Résumé
Tamdûlt est une ville du Maroc présaharien médiéval qui était un endroit de forte activité commerciale et industrielle grâce à la richesse de son sous-sol et de sa situation sur l’une des voies commerciales reliant le Maroc avec l’Afrique sub-saharienne entre le IXe et le XIVe siècle. Ainsi, la frappe monétaire était l’un des piliers de son développement industriel durant l’époque médiévale. Cette ville comporte des vestiges archéologiques (scories, combustible nécessaire à la réduction du minerai, pièces de monnaie) qui ont un intérêt scientifique exceptionnel. Cependant, les recherches archéologiques menées depuis les années soixante-dix, ne présentent pas de données plus précises sur l’activité minière et métallurgique. Les vestiges de cette dernière reflètent qu’ils sont basés sur l’extraction de cuivre. Nos prospections et interprétations de terrain ont révélé l’existence de scories argentifères (en liaison avec des sites miniers d’extraction de minerais). Cette découverte apporte des données nouvelles et offrent une autre dimension au site, puisqu’en effet, l’argent serait lié à la frappe monétaire aux périodes médiévales. Ces données vont contribuer à préciser et à valoriser, d’avantage, l’histoire minière et métallurgique de cette ville et l’attribuer à son environnement minier régional.
1 Introduction
La succession de différentes dynasties a fait du Maroc un carrefour de civilisations. Depuis les dynasties Amazighs, la période romaine et la période médiévale qui a connu le règne des dynasties musulmanes dont les principales sont les dynasties des Idrissides, les Almoravides, les Almohades, les mérinides et la dynastie Alaouite. La période médiévale a connu un développement démographique, économique et industriel important et le Maroc fut un espace d’échanges économiques et industriels avec les pays de l’Afrique saharienne, subsaharienne et de l’Europe (Fomin 1990). Les travaux d’El Ajlaoui (2008, 2011, 2012) montrent que le Maroc présaharien médiéval était un centre caravanier incontournable. De nombreuses villes, en particulier Sijilmâsa, Nul Lamta et Tamdûlt, étaient des lieux d’échanges commerciaux avec l’autre rive du Sahara. L’activité aurait été basée sur la frappe monétaire, l’exploitation minière et traitements métallurgiques associés. L’existence de mines anciennes à côté de ces villes, la présence d’haldes et la découverte de nombreux outils et vestiges archéologiques (creusets de fusion, poterie, pièces de monnaie) constituent des témoins de cette activité. L’argent et le cuivre sont les principaux métaux utilisés pour la fabrication des pièces de monnaies et des bijoux, mais très peu de travaux se sont intéressés aux sources de métaux, disponibles sur le terrain, afin de rattacher chaque ville médiévale à un centre d’extraction de la matière première minérale. Récemment, Milot et al. (2018), Baron et al. (2020) et Fauvelle et al. (2021) ont mis en évidence les liens entre la ville de Sijilmâsa et les districts miniers environnant : Tafilalet et Imiter.
Localisation des principales mines de plomb sur la carte géologique simplifiée de la zone nord du Maroc. (1) Jebel Addana; (2) Jebel Aouam. (3) Bou Madine. (4) Imiter. (5) Zgounder. (6) Bou Maiz. (7) Gaouz. (8) Mfis. (9) Tadaout. Modifiée par Baron et al. (2020), d’après de Frizon de Lamotte et al. (2004).
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Située dans l’avant pays sud de la chaîne de l’Anti-Atlas marocain (Fig. 1), Tamdûlt est une ville médiévale, dont l’histoire métallurgique et archéologique a été très peu étudiée (Rosenberger 1970a, b, 2017 ; Cressier 2004). La présente étude a pour objectif d’essayer d’apporter des éléments qui pourraient contribuer à documenter, par l’approche naturaliste et géologique, l’histoire métallurgique et archéologique médiévale de cette ville.
2 Contexte Géographique et Historique
Située à environ 60 km au sud-ouest de la ville de Tata (Fig. 1), la cité de Tamdûlt est considérée comme le dernier point habité du Maroc présaharien avant la traversée de la zone désertique, sur la route occidentale qui relie le Maroc aux premiers foyers humains sur l’autre rive du Sahara (Rosenberger 1970a : 105) (Fig. 2).
