme rationnelle de l’ homme n’ étant pas « causée » par la forme animale de l’ homme bien que préparée par la formation d’ organes spécifiquement humains (main, langue). Comme le rappelle la suite de la paraphrase au Liber, l’ âme humaine, à l’ instar de l’ Âme Noble, est créée par la Première Cause par le biais la lumière de l’ intellect qui la constitue, dans « son être intellectuel » (et pas seulement naturel), « en tant qu’ elle est noble », tandis « que ce qui est moins pur » (qui minus sincerus est) en elle est lié à sa proportion au corps mobile81. Ce cas est contrasté avec les âmes des bêtes brutes et les âmes végétatives qui ne reçoivent la lumière de l’ intelligence que « sous la raison de la forme naturelle » (secundum rationem naturalis formae), c’ est-à-dire au travers de l’ éduction des formes naturelles de la matière, et non comme l’ âme rationnelle, qui la reçoit formellement [en plus de de la recevoir] naturellement (formaliter et naturaliter), « sous la raison de la lumière de l’ intelligence » (secundum rationem luminis intelligentiae)82.
D’ autres textes d’ Albert, en particulier le De natura et origine animae, précisent la façon dont l’ âme intellective, au lieu d’ être éduite de la matière par le biais de la vertu formative contenue dans la semence, comme le sont les âmes végétative et sensitive, et bien qu’ elle existe de manière inchoative dans l’ âme sensitive qui est portée à son terme dans l’ intellective, est directement créée par la Première Cause par le biais de la lumière de l’ intellect83. L’ embryologie est brièvement abordée dans un passage de la paraphrase du Liber, mais la question de l’ âme rationnelle n’ y est pas abordée84.
L’ argument de la suppression par la pensée, qui avait été révoqué par le Ps-Henri de Gand et Roger Bacon comme dépourvu de pertinence dans le cadre d’ une exégèse du Liber, et qui avait utilisé de façon implicite par Thomas d’ Aquin, est présent dans le texte d’ Albert. Celui-ci lui confère une parfaite légitimité philosophique et exégétique. La relation de non-suppression par la pensée est en effet utilisée comme le signe (significatio) d’ une relation métaphysique, le pendant logique d’ une dépendance ontologique et métaphysique, qui rapporte l’ effet à la cause plus universelle non-supprimée par la suppression de la cause moins universelle. Comme chez Thomas, mais de façon plus explicite et plus technique, avec une formulation métalogique, les relations de conséquences logiques sont évoquées. Elles sont considérées comme le signe logique d’ une relation de dépendance ontologique et métaphysique, en termes d’ inhérence et de causalité. La suite immédiate du texte précédemment cité affirme en effet :
Et huius quidem significatio est, quia si per intellectum85 removeatur virtus rationalis, quod ultima causa est, ab homine, non remanet homo, sed tamen secundum intellectum remanet vivum spirans sensibile. Et ulterius, si per intellectum removeatur vivum, tunc quidem non remanet vivum secundum vivi rationem, sed nihil prohibet remanere esse secundum intellectum. Esse enim non necessario removetur, quando removetur vivum. Non enim necesse est, quod remoto causato removeatur causa. Antecedente enim desctructo non necessario destruitur consequens. Remoto igitur vivo remanet esse secundum intellectum. Cum enim aliquod individuum non est homo, non sequitur quod non sit animal. Et si non est animal, non sequitur86 quod non habeat esse87.
Ce texte articule deux adages :
L’ « adage métalogique de la non-suppression nécessaire du conséquent par la suppression de l’ antécédent » (dégagé par Albert).
L’ « adage métaphysique de la non-suppression nécessaire de la cause par le causé » (qui se trouve dans le Liber lui-même, proposition 11.
Le texte montre clairement comment les relations logiques de non-suppression sont sous-tendues par des relations métaphysiques de causalité transcendantes. Une difficulté qui pourrait dériver de ce texte est l’ idée, cette fois fortement suggérée, que l’ « être-animal » serait cause de l’ « être-homme », au même titre que le l’ « être » est explicitement « cause » du « vivant ». Cette idée découle de la simple application du parallélisme entre l’ adage métalogique de non-suppression du conséquent et l’ adage métaphysique de non-suppression de la cause, bien qu’ elle ne soit jamais articulée en tant que telle.
Les formulations d’ Albert pourraient en outre prêter à confusion. Albert expose les arguments de façon métalogique (« la suppression de l’ antécédent n’ entraîne pas nécessairement celle du conséquent »). Il désigne alors comme « antécédent » l’ homme et comme « conséquent » l’ animal, alors que, ontologiquement, l’ animal est antérieur et l’ homme postérieur. Dans une autre formulation, logique du texte (« si l’ on supprime le vivant, il reste l’ être »), l’ antécédent ontologique (être) apparaît dans la proposition conséquente et le conséquent ontologique (vivant) dans la proposition antécédente. Il en est de même lorsqu’Albert refuse la conséquence qui va de la suppression de l’ homme à la suppression de l’ animal, et de celle de l’ animal à celle de l’ être (« qu’ un certain individu ne soit pas homme n’ entraîne pas qu’ il ne soit pas un animal, et s’ il n’ est pas un animal, cela n’ entraîne pas qu’ il n’ ait pas d’ être »). Ces phrases correspondent bien à l’ application du principe métalogique : « la suppression de l’ antécédent n’ entraîne pas nécessairement celle du conséquent ». Cela s’ explique par le fait que, dans l’ ordre logique, les relations de l’ antécédent et du conséquent sont inverses de celles de l’ antécédent et du conséquent ontologiques. Ce qui est ontologiquement antécédent, le genre animal, est conséquent dans la proposition hypothétique qui forme la première prémisse commune des premier et second syllogismes hypothétiques (modus ponens, modus tollens), « si c’ est un homme, c’ est un animal ». C’ est en référence à cette première prémisse qu’ on parle d’ « antécédent » et de « conséquent » en logique88.
Les choses se compliquent encore lorsque l’ antécédent logique (qui est ontologiquement postérieur) se trouve avant le conséquent dans la deuxième partie de l’ argument (prémisse additionnelle + conclusion) : c’ est le cas dans la prémisse additionnelle négative du second syllogisme hypothétique, placée avant la conclusion. Mais c’ est bien en référence à la première prémisse hypothétique qu’Albert parle, en logicien, d’ « antécédent » et de « conséquent ». Cet ordre logique, inverse de l’ ontologique, est respecté dans l’ expression de la prémisse additionnelle et de la conclusion dans le modus ponens : « si c’ est un homme (= antécédent logique, conséquent ontologique), c’ est un animal (= conséquent logique, antécédent ontologique) ; c’ est un homme (= prémisse additionnelle) ; donc c’ est un animal (= conclusion) ». La formulation canonique du second syllogisme de la syllogistique hypothétique, qui n’ est pas présente dans le texte, mais que tous les lecteurs médiévaux avaient en tête, est en revanche : « si c’ est un homme, c’ est un animal ; ce n’ est pas un animal ; donc ce n’ est pas un homme (si p, q ; ~q ; donc ~p) ». Dans ce cas, on observe l’ inverse de ce qui se passait pour le premier syllogisme : en modus tollens, le prédicat logiquement conséquent (et ontologiquement antécédent, l’ animal) se trouve placé d’ abord, dans la prémisse additionnelle, et le prédicat logique antécédent (et ontologiquement conséquent, l’ homme) se trouve dans la proposition suivante, la conclusion : « ce n’ est pas un animal (= conséquent logique, antécédent ontologique), donc ce n’ est pas un homme (= antécédent logique, conséquent ontologique) ».
Albert ne cite pas le second syllogisme, mais dénonce métalogiquement comme invalide un argument inverse, qui affirmerait que la négation de l’ antécédent entraînerait la négation du conséquent (si p, q ; ~p ; donc ~q*)89. Celui-ci inverse (indûment) l’ ordre des propositions dans la prémisse additionnelle et la conclusion. Pour le dire autrement, Albert semble s’ appuyer sur un nouveau théorème logique : « si p, q ; ~ (~p ; donc ~ q) » : ce n’ est pas le cas que la négation de p entraîne la négation de p, un principe que nous avons déjà évoqué avec l’ examen des sources porphyriennes du problème. Comme le dit Albert, de façon métalogique, « la suppression de l’ antécédent n’ entraîne pas nécessairement celle du conséquent ». La proposition qu’ il prend en exemple, « si l’ on supprime le vivant, il reste l’ être », ne signifie pas que la suppression du vivant entraînerait nécessairement l’ existence de l’ être (si p, q ; ~p, q), mais signifie que ce n’ est pas le cas que la suppression du vivant entraîne nécessairement celle de l’ être ~ (~p, ~q), ce qui veut dire que l’ affirmation du conséquent (antérieur ontologiquement) est compatible avec la négation de l’ antécédent (postérieur ontologiquement).
Il serait inexact de considérer, comme le suggèrera Siger de Brabant à propos de ses adversaires, qu’Albert projetterait le plan ontologique le plan logique des relations topiques entre les genres et les espèces sur le plan de la réalité. Albert se fait au contraire l’ héritier, ici comme dans sa paraphrase sur Porphyre, d’ une interprétation ontologique de la relation de non-suppression et d’ antériorité qui était déjà disponible dans l’ Isagogè lui-même, comme nous l’ avons vu. En toute connaissance de cause, il fonde l’ ordre logique sur un ordre ontologique, lui-même garanti métaphysiquement par l’ ordre des causes.
5.1.2 Les usages de la triade en dehors de l’ exemple et la question du passage de la puissance à l’ acte
Nous pouvons glaner davantage d’ informations sur la triade de l’ exemple et sur la comparaison des causes formelles avec les causes primaires au travers d’ autres passages du Liber.
Comme nous l’ avons vu avec les deux illustrations précédant l’ analyse de l’ exemple proprement dite, la triade sert à plusieurs reprises de point de comparaison pour mieux faire comprendre les relations entre les causes primaires.
Les choses se compliquent alors. C’ est le cas lorsqu’Albert s’ applique à contraster fortement le cas des causes formelles de la génération, où il y a bien un passage de la puissance à l’ acte, et celui des causes primaires, où le couple puissance/acte ne fonctionne pas.
Dans une première comparaison, antérieure au traitement de l’ exemple, Albert reconnaît que la cause première exerce une influence moins déterminée, quant à la forme, que la cause seconde. Cela pourrait constituer, en apparence, une objection au premier théorème du Liber, du moins si cette moindre détermination était comprise comme le résultat d’ un être en puissance, la plus grande détermination, étant, quant à elle, liée à être actuel. Cette éventuelle objection fait alors l’ objet d’ une réfutation serrée, dont nous ne considérons ici qu’ une partie. L’ objection ne vaut pas, puisqu’Albert refuse de considérer que cause première et cause seconde seraient dans un rapport de puissance et d’ acte, à l’ instar de vivre, être et sentir, comme l’ auraient défendu certains auteurs :
Sed verum est quod determinatius influit secundaria quam primaria. Magis enim ad formam determinat id quod influit causa secundaria quam id quod influit causa primaria. Propter quod quidam instabant contra ea quae dicta sunt [i.e. le premier théorème], dicentes quod influxum a causa secundaria comparatum ad id quod influxum est a causa primaria se habet sicut actus ad potentiam, sicut vivere se habet as esse, et sentire ad vivere. Et quia actus plus confert ad esse quam potentia, propter hoc dicebant quod secundaria plus influit quam primaria. Et hoc error est. Nullus enim actus potentia est nisi per hoc quod est imperfectus. Imperfectus autem est non ex se, sed ex eo quod est imperfecti. Comparatus autem ad efficientem et formalem causam ‘omnis actus perfectus est propter hoc quod est actus perfecti’. […] Processus ergo sive fluxus a primaria causa secundum quod est ab ipsa, actus perfectus est, et accidit sibi actum imperfectum esse secundum quod est receptus in causato. Sed verus est quod simplicius et eminentius est in causa primaria quam in causa secundaria. Et ideo non procedit obiectio praedicta90.
