8 Pratiques et représentations du prophète Muhammad chez les jeunes musulmans français

La survivance d’un “modèle prophétique” ?

In: The Presence of the Prophet in Early Modern and Contemporary Islam
Authors:
Vincent Geisser
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and
Youssef Nouiouar
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Abstract

The terrorist attacks of January 2015, in Paris were justified by their perpetrators as a desire to “avenge the honor of the Prophet Muhammad”, supposedly sullied by the publication of offensive cartoons (“Charlie Hebdo affair”). This claim raises a debate on the complex relationship of young French Muslims to the Prophetic figure. Public debates have often been dominated by emotions and passions, neglecting the historical and sociological depth of the relationship of “ordinary Muslims” to the Prophet Muhammad. This chapter attempts to contextualise the relationship of young Muslims to the Prophet Muhammad, highlighting the impact of the sociocultural context (French society in the 2000s) and the modes of subjective reappropriation of the Prophetic figure. The assumption of a unique and timeless Prophetic model is deconstructed by an analysis of the religious subjectivity of social actors, showing how young Muslims internalise and interpret the religious references transmitted by family and secondary socialising institutions (school, mosque, Islamic organisations). At the same time, the analysis reveals a strong discrepancy between the weak cognitive dimension (scant knowledge of Prophetic tradition, ḥadīth and sīra) and a very strong affective devotional relationship to the Prophet, which comes out in the representations, discourses and social and religious practices of young French Muslims.

L’émergence de violences terroristes dans les sociétés européennes revendiquées par leurs auteurs comme une volonté de « venger l’honneur du prophète Muḥammad », supposé souillé par la publication de caricatures offensantes, a suscité un débat contradictoire sur le rapport des musulmans occidentaux à la figure prophétique. Toutefois, les discussions ont été souvent dominées par les émotions, laissant peu de place à la réflexion historique et sociologique, au profit d’analyses politiques et idéologiques fortement marquées par l’héritage orientaliste. En France, la diffusion de ces lectures essentialistes visant à accréditer la thèse d’un « modèle prophétique » intemporel chez les musulmans du monde entier ne s’explique pas seulement par les passions politiques autour du « terrorisme islamique »1 : elles trouvent aussi une justification dans certains courants de l’islamologie savante qui entretiennent l’idée que les musulmans auraient développé depuis le VIIIe siècle de notre ère (période du califat abbasside) une forme de prophétisme, structurant sur un mode totalisant tous les actes de leur vie quotidienne mais aussi leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Selon cette vision, l’islam serait un monothéisme particulier, rompant avec le judaïsme et le christianisme, instaurant ainsi une dévotion prophétique qui viendrait concurrencer directement la transcendance divine2. Sur ce plan, la pensée orientaliste rejoint indirectement la posture dogmatique de certains musulmans orthodoxes qui accréditent l’idée de l’existence d’un modèle prophétique qui conditionnerait l’univers mental des musulmans.

Le problème majeur posé par cette perspective essentialiste est qu’elle tend à privilégier une approche globalisante des représentations et des pratiques musulmanes autour du prophète Muḥammad, comme si celles-ci se manifestaient de manière homogène en tout lieu et en toute circonstance, sans tenir compte des contextes socioculturels et des formes de réappropriations subjectives des croyants musulmans. Malgré ses apparences scientifiques, cette islamologie savante légitime parfois une conception très normative du « prophétisme musulman », s’interdisant par là d’explorer, sur les plans historique et sociologique, la multiplicité et l’hétérogénéité des pratiques dévotionnelles. En nous inspirant de la démarche analytique du projet de recherche Prophet3, l’objet de notre contribution est précisément d’historiciser et de sociologiser le rapport des musulmans français au prophète Muḥammad, en s’efforçant de prendre en compte le contexte socioculturel (la société française des années 2000) et les modes de réappropriation subjective de la figure prophétique par les croyants ordinaires. En ce sens, notre démarche vise à déconstruire l’idée d’un modèle prophétique unique et intemporel (homo islamicus propheticus), afin de mieux mettre en évidence la subjectivité religieuse des acteurs sociaux, c’est-à-dire comment les individus intériorisent et interprètent les références religieuses transmises par la famille et les instances de socialisation secondaire4. Notre approche de la dimension prophétique dans l’éducation des jeunes musulmans français n’est donc pas normative mais d’abord sociologique :

En effet, le religieux fournit pour eux [les jeunes musulmans] un puissant « cadre d’interprétation » à leurs expériences, nourrissant un imaginaire dans lequel ils puisent pour énoncer des significations relatives à leur trajectoire et à la société dans laquelle ils vivent, construire leur positionnement moral et politique, définir les critères du juste5.

Afin d’explorer le caractère multiforme des pratiques et des relations au prophète Muḥammad, nous nous intéresserons d’abord au contexte de socialisation familiale. En effet, les parents, les grands-parents, les frères et les sœurs, parfois les oncles et les tantes, jouent un rôle majeur dans l’apprentissage de l’histoire prophétique et dans la transmission intergénérationnelle d’une forme de piété populaire autour du prophète Muḥammad qui se manifeste à tous les instants de la vie quotidienne. Cette socialisation prophétique dans le cercle familial est parfois confortée par les pratiques de lecture (littérature enfantine sur le prophète Muḥammad), dans les consommations audiovisuelles (visionnage de films et dessins animés) et l’utilisation des réseaux sociaux (YouTube, Instagram, blogs, sites Internet, etc.). En somme, la famille est souvent le premier milieu où l’enfant et l’adolescent découvrent la personne du Prophète.

Nous verrons ensuite comment cette socialisation familiale incite certains jeunes musulmans à approfondir leurs connaissances générales sur le prophète Muḥammad par l’apprentissage des prières, de l’histoire prophétique (sīra), l’étude du Coran ou encore l’assistance à des événements religieux ou culturels autour du prophète de l’islam. Pour une minorité de jeunes musulmans français6, la découverte du prophète Muḥammad se prolonge également par des cours d’éducation islamique dans les associations et les mosquées locales, au sein desquelles ils reçoivent une instruction religieuse délivrée par des professeurs d’éducation islamique qui s’appuient généralement sur des manuels publiés en langues arabe ou européennes.

Bien que cette dimension prophétique soit centrale dans la vie sociale de nombreux jeunes musulmans de France et d’Europe, ces derniers ont tendance à la concevoir davantage dans l’espace privé, voire intime, que dans l’espace public. En effet, les musulmans socialisés en France, dans un contexte fortement sécularisé, intériorisent très tôt l’idée que les débats publics autour du prophète Muḥammad (caricatures, blasphème, liberté d’expression, etc.) sont sources de controverses et de discordes. De ce fait, même s’ils ressentent une blessure intime lorsque l’image de « leur » prophète est atteinte, ils refusent de se mobiliser dans l’espace public ou d’utiliser une quelconque forme de violence, désapprouvant notamment les attentats terroristes commis pour « venger l’honneur du prophète Muḥammad ».

En guise de conclusion, nous tenterons de répondre à notre hypothèse de recherche (le caractère multiforme des relations au prophète Muḥammad), en nous interrogeant sur l’articulation entre vie religieuse et vie sociale : la référence au prophète Muḥammad fait-elle sens uniquement dans le champ religieux ou produit-elle aussi des effets dans la vie quotidienne des jeunes musulmans européens ?

1 Sources et protocole méthodologique

Nous avons réalisé une trentaine d’entretiens semi-directifs auprès de jeunes musulmans français de 16 à 29 ans, de sexes masculin et féminin, résidant dans le sud de la France, entre juin 2018 et août 20197. Le choix des régions méridionales pour notre enquête (Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur) s’explique par l’ancrage professionnel des coordinateurs. En 2021, il est prévu d’étendre l’enquête à d’autres régions françaises (Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Hauts de France). Même si notre étude ne repose pas sur un échantillon représentatif de la population (en France, les statistiques mentionnant la religion et l’origine nationale des individus sont interdites dans le recensement officiel), nous avons introduit quelques critères afin de le diversifier en fonction de l’âge, du sexe, des origines migratoires, des professions des parents et du niveau de diplôme des enquêtés. Nous tenons à rappeler que notre étude ne vise pas la représentativité mais repose sur une démarche qualitative par entretiens. De plus, nous n’avons retenu dans notre échantillon que des individus se déclarant ouvertement musulmans, sans que cela préjuge de leur degré de pratiques religieuses. Toutefois, les enquêtés ayant été approchés dans le cadre d’associations musulmanes ou de mosquées, notre échantillon se caractérise donc par une sur-représentation des croyants/pratiquants par rapport aux simples croyants sans pratique religieuse.

Les questionnaires ont été complétés par une observation sociologique in situ dans des organisations musulmanes et des mosquées de plusieurs villes françaises (Béziers, Marseille, Montpellier, Narbonne, Perpignan et Sète), des participations à des cours d’arabe et d’éducation islamique et des discussions informelles avec les parents, les professeurs et les responsables pédagogiques des structures musulmanes8. Afin de mieux comprendre les enseignements sur le prophète Muḥammad, nous avons analysé également le contenu des principaux manuels d’éducation islamique utilisés par les associations musulmanes francophones, notamment ceux publiés par les éditions Granada, Al Hadith et Jeunesse Sans Frontières. Le contenu de ces manuels d’éducation islamique a été comparé avec celui des programmes officiels de la classe de collège de cinquième de l’Éducation nationale française, notamment les manuels publiés par les éditions Bordas, Hatier et Nathan. De même, nous avons recensé une grande partie de la littérature musulmane enfantine récente, disponible dans les librairies musulmanes et sur les sites de vente en ligne, en ciblant plus particulièrement les ouvrages traitant du personnage du prophète Muḥammad et des prophètes du monothéisme en général, notamment ceux publiés par les éditions francophones Al Tawhid, Ennour, Orientica et anglophone Goodword. Afin de compléter ce corpus écrit, nous avons visionné les œuvres de fiction sur le prophète Muḥammad, notamment le film « Le Message » (1976) dans ses versions arabe et anglophone (doublées en langue française), ainsi que le dessin animé « Muhammad, le dernier prophète » (2004).

Enfin, nous avons conduit une veille sociologique des réseaux sociaux (YouTube, Instagram, Facebook, blogs personnels, sites Internet, etc.), en se concentrant sur les publications écrites, les vidéos ou les documents sonores traitant directement de la biographie (sīra) et des enseignements du prophète Muḥammad, en privilégiant les sites destinés à un public francophone.

2 Socialisation et transmission familiales de la figure prophétique

Si les modes de transmission intergénérationnelle de la religion dans les sociétés sécularisées d’Europe ont été relativement bien étudiés pour le christianisme et le judaïsme9, c’est moins le cas pour l’islam. Cette lacune s’explique par trois raisons majeures : d’abord, la sociologie du fait musulman en Europe est encore récente (années 1980) et s’est intéressée principalement aux pratiques publiques et aux rapports des communautés musulmanes aux institutions locales et nationales, délaissant la sphère privée (famille et sociabilités amicales)10. Ensuite, au sein-même du champ musulman européen, certains acteurs islamiques appartenant aux courants fondamentalistes et salafistes ont entretenu l’idée que l’islam des nouvelles générations s’inscrivait en rupture avec l’islam des parents et des grands-parents, privilégiant les thématiques de la « réislamisation » ou de la « conversion à l’islam », comme si les familles immigrées étaient incapables de transmettre un héritage religieux à leurs enfants11. Enfin, en France, jusqu’à une époque récente, l’islam a été moins étudié comme un fait religieux à l’instar des autres religions monothéistes, que comme un problème public et sécuritaire12. Ce n’est que depuis les années 2000 que les anthropologues, les sociologues et les politistes se sont penchés sur le rôle des familles musulmanes immigrées dans la transmission d’un capital religieux à leur descendance13.

