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ʿAbd al-Qâdir al-Jazâʾirî et sa vision akbarienne du monde

In: Studia Islamica
Author:
Michel Lagarde Istituto de Studi Arabi e d’Islamistica Rome Italy

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À l’occasion de la célébration du second centenaire de la naissance de ʿAbd al-Qâdir al-Jazâʾirî (1223/1808-1300/1883), nous voudrions présenter la vision du monde dont il a hérité, en grande partie, de son maître Muḥyî al-Dîn Ibn ʿArabî (560/1165-638/1240). Il l’expose, en long et en large, dans la Halte 248 de son oeuvre mystique, Kitâb al-Mawâqif 1. Nous nous proposons, d’abord, d’esquisser à grands traits les lignes maîtresses de cette vision ; après quoi, nous essayerons de montrer les éléments principaux du dossier de sa filiation au cours de l’histoire des idées ; et, enfin, nous voudrions rendre compte de la légitimation de cette vision, en nous inspirant de la pensée de l’auteur et de celle de son maître.

1. Le monde entre la création et le retour

La Halte 248, qui constitue à elle seule un immense traité, n’a pas été rédigée d’un seul jet, si nous nous en tenons au témoignage de l’auteur : « . . . lorsque j’eus commencé cette Halte et que j’en eus écrit une partie, me parvint l’ordre divin de m’arrêter [. . .]. Alors, je m’arrêtai le temps d’environ deux ans, jusqu’à ce que vienne la permission divine de compléter cette Halte.’ (II, 580/137)2. Comme le suggère la citation coranique évoquée à cette occasion, l’auteur semble avoir éprouvé le besoin de compléter ses connaissances jugées insuffisantes pour rédiger un texte ardu qui s’étale sur trente quatre chapitres.

L’introduction et les trois premiers chapitres sont d’une grande importance et nous y reviendrons dans le dernier point. L’introduction pose le monde comme une immense parabole ou un symbole (mithâl) grandiose, tout à fait nécessaire à la connaissance de la Réalité ; le premier chapitre situe l’homme au centre de la correspondance (musâwât, nisba, muqâbala, istinâd) entre le créé et le Créateur, tout en prenant les précautions requises par la transcendance de ce dernier. Le deuxième énonce trente trois catégories de ces correspondances ; et, à la fin de ce chapitre et tout au long du troisième, l’auteur utilise les exemples du miroir (mirʾât) et de l’appareil photographique (al-âla al-shamsiyya al-musammât bi-fûtûghrâf ) pour faire comprendre au lecteur la correspondance qu’il y a analogiquement entre la réalité et l’image.

Arrivés à ce point, nous sommes prêts à voir défiler les trente et un chapitres où va se déployer la fantastique fresque qui part de l’Essence pour aboutir à l’homme, en passant par tous les éléments supérieurs et inférieurs de la création. En gros, le tout se situe à trois niveaux3 : celui de la réalité indéterminée, à savoir l’Unité de l’Essence absolument inconnaissable ; celui de la réalité déterminée, mais inexistante en dehors de la science divine ; et celui de la réalité déterminée qui entre dans l’existence contingente.

L’indétermination absolue

Le simple fait de signaler le premier niveau qui coïncide avec le premier degré de la réalité, à savoir l’Unité de l’Essence, c’est déjà trop en dire, car il équivaut pour nous au pur néant inaccessible et donc ineffable. Parler de l’Essence, c’est la nier à ce niveau, en tant que telle, par la détermination du langage.

La détermination inexistante

Avec le deuxième niveau de la réalité, nous entrons dans la détermination ; mais une détermination inexistante, puisqu’ elle ne sort pas de la science divine. Ce niveau s’étend du deuxième au cinquième degré ou de la première à la quatrième détermination universelle. Au deuxième degré, nous avons la première détermination (taʿayyun) qui ouvre sur la réalité globale, non-détaillée ; car ici, l’Essence divine n’a qu’un seul objet de connaissance, à savoir elle-même sans aucun point de vue. Au troisième degré, nous arrivons à la deuxième détermination où la science divine a pour objet la réalité détaillée, grâce à la spécification de l’Existence pure par rapport à la possibilité. Et c’est ici que se situe le premier accouplement métaphorique (nikâḥ) qui réside dans le face-à-face du divin primordial et essentiel et de la présence cosmique. Il en résulte l’engendrement de l’Existence connaissante ou ‘le souffle du Miséricordieux’. Au quatrième degré, a lieu la troisième détermination, celle des esprits, à savoir l’Intellect premier (al-ʿaql al-awwal) ou le Calame ; l’Âme universelle (al-nafs al-kulliyya) ou la Table bien gardée ; la Nature (al-ṭabîʿa) qui produira ensuite les quatre éléments (eau, air, feu, terre) basés sur les quatre piliers (chaud, froid, humide, sec) qui reposent, à leur tour, sur les quatre Noms (Vivant, Savant, Voulant, Locuteur) ; le Nuage d’atomes (al-halâʾ), à savoir la matière première ou la hylé ; le Corps universel (al-jism al-kullî) qui correspond au vide et à la sphère céleste globale ; et la Figure universelle (al-shakl al-kullî) qui porte en elle toutes les figures géométriques en puissance. C’est à ce degré qu’ont lieu le deuxième accouplement opéré dans l’univers des idées pour engendrer les esprits et le troisième accouplement où les esprits sont comme les mâles et la nature comme la femelle, le corps universel étant le lieu de cet accouplement et le Trône la réalité engendrée. Le cinquième degré de la réalité inexistante est le siège de la quatrième détermination, celle de l’univers exemplaire et imaginaire (al-ʿâlam al-mithâlî al-khiyâlî), autrement dit, des esprits angéliques et des idées.