Localisation de la ville de Tamdûlt sur la carte des routes commerciales transsahariennes.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
https://www.wikiwand.com/fr/sijilmassaSa fondation remonterait à la dynastie des Idrissides entre le VIIIe et le Xe siècle (Rosenberger 1970a : 105 ; Cressier 2004 ; McDougall & Scheele 2012 : 216). Elle occupait une place importante sur les voies commerciales du Maroc médiéval, et elle était considérée comme l’un des espaces à forte densité de peuplement durant cette période. Grâce à sa situation, sur le prolongement de la ville médiévale de Sijilmâsa sur l’axe géographique des activités d’échanges commerciales transsahariennes, la ville de Tamdûlt tient une place incontournable entre les groupements qui constituent les grands centres d’exploitations minières et métallurgiques du Maroc présaharien, et qui sont concentrés autour des autres villes anciennes comme Akka, Nul Lamta, Taroudant, etc. (Fig. 3). Sur la base des données issues des sources écrites, le géographe Al-Yaqûbî a rapporté vers la fin du IXe siècle l’existence de l’argent aux environs de Tamdûlt. El Ajlaoui (2011 : 50) beaucoup plus récemment, a mentionné que le groupe minier de Tamdûlt (Fig. 3) aurait connu des exportations de cuivre vers deux villes : Tamdûlt et Nul Lamta. Ainsi, pour le même auteur, entre le VIIIe et le XIVe siècle, l’espace géographique occupé par ces deux villes et ses groupes miniers a joué un rôle essentiel dans le commerce transsaharien avec l’Afrique soudanaise.
3 Contexte Géologique et Minier : L’Anticlinorium de Jbel Addana et les Minéralisations Associées
Le secteur de Addana est décrit comme un anticlinorium d’environ 40 km de longueur suivant la direction nord-est sud-ouest. Il est limité au sud-ouest par l’anticlinal d’Adrar Zouggar, et bordé au nord-est par ses deux satellites, Jbel Gueliz et Jbel Tachlift (Fig. 4). Les travaux de Saadi (1969) et Desthieux (1977) représentent les seules études réalisées dans cet endroit. Il est dominé par des terrains d’âge Ordovicien supérieur (Caradoc & Ashgill) qui caractérisent la couverture paléozoïque de la chaîne Anti-Atlasique, lesquels sont représentés par les Formations de Ktaoua, Rouid-Aïssa et Deuxième Bani (Fig. 4). Ces dernières et particulièrement la Formation de Rouid-Aïssa, renferment plusieurs zones minéralisées, dont les structures sont sous forme de filons présentant deux directions différentes (N25°E à N30°E et N120°E à N135°E) avec un pendage subvertical et une épaisseur généralement entre 2-15 cm (cas observés) (Fig. 5a-b). Ces structures présentent une extension de 100-300 m avec une épaisseur variable tout au long des filons. L’exploitation de ces filons aurait commencé dès la fin du IXe siècle et peut être antérieurement (Rosenberger 1970a : 111), elle a été faite par tranchées alignées à succession de puits de section rectangulaire, dont les ouvertures ne dépassent pas généralement 1 m (Fig. 5c).
Carte des groupes miniers du Maroc présaharien.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Modifiee D’Apres el Ajlaoui (2011)Carte géologique des terrains Ordovicien de la dorsale Addana-Zouggar et des minéralisations de Addana.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Reprise en Couleur et Modifiee D’Apres Desthieux (1977)(a-b) Puissance des structures minéralisées. (c) Tranchée à succession de puits d’exploitation ancienne.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
4 Vestiges Archéologiques
Comme de nombreuses villes du Maroc présaharien médiéval, la ville de Tamdûlt est très riche en vestiges archéologiques divers, reflétant son poids commercial, industriel et métallurgique. Ils sont généralement dispersés à l’est ou au nord-ouest de la ville (Fig. 6). Ces vestiges sont rarement étudiés et relativement bien préservés en comparaison avec d’autres sites comme celui d’Imiter (Fig. 3) qui a été perturbé à cause de la reprise des activités minières modernes au milieu du XXe siècle (Milot et al. 2018 ; Baron et al. 2020 ; Fauvelle et al. 2021 : 3). Dans cette partie nous allons présenter une description des structures et des vestiges de production métallurgique (minerais, scories, pièces de monnaies, objets, charbons). Ces matériaux et essentiellement les minerais, feront l’objet d’une analyse minéralogique et isotopique future, dont l’objectif sera de déceler d’éventuelles relations entre ces vestiges et les exploitations anciennes des sites miniers du massif d’Addana.