Il n’ est pas aisé d’ identifier clairement les maîtres critiqués par Albert parmi les auteurs que nous avons étudiés jusqu’ ici91. La remise en question partielle du premier théorème existe bien chez le Ps-Henri de Gand, par exemple, dans le cas de certaines causes efficientes, lorsque la cause première universelle (le soleil), et la cause seconde particulière (le géniteur), sont comparées au regard de la génération d’ un homme individuel92. Mais il ne s’ agit pas d’ une relation de puissance et d’ acte, et encore moins de la remise en question du premier théorème dans le cas des relations entre les causes primaires, dans un commentaire d’ ailleurs tout entier focalisé sur les causes des réalités générées. Quant au traitement de l’ exemple, il n’ aborde pas le premier théorème, puisqu’ il fonctionne sur un régime exégétique restreint, comme nous l’ avons vu. La situation est moins claire pour Roger Bacon. Sa réponse à la question de l’ application possible du premier théorème aux causes de l’ exemple suggère bien que la cause universelle qui ne serait pas appropriée par la différence ultime, tel le genre ‘substance’, est bien « moins cause » et ne « porte pas à l’ acte » l’ effet de la cause universelle appropriée (c’ est-à-dire moins universelle)93. Bien que les causes discutées ici soient indéniablement aux yeux de Roger Bacon de nature différente de celles pour lesquelles le théorème a normalement été formulé, on peut considérer qu’ il pourrait s’ agir là d’ une affirmation de portée générale, mais l’ interprétation serait forcée. Dans un autre cas, la réponse d’ Albert à une autre objection possible à l’ encontre du premier théorème, celui de la non-convertibilité de la première cause, lointaine, et de la convertibilité de la cause seconde, prochaine, est fondée sur le fait que l’ influence de la cause seconde dérive de celle de la première94 : il s’ agit alors d’ une réponse complètement différente de celle de Roger Bacon sur la même question. Celui-ci rappelle que même les accidents, comme le propre, peuvent être convertibles, ce qui invalide toute la force de l’ argument à ces yeux95. Les types de positions contrées par Albert pourrait être les mêmes que celles rejetées par Roger Bacon une génération auparavant.
L’ existence d’ une relation puissance/acte entre le genre et la différence est seulement alléguée, en passant, dans l’ extrait à peine cité. Elle avait déjà été reconnue dans la paraphrase sur l’ Isagogè96, et elle apparaît dans d’ autres passages de la paraphrase au Liber. Elle est en effet nécessaire pour éviter que la chose définie à l’ aide des genres et des espèces perde son unité substantielle. Pour Albert, ce qui est générique est bien en puissance dans ce qui est actualisé par la différence ultime, de sorte que l’ unité du défini est préservée. Mais, de façon plus claire que dans la paraphrase de l’ Isagogè, où cette idée était cependant déjà présente97, Albert insiste bien dans le Liber sur la relation inverse, celle de l’ existence à l’ état inchoatif de la différence dans le genre, elle aussi indispensable à l’ unité du défini (ou du généré), afin d’ éviter que la différence ne s’ agrège de façon extrinsèque à une réalité qui lui serait indifférente. C’ est la difficulté à laquelle Porphyre avait répondu par la théorie de l’ inhérence en puissance des différences contraires dans le genre, comme nous l’ avons vu.
Une mise au point sur cette question intervient après notre exemple. Il s’ agit d’ un passage sur les trois opérations ou les trois formes, divine (i.e. créatrice), intellectuelle et animale (i.e. motrice) de l’ Âme Noble, et sur la perte d’ unité qui en résulterait, du moins en apparence. L’ explication fait le parallèle avec les genres et les espèces dans la définition. L’ unité du défini n’ est pas menacée ; le genre n’ existe pas de façon actualisée dans l’ espèce, et, par là, dans la chose, ce qui conduirait à un emboîtement de formes générique et spécifiques en poupée russe. Il existe en puissance dans l’ espèce, comme le triangle dans le quadrilatère et comme la vertu végétative dans la sensitive, suivant le De anima d’ Aristote, et, ajoute Albert, comme le végétatif et l’ animal dans le rationnel. Inversement, la différence existe bien, la même en essence, mais il s’ agit de la différence selon son être en puissance : elle est dans le genre, à l’ état inchoatif, et en acte quand elle est portée à l’ actualité. De même que l’ existence d’ une pluralité genres et de différences ne menace pas l’ unité du défini ou que la présence de plusieurs facultés dans les êtres naturels générés ne menace pas leur unité, de même l’ existence d’ une pluralité de formes, de vertus, dans l’ Âme Noble ne menace pas son unité :
Si quis autem obiciat quod anima secundum hoc ex tribus formis composita esse videtur et sic duplici compositione composita, scilicet ex ‘hoc quod est’ et esse, et iterum esse ex forma divina et intellectuali et animali – dico autem ‘animali’, quod denominatio sumatur ab ‘anima’ et non ab ‘animali’ – ad hoc autem respondere non est difficile. Sicut enim in diffinitionibus una est numero essentia et simplex, secundum esse differens prout est in potentia et in actu, ita unus numero processus est sive effluxus, qui causat anima esse, differens secundum esse, prout est in potentia virtutis divinae et virtutis intelligentiae et virtutis animae. Idem enim est, quod est in potentia et actu, secundum totum, ratione differens secundum esse perfectum et imperfectum. Et hoc non facit compositionem eo quod est unum in altero ; et id quod inest idem est illi cui inest, non distinctum ab eo nisi secundum esse. Differentia enim in genere est potentialitate. Et secundum quod est in genere non est distincta ab esse generis. Sed distincta est quando per actum educitur de illo. Sicut incohatum et perfectum idem, differens secundum esse et rationem, ut dicit Philosophus. Et praecedentia, in quibus incohatio rei est, in ultimo, quod est terminus, sunt ut potentiae et virtutes et non sicut essentiae perfectivae et constitutivae substantiae, sicut ‘trigonum in tetragono et sicut vegetativum in sensitivo’ et sicut vegetativum et sensitivum in rationali. Propter quod rationale operatur virtute sensitivi et vegetativi, et sensitivum virtute vegetativi, sed non convertitur, sicut et linea operatur virtute continui et recti. Et haec talia non inducunt compositionem esse vel essentiae, sed compositionem virtutis. Sed verum est : compostio esse et ‘quod est’ in omnibus est quae sunt post primum98.
Ce texte montre bien comment l’ existence d’ un rapport de puissance et d’ acte entre les genres et les espèces est considérée comme une donnée évidente pour Albert, mais aussi comment ce rapport va dans les deux sens, d’ un point de vue logico-ontologique, dans un arbre de Porphyre, aussi bien que du point de vue de la philosophie naturelle. Le genre n’ existe pas en acte dans la différence, ce qui en ferait une forme composite, mais il existe selon la puissance (in potentia) et la vertu (virtute). Inversement, la différence existe à l’ état inchoatif, de façon potentielle (potentialitas), dans le genre.
Le même thème apparaît plus loin dans notre texte quand il s’ agit d’ illustrer la différence entre les formes divisibles et matérielles, et les formes immatérielles. Des exemples identiques aux formes de notre triade (être, vivant, sensible, homme) apparaissent pour illustrer le cas des êtres qui passent de la puissance à l’ acte. Le passage souligne la façon dont ce modèle évite de décrire la génération comme un empilement de substances actualisées en poupée russe, en s’ attachant à une description du développement embryologique et fœtal, où l’ être de l’ homme se distend, selon la puissance, dans une hiérarchie de formes, pour ne s’ actualiser qu’ à son terme. Le passage tiré du chapitre 3 du livre II de la Génération des animaux y est cité. Albert insiste sur l’ existence en puissance (secundum potentiam) de l’ être-homme, dans la semence, comme vivant, comme sensible, puis comme homme99.
Le problème est que l’ idée selon laquelle le genre existe en puissance dans l’ espèce ou la différence pourrait bien remettre en question l’ application du théorème aux causes formelles : la cause antérieure serait moindre cause, car elle existerait seulement en puissance, et la cause ultime serait davantage cause, car ce serait elle qui actualiserait véritablement la chose. En outre, la cause plus universelle, qui existe en puissance dans la cause ultime actualisante sera supprimée par la suppression de celle-ci. Ensuite, par ricochet, cette conséquence pourrait s’ appliquer aux causes primaires elles-mêmes qui sont causes des causes formelles secondaires. La paraphrase au Liber permet seulement de répondre à la seconde objection. On le voit dans un passage dédié à l’ Âme Noble, antérieur à ceux que nous venons de citer. Cette fois, a contrario, comme dans le cas du premier passage cité, le cas des causes formelles naturelles et le cas de causes primaires sont fortement contrastés au regard de la question de la puissance et de l’ acte. La distinction de la puissance et de l’ acte ne joue en effet pas pour les causes primaires, ni a fortiori pour la Première Cause, raison pour laquelle les causes primaires ne sont pas éduites. Cette relation joue pour les réalités dotées d’ un principe matériel, qui sont générées par éduction de la forme et passage de la puissance à l’ acte. Ce point est expliqué à l’ occasion de la discussion sur la création de l’ Âme Noble par la Cause première et l’ Intelligence, qui fait contraste avec la génération de l’ homme :
Quidam antiquorum dixerunt quod prima cauasa creat animam mediante intelligentia et alatyr, non quod intelligentia pro medio prima causa utatur sed quod forma intelligentia media sit in esse diffinitionis animae, sicut sensibile medium est in esse diffinitionis hominis, cum dicitur vivum sensibile rationale […] Esse enim animae non ita constituitur quod primo sit in potentia et postea in actu. Si enim sic constitueretur, oporteret, quod per motum generationis de materia educeretur. Quod nobili anima non convenit, quae simplex est et immaterialis. Non ergo sic potest constitui quod esse eius simplex et imperfectum creetur a causa prima et formatio ad intellectualitatem fiat a causa secunda, quae est intelligentia. Si enim ita esset, sequeretur quod actio primae causa esset actio imperfecti et actio causae secundae esset actio perfecti, quod valde inconveniens est […] Non ergo sic constituitur anima in esse quod prima causa incohet esse, quod perficiatur ab intelligentia, quae est causa secunda100.