2.1 La découverte du prophète Muḥammad au sein du milieu familial : un code moral de la vie quotidienne

Notre étude confirme que le rapport des jeunes enquêtés musulmans à la figure prophétique est influencé par l’éducation familiale. En effet, la découverte du personnage du prophète Muḥammad s’effectue dès la prime enfance. Dans la majorité des cas, c’est au sein du cercle familial que la présentation du Prophète se fait progressivement au gré des événements et des situations :

Oui, la première fois que j’ai entendu parler du prophète Muḥammad (sws14 ) c’était à la maison avec mes parents. Ils nous ont parlé des ḥadīths du Prophète. Ils nous ont raconté beaucoup d’histoires sur la vie du Prophète et ses Compagnons15.

La référence quotidienne au prophète Muḥammad est utilisée par les parents pour asseoir leur autorité morale vis-à-vis des enfants et légitimer leur intervention, suite à un mauvais comportement, ou bien pour les inciter à adopter une conduite meilleure : être patient, faire le bien, respecter son aîné, etc. Les parents développent ainsi une forme de ḥadīthologie ordinaire et profane, citant des paroles du prophète Muḥammad ou des passages significatifs de sa vie, sans forcément chercher à vérifier leur authenticité dans les textes sacrés. Le principal objectif de l’évocation du Prophète est d’abord éducatif, afin d’encourager les enfants à se conformer à des attitudes et des comportements jugés moralement respectables du point de vue de la religion musulmane mais aussi de la société d’accueil. Ce dernier point est important, attestant que leur principal souci est que leurs enfants soient non seulement de « bons musulmans » mais aussi de « bons citoyens », ces deux dimensions étant fortement liées dans le projet parental. Au sein de la sphère familiale, la référence au prophète Muḥammad agit donc comme une sorte de code moral qui s’applique aux actes de la vie quotidienne.

Au-delà de l’énonciation des paroles de Muḥammad, renvoyant à des principes d’éducation parentale (honnêteté, politesse, sagesse, respect, etc.), la découverte se fait également par les éléments décoratifs, comme les calligraphies de versets du Coran16, de ḥadīths ou du nom du Prophète qui contribuent à créer une « ambiance prophétique » au sein du milieu familial. Même s’ils ne parviennent pas toujours à déchiffrer la signification des messages calligraphiés, en raison d’un niveau de langue insuffisant (ils comprennent parfois l’arabe dialectal mais rarement l’arabe littéraire)17, les enfants et les adolescents saisissent très vite qu’il s’agit d’écrits à la gloire du prophète Muḥammad :

Il y avait aussi à la maison des calligraphies du Prophète. J’en avais même une dans ma chambre. Mais je ne les comprenais pas car j’ai appris l’arabe bien plus tard. Pour moi, c’était une décoration (rires) ! Aujourd’hui, je ne lis pas parfaitement, mais je comprends18.

Cette transmission intergénérationnelle de la figure prophétique n’emprunte pas uniquement le registre de la coercition (punition, réprimande et sanction). Elle revêt aussi un registre ludique, où les parents utilisent souvent le jeu pour inciter leurs enfants à découvrir l’histoire du prophète Muḥammad :

On faisait des quiz [jeu des questions/réponses], surtout au Maroc. Quand on se réunissait, on est une famille très pratiquante, du coup on faisait des quiz sur l’histoire du Prophète (sws). Tous les prophètes et le prophète Muḥammad (sws) en particulier19.

Chez d’autres jeunes musulmans, la découverte du prophète Muḥammad s’est effectuée plus tardivement, à l’adolescence ou à l’âge adulte, dans une démarche davantage personnelle et volontariste, où l’influence de la famille est relativement faible. Il s’agit généralement d’enfants dont les parents étaient peu ou pas pratiquants :

Cela s’est fait très tardivement car toute ma famille n’est pas musulmane. Je viens de l’île de la Réunion. Une partie de ma famille est chrétienne, pas pratiquante, mais d’idéologie chrétienne. Ça a commencé à la base par le Coran mais la figure du Prophète est arrivée beaucoup plus tard. J’ai dû passer par une étape de formation, notamment des cours d’arabe, des lectures et un cursus où il y avait justement cette biographie du Prophète. Oui, ça s’est fait assez tardivement par des professeurs quand j’ai eu des cours sur la vie du Prophète en général, son exode, qui il était, son apparence, etc20.

Contrairement à la thèse développée par certains courants fondamentalistes, accréditant l’idée fausse d’une « rupture » entre les parents immigrés analphabètes et les nouvelles générations musulmanes éduquées21, le cercle familial continue à jouer un rôle majeur dans la socialisation religieuse et la découverte du Prophète. Lorsque la famille entretient un « rapport fort » à la religion musulmane et est pratiquante, le jeune est initié aux bases de l’islam, découvrant très tôt le personnage du prophète Muḥammad et apprenant plusieurs épisodes de sa vie et de sa biographie. Il n’est pas rare que la famille recourt à une forme de sīra22 simplifiée et adaptée à ses projets éducatifs. À ce niveau, les parents reproduisent un mode de transmission orale de l’histoire prophétique, dont ils ont eux-mêmes hérité. En revanche, lorsque la famille a un rapport plutôt distancié à la religion ou quand elle est le fruit d’un mariage mixte avec un parent chrétien, juif ou athée, le poids de la transmission intergénérationnelle et de l’initiation à la dimension prophétique apparaît certes plus faible mais pas totalement absent. Ce rôle majeur de l’éducation familiale dans la découverte du prophète Muḥammad a d’ailleurs été bien compris par les maisons d’édition musulmanes qui, depuis le début des années 2000, ont lancé de nombreux produits commerciaux (livres, jeux, CD et DVD) destinés aux enfants et aux adolescents.

2.2 Le rôle de la littérature enfantine dans l’initiation à la Sīra du Prophète

Depuis les années 1990, on peut observer le développement d’un véritable marché du livre islamique destiné aux jeunes qui traite tout particulièrement de thématiques religieuses relatives au prophète Muḥammad et aux prophètes de la Bible qui figurent dans la tradition islamique (Ibrāhīm, Mūsā, Zakariyyā, etc.). À la différence des décennies précédentes où les livres étaient plutôt sommaires, tant dans leur présentation que dans leur écriture (fascicules traduits de l’arabe, sans illustration et à l’aspect austère), les éditeurs musulmans ont fait un réel effort pour adapter leurs publications à un lectorat jeune, en se conformant aux standards internationaux de l’édition enfantine et en prenant davantage en compte le contexte socioculturel occidental. Cette évolution traduit un souci des éditeurs et des librairies musulmans de susciter un sentiment d’identification chez les enfants musulmans socialisés et scolarisés en Europe, en incluant des éléments familiers de leur environnement et surtout en publiant les récits dans leur langue quotidienne23.

L’un des pionniers de la littérature islamique francophone destinée aux enfants et aux adolescents est d’ailleurs un penseur musulman né en 1937 dans une famille française de la région parisienne, Yacoub Roty, inspiré par le soufisme de René Guénon et dont une grande partie de l’œuvre est consacrée à l’éducation de la jeunesse musulmane socialisée dans le contexte socioculturel francophone24. Son livre L’exemple du Prophète (2003) (Figure 8.1) est diffusé dans de nombreuses librairies musulmanes et est très visible sur les sites de ventes en ligne (Iqrashop, Librairie-sana.com, Muslimshop, etc.), régulièrement réédité. Les illustrations de l’ouvrage font clairement référence à un environnement socioculturel européen : les maisons, les rues, les paysages et les habitudes de vie sont ceux d’une famille française lambda. La mère de famille musulmane ne porte le ḥijāb qu’à l’extérieur de la maison. À l’intérieur, son visage et ses cheveux sont représentés découverts. D’une manière générale, le livre décrit des scènes de la vie quotidienne de n’importe quelle famille française, avec toutefois quelques scènes centrées sur les pratiques religieuses musulmanes : un dessin montre ainsi les parents et les enfants en train d’accomplir ensemble la prière quotidienne. Le nom du prophète Muḥammad est cité plusieurs fois dans le livre, notamment à travers les conseils que le père prodigue à ses enfants :

Par son exemple parfait, il [le prophète Muḥammad] nous a montré comment doit se comporter un serviteur d’Allah. Si nous étudions sa façon d’agir, si nous écoutons ses conseils, nous comprenons comment nous devons vivre notre vie pour qu’Allah soit satisfait de nous et nous accepte auprès de lui, dans le Paradis25.

Figure 8.1
Figure 8.1

Couverture de l’ouvrage de Yacoub Roty, L’exemple du Prophète, série « Amin et Amina », n°5, Paris, éditions Ennour, 2003

Au-delà de la série « Amine et Amina » (6 volumes), il existe une cinquantaine d’ouvrages en français consacrés à l’éducation islamique des enfants et des adolescents et, plus particulièrement, à la présentation simplifiée de la biographie du prophète Muḥammad. À ce propos, il convient de souligner un effort spécifique des éditeurs musulmans francophones (Ennour26, Tawhid27, Orientica/Iqrashop28, etc.) pour toucher un lectorat jeune, en l’incitant à découvrir la vie et les enseignements du prophète Muḥammad sur un registre qui emprunte de plus en plus les codes éditoriaux de la bande dessinée ou de la littérature enfantine profane : illustrations en couleur, dessins soignés mettant en scène des animaux ou des personnages familiers, présentation attrayante et textes simples, adaptés aux différentes classes d’âge de 5 à 16 ans. Par exemple, les éditions Tawhid, devenues la référence de l’édition musulmane francophone, ont publié en 2016 un beau-livre (richly illustrated book) de 173 pages, Le Prophète raconté aux enfants (Figure 8.2), qui s’inspire des standards de la littérature enfantine, voire de la stratégie éditoriale de « type Walt Disney », jouant sur les couleurs et la qualité des dessins, sans que le prophète Muḥammad ne fasse l’objet d’une représentation figurative. Sa présence est suggérée mais jamais visible sur les images. Il s’agit d’une version pédagogique de la Sīra, ciblant spécifiquement un public jeune (5 à 10 ans) :

Le Prophète Muhammad (sws) vécut à La Mecque avec sa femme Khadija. C’était un homme bon et honnête. Les gens l’appelaient « Al-Amîn », ce qui signifie « celui qui est digne de confiance ». C’était un marchand très honnête. Comme d’autres marchands de La Mecque, ils voyageaient très loin. Il est même allé plus loin que la Syrie avec les caravanes29.

Figure 8.2
Figure 8.2

Le Prophète raconté aux enfants, Lyon, éditions Tawhid, 2016

Il convient toutefois de préciser que la littérature enfantine francophone sur le prophète Muḥammad est souvent une réédition d’ouvrages en langue anglaise, notamment ceux publiés par les éditions indiennes Goodword (Centre islamique de Delhi)30, dont le fondateur Maulana Wahiduddin Khan, érudit musulman et commentateur du Coran, a fait profession de foi d’éduquer la jeunesse musulmane mondiale selon des « principes pacifiques » s’inspirant directement de la vie du prophète Muḥammad et de la philosophie du Mahatma Gandhi. Depuis leur création en 1976, les éditions Goodword ont publié plus d’une centaine de livres destinés aux enfants et adolescents, dont ceux de l’écrivain et animateur de télévision Saniyasnain Khan : ses livres sont traduits dans plus d’une quinzaine de langues (allemand, turc, danois, néerlandais, polonais, suédois, bosnien, norvégien, russe, ouzbek, arabe, malais, bengali, ourdou, persan, russe et chinois). Lors de notre enquête dans les librairies musulmanes francophones, nous avons pu ainsi constater que la grande majorité des ouvrages pour enfants sur le prophète Muḥammad étaient en fait des traductions de l’anglais au français des livres de cet écrivain31.