4.1 Structures
Le principal édifice le mieux préservé est une butte d’environ 600 m de longueur et 200 m de largeur (Fig. 6), qui est couronnée par un mausolée. Les constructions sont presque complètement détruites, et on y reconnait seulement des parties de l’enceinte principale, quoique leur base est masquée par des amoncellements de sable. Elle est constituée d’un mur en brique crue entouré de parements en pierres de schiste (Fig. 7).
Carte de distribution des sites à scories autour de Tamdûlt.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Vestiges de l’enceinte principale.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Une description détaillée du site a été faite par Rosenberger (1970a : 112-116). À l’intérieur de l’enceinte et aux alentours de la ville, sur un rayon d’environ 1 km, le sol est jonché de scories noires et de fragments de céramiques grossiers.
4.2 Céramique
La céramique est très morcelée, très abondante, sous formes diverses dont la couleur va du brun foncé à l’ocre clair. Ces objets sont représentés soit par des tessons à pâte fine, couverts parfois par une glaçure verte (Fig. 8a), soit par des creusets relativement épais et de forme arrondie à fond plat teinté par des traces de malachite (Fig. 8b). Ce dernier caractère explique que ces creusets semblent avoir été utilisés pour des exigences métallurgiques. Ces matériaux sont tous non datés par l’archéologie.
(a) Fragments de céramique. (b) Fragments de creusets refermant des traces de malachite.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
4.3 Scories et Minerais
Les scories sont répandues pratiquement sur la totalité du territoire de la ville et sa périphérie, mais elles sont très concentrées dans sa partie est (Fig. 6), on y voit des amoncellements d’environ 2 m de hauteur (Fig. 9a). De point de vue macroscopique, ces scories sont généralement de couleur noire à grise foncée, leur aspect est essentiellement vitreux et/ou poreux (Fig. 9b, d), avec souvent des traces de malachite, qu’on retrouve parfois sous forme de fragments centimétriques isolés (Fig. 9c). En cassant certains échantillons, on voit des fins morceaux du cuivre métal. Toujours du côté est de la ville, nous avons également pu identifier un échantillon qui représente une scorie poreuse à malachite, associée à un fragment de revêtement interne d’un four fabriqué en matériau argilo-arénacé (Fig. 9d).
(a) Vue d’ensemble des haldes. (b) Scories vitreuses à fragments de malachite. (c) Fragment de malachite. (d) Fragment de parois de four. (e–f) Scorie argentifère avant et après nettoyage.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Rosenberger (1970a : 107-108) et El Ajlaoui (2011 : 74) ont signalé l’existence d’un district argentifère au sud-est de Tamdûlt (district de Jbel Addana) (Fig. 3), dont la paragenèse minérale primaire est représentée principalement par la galène argentifère (Desthieux 1977). Concernant l’histoire minière de Tamdûlt, pour Rosenberger (1970a : 115), elle est basée essentiellement sur la métallurgie du cuivre. Ceci se traduit par l’abondance de scories qui sont souvent associées à des fragments de malachite. Néanmoins, durant nos prospections de terrain, les traces d’une métallurgie de l’argent ont été aperçu dans une zone située au nord-ouest de la ville (Fig. 6). Nous avons pu reconnaitre quelques échantillons de scories qui portent des traces d’argent sous forme de coulures ductiles de taille centimétrique (Fig. 9e, f). Les scories sont moins abondantes par rapport à l’est (Fig. 6), mais, on note l’existence d’autres matériaux reflétant le niveau d’activité artisanal et commercial de Tamdûlt. En effet, dans cette partie nous avons pu récolter :