La détermination existenciée

Arrivés à ce point, c’est-à-dire, au troisième niveau de la réalité, ce qui équivaut au sixième degré et à la cinquième détermination, celle des corps, la réalité déterminée sort de la pure science divine pour entrer dans l’existence contingente, spatiale et temporelle. Alors, s’opère le quatrième accouplement, celui des éléments entre eux pour engendrer toutes les réalités particulières. Dans l’ordre de production, nous avons les corps primordiaux, à savoir le Trône, le Siège, l’Escabeau, Atlas et la Sphère des étoiles fixes ; puis, les piliers de l’univers : la terre, l’eau, l’air et le feu ; ensuite, les sept cieux ; et, enfin, les quatre règnes des minéraux, des végétaux, des animaux et des djinns. Et tout à la fin, au septième degré et à la sixième détermination, apparaît l’homme qui est le microcosme récapitulatif de tout l’univers et le lieu par excellence de la manifestation divine (al-tajallî)4.

La descente et le retour

L’acte de la création divine est ici décrit comme une descente (nuzûl) : le schéma que nous venons de proposer est clair à ce sujet. Mais, l’auteur nous dit que ‘l’homme est une plante qui croît vers le haut et vers le bas’ ; en effet, ‘l’ensemble, en réalité, est toujours vertical. Car c’est là le mouvement naturel’ (II, 742/341-42). En tant que microcosme, l’homme résume donc en lui les deux sens de la verticalité de l’univers, à savoir la descente et la remontée ou le retour à l’origine (maʿâd). Et ‘qui connaît vraiment bien cette Halte [. . .] fait partie de ceux à qui la porte est ouverte’ (Ibidem) pour pouvoir amorcer le reditus sur la voie des initiés.

2. Une vision originale ou héritée ?

Après la sommaire description de cette vision du monde, nous sommes en droit de nous demander si on doit la considérer comme originale et propre à ʿAbd al-Qâdir ou bien comme une façon de voir héritée d’ailleurs. La conclusion du texte ne semble pas laisser de doute à ce sujet : ‘Pour répondre au désir de celui qui cherche à ordonner tous les degrés de la théophanie’ (II, 743/342) ; tel est le titre que l’auteur propose de donner à son traité. Il ne fait donc qu’ordonner les éléments épars, relatifs à la cosmogénèse, qui se trouvent dans les oeuvres de son maître, Ibn ʿArabî.

L’héritage akbarien

Mais, avant de procéder aux parallélismes littéraires entre les oeuvres du maîtres et de celle du disciple, nous pourrions souligner chez ce dernier sa sensibilité toute personnelle envers les ‘grands spectacles de la nature’. Au chapitre 21 de la Halte même dont nous venons de restituer la substance, il note qu’il n’a jamais vu de nuit où les étoiles filantes abondèrent davantage que durant la nuit du 27 de Ramaḍân 1289/1872. ‘Elles commencèrent à apparaître au moment de la prière du soir et cela jusqu’à la huitième heure de la nuit, avec une intensité comparable à celle du feu des barouds militaires durant la guerre [. . .]. Ce que je vis de plus étonnant, c’est qu’une étoile filante rompit la galaxie, en sortit et fut projetée sur l’horizon’. L’observation directe serait donc en partie une des sources de son texte. Cependant, c’est bien dans l’oeuvre littéraire du maître qu’il faut aller chercher l’essentiel de son héritage. Pour ne prendre que l’exemple des Illuminations mekkoises, on rencontre les mêmes données dispersées tout au long de cette somme. Pour nous en rendre compte, il suffit de prendre le deuxième juzʾ où l’auteur expose la table des matières de tout son ouvrage5. Le chapitre 4 concerne le début du monde et sa création ; du chapitre 6 à 11, sont exposés l’origine de la création des esprits, des corps humains, de la terre, des esprits ignés, ainsi que la connaissance des pères d’en haut et des mères d’en bas qui sont à l’origine des accouplements métaphoriques, dont nous avons parlé. Le chapitre 16 traite des sciences relatives à la cosmogénèse. Le chapitre 295, à propos des nombres éminents de la présence muḥammadienne, et le chapitre 371 également relatif à cette même présence, donnent un aperçu assez organisé du processus cosmologique ; ce second chapitre est même illustré par une série de onze schémas6. Déjà dans la khutba des Illuminations, est abordé le problème de la création et de l’apparition des êtres existants7. À la fin du Kitâb inshâʾ al-dawâʾir, Ibn ʿArabî résume ce qu’il appelle ‘la cause du développement du monde’, en se servant, dit-il, de ce qu’il a déjà traité dans son Kitâb ʿanqâʾ al-mughrib, au chapitre du ‘discernement sur la pérennité du développement du monde’8. Faut-il conclure de tout cela que ʿAbd al-Qâdir ne fut qu’un plagiaire de son maître ? La relative originalité de sa présentation nous prouve que non ; et, d’autre part, il a lui-même conscience de son apport nouveau sur la question, quand il dit vouloir ‘compléter’ ce qu’il a reçu, en dévoilant certains secrets, en commentant des expressions vagues, en expliquant des choses déjà dites de façon trop générale, en éclaircissant des questions obscures et en retirant le voile du secret jalousement gardé sur ce qu’on ne trouve dans aucun livre et qui fait désormais partie de la conquête du temps (II, 743/342).