Une partie de la jeunesse musulmane française a donc été familiarisée au prophète Muḥammad par l’intermédiaire de la littérature islamique enfantine que les parents se procurent généralement dans les librairies et les foires musulmanes32, mais aussi sur les boutiques en ligne. C’est souvent à l’occasion des fêtes musulmanes (ʿĪd al-Fiṭr, ʿĪd al-Aḍḥā, al-Mawlid, etc.), des anniversaires ou de tout autre événement familial, que les parents offrent à leurs enfants un livre en cadeau :

Vers l’âge de 10 ans mon père m’achetait des petits livres sur l’histoire du Prophète. C’étaient des livres pour les enfants. … Mon père m’a conseillé de lire beaucoup de livres sur la vie du Prophète. J’ai lu récemment un livre détaillé sur la vie du Prophète. Franchement, j’ai bien aimé. En tout, euh [hésitation], j’ai lu trois livres sur le Prophète33.

Si la transmission familiale et la littérature islamique enfantine restent des modes majeurs de l’éducation religieuse et de la socialisation au prophète Muḥammad, elle est de plus en plus concurrencée chez les jeunes musulmans par les réseaux sociaux et les pratiques audiovisuelles.

2.3 L’influence des réseaux sociaux et des fictions audiovisuelles

L’histoire des grands prophètes du monothéisme (Abraham, Moïse, Jésus, etc.) et des personnages religieux majeurs (La Vierge Marie, Baptiste, Paul de Tarse, les apôtres, les saints, etc.) a travaillé l’imagination des auteurs, réalisateurs et producteurs, donnant lieu au cours du Vingtième siècle et, en ce début de Vingt-et-unième siècle, à de très nombreuses œuvres cinématographiques. Mais comme le note l’historien des religions, François Bœspflug, comparativement aux autres prophètes, Muḥammad a été peu traité par la fiction, notamment par rapport à Jésus qui a été l’objet d’une centaine de longs et courts-métrages34. L’historien avance l’hypothèse, qui est loin de faire l’unanimité chez les auteurs en sciences sociales35, d’un « blocage musulman ». Celui-ci expliquerait cette sous-représentation du prophète Muḥammad dans le champ cinématographique et, au-delà, dans le champ artistique : « Il y a donc comme un blocage concernant le statut de la figure du Prophète, qui a tendance à étendre l’interdiction de le “représenter”, au-delà du 7e art et du théâtre, au portrait, à la Bd au roman, quand ce n’est pas à la prononciation de son nom. Sa figure non voilée, au total, est déclarée impensable, illicite si ce n’est sacrilège »36.

Malgré cette relative pauvreté cinématographique concernant le prophète Muḥammad, il existe une exception notoire qui a marqué plusieurs générations de musulmans : il s’agit du film Le Message (al-Risāla) du réalisateur Moustapha Akkad (Figure 8.3), sorti officiellement en 1976 dans les salles de cinéma, qui a été diffusé par la suite sur des chaines de télévision nationales (notamment en France, en 1979, sur Antenne 2, la deuxième chaîne du service public) et, quelques années plus tard, accessible en cassettes vidéo VHS vendues dans les librairies islamiques. Répondant aux standards de réalisation des grands films hollywoodiens, se rapprochant du registre du péplum, le film a été tourné simultanément en deux versions, l’une avec une distribution arabe, mettant en scène des acteurs du Moyen-Orient (Abdallah Ghayth, Mona Wassef, Sanaa Gamil, etc.), l’autre avec une distribution d’acteurs occidentaux prestigieux, comme Anthony Quinn (Ḥamza), Irène Papas (Hind), Michaël Ansara (Abū Sufyān).

Figure 8.3
Figure 8.3

Couverture du DVD du film « Le Message », version sous-titrée en français, Tarek Films Distributions, 1976

D’après nos sources, les deux versions (arabe et anglaise sous-titrées) ont été largement diffusées en France, dans les années 1980-90, notamment à travers la circulation de copies, que les familles musulmanes se procuraient à un prix peu élevé lors du retour estival dans le pays d’origine ou bien, en Europe, dans les commerces spécialisés dans la vente de produits ḥalāl. En tout cas, le film Le Message a été visionné par plusieurs générations de musulmans résidant en Europe qui se sont ainsi initiés, via la fiction cinématographique, à la sīra du Prophète et ce d’autant plus que le réalisateur du film a trouvé un compromis avec les autorités de l’Université islamique d’Al-Azhar : le personnage de Muḥammad n’apparaît jamais à l’écran, sa présence est simplement suggérée, conformément au procédé de la caméra subjective, et annoncée par une musique d’ambiance37. Certains jeunes musulmans français se souviennent ainsi d’avoir découvert le film Le Message au sein du cercle familial et éprouvent alors le désir d’approfondir l’étude de la Sīra et de l’histoire musulmane en général :

Le premier souvenir qui me revient du Prophète c’est qu’à mon anniversaire (onzième année), mon père m’avait offert une cassette du film sur le Prophète, Le Message. C’est là, où j’ai eu la première idée de ce qu’était le Prophète. Avant ça, je n’avais pas de souvenir du Prophète. C’est à partir de là [le visionnage du film] que j’ai compris son histoire, ce qu’il avait vécu. J’ai gardé cette cassette vidéo pendant très longtemps et donc j’ai pu revoir plusieurs fois le film par la suite. Mais au début, ce n’était pas très clair. C’était ma première idée du Prophète38.

Toutefois, la grande majorité des jeunes musulmans interrogés dans notre enquête, âgés entre 16 et 30 ans, n’ont qu’une connaissance fragmentaire du film Le Message, appartenant à une génération de spectateurs peu sensibles au « style péplum », préférant visionner des séries ou des feuilletons (musalsal39 ) à connotation religieuse, directement sur les réseaux sociaux ou les chaines arabophones :

Je n’ai pas du tout accroché au film Le Message. J’ai commencé à le regarder puis j’ai abandonné. Quand j’ai vu ce montage, je ne l’ai pas trouvé à la hauteur de l’excellence cinématographique. Par contre, la série ʿUmar [retraçant la vie du second calife ʿUmar b. al-Khaṭṭāb et produite par Qatar TV], j’ai accroché. Je l’ai regardée sur Internet, directement en arabe. C’est un arabe qui est assez simple à comprendre40.

Aujourd’hui, on constate le succès de nouveaux médias audiovisuels, comme les films d’animation sur l’histoire prophétique, destiné plus spécifiquement à un public enfantin ou adolescent, à l’instar du dessin animé, Muhammad le dernier Prophète (Figure 8.4), réalisé et produit par l’Américain Richard Rich et sorti officiellement en 2004. Ce type de productions a d’autant plus de chance de séduire les jeunes musulmans occidentaux, qu’il reprend à son compte tous les standards graphiques et sonores, et les effets spéciaux, des grandes maisons de production telles que Walt Disney. La version française du dessin animé est diffusée par la maison d’édition Tawhid et vendue sur support DVD, disponible dans la majorité des librairies musulmanes de l’Hexagone et sur les sites internet francophones :

Ce film vise aussi à faire connaître l’histoire de l’islam et de son Prophète aux jeunes générations à travers le média attrayant et accessible du dessin animé. Sans représenter le Prophète, le son et l’art cinématographique sont mis au service de la narration. Le film bénéficie en outre d’une bande-son remarquable du compositeur primé William Kidd. Un film idéal pour la famille et pour favoriser le dialogue interreligieux (présentation de l’éditeur français : www.edition-tawhid.com).

Figure 8.4
Figure 8.4

Couverture du DVD « Muhammad. Le dernier Prophète », Richard Crest Animation, 2004

La découverte du personnage de Muḥammad s’effectue également à travers les chaines de télévision arabes câblées ou satellitaires, spécialisées dans la diffusion de programmes religieux islamiques, notamment Assadissa (chaine marocaine), Iqraa TV, Al Rahma TV, Alresala TV ou le réseau Almajd TV. Il est vrai que, même si la grande majorité des jeunes musulmans européens ne comprennent pas ou peu l’arabe littéraire, ils regardent ces chaînes arabophones en famille, s’initiant à l’histoire musulmane à travers les images des paysages et des monuments islamiques, l’histoire des grands personnages de l’islam, ou quelques rudiments de vocabulaires religieux, qui leur permettent de capter le sens général du film ou du documentaire, développant ainsi un rapport principalement émotionnel à la vie du prophète Muḥammad.

Mais de tous les médias, les réseaux sociaux sur le Web sont de loin les plus fréquentés par les jeunes musulmans français des années 2000, favorisant l’autoformation et la construction personnelle d’un système de références dogmatiques dans un espace numérique, où la pensée salafiste tend à être hégémonique : « … la généralisation des pratiques dévotionnelles liées à sa personne [celle de Muhammad], notamment autour de la célébration de sa naissance, et qui rouvrent aujourd’hui, dans un contexte de salafisation rampante, le débat sur la licéité de ces pratiques, et au-delà, la question, centrale, de la représentation du Prophète et de son statut »41. Si les jeunes musulmans interrogés dans notre enquête ne revendiquent pas forcément leur appartenance à la mouvance salafiste, l’on constate que leurs consultations des sites internet sur la vie du Prophète, les ḥadīths, l’histoire musulmane, l’exégèse coranique ou tout autre aspect lié à leur religiosité, se fait souvent sur des pages Web de groupes ou de prédicateurs salafistes42 qui, depuis une vingtaine d’années, ont très largement « investi » la jeunesse musulmane occidentale :

J’ai surtout découvert le Prophète par les vidéos sur Internet car elles étaient directement accessibles. J’écoutais les imams, notamment Rachid Abou Houdeyfa43, qui avait une trentaine de vidéos sur son site. Je les avais écoutées mais sans forcément me concentrer pour prendre des notes. C’était surtout des vidéos, pas des cours structurés. Depuis, j’ai totalement arrêté de regarder les vidéos car ce n’était pas assez structuré44.

Comme le relève le sociologue Dominique Thomas :

Depuis le début des années 2000, la prédication et l’information online jouent un rôle considérable dans la communication des courants salafistes. Après avoir placé de très nombreux téléprédicateurs salafistes pour animer les programmes religieux des chaînes arabes par satellite, les partisans du courant traditionnellement liés au pouvoir saoudien se sont également lancés dans la compétition sur le cyberespace avec la création d’une multitude de sites et de forums. … Un très grand nombre de ces sites diffusent les prêches, les fatwas et les ouvrages des principaux représentants du salafisme quiétiste d’origine saoudienne45.

En définitive, les jeunes musulmans français, bien qu’ils soient rarement membres de groupes ou de mouvements salafistes, ont parfois tendance à véhiculer une vision néo-fondamentaliste de la relation au Prophète : celle-ci se manifeste notamment dans la volonté d’imitation – l’ittibāʿ al-nabī n’est pas une idée propre à la mouvance salafiste, mais d’évidence, cette dernière en fait une lecture considérée comme très étriquée, réductionniste et foncièrement exotériste – l’interprétation du dogme islamique et surtout la croyance en l’interdiction concernant les représentations imagées ou les dévotions autour de la figure prophétique comme le Mawlid (célébration de la naissance du Prophète), qu’ils considèrent comme « illicites », alors qu’elles leur ont été généralement transmises par les traditions familiales. Parmi nos enquêtés, le Mawlid reste encore très vivace chez les musulmans d’origine comorienne établis à Marseille. À ce niveau, on peut observer que si la littérature islamique enfantine et les fictions cinématographiques sur le prophète Muḥammad ont tendance à s’inscrire dans le prolongement de la socialisation religieuse familiale et de la longue tradition savante des écoles juridiques (madhāhib), ce n’est pas toujours le cas des réseaux sociaux et des sites Internet qui induisent une rupture avec l’éducation islamique parentale (dissonance), véhiculant une conception de plus en plus puritaine et littéraliste de l’histoire, des paroles et des pratiques prophétiques, et délestée de toute dimension spirituelle, ou encore intérieure.