Alors qu’Albert défend un régime exégétique fort de l’ exemple et marque une adhésion doctrinale claire à la thèse qui y est exprimée à propos des causes formelles, se fait finalement jour ici une différence entre le rapport des causes formelles naturelles de l’ exemple et celui des causes primaires directement visées par le premier théorème, une différence qui se joue sur la question du passage de la puissance à l’ acte. L’ explication de la façon dont le premier théorème s’ appliquerait aux causes de l’ exemple reste ainsi incomplète. Il s’ agit d’ un cas, les causes formelles naturelles, qui, il est vrai, ne constitue pas l’ objet principal du Liber. Il ne représente qu’ une illustration du premier théorème et des thèses qui en découlent, et pas nécessairement un point d’ application intégrale. Albert ne revient ainsi pas sur l’ objection principale envisagée, à savoir sur la difficulté de savoir comment la cause formelle secondaire générique, bien qu’ existant seulement en puissance dans la cause formelle spécifique et bien que déterminant de façon moindre l’ effet de la cause ultime moins universelle, pourrait tout de même se voir appliquer le théorème : ne pas être supprimée par la suppression de la cause spécifique ultime et être davantage cause que la cause spécifique ultime.
5.2 Gilles de Rome
Pour Gilles de Rome, l’ exemple illustre dans les causes secondes le premier théorème. Comme chez Albert, les causes sont « universelles » dans la mesure où elles « influent sur une pluralité ». L’ interprétation de Gilles de Rome provient du fait que les causes formelles sont dotées d’ une capacité à causer par influence et qu’ il existe a un parallèle entre les causes formelles et les causes efficientes pour lesquelles le théorème a été énoncé originellement101, du fait que les premières sont également dirigées par la cause finale. Mais l’ interprétation découle également de ses positions sur la valeur épistémologique de l’ exemple, qui procède par « signe » et par « exemple »102. C’ est la raison pour laquelle la prémisse de la reconstruction syllogistique de l’ exemple inverse l’ ordre réel des causes :
Sicut se habent in causis formalibus, sic se habent in efficientibus ; sed causa formalis longinqua et universalis est vehementius causa rei quam propinqua, ergo causa efficiens prima plus influit in suum causatum et est vehementius causa eius quam causa secunda103.
Bien que la capacité à fluer des causes formelles dérive de celle des causes efficientes, ce sont ces dernières qui sont présentées comme étant « comme » les causes formelles, et non l’ inverse. L’ auteur considère en effet l’ exemple comme un argument par similitude (per simile), et un argument per signum, à partir des effets vers les causes, puisque la cause efficiente est cause de la cause formelle, et, par ricochet, de ce qu’ il appelle dans ce passage la « cause matérielle », en un sens particulier, comme nous allons le voir. La valeur épistémologique de l’ exemple prend sens dans une stratégie générale d’ explication de la possibilité de la connaissance des premières causes, où les propositions 2 à 5, sur l’ antériorité et la non-suppression de la cause première, sont déjà comprises comme relevant d’ une explication par corolaire (per modum correlarii)104 de la plus grande influence de la cause première. L’ « adage du premier en composition et du dernier en analyse » est largement utilisé par Gilles de Rome105.
La valeur épistémologique de l’ exemple est explicitement énoncée chez Gilles de Rome seul dans la perspective de l’ ineffabilité des causes primaires. C’ est parce que la cause efficiente est cause de la cause formelle dans l’ ordre de l’ être qu’ il est possible d’ inférer quelque chose de la cause efficiente à partir de la cause formelle. Il est ainsi possible, en procédant a posteriori, par signe, et par exemple, de partir de l’ ordre visible existant entre les causes formelles d’ inférer quelque chose à propos de l’ ordre existant entre les causes efficientes premières (sous-entendu : invisibles).
C’ est ici toute la question de la méthode de la connaissance en métaphysique qui est en jeu, méthode non-démonstrative pour un savoir qui n’ est pas une science (scientia), mais une sagesse (sapientia) des premiers principes généraux. Celle-ci est constituée non pas de l’ habitus des conclusions, comme est normalement définie la science au sens strict, mais de la saisie analytique (régressive) des premiers principes en partant de leurs effets, des conclusions aux prémisses. La partie de la métaphysique qui porte sur les substances séparées est ainsi une « science au sens large »106.
Une originalité du commentaire de Gilles de Rome consiste à voir dans la seconde partie de l’ exemple, correspondant à la proposition 11, un argument sur les « causes matérielles »107. Gilles de Rome parle ici de « cause matérielle » au regard du mode d’ argumentation, et non de la réalité des causes. Alors que la première partie de l’ exemple (propositions 6 à 10), qui démontre l’ antériorité, procède « par voie de réception », et relève ainsi de la « cause formelle », la seconde partie de l’ exemple (la proposition 11), qui démontre la non-suppression, procède « par voie de suppression ». C’ est un point sur lequel il sera critiqué par l’ Anonymus Ausburgensis, comme nous l’ avons vu dans le tableau synoptique des commentaires offert au début de cet article. L’ argument relève de la « cause matérielle », au sens où la matière est ce qui demeure quand quelque chose est supprimé. Le genre est donc comme une matière pour la forme ultérieure. L’ exemple parle donc bien des causes formelles, mais considérées dans un rapport relatif de matière et de forme108, un thème bien connu des lecteurs de l’ Isagogè de Porphyre.
Par ce biais, Gilles de Rome adopte une lecture de l’ exemple où le premier théorème et l’ antériorité s’ appliquent pleinement aux causes formelles, tandis que la non-suppression établit un rapport de similitude entre les causes matérielle et les causes efficientes. Cette dernière ne s’ applique aux causes formelles qu’ en un sens très particulier et figuré, où celles-ci sont considérées comme la matière des formes ultérieures. Dans un passage précédent, consacré aux premières propositions, Gilles de Rome avait donné raison au Liber sur l’ antériorité et la non-suppression de la cause première au regard de la cause seconde dans l’ effet, mais seulement selon la nature et « selon l’ intellect », et non selon le temps. Lorsqu’ il évoque, dans ce cadre, avant même de traiter l’ exemple, le cas « des causes formelle per simile », il ne prend pas comme exemple une pluralité de causes formelles substantielles générées, mais le rapport entre le feu et la chaleur109. Ces stratégies exégétiques évitent à Gilles de Rome d’ affirmer que les causes formelles génériques en tant que causes formelles d’ un individu généré sont non supprimées par la suppression de la différence ultime. Comme nous allons le voir, Siger de Brabant affirme clairement dans son commentaire que la définition du genre comme matière et de la différence comme forme, inspirée de Porphyre, relève de notre manière de concevoir les choses et non de la réalité110. L’ exégèse de l’ exemple, reste, dans l’ ensemble assez superficielle chez Gilles de Rome.
6 Siger de Brabant et les commentaires postérieurs
6.1 Siger de Brabant et l’ Anonymus Sectator philosophiae
Siger considère que le premier théorème s’ applique aux causes agentes. Les questions 4 à 6 s’ intéressent aux causes formelles111, tandis que la question 7 traite d’ un problème qui découle des précédentes.
Avec la question 6 (Utrum foma magis communis sit magis causa quam forma minus communis)112, Siger fait entrer l’ exemple dans un régime exégétique fort. Elle n’ a pas d’ équivalent (d’ après sa transmission connue) chez l’ Anonymus Sectator philosophiae.
La question de la plus grande causalité de la forme générique est posée, pour y recevoir une réponse négative, selon laquelle c’ est la forme ultime qui est davantage cause. Elle peut recevoir cependant une réponse positive en un sens très particulier, à propos duquel Siger botte en touche et se montre hésitant113. Il ne s’ en explique complètement qu’ à la question 17 (Utrum sint plures ideae vel una tantum). Il s’ agit d’ un texte complexe, qui nous éloigne du thème des causes formelles. Une fois posée la notion d’ une Idée platonicienne bien conçue, c’ est-à-dire qui n’ est pas prédicable, n’ est pas universelle, est séparée, et est cause de chacune des réalités, on comprend que la diversité des genres et des espèces ne correspond à aucune différence substantielle dans la cause idéelle unique, mais qu’ elle correspond, par exemple, aux différentes instanciations, le cheval, le cochon, etc., dans lesquelles nous saisissons l’ Idée ineffable d’ animal, ou encore les différents êtres, vivant, animal pour l’ Idée d’ être. C’ est en projetant cet ordre de la raison, fondé sur la saisie des effets, dans l’ ordre idéel que Platon lui-même, d’ après Aristote, a compté une pluralité d’ idées différentes selon la substance, au lieu de poser une cause unique, identique à Dieu lui-même, et une pluralité non substantielle d’ idées. Les différences entre les idées que Platon a posées à travers les divers genres et espèces sont pour Siger le fait de notre propre raison, à cause de la projection sur la cause première des différences que nous observons dans les effets. C’ est en référence à cette unicité de la cause que l’ on peut dire, selon Siger, que l’ être est cause du vivant, qui est cause de l’ animal, et, peut-on supposer, puisque le question 17 est censée donner la réponse à la question 6, que l’ être est davantage cause. Notons qu’ il est toujours question des animaux, et jamais de la forme de la rationalité de l’ homme, lorsque la question 17 affirme l’ unicité de la substance de l’ Idée.
Le traitement de l’ exemple par Siger est focalisé sur la question de l’ antériorité et de la non-suppression, ainsi que sur la pluralité des formes substantielles que ces notions impliquent. La position du philosophe consiste à défendre l’ unité de la substance individuelle générée, par le refus de toute pluralité des formes substantielles et le refus de tout argument fondé sur le parallélisme entre les prédicats universels, pour lesquels un emboîtement de genre et d’ espèce existe bien, et les causes formelles des réalités générées. Rien ne correspond ontologiquement à l’ intérieur d’ un individu donné à l’ emboîtement logique des prédicats en prédicats supérieurs et inférieurs selon le genre, l’ espèce et la différence. La prédication des genres et des espèces ne s’ explique pas par l’ existence d’ une pluralité de formes substantielles, par l’ existence de ‘grades’ en celles-ci, ou encore par l’ existence ‘des formes en puissance’ – une contradiction dans les termes – dans des formes en acte. L’ unique réalité qui corresponde à l’ emboîtement de genre et des espèces est l’ existence d’ instanciations de ces différents types d’ êtres dans une échelle de la nature, où nous trouvons effectivement des êtres à la complexité formelle croissante. Sur le plan de la cause formelle de la génération de l’ homme, au sommet de l’ échelle, il y a bien, en outre, une pluralité d’ opérations accomplies par l’ unique forme, l’ âme rationnelle, correspondant aux opérations qui, dans d’ autres animaux, sont effectuées par l’ âme végétative (les plantes) et l’ âme sensitive (les bêtes).
L’ argumentaire de Siger donne l’ impression que s’ organise une opposition terme à terme avec l’ interprétation d’ Albert, laquelle fait, nous l’ avons vu, des propriétés de prédication universelle le versant logique des propriétés ontologiques et métaphysique des universaux, comme étant dans la pluralité et causes de la pluralité. Le principe fondamental de la critique de l’ universel comme substance, énoncé en Métaphysique VII/Z/13 (« rien de ce qui prédicable universellement de quelque chose n’ est cause de cette chose ») s’ applique à plein dans l’ analyse de l’ exemple pour Siger. De même, Siger s’ attaque pied à pied à l’ idée qu’ il y aurait des formes inchoatives dans des formes en acte, et considère que la puissance ne fait pas partie de l’ essence de la forme114.