Une influence plotinienne directe ?

Que ʿAdb al-Qâdir ait été influencé par Plotin, directement, explicitement et consciemment, nous pouvons affirmer que non, sans grand risque de nous tromper. Par contre, il a conscience de la valeur de Platon (Aflâṭûn al-hakîm) qu’il range parmi les ‘connaisseurs de Dieu’, parce qu’il est sorti de la philosophie pure, à l’aide de sa réflexion, pour accéder à la science du dévoilement9. Mais qu’Ibn ʿArabî ait été également assez imperméable à cette influence, cela est moins sûr. Ce dossier est complexe, nous essayerons d’en résumer les éléments essentiels.

Il est certain qu’on trouve dans les Ennéades des textes qui pourraient être à l’origine de la cosmogénèse akbarienne ; nous en choisirons un seul dont voici la substance10. Au premier niveau de la réalité, nous avons l’Un (to ʿEn) qui est, à la fois, toutes les choses en puissance et n’est aucune d’elles, car c’est à lui que tout retourne. De sa richesse surabondante déborde l’Être avec tout ce qui naîtra de lui. Au deuxième niveau, cet Être se tourne vers l’Un et rempli de lui, se regarde lui-même et devient l’Intelligence (Nous) qui sera le siège des idées exemplaires. Et, au troisième niveau de la réalité, une force procède de l’Intelligence immobile et engendre l’Âme (psukè) mobile d’où sort la sensibilité qui s’étend jusqu’à la puissance végétative11. Certes, nous reconnaissons là une ébauche des trois niveaux du schéma akbarien : indétermination absolue de l’Essence, détermination inexistante dans la science divine et détermination existenciée de l’univers créé. La différence essentielle réside dans l’adhésion sans faille des akbariens à la proposition coranique de la création ex nihilo, alors que pour Plotin tout procède par émanation.

Certes, Plotin a été transmis au monde arabo-musulman ; on en veut pour preuve Ibn Nadîm (m. 385/995) qui, dans son Kitâb al-Fihrist12, parle du Kitâb Uthûlûjiyâ qui, dit-il, ‘a été commenté par al-Kindî’ (fin du IIº/VIIIº-milieu du IIIº/IXº). Son titre vient de la parole grecque theologia et il est présenté comme étant une oeuvre d’Aristote. Mais, il a été démontré qu’il s’agit, en réalité, d’extraits des Ennéades pris dans les livres IV, V et VI13. Quelques pages plus loin14, Ibn al-Nadîm cite, parmi les ‘noms de philosophes de la nature dont on ne connaît ni l’époque ni le rang’, celui de Flûtîn(u)s qui pourrait très bien désigner Plotin et non Platon, car ce dernier était trop connu dans le monde arabo-musulman pour être classé sous une telle rubrique.

Avec le surnom de al-Shaykh al-Yûnânî, certains désignent Plotin lui-même et d’autres son traducteur du grec à l’arabe, en passant par le syriaque15. Il s’agirait probablement du chrétien jacobite ʿAbd al-Masîḥ b. Nâʿima al-Himsî, cité par Ibn Abî Usaybiʿa (vers 590/1194-668/1270) dans son ʿUyûn al-anbâʾ fî Ṭabaqât al-aṭibbâʾ et dont il dit qu’il est ‘proche (dans sa traduction) du texte transmis, mais qu’il n’atteint pas le degré de ceux qui sont cités avant lui’16. Ces propos sont rapportés au chapitre 9 intitulé : ‘Les traducteurs qui ont fait passer les livres de médecine et autres de la langue grecque à la langue arabe avec la mention de ceux qui les leur ont transmis’. Ce qui nous indique bien qu’il y a eu toute une entreprise de traduction fort importante du patrimoine grec en arabe, qui a dû concerner également l’oeuvre de Plotin, au moins en partie17.

Une influence plotinienne indirecte ?