3 Vivre « avec » le Prophète au quotidien : pratiques et représentations

Les pratiques autour du prophète de l’islam regroupent, au sens large, toutes les activités, rituels, manifestations religieuses et populaires dont l’objet est la figure du prophète Muḥammad. Elles s’inscrivent dans un cadre conceptuel évolutif qui fait référence aux différentes expressions individuelles et collectives du respect, de l’amour et de la vénération portés à la personne de Muhammad. Si la relation au Prophète est en grande partie structurée chez les jeunes musulmans français par les traditions familiales (socialisation primaire), elle se développe aussi dans les interactions avec l’environnement profane et le champ islamique institutionnel (associations, mosquées, prédicateurs, médias communautaires, etc.) qui influent directement sur leurs représentations et leurs pratiques. À ce niveau, on peut parler d’une socialisation secondaire où la dimension prophétique se construit à l’extérieur du cercle familial et se fonde sur une forme d’orthopraxie évolutive et négociée46.

3.1 Le prophète Muḥammad dans les cours d’éducation islamique : un prolongement de la socialisation familiale ?

Les cours d’arabe et d’éducation islamique ont connu en France un développement croissant dans les années 1990 et 200047. L’attrait pour les formations associatives n’a cessé de progresser en termes d’inscription des élèves et la diversité des offres éducatives, poussé par la motivation des familles musulmanes à transmettre aux nouvelles générations un patrimoine à la fois cultuel, culturel et linguistique, ces trois dimensions étant intimement liées dans le projet parental48. Toutefois, la grande majorité des enseignants officiant dans ces structures associatives ne détiennent pas forcément de diplômes en théologie ou en sciences religieuses mais correspondent à l’image du croyant lettré et arabophone, immigré en France pour ses études universitaires. Notre recherche s’est plus particulièrement intéressée à la place du prophète Muḥammad dans ces cours d’éducation islamique. Nous avons ainsi conduit des observations directes dans des associations musulmanes de plusieurs villes du sud de la France, (Béziers, Marseille, Montpellier, Narbonne, Perpignan et Sète), afin de mieux comprendre comment s’articulaient concrètement les trois registres culturel, cultuel et linguistique :

Au sein des cours d’arabe assurés par les associations, en moyenne un tiers du temps est consacré à l’éducation islamique, soit une heure par semaine. Les deux tiers sont dédiés à l’enseignement de la langue arabe49.

Nous retrouvons cette distribution horaire dans la majorité des structures associatives étudiées, bien qu’il n’existe pas toujours de séparation claire entre les cours de religion et les cours de langue, dans la mesure où ces enseignements sont organisés par des associations musulmanes : l’apprentissage de la langue arabe est un vecteur de transmission des valeurs islamiques et, vice-versa, les cours de religion sont supposés initier les élèves à l’arabe littéraire, considéré par les apprenants et les enseignants comme « la langue du Coran ». Certaines associations ou instituts islamiques offrent aussi des formations à la carte, afin de satisfaire la demande de divers publics, notamment des non-musulmans qui souhaitent apprendre l’arabe ou découvrir les bases de l’islam. D’une manière générale, chaque élève bénéficie en moyenne de trois heures de cours par semaine : deux heures sont réservées à l’apprentissage de la langue arabe et une heure plus spécifiquement à l’enseignement de l’islam. Dans la majorité des cas observés, les jeunes élèves ont déjà été initiés au personnage du prophète Muḥammad au sein du cercle familial. Selon Younes, professeur d’arabe et d’éducation islamique à la mosquée de Narbonne :

Les élèves arrivent à l’association déjà avec une perception sacrée du personnage du Prophète, c’est évident ! Je trouve que c’est très important de leur donner davantage d’informations, de les encadrer sur ce sujet et de véhiculer des bons gestes et des valeurs à travers le personnage du Prophète50

Comme supports pédagogiques, les professeurs utilisent plusieurs méthodes disponibles dans le champ éditorial islamique francophone. La méthode « Arabe facile » publiée par la maison Granada, la méthode « J’aime la langue arabe » des éditions Jeunesse Sans Frontières (JSF), et la méthode « Arc en ciel » des éditions Al Hadith (Figure 8.5). Ces manuels sont les plus présents dans les associations musulmanes françaises, dédiés à un public non arabophone et combinant enseignement linguistique et éducation islamique. Toutefois, certains responsables de mosquées ou d’associations musulmanes font encore le choix de travailler avec d’autres méthodes, importées des pays musulmans (Maghreb ou pays du Golfe) ou d’autres pays européens51, ou simplement élaborées sur un mode artisanal par les professeurs et les bénévoles. Nous n’avons pas de données quantitatives précises sur la place occupée par chacune de ces méthodes pédagogiques au sein du champ musulman français. Cependant, nous observons que certaines sont plus utilisées que d’autres, qu’elles ont tendance à se professionnaliser en se conformant aux normes des éditions scolaires classiques et à s’adapter de plus en plus au contexte européen. Tant dans l’apprentissage de l’arabe que dans les cours d’éducation islamique, les éditeurs prennent en compte le fait qu’ils s’adressent à un public de jeunes musulmans occidentaux, dont les références sociales et culturelles n’ont plus rien à voir avec celles des pays d’origine. L’édition Granada, présente sur le marché francophone depuis les années 2010, est emblématique de cette évolution et de cette stratégie éditoriale centrée sur les musulmans européens. Son projet est étroitement lié à l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture (ISESCO), destinée spécifiquement aux musulmans établis dans les sociétés occidentales. L’éditeur propose ainsi des manuels d’arabe et d’éducation islamique, allant du cours préparatoire (débutants 5-6 ans) au sixième niveau (10-12 ans), fournissant également un guide du professeur et des DVD pédagogiques en complément52. À travers notre enquête de terrain, nous avons pu observer que les manuels des éditions Granada étaient très présents dans les associations musulmanes francophones :

Nous travaillons dans cette association avec la méthode élaborée par l’édition Granada. Je m’occupe des élèves débutants âgés entre 7 et 11 ans. Chaque élève a deux manuels, l’un est destiné à la langue arabe et l’autre à l’éducation islamique. Cette méthode accorde une place importante à la vie du Prophète. Nous avons des leçons dédiées spécialement au Prophète pour expliquer qui il est, les caractéristiques de son message d’amour et de miséricorde à toute l’humanité … mais on cite des ḥadīths pour expliquer un verset ou pour contextualiser un événement religieux etc. On évoque le prophète Muḥammad aussi dans certaines poésies et récitations53.

Figure 8.5
Figure 8.5

Manuel d’enseignement des bases d’islam, « Arc en ciel », volume 6, Bruxelles, édition Al Hadith, 2010

La méthode proposée par l’édition Jeunesse sans frontières (JSF)54, connue également sous le nom de son auteur et créateur Habib Affes55, a été l’une des premières à combiner l’apprentissage de la langue arabe et l’éducation islamique. Elle vise une première initiation et appropriation de quelques bases fondamentales de la religion musulmane. Elle propose ainsi une série de manuels « J’aime ma religion »56 constitués de sept niveaux, en deux versions arabe et française. Ce programme aborde quelques sourates du Coran avec des clarifications et des illustrations pour expliquer le sens et le contenu, les concepts islamiques en lien avec la foi en Dieu, les prophètes et les livres divins, ainsi que la morale, les valeurs et les mœurs islamiques référées à des contextes sociaux précis. L’analyse du contenu des leçons et du sommaire des manuels de l’édition JSF montre que le sujet du prophète Muḥammad est bien présent dans tous les livres d’éducation islamique. Il est évoqué cependant sur deux registres différents. Le premier sous la forme d’une leçon distincte qui présente la vie du Prophète (sīra) dans plusieurs unités didactiques, où sont abordées ses origines familiales (ascendance qurayshite), les circonstances de sa naissance, son enfance, son adolescence, ses épouses et quelques évènements marquants de sa vie personnelle et celle de ses Compagnons. Le deuxième registre traite davantage des enseignements du Prophète et de leur portée à l’époque contemporaine : lors de la présentation d’une leçon du culte musulman ou lors de l’explication d’une sourate, les auteurs font référence à quelques ḥadīths et récits de sa vie pour expliquer le contexte de la sourate, ou pour argumenter et apporter le témoignage sur le bon comportement à adopter dans telle ou telle circonstance :

J’évoque le personnage du Prophète au quotidien. On essaye de montrer comment le Prophète se comportait avec sa famille, avec ses Compagnons et même avec ses ennemis. Nous évoquons la vie du Prophète dans les différentes matières et disciplines de l’enseignement de l’islam57.

En définitive, au-delà de la diversité des supports, des modes de présentation et des courants religieux desquels ils émanent, les manuels d’éducation islamique révèlent une certaine convergence dans les thématiques traitées et les manières de les présenter aux élèves musulmans : l’apprentissage des cinq piliers de l’islam (notamment la prière), l’initiation aux ḥadīths et aux sourates coraniques, l’éducation morale autour des principes fondamentaux (honnêteté, politesse, modestie, miséricorde, respect des ainés et des parents, etc.) et, bien sûr, la découverte de la biographie et des enseignements du prophète Muḥammad à travers une version simplifiée de la sīra, dont le registre d’écriture est adapté à un lectorat jeune. En ce sens, plus que de simples livres centrés sur la religion, ils apparaissent comme des manuels d’éducation morale qui touchent tous les aspects de la vie religieuse et sociale des jeunes croyants.

3.2 Une connaissance fragmentaire de l’histoire prophétique

L’analyse des réponses des enquêtés aux questions portant sur la vie du Prophète révèle une certaine dissonance entre la dimension émotionnelle qui est très présente et la dimension cognitive qui est, elle, plutôt pauvre. D’une manière générale, les jeunes musulmans possèdent davantage d’informations sur le prophète Muḥammad que sur les autres prophètes de l’islam (Ādam, Idrīs, Nūḥ, Ibrāhīm, Mūsā, ʿĪsā, etc.). Ils véhiculent tous une image très positive de Muḥammad et ceci quel que soit le degré de pratique et l’obédience musulmane à laquelle ils appartiennent (soufisme, salafisme, sunnisme traditionnel, etc.). Certains l’érigent même à un niveau supérieur, établissant une forme de hiérarchie dans l’histoire prophétique :

On pense plus souvent à lui qu’aux autres prophètes. Moi j’ai l’impression de connaître plus l’histoire du prophète Muḥammad (sws) que les autres prophètes. Je pense que son rang est plus élevé que celui des autres prophètes. Dieu l’a mis sur un piédestal plus haut que les autres prophètes58.

Mais d’autres interviewés, sans nier la place prééminente occupée par Muḥammad, tendent à souligner le rôle majeur joué par les autres prophètes monothéistes :

Déjà à la base, je les aime tous. C’est une seule famille (rires) ! Ils ont tous été là pour mener l’humanité à Dieu. Personnellement, je ne fais pas de distinction entre eux. La seule différence, c’est que je fais partie de la communauté du dernier prophète. Automatiquement, on est plus proche de lui [Muḥammad]. Quand on me dit Isaac, Mūsā, ʿĪsā, etc., c’est vraiment la même famille, il n’y a pas de distinction. Par exemple, une personne qui ne peut pas avoir d’enfants ou qui est trop âgée pour avoir des enfants, elle se sentira plus proche de Zakariyyā, qui a eu cette histoire-là. Ou, par exemple, Ayyūb qui a été vachement éprouvé par sa santé et peut-être qu’une personne qui est éprouvée par sa santé, verra en lui quelque chose. Je pense que chaque prophète est venu avec quelque-chose qui nous parle profondément. Mais, après Muḥammad est venu avec la miséricorde et ça, ça nous parle59.

Les jeunes s’accordent également sur le rôle fondamental du prophète Muḥammad dans la transmission de la révélation :

Il a joué le rôle le plus important, l’ange Gabriel est certes descendu lui révéler les versets du Coran, mais sans lui, sans le Messager, on n’aurait pas eu ces détails, toutes ces explications. Muḥammad n’a pas été que messager, il a été notre frère aussi, grâce à lui on a pu comprendre quelques versets et le comportement à avoir60.

