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Présentation du prix Patterson / Presentation of the Patterson Prize

In: Simone de Beauvoir Studies
Author:
Claudia Bouliane Université d’Ottawa Ottawa, QC Canada

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https://orcid.org/0009-0001-8101-0897
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La présentation de ce numéro souligne le rôle de pionnière que Simone de Beauvoir a joué dans plusieurs contextes : ses idées ont contribué à l’avancement de l’éthique, du féminisme et de la phénoménologie, pour ne nommer que trois domaines de connaissance où son influence est jugée majeure, et la place même de cheffe de file qu’elle s’est taillée dans les disciplines qu’elle a investies, de la littérature à la politique en passant par la philosophie, distingue sa destinée. Beauvoir fait dans chacune d’entre elles « figure d’exception », selon l’expression consacrée, et encore davantage lorsqu’on cumule ces occurrences. C’est le point de départ de l’article « L’engagement au féminin : Beauvoir parmi les écrivaines de sa génération », lauréat du prix Patterson 2024, dans lequel Aya Nakamura considère en particulier le binôme composé de deux des fonctions hors du commun de Beauvoir : « écrivaine engagée », au féminin. Cette formule devenue figée qu’on utilise volontiers pour la désigner peut nous faire oublier à quel point cette double posture était extraordinaire à son époque, où la présence des femmes dans l’espace public, et à plus forte raison leur prise de parole, en choquait ou en gênait encore plus d’un.

Beauvoir n’était toutefois pas la seule femme à écrire des livres et à se préoccuper du sort du monde au point de vouloir participer activement aux débats et aux actions pour défendre des causes qui lui tenaient à cœur. Nakamura s’est livrée à l’exercice nécessaire de situer sa trajectoire en regard de celles d’autres autrices de son époque qui ont choisi l’engagement. Son travail minutieux de sociologie de la littérature et d’études de genre retrace en parallèle le parcours d’avènement à l’écriture et d’engagement politique de cinq contemporaines de Beauvoir, dont certaines sont moins connues aujourd’hui : Elsa Triolet, Édith Thomas, Dominique Aury, Violette Leduc et Françoise Sagan ; en parallèle, en effet, parce que, pour ces femmes, ces deux lignes ne doivent pas se croiser sous peine d’interrompre l’une, si ce n’est de les faire stopper toutes deux. Obtenir une légitimité littéraire est chose suffisamment rare pour une écrivaine, et celles qui peuvent s’en targuer ne devraient pas ambitionner de faire résonner leur parole hors de ce pré carré. D’entrée de jeu, il ressort de cet article un constat dont on entend encore des variations de nos jours : les femmes ne peuvent pas tout avoir. Pourtant, et c’est là que cela devient spécialement intéressant, comme le rappelle Nakamura, les littéraires sont sommés depuis l’entre-deux-guerres de s’engager politiquement, ce qui place les femmes, alors exclues de la politique, dans une position intenable.

La thèse que l’article défend est que le temps a en quelque sorte joué en faveur de Beauvoir : sa conversion politique se révèle plus progressive que celle de ses consœurs. En effet, son engagement politique n’a pris la forme de l’activisme qu’après avoir d’abord été essentiellement verbalisé dans ses essais philosophiques et œuvres littéraires. Autrement dit, elle s’est établie en tant qu’écrivaine et a acquis une reconnaissance à ce titre, ce qui l’a en quelque sorte autorisée à creuser la veine politique dans ses écrits, qui exerçaient déjà un ascendant sur la pensée de son époque, avant d’intégrer pleinement l’action politique lors de la guerre d’Algérie et au sein du Mouvement de libération des femmes (MLF). Son succès à concilier carrière littéraire et engagement politique s’expliquerait donc par ce décalage.

Cet article, qui adopte une perspective historique, est bien documenté et rigoureusement argumenté. Nakamura réussit à montrer de manière convaincante comment des écrivaines de la même génération que Beauvoir, ou venues immédiatement dans son sillage, ont été prises entre l’arbre et l’écorce. L’article décrit les différents choix d’engagement de cinq autrices en présentant avec respect leurs dilemmes. Il donne ainsi un aperçu fin et nuancé du contexte dans lequel Beauvoir a émergé comme écrivaine, puis comme figure politiquement engagée.