Des échantillons de minerai de plomb (galène) associés à une gangue quartzeuse (Fig. 10a) présentant un aspect macroscopique très semblable à celui de la galène du district de Jbel Addana (Fig. 11) ;
Deux pièces de monnaie de forme carrée, mince et en état oxydé. Un nettoyage soigneux a permis de faire apparaître des écritures suivantes, au droit : « La ilaha illa Llah-Al amru kulluho lillah-la quwata illa billah » (En français : Il n’y a pas d’autre seigneur que Dieu. Le commandement est à Dieu. Il n’y a pas d’autre pouvoir sauf par Dieu), en revers : « Allahu rabbuna, Muhammad rasuluna-el mahdi imamuna » (En français : Dieu est notre seigneur. Mohammed est notre prophète. Al-Mahdi est notre imam) (Fig. 10b-c). C’est grâce à cette formule qu’on a pu rattacher ces pièces à la dynastie Almohade ;
Un creuset à base de céramique, sous forme d’une plaque de quelques centimètres carrés, épaisse d’environ 1,5 cm avec une surface alvéolée (Fig. 10d), ce type de creuset a été également identifié par El Ajlaoui (2008 : 53) dans le site d’Imiter. Selon cet auteur, et d’après les analyses par fluorescence aux rayons X qu’il a effectuées, cet objet aurait été utilisé pour couler des préformes monétaires. Cependant, pour Tamdûlt, on doit rester prudent dans la mesure où l’on ne dispose pas de données analytiques qui nous permettraient de préciser l’usage de ce type de creusets ;
Un fragment de meule à surface convexe et à fond plat qui porte des traces d’abrasion (Fig. 10e). Cette meule est fabriquée en phonolite, qu’est une roche volcanique à structure microlitique et de couleur grise à verdâtre, constituée essentiellement de feldspaths (série sanidine-anorthose) et de feldspathoïdes (néphéline). Des meules de même nature ont été identifiées dans les sites de Sijilmâsa et d’Imiter (Fauvelle et al. 2021 : 13-14). D’après El Ajlaoui (2008 : 51), les objets phonolitiques ont été utilisés particulièrement par les anciens mineurs de Zgounder comme outils de broyage. Il semblerait donc que cette phonolite ait été utilisée à une très grande échelle. L’absence de massifs de phonolite aux environs de Tamdûlt, nous amène à penser que les deux contextes phonolitiques de Jbel Siroua et de Jbel Saghro, situés dans la chaîne de l’Anti-Atlas marocain, peuvent être l’origine de cette roche. Cependant, une étude pétro-géochimique détaillée pourra contribuer à la compréhension, d’une part, de la circulation de cette matière entre les sites de Sijilmâsa, de Zgounder et de Tamdûlt, et d’autre part, le lien génétique avec les deux contextes de Jbel Siroua et Jbel Saghro.
5 Discussion
La diversité et la richesse de la cité de Tamdûlt en éléments archéologiques, notamment liés à la métallurgie ancienne, permettent de souligner le rôle et la place de cette ville. Au cours de nos missions à Tamdûlt et à Jbel Addana, nous avons récolté un certain nombre d’échantillons de scories, de creusets et de minerais, qui vont nous permettre de mettre en lumière une partie de l’histoire métallurgique de cette ville.
5.1 Les Données Anciennes
Le repérage des zones de traitement et de transformation de minerais nécessite un travail archéologique poussé avec des moyens humains et financiers, car la totalité des constructions a été presque complètement détruite. Selon les textes et les traditions orales, la ville aurait été détruite à cause de conflits entre les habitants. D’après Rosenberger (1970a : 128), cette destruction serait attribuée à un personnage ayant eu son existence historique au XIV-XVe siècles. Cependant, les connaissances disponibles actuellement sont insuffisantes pour repérer les zones de traitements et de transformations métallurgiques et pour préciser d’avantage la date exacte de la destruction de cette ville.