Toutefois, leur connaissance de la biographie de Muḥammad (sīra) reste lacunaire, même si la plupart des jeunes interrogés ont réussi à citer un, deux ou trois Compagnons du Prophète, généralement Abū Bakr al-Ṣiddīq, ʿUmar b. al-Khaṭṭāb et ʿUthmān b. ʿAffān :

Je connais Abū Bakr, ʿAlī, ʿUmar, ʿUthmān … Après les autres, je les connais moins. Je sais par exemple qu’Abū Bakr aimait beaucoup le Prophète. S’il y avait un trou, Abū Bakr faisait tout pour reboucher le trou afin que le Prophète ne tombe pas dedans. Il y avait aussi ʿUmar qui était un vrai combattant, qui était prêt à tout pour défendre le Prophète. Après ʿAlī et ʿUthmān, je ne connais pas beaucoup61.

Leurs réponses sur l’entourage du prophète Muḥammad sont généralement hésitantes. Certains enquêtés confondent les épouses et les filles du prophète, ou bien les noms d’autres prophètes avec ceux des Compagnons. La majorité des interviewés citent deux épouses du prophète Muḥammad, le plus fréquemment Khadīja et ʿĀʾisha. Les autres épouses de Muḥammad sont méconnues ou presque :

Je ne connais pas toutes les épouses du Prophète, je peux vous parler de quelques-unes. Maria la Copte, Khadīja qui a vécu une vingtaine d’années avec lui, ʿĀʾisha qui a rapporté certains ḥadīths du Prophète et aussi Zaynab. Mais je ne les connais pas toutes62.

De toutes les épouses, c’est la première, Khadīja63, qui est à la fois la plus citée et aussi la plus admirée, parce que son histoire personnelle semble parler davantage aux jeunes musulmans d’aujourd’hui, confrontés aux traditions patriarcales du milieu familial et aux difficultés socio-économiques :

J’ai été très marqué par Khadīja, la différence d’âge avec le Prophète. C’est un truc choquant dans les pays arabes, la femme qui est plus vieille que l’homme (sourire). Ça ne passera jamais. Je trouve que c’est beaucoup ce qu’il a fait. Il aimait une femme, plus âgée que lui, surtout Khadīja celle qui l’a connu le plus longtemps, qui l’a aidé au tout début, qui l’a couvert financièrement. À un moment, il ne travaillait plus, c’était Khadīja qui gagnait de l’argent pour lui64.

Autrement dit, nos enquêtés musulmans ont une connaissance très fragmentaire de la biographie du prophète Muḥammad : ils sont certes capables de citer les évènements marquants de sa vie mais leur récit comporte de nombreuses zones d’ombres et des confusions sur les dates et les personnes. Cette connaissance est d’abord le fruit d’une éducation, d’une initiation et d’une sensibilisation au sein du cercle familial, mais qui s’enrichit au fil du temps à travers les cours d’éducation islamique dans les associations musulmanes et les prêches à la mosquée, puis par l’autoformation par les recherches personnelles sur internet et les réseaux sociaux.

Les jeunes interviewés écoutent parfois des chants religieux, anāshīd, sur le Prophète à l’occasion des fêtes familiales ou communautaires. C’est notamment le cas des jeunes français d’origine comorienne qui suivent des groupes de musiciens professionnels exécutant des anāshīd, mais aussi des kaswida65 importés des pays d’origine :

Oui, je connais les anāshīd. Ce sont des chants religieux qui n’utilisent pas des instruments de musique. Oui, j’en écoute. Dans l’association où je prends des cours, mon prof, il fait des anāshīd. Oui, j’ai aussi des CD chez moi66.

En revanche, la lecture d’ouvrages religieux qui évoquent la biographie ou les louanges à l’égard du Prophète est assez rare. Sur les 30 entretiens effectués, une seule enquêtée affirme avoir lu, par exemple, le Dalāʾil al-khayrāt, Le guide des bienfaits67. La lecture ne fait donc pas partie des sources majeures d’information sur le prophète Muḥammad. En effet, malgré une littérature islamique de plus en plus abondante et diversifiée, disponible dans les librairies musulmanes68, nous relevons un déficit de lecture chez les jeunes musulmans interrogés, que ce soit sur la vie du Prophète ou tout autre aspect relatif à la religion musulmane.

Oui, j’ai acheté un livre sur la biographie du Prophète. Mais, en fait, je me méfie, des CD, des DVD et des livres sur le Prophète, dans la mesure où j’ai peur de la véracité de l’auteur qui l’a écrit. Du coup, je préfère voir directement mon prof. Très souvent, mon prof me dit quel type de livre prendre. C’est très récemment que j’ai acheté des livres sur le Prophète. J’avais des livres dans mon école [association musulmane]. Mais ce n’est que très récemment que j’en ai acheté de ma propre initiative69.

L’hypothèse qui pourrait expliquer, en partie, ce déficit de lectures religieuses chez les jeunes interviewés est leurs origines socioculturelles. En effet, la majorité d’entre eux sont issus de familles immigrées appartenant aux classes populaires (ouvriers, employés, travailleurs agricoles, etc.), certes croyantes et pratiquantes, mais ne disposant pas d’un capital culturel suffisamment élevé pour accéder aux sources scripturaires en arabe ou en français70. Malgré une volonté de donner à leurs enfants une éducation islamique, les parents n’ont pas toujours de bibliothèque à la maison, que ce soit pour les livres profanes ou les ouvrages religieux :

Ils nous ont éduqués, ils nous ont appris à prier, ils nous ont appris le Coran, quelques ḥadīths. Pas grand-chose, puisqu’eux-mêmes n’ont pas fait de grandes études, ni d’études islamiques. Donc, ils nous ont appris le peu qu’ils connaissaient71.

De plus, au sein des cours d’éducation islamique délivrés par les associations musulmanes ou les mosquées, l’enseignement religieux se focalise principalement sur les « grands événements » de la vie du Prophète, sans entrer dans les détails et la complexité qui relèvent plutôt de l’islamologie savante ou de l’érudition musulmane72. La sīra du Prophète est enseignée de manière extrêmement sommaire et limitée à quelques heures mensuelles. Ces lacunes peuvent aussi s’expliquer par le déficit de formation pédagogique des enseignants intervenant dans les associations musulmanes : bien que diplômés de l’enseignement supérieur (sciences humaines et sociales, sciences fondamentales, écoles d’ingénieurs, etc.), ils sont rarement issus des cursus islamiques. Au final, les jeunes musulmans ne gardent que quelques fragments d’informations sur la vie du Prophète, privilégiant un rapport émotionnel et hagiographique, qui verse davantage dans l’idéalisation du personnage que dans la connaissance objective de sa biographie.

3.3 Prier sur le prophète Muḥammad

Le Coran et la Sunna73 contiennent des versets74 et des ḥadīths qui incitent le musulman à prier sur le Prophète75. Ces récits convergent vers l’idée que la prière sur le Prophète éduque le musulman, en se remémorant sa figure. Il existe d’ailleurs toute une littérature sur les mérites de la prière sur le Prophète, dont l’efficacité ici-bas et dans l’au-delà est exaltée, et parmi lesquels le souci sotériologique est très présent ; les soufis en feront un vecteur essentiel de la réalisation spirituelle. Cela nous incite à étudier les prières et les pratiques religieuses autour du prophète Muḥammad chez les jeunes musulmans français. On s’intéressera notamment aux connaissances acquises, aux manières et aux formules utilisées pour prier sur le Prophète. On recense plusieurs expressions, parmi lesquelles la ṣalāt Ibrāhīmiyya, récitée avant la clôture de la prière canonique : « Ô Allāh, prie sur Muḥammad et sur la famille de Muḥammad, comme tu as prié sur Ibrāhīm et la famille d’Ibrāhīm, et bénis Muḥammad et la famille de Muḥammad, comme tu as béni Ibrāhīm et la famille d’Ibrāhīm, Tu es très Louangé, très Glorieux ». Il convient toutefois de distinguer « la prière sur le prophète », qui est une formule verbale exprimée sous plusieurs versions, de la prière canonique, deuxième pilier de l’islam pratiquée cinq fois par jour :

Oui, lors de la prière que nous effectuons cinq fois par jour, il nous est conseillé de prier sur le prophète Muḥammad avant la fin de nos prières. Donc, pour ma part, oui puisque j’applique cela. Ensuite, il nous est fortement conseillé de continuer avant de dormir ou, à n’importe quel moment, à invoquer pour le Prophète, à faire les bénédictions sur lui car la récompense est multipliée. Il faut savoir moi, pour ma part, je le fais tous les jours76

D’autres jeunes prient également sur le prophète Muḥammad au cours de la journée en dehors des cinq prières canoniques. Il n’existe ni de lieu spécifique dédié à la prière sur le Prophète ni de nombre précis à atteindre ou de fréquence à respecter. Cependant plusieurs ḥadīths invitent les musulmans à accomplir la prière sur le Prophète plus particulièrement le vendredi77  :

Déjà dans la prière de base, on invoque le Prophète. Mais c’est vrai que le vendredi à la mosquée, l’imam nous dit qu’il faut prier sur le Prophète. Si vous priez sur le Prophète une fois, c’est comme si vous avez prié dix fois (Dieu vous bénira dix fois). À ce moment-là, je le fais. Mais ce n’est pas forcément le jour de la mosquée. C’est davantage dans les invocations (duʿāʾ) à ma famille, à mon entourage78.

D’autres encore la font rarement, ou plutôt quand ils sont confrontés à des difficultés personnelles ou traversent une épreuve dans leur vie quotidienne. Après avoir mentionné le nom du prophète Muḥammad, certains jeunes interrogés prononcent une formule d’invocation pour le Prophète, ṣallā Allāh ʿalayhi wa-sallam (sws)79, qui signifie « Que Dieu fasse descendre sur lui la grâce et la paix ». Ceux qui vivent une religiosité intense ont tendance à la prononcer systématiquement après chaque mention du nom de Muhammad, alors que d’autres ne le font qu’occasionnellement.

3.4 La participation à des événements familiaux ou communautaires autour du Prophète

Beaucoup de jeunes musulmans déclarent qu’ils n’ont jamais assisté à des évènements communautaires en France autour du prophète Muḥammad. Par exemple, rares sont les enquêtés qui avouent participer à la fête du Mawlid80  :

J’ai assisté à des événements autour du Prophète. C’était par rapport à la naissance du Prophète, al-Mawlid. On le fête en famille. C’est moins l’anniversaire qu’on fête qu’une occasion d’apprendre, de parler des comportements du Prophète. C’est notamment une occasion de parler du Prophète aux plus jeunes enfants, d’apprendre des hadiths pour ceux qui sont un peu plus grands. La famille organise un repas81.

À ce niveau, nous observons un véritable contraste dans les discours et les pratiques sociales autour du Prophète avec les pays d’origine. Au Maghreb, par exemple, la date admise de la naissance du prophète est un jour férié (le 12 Rabīʿ al-Awwal). La période de sa naissance est l’occasion de plusieurs cérémonies qui commémorent cet événement. Un moment fort pour la communauté musulmane de manifester l’amour qu’elle porte au prophète Muḥammad et de se rappeler ses actions et ses paroles. Des confréries soufies, des familles organisent des repas, des fêtes avec des chants (anāshīd) et des leçons qui évoquent la biographie du Prophète et les épisodes majeurs de sa vie. Des conférences et tables rondes sont initiées par des associations à cette occasion et des chaines de télévision nationales ou transnationales s’intéressent à l’événement en diffusant des programmes religieux spécifiques82.