R. Walzer, dans son article sur al-Fârâbî (m. 339/950)18, dit incidemment que d’après ce dernier, ‘la cause première qui est en même temps l’Un de Plotin, est le créateur éternel d’un monde éternel . . .’. Après vérification du contenu du Kitâb ârâʾ ahl al-madîna al-faḍîla19, nous constatons, en effet, deux choses. Tahani Sabri a pris soin de noter les emprunts précis d’al-Fârâbî aux Ennéades20 ; ainsi le chapitre 4 de la Cité vertueuse se réfère-t-il à V, 3, 13 ; 3, 14 ; 5, 6 ; VI, 7, 38 ; 8, 19-20 ; le chapitre 6, à VI, 8, 19-20 ; V, 2, 1-2 ; le chapitre 7, à I, 8, 7 ; V, 2, 1-2 ; le chapitre 8, à V, 3, 12 ; le chapitre 13, à III, 8, 9-10 ; et le chapitre 14, à V, 2, 1-2. Nous voyons donc que les références à Plotin ne sont pas négligeables, à côté de celles, plus abondantes certes, faites à Platon et à Aristote. Ensuite, seconde constatation, le tableau de l’émanation d’après al-Fârâbî, que présente le même traducteur, comporte les trois niveaux de la réalité que nous avons chez Plotin et que nous retrouvons chez les akbariens : à savoir l’Être Premier, l’émanation des dix intellects ou êtres supra-célestes et divins, et la composition des êtres sub-célestes ou hyliques. Certes, de nombreuses nuances entrent en ligne de compte et amènent des distinctions notoires, mais le schéma global offre de grandes ressemblances. Nous savons qu’al-Fârâbî s’était déjà aperçu de la difficulté de concilier les conséquences de l’émanation, au plan philosophique, avec les exigences coraniques de la création. Malgré cela, le fait de son influence sur Ibn ʿArabî ne fait guère de doute ; comme preuve, nous ne citerons qu’un seul exemple qui se trouve au premier faṣl du deuxième bâb des Fûtûḥât21. Nous sommes dans le grand exposé sur le secret des lettres de l’alphabet : secret et mystère allusif étonnants pour ceux qui ont la capacité de les comprendre. Si, pour les connaître, il ne se fiait qu’à son intelligence et à sa réflexion, l’homme serait très vite limité dans sa recherche. ‘Mais, leurs sciences découlent des fontaines du Réel, qui se déversent sans cesse dans le coeur du serviteur, et de Ses esprits bénéfiques qui descendent sur lui depuis le monde de l’invisible, grâce à Sa miséricorde qui provient de Lui et à Sa science qui vient d’auprès de Lui. Le Réel est Celui qui donne généreusement sans discontinuer et qui sans arrêt déverse son flux surabondant’. Comme le note justement ʿUthmân Yaḥyâ, si nous avons là des expressions qui sont des allusions coraniques évidentes, nous constatons aussi que wahhâb ʿalâ l-dawâm, fayyâḍ ʿalâ l-istimrâr sont deux qualités qu’al-Fârâbî avait déjà attribuées à l’intellect agent (al-ʿaql al-faʿʿâl) qui se trouve être au dixième rang de son système de l’émanation22. L’antirationalisme d’Ibn ʿArabî et de ses disciples, dont ʿAbd al-Qâdir, a fait penser à certains, comme H. Corbin, que le maître avait puisé son inspiration presque exclusivement dans le mundus imaginalis23 ; d’autres, par contre, ont soutenu que son système était avant tout métaphysique, au sens philosophique du terme. Nous choisissons de nous ranger à l’avis de W.C. Chittick qui préfère tenir le juste milieu entre ces deux opinions extrêmes24, ce qui correspond mieux au fait que nous découvrons chez Ibn ʿArabî les traces de la pensée, à la fois, philosophique et ésotérique d’un prédécesseur tel qu’al-Fârâbî. Dans le même sens, une exploration plus poussée mériterait d’être entreprise pour découvrir d’autres influences subies par les akbariens et leur maître25.

3. Légitimation de la vision akbarienne

Pour conclure ce petit essai sur la vision akbarienne du monde selon ʿAbd al-Qâdir l’Algérien, nous voudrions en montrer succinctement la cohérence interne, autrement dit son autolégitimation. D’abord, à partir du Coran, nous verrons comment pourrait se justifier le schéma tripartite de l’existence et de l’avènement de l’univers ; ensuite, selon Ibn ʿArabî, nous essayerons de définir la ‘nécessité’ de son exitus ; et, enfin, en nous servant directement de la pensée de ʿAbd al-Qâdir, nous décrirons le fondement de son reditus.

Kun fa-yakûnu !

Un des plus célèbres versets relatifs à la création est le fameux ‘Sois et elle est’ que nous trouvons dans le Coran selon sept versions très légèrement différentes26. Si nous recourons aux commentaires les plus classiques de la notion de création, nous nous apercevons, d’abord, que pour al-Ṭabarî, dans Coran 2, 117, il est bien question de création ex nihilo. Il dit, à propos des cieux et de la terre, que Dieu est mûjidu-hâ min ghayri aṣl et un peu plus loin il ajoute même min ghayri aṣl wa ʿalâ ghayri mithâl 27. Le schéma akbarien reste fidèle à cette donnée coranique et traditionnelle, en évitant de verser dans la pure émanation plotinienne. Quant à Fakhr al-Dîn al-Râzî, à propos de Coran 3, 59, il reprend le commentaire d’Abû Muslim al-Iṣfahânî, son prédécesseur et un de ses grands inspirateurs, qui dit avoir montré que la création (khalq) équivaut, d’abord, chez Dieu à la décision de la mesure et de la forme ; autrement dit, cela renvoie à sa science de la modalité de l’existence de la chose et à sa volonté de son existenciation de façon déterminée et précise. Or le tout précède éternellement l’existence de fait. Quant à ‘Sois !’, il signifie l’entrée dans l’existence. Donc le khalq précède le kun28. Déjà, chez Abû Muslim et chez F.D. al-Râzî, pour ne parler que d’eux, nous distinguons donc trois niveaux dans le processus créateur, à savoir celui de l’indétermination absolue de l’Essence divine, qui ici est implicite et sous-entendu dans le pronom-sujet Huwa ou Naḥnu de yaqûlu, qâla et naqûlu ; celui de la détermination non-existenciée qui est celui de la science et de la volonté divines du khalq ; et celui de la détermination de l’entrée dans l’existence du kun29. Nous pourrions visualiser ainsi ces données :

Au deuxième chapitre de notre Halte 248, ʿAbd al-Qâdir cite Coran 16, 40 et y distingue effectivement trois niveaux de la réalité, en disant : ‘telle est la participation active entre l’Essence, la Volonté et la Parole . . .’, ce qui résume exactement le schéma ci-dessus30. Certes, nous ne pouvons pas déduire de cela une confirmation de la vision akbarienne du monde par le Coran, mais un souci majeur d’Ibn ʿArabî et de ʿAbd al-Qâdir de s’y référer constamment, quitte à en solliciter souvent le sens.