Malgré des textes et des traditions orales qui évoquent la destruction de Tamdûlt vers le XIV-XVe siècle, l’activité minière (Fig. 3) ne semble pas s’être arrêtée. El Ajlaoui (2012 : 21) a mentionné que le groupe minier de Tamdûlt était encore en activité entre le XVIe et le XIXe siècle (essentiellement pour l’exploitation de cuivre). Cette activité, pourrait être liée au fait qu’à partir du XVIe siècle, les Européens ont commencé à s’intéresser à l’importation des métaux du Maroc, principalement le cuivre. Le même auteur (2012 : 28) a également signalé que les exploitations de Jbel Addana ont fonctionné jusqu’au début du XXe siècle. Selon lui, ce district est parmi les mines du Maroc présaharien qui ont joué un rôle vital dans l’approvisionnement des ateliers monétaires marocains, surtout au XIXe siècle.
Les scories de Tamdûlt reflètent que son activité métallurgique est basée sur le traitement des minerais cuprifères (Cressier 2004), la source de ces derniers restant encore débattue. Odette du Puigaudeau (1954) a signalé que les Kounta, qui ont joué un rôle considérable dans le commerce caravanier transsaharien au XVI-XVIIe siècles, ont exploité des mines de cuivre à Jbel Addana. Cela semble être contredit par Saadi (1969) qui a effectué des observations microscopiques à la fois sur des minerais de Jbel Addana et sur des scories de Tamdûlt, il trouve de la chalcosine dans ces scories alors qu’elle est absente au niveau des minerais récoltés à Jbel Addana. Selon le même auteur ainsi que pour El Ajlaoui (2011 : 55), la source des minerais cuprifères serait peut-être les gîtes cuprifères situés à l’est de la boutonnière de Tagragra d’Akka comme Mouanas et Istiouanas, etc. (Fig. 3). Pour notre part, nous avons repéré quelques endroits à indices cuprifères dans le district de Jbel Addana, principalement dans la région du Plateau Central (Fig. 4) dont nous avons récolté des échantillons pour les observer et les analyser.
5.2 L’apport de nos prospections de terrain
En se basant sur les observations de terrain, la ville de Tamdûlt est caractérisée par l’existence de deux aires de répartition de scories, l’une à l’est pour les scories cuprifères et l’autre au nord-ouest pour les produits de la métallurgie de l’argent (Fig. 6). La présence de deux types de scories différentes par la nature du métal extrait, pourrait correspondre à deux phases d’activité métallurgique temporellement diachroniques ou non. En l’absence de datations radiochronologiques, cette hypothèse peut-être affirmer avec prudence sur la base de quelques sources bibliographiques. Il semble que Tamdûlt a existait avant l’arrivée des Idrissides, car elle fut un passage inévitable du commerce de l’or pour les Phéniciens (Carcopino 1943 : 73), en outre, Handaine (2008 : 36) a cité l’existence de certains établissements juifs datant de l’Antiquité au sud du Maroc. Ainsi, il est possible que l’activité commerciale et métallurgique ait commencé depuis l’époque antique. Le traitement du cuivre pourrait remonter à des périodes bien plus anciennes que l’époque médiévale, vu que plus au sud, ce métal a été connu au nord de la Mauritanie peu après 4500 cal BP, avec des traces importantes de la métallurgie marocaine (Vernet 2014 : 212), il est donc probable que Tamdûlt ait joué un rôle majeur dans la commercialisation du cuivre avec la Mauritanie, du fait qu’elle était le dernier endroit peuplé sur la route occidentale reliant le Maroc aux premiers foyers humains du sud (Fig. 2).
La majorité des travaux antérieurs ont évoqué l’absence de scories argentifères au niveau de territoire de Tamdûlt, c’est pourquoi, très peu d’attention a été consacrée à la présence de traces de la métallurgie de l’argent. À l’origine de nos récoltes, nous ne disposons que de peu d’éléments de réflexion permettant de développer l’histoire de cette activité industrielle dans cet endroit. Des travaux récents (Milot et al. 2018; Fauvelle et al. 2021) ont fait l’objet de l’histoire de traitement de l’argent dans le site d’Imiter, nous avons pu constater la présence d’objets analogues et de même nature (creusets et meules en phonolite) aussi bien à Imiter qu’à Tamdûlt, ce qui permet de disposer d’éléments de comparaison. Des datations radiocarbone faites sur des dépôts postérieurs à la dernière utilisation de deux anciennes cuves de traitement dans la mine d’Imiter, ont livré des âges entre le IIe siècle cal BC et le Ier siècle cal AD (Fauvelle et al. 2021). Ces résultats ont signalé pour la première fois une exploitation antique de l’argent au sud du Maroc. À ce regard, avec l’existence du matériel identique à la fois dans les deux sites, la datation de l’activité métallurgique de Tamdûlt constitue un élément incontournable pour désigner le début de l’activité minière et métallurgique dans les régions méridionales du Maroc.