C’est parce qu’il propose des idées neuves et nous en apprend beaucoup sur les itinéraires des femmes de lettres à l’heure où la prise de position politique n’était plus considérée comme une option pour toute personne jouissant d’une tribune que « L’engagement au féminin : Beauvoir parmi les écrivaines de sa génération » remporte le prix Patterson 2024. Le comité de rédaction des Simone de Beauvoir Studies félicite chaleureusement Aya Nakamura pour son article remarquable qui participe à l’approfondissement des connaissances au sujet de la place qu’a occupée dans la société de son époque Simone de Beauvoir.

The introduction to this issue highlights the pioneering role that Simone de Beauvoir played in several contexts: her ideas contributed to the advancement of ethics, feminism, and phenomenology, to name just three fields of knowledge, and she carved out a space for herself as a leader in the disciplines in which she worked, from literature to politics to philosophy. Beauvoir is in each of them “an exceptional figure,” according to the consecrated expression, and even more so when we cumulate her accomplishments in these various domains. This is the starting point of Aya Nakamura’s article, “L’engagement au féminin: Beauvoir parmi les écrivaines de sa génération” (Feminine Engagement: Beauvoir among the Writers of Her Generation), the winner of the 2024 Patterson Prize, the feminist significance of Beauvoir’s embodiment of two extraordinary functions in one entity: ‘the engaged writer.’ Readily using this phrase to describe her can make us forget how extraordinary this dual position was in her time, when the presence of women in the public space, and even more so their speaking out, shocked or embarrassed many.

But Beauvoir was not the only woman of her time to write books and to worry about the fate of the world to the point of wanting to defend causes close to her heart by actively participating in debates and actions. Nakamura undertakes the necessary exercise of situating Beauvoir’s trajectory in relation to other authors of her time who chose to be similarly committed. Through meticulous work in the sociology of literature and gender studies, Nakamura traces in parallel the journey to writing and political commitment of five of Beauvoir’s contemporaries, some of whom are less well known today: Elsa Triolet, Édith Thomas, Dominique Aury, Violette Leduc, and Françoise Sagan. I say “in parallel,” indeed, because, for these women, the lines of writing and politics must not intersect under penalty of interrupting one or even stopping both. Obtaining literary legitimacy is a rare enough feat for a writer, and, some may say, those who attain it should not aspire to make their words resonate outside this sphere. From the outset, what emerges from this article is an observation that still resonates today: women cannot have everything. Nevertheless, and this is where it becomes especially interesting, as Nakamura reminds us, literary figures have been expected since the interwar period to engage politically, which placed interbellum women, then excluded from politics, in an untenable position.

The article defends the thesis that time has in some way worked in Beauvoir’s favor: her political conversion turns out to be more gradual than that of her female colleagues. Indeed, her political commitment only took the form of activism after it had been essentially verbalized in her philosophical essays and literary works. In other words, she established herself as a writer and gained recognition as such, allowing her to explore the political vein in her writings, which already had an influence on the thinking of her time, before fully integrating political action during the Algerian War and within the Women’s Liberation Movement (MLF). Her success in reconciling a literary career and political commitment can therefore be explained by this gap.

In this well-documented, rigorously argued, and historically minded article, Nakamura convincingly shows how women writers of the same generation as Beauvoir, or who came immediately in her wake, were faced an insoluble problem. The article describes the different choices of commitment made by five women authors while respectfully presenting their dilemmas. It thus provides a nuanced overview of the context in which Beauvoir emerged first as a writer, then as a politically engaged figure.

Because it proposes new ideas and teaches us much about the paths of women of letters at a time when not taking a political position was no longer an option for anyone with a platform, “Feminine Engagement: Beauvoir Among the Writers of Her Generation” wins the 2024 Patterson Prize. The editorial team of Simone de Beauvoir Studies warmly congratulates Aya Nakamura for her remarkable article, which contributes to the deepening of knowledge about the place that Simone de Beauvoir occupied in the society of her time.

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