À l’ instar de Thomas d’ Aquin, Siger donne cependant raison au Liber dans un sens très faible, celui de la suppression de l’ « usage de la raison », au travers d’ un argument similaire à celui des imbéciles (fatui), ou, chez Thomas, du mourant. Ce point est traité de façon très approfondie dans la question 7, qui, elle non plus, d’ après la transmission connue, n’ a pas d’ équivalent chez l’ Anonymus Sectator philosophiae.
Dans le cas de la perte de l’ usage de la raison par modification du corps sous l’ action des affects, la proportion qui rendait le corps animal perfectible par l’ intellect peut disparaître avant que la proportion qui le rend apte à la nutrition et à la sensibilité ne disparaisse. On voit là une explication très détaillée de l’ idée évoquée par Thomas selon laquelle l’ usage de la raison disparaîtrait avant les opérations proprement animales. Mais, à la différence de Thomas, Siger se prononce sur la nature de cet individu qui perdrait l’ usage de la raison en affirmant qu’ il ne serait un homme qu’ en un sens homonyme. Il n’ y a alors pas de passage d’ une espèce à une autre, et le même animal demeure identique en nombre avant et après la perte de l’ usage de la raison – encore faut-il expliquer quel animal, comme nous le verrons plus loin. Si Siger donne raison au Liber dans le cas de la perte de l’ usage de l’ intellect, il lui donne tort dans le cas de la perte de la forme ultime de l’ humanité, laquelle entraîne la destruction de l’ animal. Si une forme spécifique devait remplacer une autre forme spécifique, ce serait de toute façon un autre animal numériquement.
Siger donne ainsi raison sur un mode extrêmement mineur au Liber quant à la suppression et l’ antériorité ou quant à l’ antériorité seule, sur plusieurs plans eux-mêmes soigneusement articulés : celui des différences de raison entre les genres et les espèces, sur un plan logique, où on peut admettre l’ argument de l’ antériorité et la suppression ; celui de l’ échelle des êtres de la nature, qui forme l’ unique base réelle du premier ; sur le plan de la contenance dans la forme spécifique des puissances et opérations de formes génériques instanciées dans d’ autres êtres, où l’ argument de la suppression ne peut cependant être admis ; enfin, sur le seul plan de la perte de l’ usage de la raison, où l’ argument de la suppression peut être admis.
Nous offrons ici un résumé du contenu argumentatif des questions 4 et 5, en laissant de côté la question 6, très brève dans son traitement, que nous avons déjà précédemment évoquée. Nous proposons un tableau en deux colonnes afin de bien montrer l’ existence d’ une argumentation parfaitement parallèle à celle de Siger de Brabant chez l’ Anonymus Sectator philosophiae, en dépit d’ intitulés différents.
Dans la question 4, qui correspond à la question 3 chez l’ anonyme, le traitement de la question s’ attaque à la thèse qui sous-tend la question de l’ antériorité, de la non-suppression ou de la plus grande causalité des causes, à savoir l’ existence d’ une pluralité de formes substantielles.
Tableau 4
Siger de Brabant |
Anonymus Sectator Philosophiae |
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Question 4 : Est-ce que parmi les causes formelles d’ une chose quelconque une forme est antérieure et une forme postérieure (Utrum in causis formalibus alicuius rei sit aliqua forma prior et aliqua posterior)115 ? = Y a-t-il une pluralité de formes substantielles ? |
Question 3 : est-ce qu’ il y a pour un même effet une cause plus commune et une cause moins commune (Utrum in eodem effectu sit causa communior et minus communis)116 ? |
Réponse négative. |
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L’ unité de la chose dépend de l’ unité de la forme, c’ est-à-dire de sa simplicité et de son unicité. Refus de la pluralité des formes car elle implique qu’ une forme s’ ajouterait à une forme ou qu’ une forme serait composée d’ autre formes. |
= argument § 1 (éd. D. Calma, p. 51, 2-6) |
Quod non 1. Argument de la définition de la forme (Métaphysique VII/10) : la définition ne se fait pas par addition d’ un étant à un autre, on ne peut ajouter une forme à une forme sans ajouter un étant à un étant. Autorité : Métaphysique VII/4 + Averroès |
même citation = argument § 2 (p. 51, 7-9) |
Quod non 2. Argument de l’ unité par accident : la pluralité des formes implique qu’ une forme soit ajoutée à un être ayant déjà une forme imparfaite comme un accident à l’ égard de celui-ci, qui serait alors une unité seulement par accident. |
= argument § 3 (p. 51, 9-11) appliqué à la chose. |
Quod non 3. Si la forme de la chose était composée de formes, ces formes seraient en acte, et la forme de la chose ne serait donc pas une en acte. |
= argument § 4 (p. 51, 12-15) |
Quod non 4. Si la forme de la chose était composée de la forme du genre et de la forme de la différence, alors le genre ne pourrait plus se prédiquer in quid de l’ espèce, ce qui est inacceptable. L’ espèce serait une troisième chose distincte dont le genre serait une partie. Au contraire le genre ne préexiste pas aux différences spécifiques qui lui adviendraient comme des accidents, mais il n’ est rien d’ autre selon sa substance que les différences spécifiques qui le rendent autre. Autorité : Métaphysique VII, 8 |
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Conclusion : s’ il n’ y a pas de pluralité des formes, il n’ y a pas une forme antérieure et une forme postérieure. |
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Réponse positive |
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Le Liber dit que l’ être est cause première de l’ homme et que le rationnel est cause secondaire. |
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Quod sic 1. Argument de la définition par les formes imparfaites et parfaites. Si la définition a des parties différentes correspondant aux parties de la chose, la forme doit elle aussi avoir des parties dont l’ une seulement est en acte. |
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Quod sic 2. La forme totale de la chose (à distinguer de la différence ultime) doit être composées puisqu’Averroès dit que tout ce qui est entre la matière première et la forme ultime est composé de matière et de forme. Autorité : Averroès, Physica, I, 1, fol. 6E. Quod sic 3. L’ espèce est composée du genre comme matière et de la différence comme forme, selon Porphyre. Comme le genre n’ est pas une matière, mais semblable à la matière, c’ est un composé qui a une forme en acte. Donc l’ espèce est composée de formes. Autorité : Porphyre, Isagogè. Quod sic 4. L’ abstraction du concept du genre à partir des espèces doit avoir comme fondement une forme du genre, même si elle ne subsiste pas à part en dehors de ses espèces. |
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Solution |
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Il existe une forme unique et simple. La prédication de plusieurs prédicables hiérarchisés à propos d’ un même individu ne correspond pas à divers degrés de formes117. Les différents prédicables sont distingués par la raison (ratione). |
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Ils sont prédiqués d’ un même individu en fonction d’ une forme unique qui contient selon la puissance (potestate) les formes qui existent dans la nature dans d’ autres individus d’ autres espèces, dans une échelle de la nature. |
Les formes diffèrent selon la raison (ratione), p. 51, 17-23. |
Le degré plus parfait contient virtuellement le moins parfait : le principe de la sensation contient la sensation et ce qui est principe de la nutrition chez les plantes118. |
La forme la plus spécifique contient, cependant virtute, les précédentes (p. 51, 23-26) |
Le genre n’ a pas de substance en dehors de ses espèces et il n’ est pas la partie matérielle de l’ espèce. |
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Tous les arguments en faveur du quod sic sont reformulés en termes de différence selon la raison (in ratione) ou selon la raison et notre intellection (in ratione et in intellectu nostro). On peut ainsi accepter que le genre soit la « quasi-matière » de l’ espèce et qu’ il ne soit pas supprimé par la suppression de l’ espèce, mais seulement du point de vue des relations topiques entre concepts. |
En abordant la question 5, qui correspond chez l’ anonyme à la question 4, Siger de Brabant répond encore une fois à une autre question. Il ne s’ agit pas de se demander si la cause plus commune est antérieure, mais, plus radicalement, de se demander si ce qui est « commun », c’ est-à-dire universel, peut être cause, de sorte qu’ on pourrait appliquer l’ idée d’ un ordre des causes.
Tableau 5
Siger de Brabant |
Anonymus ‘Sectator Philosophiae’ |
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Question 5 : Est-ce que la forme la plus commune est antérieure et la forme moins commune postérieure ? (Utrum forma communior sit prior et forma minus communis sit posterior) |
Question 4 : Est-ce que la cause la plus commune est antérieure ? (Utrum causa communior sit prior) |
Les formes les moins communes sont les plus parfaites : elles sont donc antérieures, ce qui s’ oppose au Liber. |
= § 1, p. 52, 2-3 [§ 2, p. 52, 4-7 : la cause propre a la raison de la forme, car elle est davantage déterminée et actualisante, donc elle est davantage cause]. |
Solution |
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Les prédicables communs ne sont pas des causes de ce dont ils se prédiquent ; ils ne sont ni principes intrinsèques (corps, âme), ni des causes extrinsèques (idées). |
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Principe du prédicable qui n’ est pas cause : nihil enim est causa in aliquo genere causae eius de quo in quid et essentialiter predicatur. |
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Une pluralité de prédicables ne peut correspondre à une pluralité de causes car il y aurait une pluralité de formes. |
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Les prédicables communs ne peuvent être ni des principes intrinsèques, à la manière du corps et de l’ âme, ni des principes séparés, comme des causes efficientes, pour lesquelles vaut effectivement le premier théorème. |
=§ 4, p. 52, 9-13 |
Les prédicables communs ne peuvent pas être des principes intrinsèques de la chose (corps et âme) car ceux-ci sont différents l’ un de l’ autre : cela nous ramènerait à une pluralité de formes en acte (question 4). Les prédicables communs ne peuvent être des principes extrinsèques, à moins de les identifier indûment aux Idées universelles (à la manière de Platon, lorsqu’ il est mal compris). Comme le genre peut être dit matière de la différence, selon un certain transfert (secundum quamdam transumptionem), le genre peut être dit « cause de la chose ». Il y a bien des causes formelles plus communes et moins commune, mais seulement selon la raison (ratione), selon la priorité de la matière sur la forme, ou selon une priorité temporelle, selon la génération (citation du De generatione animalium II, 3, 736b2-3). |
rien de ce qui est dit par soi de quelque chose (ponitur per se de constituto) n’ est une partie réelle constituante de celle-ci. § 6, p. 52, 23-25 : cum Auctor dixit quod causae communiores sunt priores, similiter locutus fuit secundum Platonicos. § 5, p. 52, 13-22 : la forme plus commune est antérieure selon la priorité de l’ imperfection, selon la matière, du fait de son indétermination et de sa confusion. |
La question 7, absente, nous l’ avons vu, de l’ Anonymus Sectator philosophiae, précise un point qui était impliquée dans le traitement de l’ exemple. Elle se formule de la façon suivante : « est-ce qu’ un individu [de l’ espèce] d’ homme, lorsqu’ il n’ est plus un homme, demeure un animal (Utrum cum aliquod individuum hominis non est homo remaneat animal) »119 ? La réponse de Siger est que l’ animalité de l’ homme (c’ est-à-dire le corps propre de l’ homme, qui le rend apte à être parfait et mu par un intellect) se corrompt avant son humanité lorsqu’ il y a séparation de la forme selon sa substance, avec la mort. En revanche, le même animal peut demeurer avant et après la perte de l’ usage de la raison. Revenons sur les détails de l’ argument.