5.3 Jbel Addana : centre d’approvisionnement de Tamdûlt en matière première minérale?
Depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours, plusieurs auteurs ont mentionné que Tamdûlt était une cité de l’argent. Al-Yaqûbî vers la fin du IXe siècle, est le premier à avoir signalé l’existence de l’argent dans les environs de cette ville (Wiet 1937). Au milieu du XIe siècle, Al-bakrî, dans une notice consacrée à Tamdûlt, a écrit que le site était une place forte dominée par une montagne, dans laquelle se situe une mine très riche en minerai d’argent (de Slane 1913 : 308). El Watwât a à son tour, au début du XIVe siècle, évoqué l’existence d’une mine d’argent à dix milles de Tamdûlt (Fagnan 1924 : 47). Justinard (1933 : 81) et Monteil (1946), ont également signalé que cette ville avait été une cité de l’argent. Rosenberger (2017 : 148) rapporte que selon les anciens écrits le métal d’argent a été utilisé en grande partie pour des besoins monétaires des pouvoirs qui se sont succédé depuis le IXe jusqu’au-delà du XVe siècle. D’après le même auteur (1970a, b, 2017 : 154) et El Ajlaoui (2008 : 54, 2012 : 15), le centre d’approvisionnement de la ville de Tamdûlt en minerai argentifère était le district de Jbel Addana, situé à 12 km au sud-est de cette ville.
De point de vue macroscopique, la minéralisation est représentée principalement par la galène argentifère avec des teneurs de l’ordre de 416 g/t et 571g/t, d’après des analyses du laboratoire chimie de la division de la géologie à Rabat (service d’études des gîtes minéraux du Maroc), effectuées sur des échantillons respectivement de Bou-Oudadène et de Taladant (Fig. 4) (Desthieux 1977). La gangue est essentiellement quartzo-ferrifère associée à la goethite (Fig. 11). L’abondance de la malachite dans les scories de Tamdûlt est due à l’oxydation de minerais cuprifères, ces derniers sont presque absents à Jbel Addana, où on ne détecte que quelques traces d’oxydation (malachite) dans certains points du Plateau Central (Fig. 4, 11).
(a) Aspect macroscopique du minerai plombifère identifié à Tamdûlt. (b-c) Pièces de monnaie avant et après nettoyage. (d) Creuset alvéolaire. (e) Fragment de meule en phonolite.
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
(a-c) Aspect macroscopique des minéralisations de Jbel Addana (Gn : Galène ; Gt : Goethite ; Mlc : Malachite ; Qz : Quartz).
Citation: Journal of African Archaeology 21, 2 (2023) ; 10.1163/21915784-bja10031
Malgré que le début de l’exploitation artisanale aux environs de Tamdûlt reste imprécis, il semble remonter au IXe siècle et probablement bien avant. Selon Rosenberger (1970a : 111), elle avait sûrement commencé dès le IXe siècle. Al-Yaqûbî à la fin du même siècle a déjà rencontré des travaux d’exploitation importante qui lui semblaient antérieurs (Handaine, 2008 : 43). Au regard du manque de datation de ces travaux, la méthode utilisée pour exploiter les filons minéralisés est très similaire à celle employée dans les exploitations médiévales de la mine d’Imiter (Fauvelle et al. 2021).
Il est difficile d’après les textes et les traditions de préciser la nature de la relation entre Tamdûlt et le district de Jbel Addana, ainsi que l’âge de l’activité métallurgique. Pour répondre à cette problématique, des analyses minéralogiques et un traçage isotopique sur les échantillons récoltés sont nécessaires afin d’obtenir des signatures isotopiques qui vont préciser le lien entre les deux sites, et de dater l’activité métallurgique à travers les échantillons de charbon.