En revanche, en France, on ne recense que peu de lieux et de manifestations pour célébrer cet événement83. Dans les années 1970-90, certaines familles immigrées maghrébines, comoriennes ou africaines de l’Ouest fêtaient le Mouloud dans le cercle intime, reproduisant ainsi une tradition héritée et importée du pays d’origine. Mais dans les années 2000, ces célébrations familiales ou collectives de l’anniversaire du prophète Muḥammad semblent décliner. Certains imams hésitent à évoquer le sujet lors du prêche du vendredi par peur de heurter la sensibilité salafiste de certains croyants, notamment les plus jeunes d’entre eux qui se sont autoformés religieusement sur le Web et les réseaux sociaux. Parfois, ce sont les imams eux-mêmes, d’obédience fondamentaliste ou salafiste, qui condamnent cette pratique festive non canonique, qu’ils assimilent à une forme d’idolâtrie, d’innovation ou encore de « survivances » issues des traditions antéislamiques84. De nombreux jeunes musulmans interrogés lors de notre enquête reprennent à leur compte cette vision dépréciative du Mawlid, décidant de le boycotter et ceci malgré leur héritage familial :

Oui, une fois, j’ai accepté d’aller à la fête du Prophète. J’ai accepté parce que ma sœur était dans cette école-là. Ils ont fait une fête, ils ont chanté. Mais depuis, je ne suis plus allée, parce qu’on m’a dit, c’est interdit ! Je ne le fais plus, parce qu’on m’a dit que ses Compagnons n’ont pas fêté son anniversaire, et alors pourquoi nous on le fêterait ?85

Ce débat contradictoire sur le caractère licite ou illicite du Mawlid dans les milieux communautaires en France renvoie à la question plus large de la référence et de l’encadrement du discours religieux islamique dans le contexte migratoire.

3.5 Les représentations imagées du prophète Muḥammad : un thème tabou pour les jeunes musulmans ?

Plusieurs spécialistes de l’histoire des religions et d’islamologie se sont intéressés récemment aux argumentaires théologiques justifiant l’interdiction de la représentation imagée du prophète Muḥammad86, en tentant à la fois de l’historiciser (de quand date-t-elle ?) et aussi de la relativiser au regard des textes canoniques (fait-elle consensus parmi les savants musulmans ?). Dans tous les cas, c’est un sujet qui reste tabou, y compris chez les acteurs musulmans vivant dans les sociétés occidentales. D’ailleurs, aucun des manuels d’éducation islamique analysés dans notre enquête ne propose de représentation imagée du prophète Muḥammad, s’intéressant exclusivement à sa biographie et à ses qualités morales. Ils mettent en lumière quelques lieux et événements de sa vie à La Mecque et à Médine, ses principales confrontations et batailles, quelques personnages et traits culturels de l’époque. Par exemple, on peut lire dans le volume 2 de la collection « Arc en ciel » des éditions Al-Hadith :

À l’âge de 25 ans, Muhammad se marie avec Khadîja, une noble dame de La Mecque. Elle avait alors 40 ans. Ils appartenaient tous les deux à la tribu de Quraysh. Muhammad (saw) passait beaucoup de temps à méditer sur le Créateur de l’univers. Il passait une grande partie de son temps dans une grotte appelée Hirâʾ. Quand Muhammad atteignit l’âge de 40 ans, Allah fit descendre sur lui la Révélation. Il devint alors le Messager d’Allah. Allah lui ordonna de prêcher l’Islam87.

Cette prohibition des représentations imagées du prophète Muḥammad est pleinement assumée par la quasi-totalité des enseignants et des responsables d’associations musulmanes françaises interrogés dans notre enquête :

Ils [les élèves] ne me posent pas ce genre de question ! Cependant, si jamais cela arrive, on peut se référer à quelques ḥadīths qui évoquent ce sujet. En fait, on se concentre plutôt dans les cours sur les caractéristiques morales du Prophète pour donner l’exemple à nos petits musulmans et s’inspirer des évènements qu’il a vécus, de sa patience, de son courage, de sa bonté, de sa miséricorde, de sa bienveillance etc88.

Certains enseignants d’éducation islamique reconnaissent toutefois que des jeunes élèves musulmans les interpellent parfois sur les caractéristiques physiques du prophète Muhammad :

J’ai été confronté à cette question plusieurs fois. Donc oui, bien sûr, les les élèves s’interrogent sur comment était le Prophète : est-ce qu’il était barbu ? Est-ce qu’il était grand ? Est-ce qu’il était mince, blanc, noir … ? Autant de questions que les élèves se posent surtout lors de leur jeune âge, eh bien on essaye de répondre avec la connaissance qu’on a et avec une vigilance pour ne pas perturber la foi qui doit être fondée sur des bases solides. Parce que finalement le Prophète (sws) est un homme comme tous les autres89.

À l’instar de leurs professeurs d’éducation islamique, les jeunes musulmans de notre enquête tentent de justifier ce désintérêt pour les représentations imagées du Prophète Muḥammad, moins sur le registre de l’interdiction, que sur celui de l’indifférence et de la priorité accordée aux qualités morales :

Une représentation physique. Je n’ai pas vraiment d’image du Prophète. Je ne me suis pas attardé dessus [la représentation physique] car c’est le caractère qui me vient à l’esprit : son caractère doux, son bon comportement envers les musulmans et les non musulmans, l’équité, la justice90

En revanche, un seul enquêté établit une distinction nette et judicieuse entre l’interdiction supposée canonique de la représentation imagée et la licéité de la description physique, sachant que plusieurs textes islamiques dont les ḥadīths, décrivent précisément les caractéristiques corporelles et esthétiques du prophète Muhammad :

Il était élancé, il avait des longs cheveux, la barbe. … Mais pas plus de détails. Je ne peux pas trop m’imaginer. Je ne peux pas trop savoir. C’est comme pour Dieu. Quand on parle d’une certaine personne, on essaye toujours de se le représenter. Mais on prie pour Dieu, on est habitué à ne pas se le représenter. C’est Dieu, il est là. C’est pareil pour le Prophète. C’est toujours mieux de l’imaginer, mais on n’a pas le droit de le représenter. … La seule chose, c’est quand une personne voit le Prophète dans son rêve, le Prophète, il est tel quel. Si on rêve du Prophète, on le voit tel quel. Mais ça n’arrive qu’aux gens qui ont une foi profonde91.

Au-delà du tabou et de la difficulté des professeurs d’éducation islamique et des jeunes musulmans à aborder le sujet, la question de la représentation imagée de Muḥammad est à l’origine de plusieurs controverses publiques, dès le début des années 2000, à travers notamment les différentes « affaires des caricatures du Prophète », qui suscitent des débats contradictoires, y compris au sein des milieux musulmans français et européens.

4 Le prophète Muhammad comme figure de controverses publiques et construction de soi

Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout intéressés aux discours, aux représentations et aux pratiques autour du Prophète, se manifestant dans l’intimité, le milieu familial et les espaces communautaires. Or, Muḥammad est aussi un personnage public qui, dans le contexte de la publication controversée des « caricatures du Prophète » et des attentats terroristes commis pour « venger son honneur », revêt désormais une dimension polémique qui n’est d’ailleurs pas nouvelle mais s’ancre dans un credo ancien hérité de l’anti-mahométisme médiéval92. Il s’agit donc d’analyser les réactions des jeunes musulmans français aux différentes « affaires » et de voir si celles-ci ont modifié leurs perceptions identitaires et leurs pratiques sociales et religieuses93.

4.1 Blessure intime et épreuve personnelle

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les jeunes musulmans français – notamment les plus pratiquants d’entre eux – auraient sur-réagi à la publication des caricatures du prophète Muḥammad par le journal satirique Charlie Hebdo, les résultats de nos enquêtes de terrain (201694 et 2019) tendraient à nuancer cette hypothèse de dramatisation de l’événement : la majorité des jeunes interrogés ont vécu ces controverses dans leur intimité, refusant de manifester publiquement leur désapprobation et leur colère. Certes, ils ont ressenti ces polémiques autour du prophète Muḥammad comme une blessure intime et une épreuve personnelle mais sans chercher forcément à rendre publiques leurs réactions, préférant se réfugier dans la sphère familiale ou amicale :

Comment j’ai réagi ? Pas bien, parce que c’est un domaine intime, l’amour qu’on a pour notre prophète … Je pense que tout le monde s’est senti touché, blessé par ces caricatures. Après, on en a parlé, c’est un sujet médiatisé, c’est un sujet qui a beaucoup fait parler donc c’était une nécessité de parler avec mes parents ou avec les plus jeunes de ma famille pour leur expliquer pourquoi il y tant de polémiques95.

Cette blessure intime a été souvent aggravée par le contexte terroriste (la vengeance commise pour laver l’honneur du prophète Muḥammad), provoquant chez certains jeunes une véritable sidération96, les incitant à s’interroger sur le sens profond de leur foi, sur le rapport entre religion et violence et sur les justifications musulmanes au jihad armé. C’est aussi la représentation de soi qui s’est trouvée affectée. En effet, « pour de nombreux musulmans français, croyants et pratiquants, la crise jihadiste les éprouve dans leur foi, leur religiosité intime et publique, leurs certitudes doctrinales et théologiques. Aussi, les événements terroristes agissent-ils comme une sorte d’“électrochoc spirituel” et ce d’autant que les commanditaires des attentats se revendiquent de la même religion qu’eux et qu’ils prétendent détenir le monopole d’interprétation des textes canoniques »97. Dans cette perspective, certains jeunes musulmans ont tenté de délégitimer la violence terroriste commise au nom du prophète Muḥammad, en avançant des arguments d’ordre théologique, selon lequel le Prophète serait par essence intouchable et ne devrait donc pas être vengé par des actes humains :

Le Prophète est bien au-dessus de tout ça ! Tout ça, c’est la manifestation de la pauvreté du cœur, et du manque de respect d’une personne. Ça n’engage qu’elle-même. Je pense que le Prophète est au-dessus de tout ça ! Oui, ça heurte. Ça me met plus mal à l’aise que je suis heurtée. Quand il était vivant, il se disait des choses sur le Prophète. Si j’avais le pouvoir, je ne l’autoriserais pas. Mais, bon ça fait partie de la liberté d’expression. Mais, moi je crois au droit au respect98.

Une minorité d’enquêtés musulmans vont même jusqu’à faire preuve d’une certaine « compréhension » à l’égard des auteurs des caricatures, considérant que le prophète Muḥammad n’est pas le seul personnage religieux visé par la satire. Même s’ils désapprouvent les propos et les dessins réputés injurieux sur le prophète de l’islam, ils tentent de l’expliquer par la liberté d’expression et le contexte séculariste de la société française :

Les savants musulmans nous ont dit que ce genre de caricatures a toujours existé. Je ne vois pas pourquoi en France, ça prend tellement d’ampleur. Ça rejoint ce que je disais précédemment par rapport à la sourate Al-Kāfirūn : chacun ses croyances, chacun ses façons de penser. Je ne pense pas que les gens qui ont fait ça, c’est pour provoquer mais parce qu’ils avaient un certain attrait pour la peinture. Ils ont essayé de le représenter. Ça ne m’a pas choqué99.

Ce refus d’exprimer publiquement leur critique des caricatures satiriques touchant le personnage de Muḥammad se traduit également chez la majorité des jeunes musulmans interrogés par une volonté de retrait à l’égard des mobilisations musulmanes dans l’espace public (manifestations, protestations, sit-in), comme si la controverse devait rester une affaire strictement intime entre eux et « leur » Prophète.