La première partie de l’ argument, consacrée à la question de la suppression au sens de la mort par séparation de l’ âme, est l’ occasion de montrer que l’ ensemble des thèses défendues jusqu’ ici valent bien, même dans le cas d’ un être dont la forme substantielle vient ‘de l’ extérieure’, comme l’ intellect dans le cas de l’ homme. L’ important n’ est en effet pas que la forme n’ existe pas par soi en dehors de son animation du corps, ce qui s’ applique aux âmes des bêtes et des plantes, mais pas aux âmes intellectuelles de hommes, mais le fait qu’ il n’ existe pas un être constitué en acte préexistant à l’ information de l’ âme, ce qui vaut dans tous les cas, y compris pour l’ homme.
Un argument en faveur de la non-suppression pourrait être que la corruption de l’ homme advient avant celle de l’ animal puisqu’ elle se fait par le retrait de l’ intellect qui était advenu de l’ extérieur à l’ animal et le laisserait demeurer après son retrait.
Le modèle rejeté par Siger est le suivant :
Matière + âme végétative et sensitive éduites de la matière |
||
= |
animal |
|
← |
advenue de l’ intellect |
|
= |
constitution de l’ individu humain (mouvement local) |
|
→ |
retrait de l’ intellect |
|
= |
permanence du même animal préexistant, corruption de l’ individu humain |
Au contraire, pour Siger, l’ animalité disparaît avant l’ humanité, car c’ est la corruption de la disposition du corps perfectible et mobile par l’ intellect humain qui entraîne la séparation de l’ intellect du corps, laquelle n’ est pas un mouvement local120.
L’ « adage du premier dans la synthèse et du dernier dans l’ analyse »121 est utilisé dans les argument en sens contraire, en faveur de la thèse du Liber. La solution de Siger consiste à donner tort au Liber en ce qui concerne la suppression de la forme substantielle, puisqu’ il ne peut demeurer un individu animal, ni par cette forme, ni par une autre forme. En revanche, il y a une permanence du genre du corps (ainsi que celui de la substance), sous une autre espèce (en passant de corps animé rationnel à corps inanimé dans le cas d’ un homme qui meurt), mais il ne s’ agira de toute façon pas du même individu numériquement122.
En insistant sur le fait que l’ homme constitue un cas à part (“singularem dubitationem habet circa hominem eo quod eius forma est immaterialis et abstracta”), Siger reconnaît ensuite qu’ il est en revanche possible d’ admettre la rémanence de l’ individu animal lorsqu’ un individu cesse d’ être un homme parce qu’ il a perdu l’ usage de la raison. Nous retrouvons ici l’ argument des imbéciles (fatui), que nous avions déjà rencontré chez le Ps-Henri de Gand et Roger Bacon, et, de façon plus problématique, chez Thomas d’ Aquin, où il s’ agissait plus probablement du mourant. Siger se réfère aux hommes rendus fous par la rage, la boisson ou la passion (Éthique à Nicomaque VII, 5, 1147a14-17) quand il met l’ argument de l’ homme en un sens homonyme dans la bouche de ses adversaires (i.e. des partisans du Liber sur le point discuté). L’ argument en faveur de la rémanence de l’ animal affirme que l’ homme privé de l’ usage de la raison n’ est appelé « homme » qu’ en un sens « homonyme (equivoce) » : il reste bien un animal123. Lorsqu’ il reprend en revanche à son compte l’ argument de la perte d’ usage de la raison, il semble plutôt se référer, comme Thomas, au mourant.
La perte de l’ usage de la raison est au cœur de la solution proposée par Siger. Dans sa réponse, il explique que lorsque disparaît de l’ individu « la forme de l’ homme en tant que telle » (forma hominis sub ratione quod est talis), distinguée de la substance de l’ humanité (substantia humanitatis), l’ individu perd sa définition d’ homme (non manet indivuduum sub ratione hominis), mais il reste le même animal, identique en nombre (unum in numero animal)124, ce qui ne peut se produire dans le cas des autres espèces. Dans ce cas, la forme d’ homme dans sa substance n’ est pas corrompue, car autrement l’ individu ne perdrait pas la raison, mais la vie. Elle est corrompue sous la raison de sa forme de l’ homme, pour demeurer sous la raison par laquelle elle est la forme de l’ animal : « l’ homme avant qu’ il ne perde l’ usage de la raison et après qu’ il l’ ait perdu est le même animal en nombre ».
Toute la question est alors de savoir quelle est cette forme qui demeure substantiellement sous la raison d’ un animal et n’ est plus opérativement sous celle d’ un homme : il doit s’ agir de la même puisqu’ il n’ y en pas d’ autre forme. La forme même ‘rétrocède’ dans ses opérations possibles, par la perte de la proportion qui rendait possible une opération proprement intellectuelle. L’ animal humain sans usage de la raison, lequel ne peut être appelé « homme » qu’ en un sens homonyme, est bien celui qui, selon Averroès, était incapable de perfection par l’ acquisition de la science spéculative125. La substance qui demeure la même en dépit de la perte de l’ usage de la raison pourrait correspondre à cette forme particulière d’ animal qu’ est l’ homme considéré seulement ‘biologiquement’, comme nous dirions aujourd’ hui, indépendamment des opérations extra-animales, intellectuelles, qu’ il est le seul à pouvoir effectuer126.
Siger ne dit jamais que l’ intellect est la forme substantielle de l’ homme dans la question 7, pas davantage qu’ il ne se réfère à l’ intellect lorsqu’ il parle de l’ âme rationnelle comme forme substantielle dans les questions 4 et 5, dont la portée est générale, bien au-delà du cas de l’ homme. Tous les développements que nous venons de suivre, pris en eux-mêmes, pourraient être cependant considérés comme proches de Thomas et, en tous cas, thomasino-compatibles, ce qui pourrait donner raison à une historiographie qui insiste sur l’ influence de Thomas dans l’ œuvre de maturité que constituent les questions sur le Liber. L’ idée qu’ un homme qui a perdu l’ usage de la raison serait un homme en un sens homonyme, ainsi que la distinction entre la définition de l’ homme « en tant que tel » et la « substance de l’ humanité », viendraient simplement clarifier, ou plutôt radicaliser, la position de Thomas sur l’ individu qui n’ est plus un homme « selon l’ acte propre de l’ homme », une formule où « acte » ne pouvait, nous l’ avons vu, signifier l’ entéléchie, mais l’ opération effective des actes intellectuels. La différence tient au statut de l’ opération intellective elle-même : Siger se rattache ici à une tradition artienne d’ inspiration averroïste, qui fait de l’ opération effective d’ actes intellectuels (et non de la simple possibilité d’ effectuer une telle opération) la condition de la réalisation de la « seconde perfection » de l’ âme, et fait de cette dernière la condition d’ une humanité pleinement réalisée, faute de quoi l’ individu qui possède seulement l’ intellect possible est appelé « homme » en un sens homonyme127.
Mais ces mêmes formulations seraient également compatibles avec une théorie de l’ intellect séparé et, sous la raison de l’ âme, forme et acte du corps. Cette lecture s’ accorderait cette fois avec les hypothèses récentes de certains spécialistes qui insistent plutôt sur un approfondissement d’ une seule et même doctrine au fil de l’ œuvre du philosophe128. Elle s’ accorde aussi avec les idées que nous trouvons exprimées plus avant dans le commentaire au Liber. La séparation de la substance de l’ intellect s’ y ferait sur fond d’ une union de nature avec chaque individu humain, avec un corps « objet » et non sujet de l’ intellect, d’ une multiplication par particularisation non substantielle de l’ intellect (liée à la diversité de individus en lesquels il est reçu), où la doctrine de l’ éternité de l’ intellect repose sur celle de sa création par la première cause129. Là encore, le rôle des opérations intellectuelles effectives pourrait représenter un pivot de la théorie, puisque l’ intellect dépend du corps et lui est unit naturellement in operando, comme le souligne Dragos Calma130 ; l’ homme qui ne possèderait que la « substance de l’ humanité » – en ce cas celui qui ne possèderait que la substance de l’ intellect, sans sa puissance, selon les deux éléments associés dans les questions 26 et 27 – serait une anomalie patente, et ne serait pas pleinement un homme.
La plupart des études sur Siger ne sont pas centrées spécifiquement sur la question de l’ unité anthropologique formée par l’ individu humain, même si elles l’ abordent. Cette question nous concerne au premier plan dans l’ interprétation du traitement sigérien de l’ exemple de la triade, puisque tous les arguments qui s’ y développent sont fondés sur le principe de l’ exigence d’ une forme simple.
Siger défend clairement dans les questions 4 à 7 une théorie de l’ unité de la forme substantielle, y compris pour l’ homme, ce qui pourrait déconcerter. Comme l’ a souligné Carlos Bazán, il n’ est pas question de voir en Siger, même théoricien de l’ intellect unique dans ses premiers travaux, un défenseur de la pluralité des formes substantielles, ou d’ un dualisme anthropologique, puisque l’ intellect n’ y est pas la forme substantielle de l’ homme131. La question de l’ unité de l’ homme se pose de façon aiguë dans cette première phase de la doctrine du philosophe ; on peut se demander alors s’ il faut admettre, selon la suggestion du même savant, une compositionnalité accidentelle irrémédiable dans la constitution d’ un homme qui serait actualisé substantiellement uniquement par une « forme végétativo-sensitive »132, ou s’ il convient de parler, avec Antonio Petagine, d’ une « unité sui generis non substantielle »133.
Quant à la version sigérienne de l’ unité de la forme substantielle professée dans son œuvre de maturité, le commentaire au Liber, elle n’ est pas celle de Thomas. L’ examen des questions 4 à 7, nous l’ avons vu, ne permet pas de déterminer complètement la position de l’ auteur au sujet des rapports entre intellect et âme, et ainsi, au sujet de la question de l’ unité anthropologique. Il faut se tourner vers les questions ultérieures. Dans la série de questions sur les idées comme causes extrinsèques, auxquelles s’ appliquent le premier théorème (questions 14 à 18), la question 18 renvoie au sens en lequel l’ âme intellective de l’ homme est forme et acte du corps, sens qui ne peut être le même que pour les bêtes. Le problème des rapports entre âme et intellect est abordé de front dans la question 26. Siger y est très clair sur la définition de l’ intellect, en tant qu’ « âme intellective », comme la forme et la perfection non seulement de l’ homme, mais du corps, tout en insistant sur le fait qu’ il s’ agit d’ une forme subsistant par soi, une forme non éduite de la matière et advenue ab extrinseco134, au contraire des âmes végétatives et animales des autres êtres générés. Contre Thomas, il refuse que la substance de l’ âme intellective soit la forme du corps mais que sa puissance intellective en soit séparée135. Il affirme clairement que l’ âme intellective dans sa substance et dans sa puissance est forme, acte et perfection du corps :
Anima intellectiva est corporis perfectio et forma, non sic tamen quod potentia eius sit separata, immo cum eius substantia sit actus et perfectio ipsius materia sic etiam et eius potentia136.