6 Conclusion
La cité de Tamdûlt, malgré sa position stratégique sur les voies du commerce transsaharien, la richesse de son sous-sol, l’abondance de vestiges archéologiques qui témoignent d’un passé riche et dynamique attesté par les sources écrites, reste une zone trop peu étudiée aussi bien du côté archéologique que géologique, et en particulier, métallogénique. Cette étude, quoi que préliminaire, pose plus de questions qui méritent une réflexion globale et intégrée.
La richesse minière du sous-sol du massif de Jbel Addana a certainement contribué à l’essor de cette ville qui se trouve être la dernière étape pour le repos et l’approvisionnement des caravanes avant la grande traversée du désert. À l’instar de Sijilmâsa et son environnement minier (Baron et al. 2020 ; Fauvelle et al. 2021), la ville de Tamdûlt a fort probablement pu valoriser / exploiter sa richesse minière située à Jbel Addana, où le plomb, l’argent et le cuivre ont été extraits et traités sur place. C’est une hypothèse qu’il faut assurément vérifier pour établir des connections, s’ils en existent, entre les mines de Jbel Addana, et même au-delà, et les centres métallurgiques de la ville de Tamdûlt. Les similitudes entre le secteur de Sijilmâsa et le district de Tafilalet (Baron et al. 2020) avec Tamdûlt et le district de Jbel Addana (point focal dans les voies du commerce transsaharien, présence de meules en phonolite, exploitation de filons de galène argentifère) laisserait supposer que l’activité minière daterait de la même période pour les deux régions, soit du VIII-Xe siècle.
En effet, les trouvailles (scories, pièces de monnaie, minerai de plomb, charbon) sont précieuses vu qu’elles permettent la mise en évidence du lien entre les mines de Jbel Addana et les centres métallurgiques de Tamdûlt, et qu’elles permettent de mieux connaître la période où cette ville était considérée comme un centre métallurgique incontournable dans les activités artisanales et commerciales du Maroc présaharien médiéval, ou plus ancien.
Remerciements
Cet article de recherche a été réalisé dans le cadre de la thèse de doctorat du premier auteur. Nous tenons à remercier madame Sandrine Baron (Laboratoire des Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, Université de Toulouse Jean-Jaurès, France) pour les conseils et les remarques pertinentes. Nos sincères remerciements vont également aux Forces Armées Royales de la région d’Akka, pour nous avoir autorisé l’accès à Jbel Addana, et de nous avoir accompagné durant nos missions de terrain. Nous exprimons également notre gratitude à monsieur El abbasi Laarbi pour l’accueil et l’accompagnement lors de nos travaux de terrain dans la cité de Tamdûlt.
Bibliographie
Baron, S., Souhassou, M. & Fauvelle, F.-X. 2020. Medieval Silver Production around Sijilmâsa, Morocco. Archaeometry 62 (3), 593-611.
Carcopino, J. 1943. Le Maroc antique : la suite des temps. Gallimard, Paris.
Cressier, P. 2004. Du sud au nord du Sahara: la question de Tāmdult. In: Bazzana, A. & Bocoum, H. (eds.), Du nord au sud du Sahara. Cinquante ans d’archéologie française en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. Bilan et perspectives. Sépia, Paris, pp. 275-284.
Desthieux, F. 1977. Etude tectonique et métallogénique du Jbel Addana, Ordovicien des plaines du Dra, Maroc présaharien. Notes et Mémoires du Service Géologique du Maroc 268 (38), 209-236.
Du Puigaudeau, O. 1954. La Piste : Maroc-Sénégal. Librairie Plon, Paris.
El Ajlaoui, M. 2008. Maroc pré-saharien. Techniques d’exploitation minière et métallurgique dans les mines d’argent, de cuivre et de plomb. In: Canto García, A. & Cressier, P. (eds.), Minas y metallurgia en al-Andalus y Magreb occidental, Explotacion y poblamiento. Collection de la Casa de Velázquez Volume 102. Casa de Velázquez, Madrid, pp. 37-55.
El Ajlaoui, E.M. 2011. Histoire Minière Et Métallurgique Du Maroc Présaharien. In: Douchaïna-Ouammou, R. & Diouri, A. (eds.), Sur les pistes du Présahara. EESP, Rabat, pp. 47-83.