4.2 Condamnation de la violence commise au nom du prophète Muḥammad

La première affaire des « caricatures du Prophète » en 2005-6, publiées par le journal danois Jyllands-Posten100 et relayées en France par Charlie Hebdo et le quotidien France-Soir, avait déclenché des mobilisations musulmanes dans l’espace public pour défendre l’honneur du Prophète Muḥammad101. Toutefois, dans la société française des années 2000, ces manifestations publiques « pro-Prophète » sont très rares, ne concernant que quelques centaines de musulmans et organisées par des associations islamiques relativement marginales. Dix ans plus tard, en 2015, dans le contexte de violence terroriste, la plupart des acteurs musulmans individuels ou collectifs préfèrent s’abstenir de se mobiliser, probablement par respect de la mémoire des victimes des attentats mais aussi par scepticisme sur la légitimité sociale de telles manifestations qui risqueraient d’être mal comprises par la majorité des citoyens français, et notamment par les non-musulmans102. On retrouve très largement cette réserve chez les jeunes musulmans de notre enquête qui ne voient pas vraiment l’intérêt à manifester publiquement pour défendre « l’honneur » du prophète Muḥammad, estimant que ces mobilisations seraient même contre-productives pour la communauté musulmane :

Personnellement, je pense que ça ne sert à rien d’organiser des manifestations pour défendre le Prophète. Il faut juste invoquer Dieu et on demande à Dieu qu’il arrête tout ça et c’est tout ! Les émeutes, ça ne sert à rien. Ça va plus aggraver le problème, ça va provoquer une nouvelle guerre !103

Au-delà de ce scepticisme quant à l’utilité des manifestations publiques pour la défense du Prophète, les jeunes musulmans interrogés, à l’exception d’un seul enquêté (« les journalistes de Charlie l’ont bien cherché »104 ), condamnent explicitement l’usage de la violence, avançant des arguments religieux pour délégitimer les actes terroristes qui, selon eux, seraient contraires au pacifisme prôné par l’islam (« religion de paix »), en général, et par la tradition prophétique, en particulier :

C’est répondre à la faiblesse par la faiblesse. Ce n’est pas la peine de tuer des gens. Si on aime vraiment le Prophète, il faut repartir dans la miséricorde. … Le Prophète était là en miséricorde. Ok, on n’est pas qu’amour, ok. Mais ils [les dessinateurs des caricatures] auraient mérité autre chose105.

À rebours d’une attitude belliqueuse et revancharde, les enquêtés musulmans ont plutôt tendance à prôner une posture d’ouverture à l’égard des non-musulmans. À ce niveau, on peut penser que le contexte de violence terroriste au sein de la société française a accéléré la volonté d’un certain nombre de jeunes musulmans de développer des initiatives de dialogue avec les autres citoyens (notamment avec les croyants des autres religions monothéistes), avec un souci quasi pédagogique d’expliquer la place et le rôle du prophète Muḥammad dans leur religion :

Quand quelqu’un me pose une question sur ma religion, je vais souvent prendre le Prophète en exemple. Souvent quand on va entamer un débat sur ma religion, je mets souvent en avant le Prophète. Mais à part ça, jamais. Mais si on me demande quelque chose, je réponds. Par exemple, j’ai entamé une discussion avec des Témoins de Jehovah. On a parlé du Prophète. Souvent ils mettaient Jésus en avant, alors que moi je mettais le Prophète [Muḥammad] en avant. J’essayais de donner des arguments que j’avais106.

Même s’ils sont assez critiques sur les manifestations publiques pro-prophète, à l’instar de celles qui se déroulent dans certains pays musulmans (Égypte, Pakistan, Yémen, etc.), les jeunes musulmans français ne renoncent pas à exprimer des formes de solidarité multiples, avec la communauté (umma) musulmane, la nation dans laquelle ils résident (la France) et, bien sûr, à l’égard de la personne de Muḥammad, qu’ils considèrent comme une source d’inspiration majeure pour leur vie quotidienne, une sorte de guide moral qui orienterait leurs pensées et leurs actions.

4.3 Une solidarité multiforme : le Prophète, soi, la umma musulmane et la société française

Aux lendemains des attentats terroristes qui ont frappé la société française en 2015 et 2016, les musulmans ont été fréquemment soumis par les acteurs politiques et institutionnels à une double injonction : d’une part, exprimer leur condamnation publique du « terrorisme islamique », et d’autre part, manifester leur solidarité avec les victimes, en ralliant notamment le slogan « Je suis Charlie » (Figure 8.6). Or, chez les musulmans ordinaires, que nous avons interrogé dans nos différentes enquêtes sociologiques107, nous avons pu relever que, si la condamnation du terrorisme jihadiste ne leur posait généralement aucun problème, en revanche, la plupart d’entre eux manifestaient une certaine réticence, voire carrément une résistance, à s’affirmer « Je suis Charlie ». En effet, certains jeunes musulmans continuent à reprocher au journal satirique d’avoir publié et réédité à maintes reprises des caricatures qu’ils jugent offensantes à l’égard du prophète Muḥammad et des musulmans en général. Par ailleurs, le slogan « Je suis Charlie » leur paraît réducteur par rapport à la diversité des identités culturelles et religieuses des autres victimes du terrorisme, dont certaines sont précisément de confession musulmane :

Je ne vais pas mentir. En vrai, « Je ne suis pas Charlie ». C’est vrai que juste après les attentats de janvier, il était difficile de l’expliquer. Sur Facebook, tout le monde disait « Je suis Charlie », et il y avait une sorte de pression si on ne le faisait pas. On pouvait être suspecté d’être d’accord avec les actes commis par les frères Kouachi [auteurs de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo]. Comme mes contacts Facebook ne sont que mes proches amis et ma famille, j’ai pu dire que je n’étais pas Charlie. Et j’ai expliqué les raisons. Bien sûr que je condamnais les actes des terroristes. C’est horrible ce qu’ils ont fait. Mais, pour autant, je ne suis pas Charlie parce que je ne soutiens pas les publications de ce journal et qu’être Charlie c’est un peu réducteur. Car il faut aussi soutenir les trois policiers qui ont été tués, et les clients juifs du magasin Hyper Cacher. Et, d’une manière générale, il faut soutenir toutes les victimes du terrorisme. Donc on ne peut pas être que Charlie, il faut s’indigner et soutenir toutes les victimes108.

Figure 8.6
Figure 8.6

« Je suis Charlie », création du graphiste Joachim Roncin (janvier 2015) en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo

Simultanément au mot d’ordre « Je suis Charlie », certains jeunes musulmans ont donc développé des slogans concurrents comme « Je suis Ahmed » (prénom du policier tué par les terroristes109 ), « Je ne suis pas Charlie. Je suis musulman pas terroriste » ou encore « Je suis Charlie et les musulmans de France ». Des internautes musulmans français ont même affiché sur leur page Facebook ou leur blog personnel les slogans « Je suis musulman », « Je suis Mohamed » ou encore « Je suis musulman et j’aime mon Prophète » comme pour mieux souligner le fait qu’il est possible de condamner la violence, d’exprimer sa solidarité avec les victimes du terrorisme, tout en affirmant sa dévotion pour le prophète Muḥammad (Figure 8.7). Dans un contexte de violence terroriste, marqué par la montée des émotions et des passions, ce type de positionnement identitaire complexe n’est pas rare chez les jeunes musulmans, la référence au prophète Muḥammad jouant le rôle de figure médiatrice entre leur religiosité intime et leur citoyenneté publique, entre leur islamité et leur nationalité, donnant du sens à leur vie ordinaire.

Figure 8.7
Figure 8.7

Détournement de « Je suis Charlie » par des internautes musulmans

5 Conclusion

Au-delà de tout prisme culturaliste, notre recherche tend à infirmer la présence d’un « modèle prophétique » intemporel, tout en soulignant la centralité de la référence au prophète Muḥammad dans l’existence quotidienne des jeunes musulmans français. À la limite, nous pourrions parler d’un modèle prophétique subjectif et évolutif, en reconstruction permanente, qui ne fait sens pour les individus que dans des contextes socioculturels particuliers, susceptible d’être réinterprété au fil des événements de la vie. Toutefois, la relation à la personne du Prophète révèle un décalage récurrent entre la dimension cognitive relativement faible (connaissance des traditions prophétiques et de la sīra) et la dimension affectuelle (émotions liées à la dévotion) qui, elle, reste très forte, dans les représentations, les discours et les pratiques sociales et religieuses des individus et des groupes musulmans. En effet, si Muḥammad est souvent cité par les jeunes musulmans comme une « source d’inspiration », un « guide », un « maitre », un « modèle de moralité », un « exemple à suivre », voire un « père de substitution », les investissements affectifs semblent inversement proportionnels aux investissements éducatifs qui, eux, restent mineurs. Sur ce plan, on pourrait presque parler d’une « passion pour le prophète Muḥammad » à l’instar de la « passion pour Christ » chez certains Chrétiens, combinant la force des pratiques dévotionnelles à la faiblesse de la connaissance objective des textes fondateurs et de l’histoire religieuse en général. Dans une perspective future, il serait pertinent de conduire une recherche comparative110 entre le rapport des jeunes chrétiens européens à la personne de Jésus, des jeunes juifs à Moïse et celle des jeunes musulmans à Muḥammad qui permettrait non seulement de mettre en évidence la convergence des modes dévotionnels et des pratiques religieuses des nouvelles générations de croyants au Vingt-et-unième siècle (individualisation du croire, influence des réseaux sociaux et des médias transnationaux, rôle des affects et des émotions, etc.) mais aussi les différences majeures, notamment dans la relation intime et collective à ces trois figures prophétiques majeures de l’histoire de l’humanité.

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1

Geisser et al., Musulmans de France, 7-29.

2

Delcambre, “Le Prophète comme modèle à suivre”.

3

Cf. Chih et al., “General Introduction”.

4

Tournier, “Modalités”, 320.

5

Bucaille and Villechaise, “L’affirmation religieuse des jeunes musulmans”, 109-10.

6

Contrairement à une idée reçue, la majorité des jeunes musulmans français, même lorsqu’ils sont croyants et pratiquants, fréquentent peu les associations islamiques et les mosquées. Voir Dargent, “Les musulmans déclarés en France”.

7

Cf. en annexe la liste complète des enquêtés et leur profil sociologique.

8

Cf. en annexe, la description des associations enquêtées et le profil sociologique des enseignants.

9

Meintel and Le Gall, “Transmission intergénérationnelle de la religion”.

10

Geisser, “La ‘question musulmane’”.

11

Adraoui, Du Golfe aux banlieues.

12

Geisser, “La ‘question musulmane’”.

13

Simon and Tiberj, Sécularisation ou regain religieux, 17 ; Tournier, “Modalités”.

14

Il s’agit de l’abréviation de l’eulogie ṣallā Allāh ʿalayhi wa-sallam qui signifie que la paix et le salut soient sur lui.

15

Abdesamie, 28 ans, né au Maroc, arrivé en France à l’âge de 5 ans, ouvrier, entretien avec les auteurs, Sète, juin 2019.

16

Conformément à une certaine orthodoxie islamique, le prophète Muḥammad n’est jamais représenté sous forme imagée dans les familles musulmanes, contrairement aux images de Jésus et de la Vierge Marie au sein des familles chrétiennes.

17

De plus, une partie des jeunes de notre échantillon sont issus de familles berbérophones (kabyles, chaouies, chleuhs, rifaines, etc.) ou comoriennes qui maitrisent rarement l’arabe littéraire.

18

Idriss 22 ans, né en France, étudiant en gestion des entreprises, entretien avec les auteurs, Marseille, mai 2019.

19

Ikram, 24 ans, née dans une famille d’immigrés marocains, mère au foyer, entretien avec les auteurs, Sète, juin 2018.

20

Abderrahmane, 20 ans, né en France, dans une famille comorienne, étudiant en master biologie à Aix-Marseille Université, entretien avec les auteurs, Marseille, juillet 2018.

21

Cette thèse de la rupture sous-entend l’idée que les enfants de musulmans nés en Europe auraient été « dé-islamisés » et qu’il conviendrait donc de les « réislamiser », via les prédicateurs et les organisations islamiques appartenant à la mouvance fondamentaliste.

22

Le terme sīra désigne la biographie du prophète Muḥammad rédigée par les chroniqueurs musulmans. Celle qui fait le plus autorité dans les milieux musulmans est celle d’Ibn Isḥāq (m. 150/767), remaniée par Ibn Hishām (m. en 218/833 ou 213/828), al-Sīra al-nabawiyya.

23

El Alaoui, Les réseaux du livre islamique.

24

Geoffroy, “Hommage à Yacoub Roty”.