‘Nécessité’ de l’exitus

À l’exemple de son maître, ʿAbd al-Qâdir évoque à neuf reprises une tradition apocryphe qui prête à Dieu les propos suivants : ‘J’étais un trésor caché et Je n’étais pas connu. Aussi ai-Je aimé à être connu. Alors, J’ai créé la créature et Je me suis fait connaître à elle’31. Dans l’esprit des akbariens cette supposée tradition sainte justifierait la création de l’univers. Tout au long des Futûḥât, Ibn ʿArabî revient, à plusieurs reprises, sur ce lien de ‘nécessité’ réciproque entre le Créateur et la créature, en développant plusieurs variations du même thème, à savoir les rapports entre ulûha et maʾlûh, rabb et marbûb, ẓâhir et maẓhar.

La divinité-sujet (ilâh, ulûha, ulûhiyya) est un degré de l’Essence qui n’appartient de droit qu’à Dieu : donc elle est à sa recherche, tandis que Lui ne la recherche point, car l’Essence n’a besoin de rien. Par contre, la divinité-sujet et l’objet de la divinité (maʾlûh) sont à la recherche continuelle (ṭalab) l’une de l’autre. Et si ce secret était dévoilé, la divinité-sujet serait considérée comme vaine (baṭulat), selon l’expression de Sahl al-Tustarî, alors que l’Essence demeurerait dans sa perfection32. Ce lien réciproque du ṭalab est qualifié plus loin d’irtibât, ce qui en accentue le caractère de ‘nécessité’ relative. ‘Si tu Le connaissais, Lui ne serait pas ; s’Il t’ignorait, toi tu n’existerais pas’. Ce qui veut dire que tu es lié à Lui, tandis que Lui n’est pas lié à toi. Il en est comme du cercle : la circonférence est essentiellement liée (murtabiṭa) au point central, mais la réciproque n’est pas vraie ; par contre, un point quelconque de la circonférence est absolument lié à elle et réciproquement. Le point central représente l’Essence, la circonférence la divinité-sujet et le point de la circonférence l’objet de la divinité33. Certes, la raison, à elle seule, n’arrive pas à concevoir ce rapport (nisba) entre l’Unicité essentielle et l’exigence d’êtres possibles. Pour le saisir, il faut partir du fait évident pour la raison que, pour être, le possible requiert l’existence de quelqu’un qui soit l’Unique. Elle en déduira normalement qu’il est la divinité-sujet qui requiert ‘nécessairement’ son objet (maʾlûh)34. Le fondement de ce lien se trouve dans le fait que l’Essence du Réel devient cause (sabab), quand elle est considérée à son degré de divinité-sujet en lien tellement étroit avec son objet, que ce dernier n’a même pas conscience d’être l’objet de la divinité. De plus, l’Existence divine se déverse sur les prototypes immuables (aʿyân thâbita) en fonction de leurs prédispositions (istiʿdâdât) qui sont formées par eux et non par Elle ; il n’y a donc pas de distinction pensable ou imaginable entre les prototypes et leurs prédispositions. Voilà pourquoi l’origine ou le rapport originel entre la divinité-sujet et son objet est marqué, selon certains, par la contrainte (al-qahr), et selon d’autres, par la puissance (al-qudra) ou la coercition (al-jabr)35.

Une deuxième variation du même thème est développée à propos de la Fâtiḥa. Le verset central : ‘C’est Toi que nous adorons, c’est à Toi que nous demandons de l’aide’ est considéré comme le lien ( jâmiʿ) ou l’isthme (barzakh) entre la première partie totalement consacrée à Dieu et la seconde exclusivement réservée au serviteur. Cette sourate représente donc la station la plus élevée qui soit, parce qu’elle établit (ithbât) le joint entre la divinité-sujet et son objet, ou, autre variation, entre le Seigneur (rabb) et son vassal (marbûb). En effet, le Réel ne peut être loué que par nous et nous ne pouvons être honorés que par Lui. Telle est la perfection de la Présence divine36.

Enfin, troisième variation, et de beaucoup la plus développée, celle de la divinité-sujet qui, pour être manifeste (ẓâhir) ‘dépend’ de son objet qui lui sert de lieu de manifestation (maẓhar) pour les continuelles épiphanies (tajalliyât) du Réel. Remarquons, cependant, qu’il est impossible que l’objet de la divinité puisse connaître Dieu, car, en tant qu’objet, il n’a pas l’expérience gustative de la divinité-sujet. Par contre, Dieu a cette expérience de la condition de l’objet dont il est en recherche comme lieu de manifestation. C’est pour cela que le Réel prend les attributs de ses lieux de manifestation : il s’étonne, il rit, il oublie, etc. . . .37 Précisons toutefois que toutes ces mises en relation (nisab) n’ont aucun fondement dans la réalité ; elles sont de l’ordre de l’être de raison (amr maʿqûl), des points de vue et des considérations (iʿtibârât) purement pédagogiques qui n’ont pour but que d’essayer de faire pressentir ce que pourrait être la ‘raison’ de l’exitus de la création vue du côté de Dieu.