À la différence des formes végétatives et sensitives, l’ âme intellective subsiste en elle-même, ne dépend pas du corps, n’ est pas éduite de la matière et n’ est pas uni naturellement au corps comme à son sujet, mais comme à son objet, c’ est-à-dire par le biais des phantasmes137. La question 27 affirme le corolaire nécessaire à l’ unité substantielle de l’ homme, à savoir, contre Averroès, la multiplication des intellects selon le nombre des hommes. L’ union que forme un individu humain est alors bien sui generis, comme le propose Antonio Petagine, mais avec cette précision, cependant, que si elle est non substantielle (quoique « de nature », du fait du besoin d’ un corps objet) du point de vue de l’ intellect, elle est bien substantielle pour l’ individu humain en question. Lue dans cette perspective, la question 7 permet en retour de préciser à quelles conditions la pleine « définition d’ homme » peut être endossée par un individu donné. Celui-ci serait déjà au moins un animal humain par la possession de la substance de l’ intellect (qui pourrait correspondre à « la substance de l’ humanité », possédée même par le fœtus, les petits enfants ou les déficients mentaux – ce serait l’ équivalent de l’ « intellect possible en puissance » de l’ enfant chez Averroès)138. Mais il faudrait encore accomplir une opération intellectuelle comme perfection émanant de la puissance de l’ intellect (la possession de l’ « usage de la raison »), faute de quoi l’ individu en question ne serait homme qu’ en un sens homonyme. La théorie proposée à la question 7 montre que la possession de la substance intellective de l’ homme comme animal perfectible ne suffit pas à faire d’ un individu un véritable homme.
6.2 Les commentaires influencés par Siger de Brabant : le (Ps?) Pierre d’ Auvergne et Jean de Mallinges
Les deux commentaires que nous allons examiner à présent partagent une forte influence de Siger de Brabant. Elle est mâtinée, dans le cas de Jean de Mallinges, de celle d’ Albert le Grand, associée à l’ adoption d’ un régime exégétique restreint. C’ est également le cas du (Ps?) Pierre d’ Auvergne, qui ne suit pas Siger sur ce terrain.
6.2.1 (Ps?) Pierre d’ Auvergne
Le commentaire du (Ps?) Pierre d’ Auvergne applique un régime exégétique restreint à l’ exemple. Il le traite en deux questions complémentaires, la question 6 dans l’ édition de Mihai Maga d’ après la reportatio Vindobonensis : « est-ce que l’ être advient à l’ homme avant le vivant et le vivant avant le rationnel ? (Utrum esse prius adveniat homini quam vivum, et vivum quam rationale) » ; et la question 7 : « est-ce le vivant se retire avant l’ être et le rationnel avant le vivant ? (Utrum prius recedat ab eo vivum quam esse, et rationale quam vivum) ? ». Ces questions sont traitées en association avec la question 5 : « est-ce que l’ impression de la cause primaire advient d’ abord dans l’ effet et se retire postérieurement ? (Utrum impressio causa primae prius adveniat effectui et posterius recedat) »139.
Le (Ps?) Pierre d’ Auvergne s’ inspire manifestement de Siger de Brabant, et propose des développements parallèles, mais il ne suit pas à proprement parler son raisonnement. Il développe plutôt une approche modulaire, avec des accents très différents. Dans l’ ensemble, le traitement de l’ exemple est plus superficiel. Notamment, le (Ps?) Pierre d’ Auvergne ne traite pas du tout de la question de la suppression, lorsqu’ il s’ attaque à la projection indue de l’ ordre des prédicables sur l’ ordre causes formelles et sur l’ ordre des idées comme causes efficientes. La distinction très nette entre prédicables universels et idées est abordée en des termes comparables à ceux de Siger, dans le groupe de questions suivant, cependant, à partir de la question 14140, sur la séparation des idées, un groupe de questions qu’ on retrouve également chez Siger.
La critique de la pluralité des formes et le rejet des grades de formes se traite uniquement sur un plan naturaliste, en termes de croissance embryologique, de facultés de l’ âme et de dispositions corporelles. La réponse du (Ps?) Pierre d’ Auvergne est principalement fondée sur l’ idée que la forme unique et simple contient simplement les puissances des âmes végétatives et sensible, et que les puissances sont elles-mêmes ordonnées dans le temps, dans la génération, avec l’ observation de la croissance du fœtus, où le De generatione animalium II, 3, 736b2-3 est cité141, y compris l’ advenue de l’ extérieur de l’ intellect comme quelque chose de divin142. L’ ordre vaut aussi dans la corruption, ce qui exige des explications plus circonstanciées. Celles-ci reprennent dans l’ ensemble l’ argumentaire que Siger de Brabant avait développé, avec l’ idée que la corruption de la proportion du corps à l’ opération intellective se corrompt avant la proportion des puissances végétative et sensitive. Mais le commentateur anonyme se place uniquement sur le plan de la génération et de la corruption, sans mentionner même la perte de l’ usage de la raison, pour ne parler que d’ opération et de faculté143. L’ adage issu du De generatione animalium II, 3 reçoit une formulation très générale, quod primo advenit ulterior recedit144, et le (Ps?) Pierre d’ Auvergne donne globalement raison au Liber sur le plan des puissances ordonnées, et non sur le plan de la forme.
6.2.2 Jean de Mallinges
Le commentaire de Jean de Mallinges aborde globalement, et superficiellement, toutes les propositions de l’ exemple dans sa partie littérale, ce qui conduit automatiquement à appliquer un régime exégétique complet à l’ exemple145.
Dans l’ autre partie de son commentaire, cette fois, par questions, l’ auteur applique en revanche un régime très restreint à l’ exemple, où seules les questions de la pluralité et l’ antériorité sont abordées. Ces questions, en dépit de leur brièveté, sont très intéressantes. L’ auteur offre une perspective partiellement albertinienne, tout en répondant aux objections assez inévitables, soulevées par Siger à l’ encontre de la pluralité des formes au regard de l’ unité substantielle de l’ individu généré et défini. Cet ensemble d’ objections était insurmontables dès lors que l’ on admettait seulement des formes en acte, ce qui n’ est pas le cas ici. Le commentateur donne cependant raison à Thomas et à Siger lorsqu’ il aborde la question l’ antériorité de la forme générique. Le commentaire sur l’ exemple reste assez superficiel au regard de ses sources ; notamment, il n’ aborde pas la question de la non-suppression. La question des rapports entre le rationnel et le sensible, ou l’ animal, est soigneusement évitée, probablement en conséquence de la discussion précise et serrée de Siger, laquelle rendait désormais impossible un traitement de toutes les formes, y compris l’ âme rationnelle, sur le même plan.
Jean de Mallinges applique de façon très claire la relation puissance/acte à la relation entre causes formelles génériques et spécifiques. Il s’ agit de la théorie qu’Albert avait proposée pour sauver l’ unité du défini. La théorie neutralisait bien le problème que pouvait créer une pluralité de formes pour l’ unité de la chose, mais elle s’ appliquait mal, nous l’ avons vu, à l’ idée que la cause formelle générique puisse être davantage cause de l’ effet que la cause formelle spécifique. De fait, Jean de Mallinges escamote le problème en changeant de sujet, c’ est-à-dire en quittant les causes formelles au profit des causes efficientes, en l’ occurrence Dieu, lorsqu’ il traite la question 9, entre la question 8 et la question 10, qui sont bien consacrées aux causes formelles. La question 9 (Utrum forma magis universalis habeat rationem cause respectu cause particularis)146 ne donne pas lieu à un traitement de l’ exemple en régime complet, car elle n’ est pas traitée sur le plan des causes formelles secondaires, mais sur le plan seul de la création par la cause première, Dieu. L’ objection que ce qui est moins parfait ne peut être la cause de ce qui est plus parfait y est évidemment rejetée dans le cas de Dieu, mais elle n’ est pas discutée dans le cas des causes génériques et spécifiques147.
À l’ instar de Siger de Brabant, Jean de Mallinges considère que la première chose à faire et de discuter la question de la pluralité des formes, une question à laquelle il donne une réponse inverse de celle du maître parisien. L’ adoption d’ une pluralité de formes se lit dès la première phrase de la réponse à la question 8 (Utrum forma magis universalis in eodem causao differt a forma minus universalis)148 : iste due forme differunt in eodem causato149 ; ce qui revient à donner tort à Thomas, cité pour son opinion dans le commentaire lemmatique150. Les formes en question ne diffèrent pas comme la forme et la matière ou comme une pluralité de formes constituées dans leur être, mais comme une forme indéterminée, à l’ état inchoatif, diffère d’ une forme déterminée151. C’ est un point sur lequel Albert avait exprimé une opinion exactement inverse, c’ est-à-dire qu’ il avait affirmé l’ identité de la même forme en puissance et en acte. Toutefois, les formes diffèrent sans être distinctes pour notre commentateur, comme on le voit dans les réponses aux objections152.
La question 10 (Utrum forma magis universalis prius aveniat et ultimo recedat)153 donne en partie raison, en partie tort au Liber. L’ auteur distingue, comme pratiquement la totalité de ses prédécesseurs, entre l’ antériorité temporelle et l’ antériorité selon la nature154, à quoi s’ ajoute, conformément à ce qu’ on avait observé chez Thomas et chez Siger, une distinction entre la forme selon la substance et la forme selon la puissance d’ opération. Selon le temps et la substance il n’ y a pas d’ antériorité, mais selon l’ opération il y a bien une antériorité des opérations végétative sur les opérations sensitives, et, selon la nature, une antériorité de la cause universelle au regard de la cause moins universelle, qui « présuppose » cette dernière155. Comme nous l’ avons déjà noté, Jean de Mallinges évite soigneusement le terrain miné de la relation entre le sensitif et le rationnel. Il ne traite pas non plus de la seconde partie de la question, sur le retrait de la forme.
7 Conclusion
L’ exemple de la triade au début du Liber de causis constitue sans doute un lieu d’étude privilégié, où la réception complexe du néoplatonisme au Moyen Âge, pour un temps mise sous l’ autorité d’ Aristote, vient rencontrer une philosophie naturelle aristotélicienne elle-même en voie de constitution. La diversité des stratégies exégétiques mises en œuvre pour escamoter ou, au contraire, affronter pleinement les difficultés rencontrées démontre une nouvelle fois comment l’ ingéniosité des maîtres médiévaux se cache souvent dans les actes apparemment les moins créatifs de la vie universitaire. Le caractère modulaire des questions et des arguments, alternativement recyclés, modifiés, renouvelés ou éclipsés illustre, par la méthode micro-exégétique, la nature très particulière des intertextualités médiévales. L’ évolution de l’ exégèse, où le commentaire de Siger marque un point d’ orgue indéniable, témoigne de la façon dont, à propos d’ un même texte, l’ agenda philosophique évolue, entre les années 1240 et les années 1270, avec l’ introduction de la question des prédicables, puis de celle de l’ unité des formes substantielles, et avec elle, celle de l’ intellect comme forme et perfection. L’ argument de l’ « usage de la raison », qui semblait encore en deçà de la portée théorique du Liber à un Ps-Henri de Gand ou à un Roger Bacon, entre en terres philosophiques lorsque la question de la seconde perfection apportée par l’ actualisation de l’ intellect entre en scène, avec celle de l’ Averroïsme.