25

Roty, L’exemple du Prophète, 23-24.

26

Créé en 1984, le siège social de la maison d’édition Ennour est localisé à Paris. Elle publie des ouvrages arabes traduits en français mais aussi des livres d’auteurs francophones sur la spiritualité, le fiqh, l’histoire musulmane, l’histoire de l’empire ottoman et des pays arabes, l’exégèse coranique, la langue arabe, etc. : www.maisondennour.com/.

27

Fondée à Lyon, en 1991, par des membres appartenant à l’Union des jeunes musulmans (UJM). Elle publie exclusivement des ouvrages, des CD et DVD en langue française. Au début des années 2000, elle est devenue la principale maison d’édition musulmane francophone : ses publications sont diffusées en France, en Belgique, en Suisse, au Canada et en Afrique francophone et vendues dans les librairies musulmanes mais aussi dans le circuit commercial non musulman : www.edition-tawhid.com.

28

Créé en 2001, Iqrashop est le principal site de ventes en ligne de publications musulmanes francophones. Le site est publié par les éditions et la librairie Orientica, dont le siège social est situé rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11ième arrondissement de Paris : www.orientica.com.

29

Andalouci, Le Prophète raconté aux enfants, 19. Siham Andalouci est une auteure née en France dans une famille de l’immigration algérienne. Elle a été très impliquée au cours des années 1990 dans le champ associatif musulman dans le Nord de la France (région de Lille), avant de rejoindre, au milieu des années 2000, les éditions Tawhid, dont elle est l’une des principales animatrices.

31

Parmi les nombreuses références disponibles dans les librairies musulmanes francophones, on peut citer : Saniyasnain Khan, La vie du Prophète Muhammad, coll. “Histoires pour dormir”, Delhi/Paris, éditions Goodword/Orientica, 2014 ; du même auteur : Le Prophète Salih et sa chamelle, coll. “Histoire du Coran pour les petits lecteurs”, Delhi/Lyon, éditions Goodword/Tawhid, 2009 ; Le Prophète Mohammad reçoit la révélation, coll. “Histoire du Coran pour les petits lecteurs”, Delhi/Lyon, éditions Goodword/Tawhid, 2009.

32

Amghar, “Le congrès du Bourget” ; El Alaoui, Les réseaux du livre islamique.

33

Rayan 22 ans, né en France, mère française, père algérien, étudiant en Brevet de technicien supérieur (BTS) en électronique, entretien avec les auteurs, Marseille, juin 2019.

34

Prigent, Jésus au cinéma.

35

Naef, Y-a-t-il une question de l’image en islam ?

36

Bœspflug, “Muhammad à l’écran”, 149.

37

Bœspflug, “Muhammad à l’écran” ; Hakem, “Al-Rissala/Le Message”.

38

Idriss, op. cit.

39

Notamment les musalsal syriens mettant en scène la vie des Compagnons du Prophète et les grands épisodes de l’histoire musulmane.

40

Soumeya, 23 ans, née dans une famille d’immigrés marocains, auto-entrepreneure, entretien avec les auteurs, Marseille, juillet 2019.

41

Amri et al., “Introduction”, 14.

42

Cf. le programme de recherche HANBANET dirigé par Ahmed Oulddali chercheur associé à l’IREMAM, sur « Le corpus hanbalite sur l’internet francophone : textes, émetteurs et usages », dans le cadre des appels à projet « Islam, religion et société du Bureau central des cultes (BCC) ».

43

Rachid Abou Houdeyfa, connu aussi sous le nom de Rachid Eljay, est un imam vidéaste français d’obédience salafiste qui est très regardé par les jeunes musulmans. Depuis 2015, il aurait toutefois quitté la mouvance salafiste pour se conformer au rite malékite, dominant au Maghreb et dans les populations maghrébines immigrées en France.

44

Wassim, 20 ans, né en Algérie, arrivé jeune en France, étudiant en école d’ingénieurs, entretien avec les auteurs, Marseille, juillet 2019.

45

Thomas, “Le rôle d’Internet dans la diffusion de la doctrine salafiste”, 89.

46

Maddanu, “La deuxième génération de musulmans en Italie”.

47

El Asri, “Les enjeux de la formation islamique en Europe francophone”.

48

Barontini and Caubet, “La transmission de l’arabe maghrébin en France”.

49

Ahmed Amine Nacef, doctorant en sciences de l’éducation, directeur de l’association UNISETE, entretien avec les auteurs, Sète, décembre 2020.

50

M. Younes, doctorant en sciences politiques à la faculté de droit à Montpellier. Professeur du cours d’arabe et d’éducation islamique à la mosquée de Narbonne, entretien avec les auteurs, Narbonne, mars 2020.

51

Par exemple, la collection « Arc en Ciel » (six volumes) des éditions Al Hadith est conçue en Belgique par une organisation proche des milieux salafistes piétistes. Elle est largement utilisée dans certaines associations musulmanes françaises.

52

Cette méthode est présente également dans certains pays d’Europe de l’ouest, d’Afrique subsaharienne et au Canada.

53

M. Bouaazizi, professeur membre de la mission culturelle marocaine à Montpellier, mise à disposition auprès de l’association UNISETE, entretien avec les auteurs, Sète, mars 2020.

55

Docteur en sciences de l’éducation et islamologue d’origine tunisienne, il a été, dès les années 1990, l’un des pionniers des manuels de langue arabe et d’éducation islamique destinés à un public francophone socialisé dans les sociétés occidentales. Ses manuels sont très présents dans les associations musulmanes mais aussi dans les librairies islamiques des pays francophones.

57

Entretien avec Sana Rami professeur d’éducation islamique au Centre Razi, entretien avec les auteurs, Perpignan, juin 2019.

58

Ikram, op. cit.

59

Soumeya, op. cit.

60

Chaima, 20 ans, née en France, fille d’immigrés algériens, entretien avec les auteurs, Perpignan, juillet 2018.

61

Andzima, 24 ans, née en France, fille d’immigrés comoriens, étudiante en comptabilité, entretien avec les auteurs, Marseille, juin 2019.

62

Abderrahmane, op. cit.

63

Khadīja bt. Khuwaylid était une riche commerçante de la Mecque. Malgré la différence d’âge, elle a épousé le futur prophète Muḥammad qui était son employé : Lings, Le prophète Muhammad.

64

Wassim, op. cit.

65

Barbey, “Institutions”.

66

Andzima, op. cit.

67

Ben Slimane Al Jazouli, Dalâʾil al-khayrât.

68

El Alaoui, Les réseaux du livre islamique.

69

Andzima, op. cit.

70

Bourdieu, “Genèse”.

71

Abdessamie, 28 ans, ouvrier dans une usine agro-alimentaire, entretien avec les auteurs, Sète, juin 2019.

72

Parmi les livres contemporains sur la vie du prophète Muhammad qui sont diffusés dans les pays européens, notamment en France, celui rédigé par Safiyyur-Rahman Al-Mubarakfuri, Le nectar cacheté.

73

La Sunna renvoie à tout ce qui a été rapporté par ou à propos du prophète Muḥammad avant, pendant et après sa prophétie, incluant ses paroles, ses actes, ses confirmations, sa biographie, son caractère physique et ses attributs.

74

Le Coran cite [Sourate 33 Verset 56] : « Certes, Allah et Ses Anges prient sur le Prophète ; Ô vous qui croyez priez sur lui et adressez [lui] vos salutations ». Les textes du Coran et des ḥadīths incitent à suivre le Prophète. Sa vénération et son amour sont profondément ancrés dans l’enseignement islamique.

75

Concernant « la prière sur le Prophète », voir l’article de Hamidoune dans ce volume.

76

Chaima, op. cit.

77

Une recommandation du Prophète pour prier sur lui le vendredi explique pourquoi certains musulmans font davantage la prière sur le prophète ce jour-là. D’après Anas (compagnon du Prophète), le Prophète a dit : « Multipliez les prières sur moi le jour et la nuit du vendredi, celui qui prie sur moi une prière Allah en prie sur lui dix », rapporté par Al Bayhaqī ; sur les origines de cette pratique, voir Hamidoune dans ce volume.

78

Idriss, op. cit.

79

D’après un ḥadīth du Prophète : « L’avare, c’est celui qui ne prie pas sur moi quand mon nom est prononcé en sa présence ». Cf. Wensinck, Concordance, I, 147, 1. La prière sur le Messager de Dieu permet au serviteur d’être proche de lui le jour de la résurrection en vertu du ḥadīth : « Les gens qui mériteront le plus ma proximité le jour de la résurrection sont ceux qui auront le plus prié sur moi ». Ces hadiths sont à l’origine de la formule consacrée : Ṣallā Allāhu ʿalayhi wa-sallam (« Qu’Allah le bénisse et lui accorde le salut »).

80

Fête du Mawlid al-nabawī ou Mouloud, dite aussi anniversaire de la naissance du prophète Muḥammad. Elle correspond selon le calendrier musulman (de l’hégire) au 12 Rabīʿ al Awwal, troisième mois de l’année musulmane.

81

Andzima, op. cit.

82

Chih, “La célébration de la naissance du Prophète”.

83

Gélard, “L’islam en France”.

84

Certains courants salafistes contestent la légitimité de la fête de la naissance du Prophète, la considérant comme une innovation (bidʿa) que ni le prophète Muḥammad, ni ses Compagnons, ni les califes, n’ont célébrée.

85

Meriem, 24, née à Tunis, arrivée en France à l’âge de 2 ans, étudiante, entretien avec les auteurs, Marseille, juin 2019.

86

Bœspflug, Le Prophète de l’islam et ses images ; Chabbi, “L’islam des origines” ; Van Renterghem, “La représentation figurée du prophète Muhammad”.

87

Arc-en-ciel, Manuel d’enseignement des bases de l’islam, 2:172.

88

Sana Rami, op. cit.

89

Younes, op. cit.

90

Wassim, op. cit.

91

Mohamed Amine, 21 ans, né en France dans une famille immigrée algérienne, étudiant en sciences physiques, entretien avec les auteurs, Marseille, juin 2019.

92

Noth and Ehlert, “Muḥammad” ; Tolan, Saracen.

93

Geisser and Nouiouar, “La violence terroriste au nom du prophète”.

94

Outre l’enquête du programme « Prophet », nous avons aussi réalisé une grande enquête sur les musulmans de France face au terrorisme, dont les résultats ont été publiés dans un ouvrage paru en 2017 aux éditions de L’Atelier. Cf. bibliographie générale.

95

Fatiha, 28 ans, née en France, fille d’immigrés marocains, sans profession, entretien avec les auteurs, Perpignan, juillet 2018.

96

Truc, Sidérations.

97

Geisser et al., Musulmans de France, 26.

98

Soumeya, op. cit.

99

Abderrahmane, op. cit.

100

Klausen, The Cartoons That Shook the World.

101

Eide, “Lectures en contrepoint” ; Favret-Saada, Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins ; Gonzalez and Kaufman, “La caricature sans blasphème ?”.

102

Geisser et al., Musulmans de France.

103

Andzima, op. cit.

104

Cet enquêté anonyme ne justifie pas la violence terroriste en tant que telle mais reproche au journal Charlie Hebdo d’avoir persisté à publier des caricatures du Prophète. C’est une position marginale parmi les jeunes musulmans interrogés.

105

Soumeya, op. cit.

106

Idriss, op. cit.

107

Geisser et al., Musulmans de France ; Geisser and Nouiouar, “La violence terroriste au nom du prophète”.

108

Sabrina, 18 ans, étudiante, entretien avec les auteurs, août 2016.

109

Ahmed Merabet, policier tué le 7 janvier 2015 par les frères Kouachi, lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. De nombreux jeunes musulmans français ont préféré mettre sur leur page Facebook « Je suis Ahmed » plutôt que « Je suis Charlie ».

110

Willaime, “Les attitudes des jeunes à l’égard de la religion en France”.

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