Fondement du reditus

Comme nous l’avons déjà annoncé au début, l’introduction et les trois premiers chapitres de la Halte 248 se présentent comme une muqaddima importante : elle aurait pour fonction de donner d’emblée au lecteur le fondement de la création vue du côté de l’homme. Pour partir de ce que nous venons d’exposer, nous pourrions dire qu’il y a un rapport de symétrie opposée (muqâbala) dans la relation entre ilâh (actif ) et maʾlûh (passif ) et la relation entre maʿbûd (passif et ʿâbid (actif ). Le Réel, à la fois, ilâh et maʿbûd est le tout ‘qui réunit les contraires’ ( jâmiʿ al-aḍâd) du plus haut degré de la création jusqu’au plus bas (min al-aʿlâ ilâ al-adnâ) dans la descente de l’exitus ; tandis que le serviteur (ʿabd), à la fois maʾluh et ʿâbid est celui qui, créé dans la condition de servitude (ʿabda), en prend conscience (ʿubûdiyya) et agit en conséquence dans l’exercice de l’adoration du culte (ʿibâdât) ; mais pour cela il a besoin de la connaissance (maʿrifa) et de la science (ʿilm) les plus exhaustives possibles qui partent du plus bas pour aller vers le plus haut degré de la création (min al-adnâ ilâ al-aʿlâ), afin d’inventorier un nombre toujours plus grand de lieux de manifestation du Réel ; voilà comment se justifie le processus du reditus (rujûʿ et maʿâd).

Le moyen le plus adéquat, pour acquérir cette science et s’engager ainsi sur la voie de la remontée, sera la lecture des symboles ou des paraboles (amthâl) de l’univers créé, depuis l’exemple du moucheron jusqu’au plus élevé qui soit (Coran 2, 26). Dieu expose ses symboles, ses paraboles ou ses signes (âyât), sans qu’il y ait, certes, une équivalence (musâwât) stricte entre le signifiant et le signifié ; d’autre part, ces derniers sont réservés à ceux dont l’humanité est véritable, à savoir ceux qui ont su dominer leur animalité ; enfin, il faut toujours se rappeler que Dieu n’a pas de semblable. Voilà donc trois restrictions qui limitent la portée du signe et de la parabole.

Cependant, ils ont un fondement sûr qui réside dans le fait que ‘le monde est l’ombre du Réel et que l’univers entier équivaut au nom de Dieu, le Manifeste, à ses épiphanies, à ses manifestations, à ses représentations et à ses déterminations dans la réalité de sa divinité’ (II, 566/122).

Leur étendue est infinie, car ils vont du moucheron jusqu’au Trône, autrement dit de l’univers inférieur aux plus hautes sphères de l’univers supérieur. Pourtant, leur vraie portée n’est pas dans l’extériorité gigantesque de leur nombre et de leur dimension, mais dans leur intériorité : ‘le royaume de toute chose se trouve à l’intérieur d’elle-même avec les indications et les symboles qu’elle contient’ (II, 567/123). Dans l’huître, ce n’est pas la coquille qu’il faut considérer, mais la perle qu’elle contient.

C’est pour cela que la raison ne suffit pas pour passer de la perception extérieure à la perception intérieure ; en effet, elle est aveugle en ce qui concerne le secret essentiel et devient une entrave à l’ascension vers la perception des réalités divines. Le vrai connaisseur (ʿârif ) est celui qui ne cesse d’accomplir scrupuleusement la Loi révélée, en attendant l’effusion ( fayḍ) de la science qui vient d’auprès de Dieu (al-ʿilm al-ladunî) (Coran 18, 65). C’est alors seulement qu’il est à même de lire et de saisir tous les signes créés comme des lieux de manifestation (maẓâhir) du Réel.

L’inventaire exhaustif de l’univers est-il possible durant une vie humaine ? Certes pas. C’est pour cela qu’en réalité l’ascension ou la remontée que le croyant est invité à faire se confond avec un retour sur lui-même, vers le plus profond de son intériorité. En effet, l’homme, au moins l’homme parfait (al-insân al-kâmil), rassemble en lui toutes les réalités divines et créées, puisqu’il est lui-même créé à l’image de Dieu38. Il est l’isthme entre la présence divine et l’univers ; il appartient, à la fois, à l’éternité et à la contingence ; il est Seigneur et serviteur. Si on le considère comme étant le microcosme, encore faut-il bien comprendre que ‘l’univers entier (n’) est (que) le détail de tout ce qui est rassemblé dans l’homme parfait’ (II, 570/126). Au point que, selon une explication donnée par Ibn ʿArabî à ʿAbd al-Qâdir lors d’une vision, l’univers a été créé par l’intermédiaire de l’homme et à cause de lui. Autrement dit, si l’homme parfait est, de fait, postérieur à la création visible de l’existence et des essences, il est, de droit, antérieur à la création primordiale invisible et cognitive dans la science de Dieu. L’homme parfait s’est réalisé en Adam et surtout en Muḥammad ; mais l’âme humaine, en général, participe aussi de ce type d’humanité, car analogiquement elle regroupe en elle les réalités de l’univers et celles du Réel. Voilà pourquoi, le reditus va se faire, avant tout, vers l’intérieur de soi : ‘Qui se connaît soi-même, connaît son Seigneur’39.