Seul Albert le Grand tente une application détaillée, pleine et entière, du théorème et des thèses qui en découlent aux causes formelles de l’ exemple, mais c’ est au prix d’ un reste exégétique, lié au caractère en puissance du genre au regard de l’ espèce, et d’ une impasse sur la dimension naturaliste de ces causes, c’ est-à-dire sur la question du parallélisme entre l’ ordre de la génération et de la corruption.
Les autres réponses qui permettent de donner pleinement raison au Liber, y compris dans l’ ordre de la suppression, se situent sur des plans philosophiques décalés, soit sur un plan purement logico-conceptuel, où la rémanence du genre après la suppression de l’ espèce peut être admise sans difficulté, soit sur un plan anthropologique, avec le renvoi à l’ animalité de ceux qui feraient partie de l’ espèce humaine par la possession de l’ âme rationnelle, mais ne seraient pas pleinement des hommes par l’ absence d’ un usage de leur raison. En dehors de ces approches, dès lors que la thèse uniciste (ou non pluraliste, pour Siger) impose sans aménagement possible une co-suppression de l’ être vivant, de l’ être-animal, et de l’ être humain avec la séparation de l’ âme, forme substantielle du corps, il ne semble plus possible de donner une interprétation à la fois favorable et métaphysiquement forte de l’ exemple, conformément au format interprétatif exigé par le Liber de causis. Cela vaut non seulement pour l’ application de la plus grande causalité (premier théorème) au cas des causes formelles, mais même pour l’ argument de l’ antériorité et de la non-suppression dans l’ ordre de la corruption. On remarque ainsi que l’ exemple est absent chez l’ Anonymus Erfordiensis, un commentaire par questions daté des années 1290 ou du début du XIVe siècle, édité par Iulia Székely et Dragos Calma156. C’ est aussi le cas dans le commentaire par questions attribué, sans certitude définitive, à Raoul le Breton par ses éditeurs, Marta Borgo et Iacopo Costa, et daté de la même époque157. Au vu des difficultés inextricables qu’ une explication sérieuse de l’ exemple exige, il n’ est pas impossible que ce passage ait été considéré, à la fin du XIIIe siècle, comme un cas désespéré.
Remerciements
Je remercie chaleureusement Dragos Calma, ainsi que mes relecteurs anonymes, pour leurs remarques et critiques, qui m’ ont permis d’ affiner ou de réviser mes analyses, et d’ améliorer la première version de cette étude.
Voir Libera 1998, p. 358-359.
L’ exégèse médiévale considère généralement que l’ exemple s’ arrête à la proposition 13 : nous négligeons donc ici la proposition 14, ainsi que la suite du texte.
Voir Piché 2005 et Libera 1999.
C’ est un point relevé par Fabrizio Amerini à propos de Thomas d’ Aquin, mais surtout de Siger de Brabant, dans son excellente étude sur la position de Thomas dans le Liber. Voir Amerini 2015, p. 201-202.
Voir Calma 2016b, p. 17-20.
Liber de causis, éd Pattin 2000, p. 46-48.
Voir Lafleur, Carrier 1992, p. 33.
Voir Libera 1997, p. 73 sqq.
Nous négligeons ici le commentaire du Ps-Adam de Bockenfield (alias Ps-Bocfeld) ; pour l’ origine du village de Bockenfield (Northumbrie) d’ Adam, voir Long 2012, p. 2. Nous l’ avons lu dans le manuscrit de Florence, un témoin lacunaire mais qui contient les questions sur le premier théorème et les propositions secondaires. En première approximation, nous n’ y avons repéré aucun élément significatif sur l’ exemple de la triade.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, éd. Zwaenepol 1974.
Anonymus, Sectator philosophie, Questiones super Librum de causis, éd. Calma 2016b, p. 42-52.
(Ps?)Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, éd. Maga 2016, p. 71-135.
Jean de Mallinges, Reportationes de Causis, éd. in Baneu, Calma 2016a, p. 211-286.
Anonyme (Ausburgensis), Glose super Librum de causis, éd. in Baneu, Calma 2016b, p. 148-152.
Guillaume de Leus, Expositio Libri de causis, éd. Carron 2016.
Voir Calma 2016b.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, éd. Steele 1935, p. 8 : Tunc queritur utrum possit hoc verificari de forma.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 9 : Commentator tamen loquitur de cause influentie ut manifestet, quomodo una magis influit alia, neque curandum de exemplo ; sed quod dicit Commentator intelligi postest de influentia communiter dicta, non propria.
Le sens large en question concerne le cas de l’ âme, traité à la page précédente, de son influence par la puissance qui est attachée à son essence. Mais il ne s’ agit pas de l’ âme en tant que forme (elle agit alors par sa substance sur l’ ensemble du corps, Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 8-9). Un sens large d’ « influence » peut aussi concerner les causes formelles, à moins que le premier théorème ne soit reformulé en supprimant la notion d’ influence : ces deux cas de figure feront l’ objet de deux dubia distincts, comme nous le verrons plus loin.
Cette formulation pourrait surprendre, en faisant apparemment de Siger un défenseur de la théorie thomasienne de la forme substantielle unique, ce qui n’ est pas le cas. Nous renvoyons le traitement détaillé de cette question à la fin de la section spécifiquement consacrée à Siger (§ 5).
Porphyre, Isagogè, trad. Libera, Segonds (modifiée) 1998, p. 19. Voir également par exemple p. 18 pour la relation de suppression et d’ antériorité entre le genre et la différence diviseuse.
Boèce, De Arithmetica, trad. Guillemin 1995, p. 9.
Libera 1999, p. 93.
Porphyre, Isagogè, trad. Libera, Segonds (modifiée), p. 13.
Porphyre, Isagogè, p. 18 : « Le genre est semblable à la matière et la différence à la forme ».
Boèce, In Isagogen Porphyrii Commenta, editio prima, p. 5.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, p. 3rQ.
Alors que théorème ne concerne en théorie pas les causes formelles, Roger Bacon ne néglige pas d’ examiner l’ application de ce dernier, en une reformulation appliquée au cas des causes non-influentes, à savoir la question plus grande causalité (et non influence) de la cause première au regard de la cause seconde. Il le fait aux pages 18-19 de son commentaire, directement dédiées à l’ exemple (p. 18 : « dubitatur de exemplis suis, primo super hoc quod dicit esse magis causa hominis quam rationale »). Les mêmes causes sont traitées lorsque Roger Bacon examine l’ application du premier théorème, non-reformulé, aux causes intrinsèques, c’ est-à-dire formelles, mais cette fois en un sens large de « influence » (p. 13 : « Dubitatur de causis intrinsecis, de influentia in ipsis large accepta ; queritur de ipsis que magis influat »).
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 34.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 14-15.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 35.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 25-37.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis a magistro Io⟨hannes⟩ de Mallingys, p. 217, 18-20. Ce point a été noté par Alexandra Baneu et Dragos Calma en annexe 3 de l’ introduction de leur édition, voir Baneu, Calma 2016a, p. 182.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis a magistro Io⟨hannes⟩ de Mallingys, p. 217, 20-22. Ce point a été noté par Alexandra Baneu et Dragos Calma, voir Baneu, Calma 2016a, p. 187.
Anonyme (Ausburgensis), Glose super Librum de causis, p. 149, 7-8 : ‘Et illud quod’ (= début de la proposition 11). Nota : unum exposens (= Gilles de Rome) distinguit illam particulam a precedente.
Anonyme (Ausburgensis), Glose super Librum de causis, p. 149, 9-10 : Thomas autem non dicit sicut hi quod debet de causis adhuc veritatem.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 8 : Tunc queritur utrum possit hoc verificari de forma.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 38 : Cum causae hominis sint vivens, spirans, sensibile rationale, remoto rationali adhuc remanet vivens spirens sensibile.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 1 : Dubitatur de hoc quod dicit, quod si removeatur rationale remanet vivum spirans, sensibile.
Nous trouvons fréquemment les expressions aliter dicitur, obicis etc.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 26-27.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 33.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 27-28 ; réponse compétée p. 30-31.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 38.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 2-3.
Hamesse 1974, p. 326 (tirée du livre IV des Topiques).
Ce signe signifie : « lointainement inspiré de ».
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 5-10.
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 41.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 10-15.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 15-20.
Averroès, In Metaphysica, I, com. 17, Venezia, 1562, p. 14v (K).
Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, p. 42.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 20, 23-21, 2.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 5, 26.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 8, 15.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 5, 10-12.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 5, 27.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 1-4.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 11-12.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 1-4.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 8.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 8-17.
Fabrizio Amerini a récemment proposé un rappel des interprétations divergentes auxquelles le traitement thomasien de l’ exemple de la triade a donné lieu chez les spécialistes, et le caractère difficilement compréhensible des formules de Thomas, qui formeraient une « exception apparente » (Amerini 2015, p. 203) au « fonctionnalisme » aristotélicien et à sa position uniciste, p. 199 sqq. Il rappelle aussi la présence de problématiques comparables chez le Ps-Henri de Gand. Notre interprétation de la position de Thomas diffère de celle de Fabrizio Amerini.
Comme l’ a noté Fabrizio Amerini, cette interprétation peut être soutenue par le fait que l’ exemple du Liber, quand il est évoqué dans d’ autres œuvres de Thomas est toujours mentionné en faveur de l’ idée que la perte du rationnel entraîne l’ existence d’ un autre individu en nombre, voir Amerini 2015, p. 203-204, note 47.
Voir Amerini 2015, p. 203.
Amerini 2015, p. 199 : « Capacità di usare la ragione ».
Voir Amerini 2015, p. 205 sqq.
Comme l’ a justement rappelé Fabrizio Amerini (Amerini 2015, p. 196 sqq.), du moins dans un ordre naturel des choses, selon son interprétation. Les longs et pertinents développements que l’ auteur consacre à la distinction entre usage et possession de la raison chez Thomas d’ Aquin (Amerini 2015, p. 188 sqq.) ne sont pas vraiment mobilisés dans l’ analyse de l’ exemple, qui parle pourtant bien d’ usage et non de possibilité d’ usage ou de possession de la raison. C’ est le cas pour la raison précédemment évoquée, à savoir que l’ auteur comprend actum proprium comme une référence à la forme substantielle de l’ homme, et non à son opération effective. Cette position, à son tour, est justifiée par le fait que la distinction entre la première perfection (possession de la rationalité) et la seconde perfection (exercice de la rationalité) du corps par l’ âme intellective n’ est au fond pas vraiment cruciale à ses yeux, dans la mesure où c’ est la possibilité d’ usage qui compte, et celle-ci est toujours réalisée ou réalisable, dès lors qu’ on possède l’ âme rationnelle. La nécessité d’ une telle position lui vient du parallèle qu’ il met en place, et dont il cherche à penser la cohérence, entre le début et la fin de la vie. Si l’ on veut maintenir le caractère non-humain de l’ embryon au moment de la conception, il faut récuser une possible capacité à posséder l’ âme rationnelle, la « possibilité d’ avoir la capacité de raisonner » (Amerini 2015, p. 190), et, inversement, considérer que la possession de l’ âme rationnelle, une fois réalisée par infusion, comporte une capacité d’ usage irréversible par fonctionnalité et réparation toujours possible des organes qui conditionnent la vie intellectuelle (p. 192), de sorte que tout homme, tant qu’ il reste vivant, reste un homme. Cela vaudrait même pour l’ embryon une fois l’ âme rationnelle infusée, et qui n’ aurait pas de cerveau, car en ce cas aussi, il y aurait tout de même une possible possession de la capacité à actualiser son raisonnement (p. 195).