El Ajlaoui, E.M. 2012. Les mines du Maroc présaharien dans les textes arabes et européens : XVIème-XIXème siècles. In: Kenbib, M. & El Adnani, J. (eds.), Entre le local et le global : l’écriture de l’histoire sociale. Université Mohammed V Agdal, Rabat, pp. 15-29.
Fagnan, E. 1924. Extraits Inédits Relatifs au Maghreb (Géographie et Histoire). Ancienne Maison Rastide-Jourdan, Alger.
Fauvelle, F.-X., Robion-Brunner, C., Fabre, J.-M, Baron, S., Mensan, R. & Souhassou, M. 2021. Recherches archéologiques sur les mines et la métallurgie de l’argent à Imiter (Maroc). Journal of African Archaeology 19 (1), 90-113.
Fomin, A. 1990. Silver of the Maghrib and Gold from Ghana at the End of the VIII-IXth Centuries A.D. In: Jonsson, K. & Malmer, B. (eds.), Sigtuna Papers: Proceedings of the Sigtuna Symposium on Viking-Age Coinage, 1-4 June 1989. Regesta Imperii, Stockholm, pp. 69-75.
Frizon de Lamotte, D., Crespo-Blanc, A., Saint-Bezar, B., Comas, M., Fernadez, M., Zeyen, H., Ayarza, H., Robert-Charrue, C., Chalouan, A., Zizi, M., Teixell, A., Arboleya, M.L., Alvarez-Lobato, F., Julivert, M. & Michard, A. 2004. Transmed-transect I (Betics, Alboran Sea, Rif, Moroccan Meseta, High Atlas, Jbel Saghro, Tindouf basin). In: Cavazza, W., Roure, F., Spakman, W., Stampfli, G.M. & Ziegler, P.A., The Transmed Atlas. The Mediterranean Region from Crust to Mantle: Geological and Geophysical Framework of the Mediterranean and the Surrounding Areas. Springer, Berlin, pp. 91-96.
Justinard, L. 1933. Notes sur l’histoire du Sous au XVIe siècle. I – Sidi Ahmed ou Moussa. II – Carnet d’un lieutenant d’Al Mansour. Archives Marocaines, 29. Honoré Champion, Paris.
Handaine, M. 2008. Tamedoult: Histoire d’un carrefour de la civilisation maroco-touarègue. Editions & Impressions Bouregreg, Rabat.
McDougall, J. & Scheele, J. (eds.). 2012. Saharan Frontiers: Space and Mobility in Northwest Africa. Indiana University Press, Bloomington.
Milot, J., Baron, S. & Poitrasson, F. 2018. Potential Use of Fe isotopes for Ancient Non-Ferrous Metals Tracing through the Example of a Lead-Silver Production Site (Imiter Mine, Anti-Atlas, Morocco). Journal of Archaeological Science 98, 22-33.
Monteil, V. 1946. Choses et gens du Bani. Hespéris-Tamuda 3-4, 385-405.
Rosenberger, B. 1970a. Tamdult, cité minière et caravanière présaharienne IX-XIVe siècles. Hespéris-Tamuda 11, 103-139.
Rosenberger, B. 1970b. Les vieilles exploitations minières et les centres métallurgiques du Maroc ; essai de carte historique (Partie I). Revue de Géographie Du Maroc 17, 71-107.
Rosenberger, B. 2017. Activités humaines et milieu naturel au Maroc (Approche historique). Hespéris-Tamuda 52 (1), 143-162.
Saadi, M. 1969. Possibilités minières et hydrogéologiques de la région d’Akka et rôle historique de Tamdûlt. Mines et Géologie Rabat 30, 19-39.
de Slane, M.G. 1913. Description de l’Afrique septentrionale par El Bekri. Typographie Adolphe Jourdan, Alger.
Vernet, R. 2014. Les marges préhistoriques du nord-est de la Mauritanie : le Tiris et le Zemmour. Cahiers de l’AARS 17, 185-223.
Wiet, G. 1937. Yakubi, Les pays. Institut français d’archéologie orientale, Caire.