À première lecture, la Halte 248 donne l’impression d’une littérature surannée, tellement elle relève d’une vision cosmologique moyenâgeuse, voire antique, vieillotte et dépassée ; et pourtant elle fut écrite à la fin du XIXe siècle. Nous avons essayé de la resituer dans la perspective de sa filiation et dans la cohérence d’un point de vue akbarien élargi qui obéit à une logique sui generis indéniable et qui délivre une signification éprouvée ; nous espérons ainsi avoir montré la pertinence, pour l’histoire de la pensée, de la vision du monde qu’elle véhicule.

1 Nous nous servirons de la seconde édition revue et corrigée de Dâr al-Yaqaẓa al-ʿarabiyya, t. II, Damas, 1967, p. 565-743, la première ayant paru au Caire en 1911. Nous avons recouru au fac-similé du manuscrit de la Bibliothèque d’Alger, aimablement prêté par Michel Chodkiewicz, pour éclaircir de nombreux passages douteux que cette édition comporte toujours. Cette Halte a été traduite par nos soins dans ʿAbd al-Qâdir al-Djazâʾirî, Le Livre des Haltes, t. II, Brill, Leiden.Boston.Köln, 2001, p. 121-342.

2 La première référence est au texte arabe et la seconde, à la traduction des éditions citées à la note précédente.

3 À partir d’ici, nous reprenons, en substance, la présentation du deuxième volume de notre traduction du Livre des Haltes.

4 Nous devons confesser que le texte lui-même n’est pas aussi clair qu’il ne paraît dasns ce schéma ; il nous semble, sauf erreur de notre part, que l’auteur n’ait pas été rigoureux dans ses classifications et dans ses catégorisations, d’où quelques confusions.

5 Nous nous référons à l’édition critique, mais incomplète (161 chapitres sur 560), de ʿUthmân Yaḥyâ, al-Hayʾa al-miṣriyya al-ʿâmma li-l-kitâb, 14 vol., Le Caire, 1405/1985-1412/1992. Ce fihrist se trouve au t. I, p. 75-127. Pour le reste de l’oeuvre, nous avons recours à l’édition de Dâr Ÿâdir, 4 vol., Beyrouth, sd, qui est, en réalité une copie ‘pirate’ de l’édition de Dâr al-kutub al-ʿarabiyya al-kubrâ, 4 vol., Le Caire, sd. ; pour certaines difficultés, nous consultons également l’édition de Dâr al-fikr, 8 vol., Beyrouth, 1414/1993.

6 Dans Le Sceau des saints, Gallimard, 1986, p. 210, note 1, Michel Chodkiewicz signale que ce même processus est décrit dans le Kitâb ʿuqlat al-mustawfiz, éd. Nyberg in Kleinere Schriften, Leyde, 1919, p. 41-99 (texte arabe).

7 Ed. ʿUthmân Yaḥyâ, t. I, p. 47-57.

8 Ibn ʿArabî, La production des cercles, traduit et présenté par Paul Fenton et Maurice Glotton, édition bilingue, Ed. de l’Eclat, Paris, 1996, p. 39-41.

9 Halte 358, t. III, 1231/332.

10 Nous nous référons à l’édition bilingue suivante préparée par un grand spécialiste de Plotin, Giuseppe Faggin, à savoir Plotino, Enneadi, Rusconi, 5º edizione, Milano, 1999. Il s’agit du texte V 2 (11), 1, p. 815.

11 Le passage entre ces trois niveaux se fait par ‘émanation’ et non par création ex nihilo, ce que le texte grec traduit par ‘génération’ (gennèsis : production, génération, naissance ; à ne pas confondre avec genesis : principe, source, origine, cause productive, création). Le texte parle au nº 2, p. 815 de Proeisin oun ap’arkès eis eskaton, c’est-à-dire, de ‘processus qui se déroule du principe vers la fin-retour’ ; dans le passage V 2, 2, p. 817, on dit que ‘c’est comme un courant de vie qui s’étire en longueur’ ; ou encore, à V 3, 15, p. 849, il s’agit d’une ‘dérive semblable à l’irradiation de la lumière’. Cette ‘émanation’ est aussi appelée ‘procession’ (proodos, aporroia, perilampsis). Elle assure l’ordre et la coordination des trois hypostases, si bien qu’il ‘n’y a aucune fracture qui s’interpose entre les plans hypostatiques’ (p. XXII), contrairement à ce qui se passe dans le processus de la création ex nihilo.

12 Dâr al-Masîra, 1988, p. 312.

13 M.C. Lyons, « Uthûlûdjiyâ », in EI2, X, 2002, p. 1031-32.

14 Op. cit., p. 315.

15 F. Rosenthal, « al-Shaykh al-Yûnânî », in EI2, IX, 1998, p. 416.

16 Dâr al-Fikr, t. I, Beyrouth, 1376/1956, p. 172.

17 D. Gutas, « Tardjama », in EI2, X, 2002, p. 243-249.

18 « al-Fârâbî », in EI2, II,1965, p. 797-800.

19 Nous nous référons à l’édition du texte arabe d’Albert Naṣrî Nâdir, Dâr al-Mashreq, 2e éd., Beyrouth, 1968 et aux traductions de Tahani Sabri, Traité des opinions des habitants de la cité idéale, J. Vrin, Paris 1990 et de R.P. Jaussen, Yousef Karam et J. Chlala, Idées des habitants de la cité vertueuse, IFAO, Le Caire, 1949.