La position de Thomas comporte en tout état de cause certaines ambiguïtés dans ses conséquences anthropologiques, conséquences que Siger, qui reprend la théorie de Thomas (comme l’ a bien suggéré Fabrizio Amerini [Amerini 2015, p. 202-203, notes et conclusion]), va pointer, en désignant l’ individu humain sans usage de la raison comme un homme en un sens homonyme (voir infra § 5), ce que ne fait pas Thomas. Nous n’ offrons pas la même interprétation de la distinction, dont l’ importance a été bien relevée par Fabrizio Amerini (Amerini 2015, p. 208), entre la forme dans sa substance et la forme sous la ratio qua forma speciei chez Siger.
Thomas d’ Aquin, Super Librum de causis expositio, p. 6, 17-20 : Priora sunt existentia viventibus et viventia hominis, et remoto homine non removetur animal secundum continentiam, sed e contrario, quia si non est animal, non est homo.
C’ est bien ainsi que l’ a compris l’ Anonymus Ausburgensis (voir supra, note 36).
Comme la thèse de l’ unicité de la forme substantielle n’ était pas concernée par les condamnations de 1270, il est assez peu probable de voir dans l’ attitude de Thomas une pure stratégie de dissimulation vis-à-vis d’ éventuels censeurs. Plutôt, il s’ est probablement agit de minimiser les difficultés afin de ne pas s’ enliser dans le traitement d’ un exemple qui soulevait bien des problèmes philosophiques, tout en conservant une fidélité à une certaine interprétation de la doctrine aristotélicienne de la forme substantielle des substances générées, y compris dans le cas de l’ homme doté d’ une âme rationnelle.
Albert le Grand, De causis et processu universitatis a prima causa, p. 81, 12-14 : Quod autem ultimum est in resolutione primum necesse est esse secundum viam compositionis. Dans ce cadre, Albert précise la différence qui existe, à l’ intérieur de la triade de l’ exemple, entre l’ être, qui est ultime dans l’ ordre de l’ analyse (et premier dans la synthèse), et les deux autres termes, vivant et rationnel, ou d’ autres termes du même type qui pourraient leur être associés, tel le sensible (introduit par Albert), car l’ analyse du créé s’ arrête à l’ être, qui ne peut être analysé plus avant, puisqu’ il est simple et « dénué de forme » (informis) (De causis et processu, p. 81, 24-35).
Albert le Grand, De causis et processu, p. 65, 45-79. Nous reprenons les italiques que l’ éditeur a utilisé pour souligner une référence au texte du Liber de causis, même si le texte lu par Albert ne coïncide pas avec le texte édité par Adriaan Pattin.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 64, 70-74.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 64, 78-83 : Et hoc modo est in formalibus causis, sicut est in esse, vivere et intelligere. Esse enim causat non causante eo quod est vivere. Vivere autem non causat nisi causante eo quod est esse. Esse enim substantificat vivere et vivere format esse. Et sic ad invicem se habent vivere et sentire, et sentire et intelligere.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 65, 11-41.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 67, 46-63.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 66, 27-45.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 76, 79-77, 1.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 77, 5-15.
Voir, pour une une synthèse recente, Anzulewicz 2013, en particulier p. 328-330, et, pour une analyse différente des rapports entre l’ âme intellective et les âmes sensitives et animales, Petagine 2004, p. 42-43.
Voir infra note 99.
Nous avons une alternance d’ expression per intellectum et secundum intellectum qui ne nous semble pas avoir une signification philosophique particulière.
C’ est par erreur que l’ éditeur a mis ce terme en italique, car il n’ a aucun équivalent plausible dans le texte de Liber, aussi différent fût-il alors de celui qui a été édité par Adriaan Pattin.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 67, 63-68,5.
C’ est également le cas, dans ce que la tradition appellera la logique ‘catégorique’, dans les chapitres 27 à 31 du premier livre des Premiers analytiques, à l’ occasion de l’ exposition du fameux pons asinorum : un des « conséquents » de « homme », selon la prédicabilité du genre, est « animal » (chapitre 27). « A a pour conséquent B » signifie : « B se prédique de A ».
L’ astérisque indique que la formule n’ est pas valide.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 66, 27-51.
Encore une fois nous n’ avons pas pu prendre ici en compte le commentaire du Ps-Adam de Bockenfield.
Dans ce cas, la cause seconde particulière est davantage cause parce qu’ elle est davantage « appropriée » et parce qu’ elle est cause par sa puissance (virtus) et par sa substance (le sperme dans l’ embryon), alors que la cause universelle n’ est pas cause par sa substance ; mais cette dernière est tout de même davantage cause d’ un autre point de vue, car elle est cause de la génération, de la complétion et de la conservation, alors que la cause particulière n’ est que cause de la génération. Voir Ps-Henri de Gand, Quaestiones in Librum de causis, q. 10, p. 34-36.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 19 : nam cause universalis non ponit effectum in actu, ut substantia non ponit hominem nisi approprietur et haec cause universalis appropriata magis est causa quam universalis.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 66, 11-22.
Roger Bacon, Questiones supra Librum de causis, p. 15, 17-20.
Voir Albert le Grand, De quinque universalibus, p. 12, 10-18. Voir aussi p. 18, 5-11 où Albert parle de puissance et d’ « inchoation » pour le genre et d’ acte pour la différence ; de même encore p. 40, 25.
Ainsi, si le genre est en puissance dans l’ espèce afin de ne pas menacer l’ unité substantielle du défini, inversement, la « différence est en puissance dans le genre » (Albert le Grand, De quinque universalibus, p. 20, 49), autrement, comme l’ avait déjà souligné Porphyre lui-même, la différence adviendrait au genre comme un accident.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 79, 11-44.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 95, 64-77.
Albert le Grand, De causis et processu, p. 76, 23-59.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 1vF.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 3rR.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 3rP.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 1vG.
Voir par exemple Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 2rI.
Voir les deux premiers dubia du prologue, Gilles de Rome, Super Librum de causis, 1550, prologue Q–X et Z.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 3rQ.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 3vT.
Gilles de Rome, Super Librum de causis, f. 2vN-O.
Voir infra le traitement de la question 4.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 45, question 3, 12-17.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 52.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 52, 15-53, 22.
Siger de Brabant, Les Quaestiones super Librum de causis, p. 49, 115-116.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 45.
Anonymus Sectator philosophie, Questiones super Librum de Causis, p. 51.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 48, 76-77 : Hoc non est quia in substantia sua habeat diversos gradus formis.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 48, 81-83 : Unde in rebus diversis invenitur gradus formarum ita quod completior continet in se minus completum.
Siger de Brabant, Les Quaestiones super Librum de causis, p. 53.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 53, 17 sqq.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 54, 29-30.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 55, 48-56-55, 2. Cf p. 55, 71-77, pour la distinction entre les divers genres : ceux comme ‘animal’, qui ne demeurent pas, et ceux comme ‘corps’ et ‘substance’ qui demeurent, dans la corruption.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 54, 32-38.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 55, 55-61 ; p. 54, 43-47 ; p. 55, 78-83.
Averroès, In Libros Physicorum, IV, p. 1H–I : Declaratum est (…) quod esse hominis secundum ultimam perfectionem ipsius et substantia eius perfecta est ipsum esse perfectum per scientiam speculativam ; et ista dispositio est sibi felicitas et sempiterna vita. (…) Manifestum quod praedicatio nominis hominis perfecti a scientia speculativa et non perfecti, sive non habentis aptitudinem quod perfeci possit, est aequivoca. Voir également Averroès, In De anima, éd. Crawford, p. 494-495.
La question examinée ici est bien distincte de la question de l’ existence d’ une différence qui ferait entrer un individu dans l’ espèce humaine indépendamment de l’ infusion de l’ âme intellective, position condamnée en 1277, bien que les possibles connexions entre ces deux problèmes puissent être riches d’ enseignement. Sur ce point, voir les discussions récentes de Paola Bernardini (où la question de la séparation de l’ âme rationnelle dans le processus de la mort n’ est pas évoquée). Bernardini 2017 ; Bernardini 2019.
Voir Bianchi 2003. Notre interprétation de cette théorie diffère de celle de Luca Bianchi en prenant davantage au sérieux la disqualification anthropologique de ceux qui n’ actualisent pas leur intellect possible, voir Brumberg-Chaumont 2019, chapitre 6.
Voir la synthèse d’ Antonio Petagine (Petagine 2004, p. 236-241), et la position de D. Calma en faveur de la cohérence du philosophe sur ce point au cours de ses œuvres (Calma 2006).
Voir Calma 2006.
Calma 2006, p. 225.
Voir Bazán 2016, p. 241.
Bazán 2016, p. 243. Cela nous rapprocherait apparemment de la proposition condamnée en 1277, mais Siger défend en réalité une thèse distincte, à savoir que l’ homme est constitué du corps animé (sans mention de la cogitative) et de l’ intellect comme « opérant intrinsèque », qui est une partie de l’ homme et le définit comme tel, comme le souligne Jean-Baptiste Brenet (Brenet 2008, p. 323). Comme l’ a montré Paola Bernardini (Bernardini 2017 ; Bernardini 2019), la formulation de l’ idée d’ une « âme sensitive anoblie » de l’ homme chez les auteurs visés par la condamnation est en réalité antérieure, et indépendante de celle la question de l’ unicité de l’ intellect. La doctrine soutenue dans le commentaire au Liber n’ utilise pas la notion d’ operans intrinsecum et suggère le caractère substantiel, pour l’ homme, de la perfection de l’ intellect, avec l’ introduction du thème de l’ homme en un sens homonyme.
Petagine 2004, p. 123. Voir également Brenet 2008.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 107.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 105, 65-71.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 106, 106-109.
Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, p. 105, 86-106, 105.
Averroès, In De anima, éd. Crawford, p. 404-405.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 77. Voir supra tableau 18.1.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 85 sqq.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 77,24–p. 78, 3 dans le traitement commun des questions 5, 6 et 7.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 78, 8-9.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 78.
(Ps?) Pierre d’ Auvergne, Quaestiones super Librum de causis, p. 78, 12.
Voir supra le tableau 18.1.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 229.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 230, 28-231, 11.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 228.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 229, 17.
Voir supra note 34.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 230, 12-14.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 230, 23.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 228, 9.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 231, 12-13.
Jean de Mallinges, Reportationes De causis, p. 231, 13-20.
Anonymus Erfordensis, Questiones super Librum de causis, éd. Székely, Calma.
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