20 Op. cit., p. 139-145.

21 Ed. ʿUthmân Yaḥyâ, t. I, p. 255-256, nº 434.

22 Il fait référence à Maqâla fî maʿânî al-ʿaql, texte qui se trouve dans al-Majmûʿ min muʾallafât al-Fârâbî, Le Caire, 1907, p. 49.

23 Cfr. H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ʿArabi, Flammarion, Paris, 1958.

24 W.C. Chittick, The Sufi Path of Knowledge, State University of New York Press, 1989, p. X et XVI-XX.

25 Nous pensons, en particulier, à une influence possible de la Kabbale. Trois aperçus superficiels nous inclinent à croire que cette piste pourrait être féconde. D’abord, la lecture de l’essai suivant : ‘La lotta tra il Dio biblico e il Dio di Plotino nella Cabbala antica’, in G. Sholem, Concetti fondamentali dell’Ebraismo, Marietti, 1986 ; ensuite, le fait que le Sefer yeṣirah (cfr. G. Busi e E. Loewenthal, Mistica Ebraica, Einaudi, 1995) a été traduit en arabe dès 931 par Saadia Gaon, philosophe hébreux néoplatonicien des milieux égyptiens ; et, enfin, la constatation d’une certaine parenté structurale entre l’Arbre de la vie ou des Sephiroth et le schème du système akbarien de l’origine de l’univers. Ce qui a attiré notre attention, c’est que nous y retrouvons les quatre fameux accouplements (1. entre l’Intellect et le Règne ; 2. entre le Pouvoir ou le Jugement et la Grandeur ou l’Amour ; 3. entre la Majesté et l’Eternité ; 4. entre la Beauté ou la Compassion et le Royaume ou le Diadème).

26 À savoir 2, 117 ; 3, 47 ; 3, 59 ; 16, 40 ; 19, 35 ; 36, 82 ; 40, 68. Ibn ʿArabî en donne un commentaire à de multiples reprises (cfr., par exemple, dans les 1º et 2º chapitres, nº 92, 95, 309, 310, 633, 688 sans compter les références que l’on trouve à propos d’al-amr, éd. ʿUthmân Yaḥyâ, t. I) ; dans le Livre des Haltes, nous avons 19 commentaires de Coran 16, 40 et 2 commentaires de 36, 82.

27 Al-Tabarî, Jâmiʿ al-bayân, Dâr al-salâm, 1425/2005, t. I, p. 663.

28 F.D. al-Râzî, al-Tafsîr al-Kabîr, t. VIII, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1981, p. 84.

29 Le fa-yakûnu, comme le précise al-Ṭabarî (Op. cit., t.I, p. 666), n’instaure pas un autre niveau dans ce processus, car l’expression est un marfûʿ (indicatif ), donc elle est coordonnée à yaqûlu. Cela signifie qu’il y a coïncidence parfaite, ontologique et chronologique, entre le dire de Dieu ( yaqûlu), l’ordre qu’il donne (kun) et l’existence de ce qui est ordonné ( fa-yakûnu). Ce qui ne serait pas le cas, si nous avions fa-yakûna au manṣûb, car nous aurions alors une conséquence et donc une antériorité-postériorité ontologique et chronologique entre l’ordre et l’existence de ce qui est ordonné. Ibn ʿArabî, cité par ʿAbd al-Qâdir, reprendra la même idée, en disant : ‘L’être ne s’ajoute pas à Kun pour s’y coordonner. L’être se manifeste seulement sous la forme Kun qui est Son ordre, Sa parole, Sa science, Son Essence.’ (Le Livre des Haltes, cit., Halte 366, t. III, p. 419). Remarquons qu’al-Ṭabarî n’entre pas dans les distinctions qu’apporteront plus tard Abû Muslim et al-Râzî.

30 Le Livre des Haltes, cit., t. II, p. 138/17.

31 Voir les neuf références à Ibidem, t. III, p. 582/161.

32 Al-Futûḥât, cit., t. I, p. 195/262.

33 Ibidem, t. I, p. 212/315.

34 Ibidem, t. VII, p. 48/6.

35 Ibidem, t. XII, p. 162-163/112-113.

36 Ibidem, t. X, p. 325-26/A320.

37 Ibidem, t. XII, p. 232-33/170 ; t. XIII, p. 158/133.

38 Manifestement ʿAbd al-Qâdir prend position dans le débat traditionnel sur le renvoi du pronom ‘-hu- son’ dans la tradition prophétique : ‘Dieu a créé l’homme à son image’. Pour lui, ce pronom a comme référent Dieu et non l’homme. Voir Le Livre des Haltes, cit., t. III, 579/57 où l’on trouvera les nombreuses références où ʿAbd al-Qâdir traite de ce problème.

39 Cette tradition si souvent commentée par les akbariens est apocryphe, quoi qu’ils en disent. Cfr. Le Livre des Haltes, cit., t. III, p. 586/266 où sont notées les nombreuses indications de son utilisation par ʿAbd al-Qâdir.

  • 12

    Dâr al-Masîra, 1988, p. 312.

  • 14

    Op. cit., p. 315.

  • 20

    Op. cit., p. 139-145.

  • 23

    Cfr. H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ʿArabi, Flammarion, Paris, 1958.

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